Le Croyant/III

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LE CROYANT,
Poëme


Qu’entends-je ?… C’est le bruit d’un cliquetis de chaîne
Auquel vient se mêler une clameur lointaine.
D’affreux rugissements ont ébranlé les airs ;
C’est la terrible voix des monstres des déserts !…
Accourez, plébéiens, dans le cirque de Rome ;
Hâtez-vous, venez voir couler le sang de l’homme ;
Venez goûter à l’aise un bien digne plaisir !
Pour récréer Néron, des chrétiens vont mourir !
Place, place au consul, à la vierge sacrée,
Qui nourrit sur l’autel la flamme vénérée !
Place aux augures ! place aux prêtres imposteurs,
Fièrement entourés d’un cercle de licteurs !
Sur la dalle sonore on voit l’immense foule,
À flots précipités, comme un torrent qui roule,
S’élancer dans le cirque en ce jour solennel ;
À Jupiter-Tonnant l’on élève un autel,
Et des prêtres en chœur entonnent sa louange.
À la voix des tribuns tout le peuple se range ;
Sur ses lourds gonds gémit une porte d’airain :
« Les voilà ! les voilà ! » dit la foule ; soudain,
De malheureux captifs, que le licteur entraîne,
Au devant de la mort s’avancent dans l’arène :
« Vils chrétiens, leur dit-on, pour calmer son courroux,
» Devant notre empereur fléchissez les genoux ;
» Adorez Jupiter, que Rome entière adore,
» Et reniez ici votre Christ, qu’elle abhorre. »

À ces mots, les chrétiens, en regardant les cieux,
Les cieux, leur doux espoir, restent silencieux.
Néron, à leur aspect, sent du feu de la rage,
En ce terrible instant, s’enflammer son visage ;
De l’enfer ont bondi les démons courroucés,
Et dans le cirque ouvert les monstres sont lancés.
Vers l’arène de sang, le tigre de Nubie,
La panthère de Ziph, le lion de Lybie,
Se sont précipités, de fureur frémissants ;
Ils jettent dans les airs d’horribles hurlements,
Et le peuple romain a triomphé de joie ;
Les monstres dévorants s’acharnent sur leur proie ;
Du flanc de nos martyrs le sang s’échappe à flots ;
Ils demandent au ciel grâce pour leurs bourreaux…
Alors l’Esprit divin vient consoler leur âme,
De l’amour du Seigneur soudain il les enflamme ;
Ils délaissent un monde où règne la douleur,
Et des élus ils vont savourer le bonheur.

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