Le Croyant/XXII

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Liberté ! Liberté ! tes purs adorateurs
Se sont voilé la face en voyant tant d’horreurs ;
Ils ne prononcent plus, ô sainte enchanteresse,
Noble fille du ciel, ton nom qu’avec tristesse !
D’un affreux despotisme on accusait les grands ;
Les peuples, aujourd’hui, ne sont-ils pas tyrans ?
Ils se livrent partout à leurs instincts sauvages,
Et des bords du Danube aux célèbres rivages
Que le Tibre immortel arrose de ses eaux,
Jamais nous ne voyons leurs poignards en repos !


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Il est une contrée où l’orange odorante
Étale ses fruits d’or dans la plaine riante ;
La fleur n’y craint jamais le souffle des autans ;
Il règne en ces vallons un éternel printemps.
Ce climat fortuné, c’est l’antique Italie,
C’est la terre des arts, par le ciel embellie !

Sur un double coteau, s’élève à mes regards,
Vers un large horizon, la cité des Césars ;
Du rapide Onio tombe la cascatelle,
Et je vois onduler vers la ville éternelle,
Le Tibre, vieux témoin des immenses travaux
Où je lis la grandeur d’un peuple de héros !
Mais de tant de palais qui trouble le silence ?
Quelle foule en fureur de tous côtés s’élance !…
S’arrachant à la tombe, ô César, tes soldats
Vont-ils renouveler leurs glorieux exploits ?
Vont-ils recommencer la conquête du monde ?
Serait-ce des tribuns la grande voix qui gronde,
Pour exciter la plèbe à briser ses liens
Et répandre le sang des fiers patriciens ?
Non, c’est un peuple ingrat, qui déclare la guerre
À celui qu’il nommait, hier encor, son père.
Les cris de la révolte ont ébranlé les airs !
Un ministre est tombé sous les coups d’un pervers,
Et des bandits armés célèbrent la victoire
Que vient de remporter un sicaire sans gloire.
Tel on voyait jadis le sacrificateur
S’avancer au milieu d’un peuple adulateur,
Après avoir frappé la victime sanglante
Et lu l’arrêt du sort dans sa chair palpitante ;
Ainsi ce meurtrier, après son noir forfait,
Marchant avec fierté, dans Rome triomphait ;
L’émeute devant lui poussait des cris de rage.
Mais si vous étaliez ce facile courage,
Lâches, si vous marchiez d’un pas audacieux,
Devant l’aigle du nord vous avez fui honteux !
Tous ceux qui révéraient naguères sa puissance,
Délaissent le Saint-Père aujourd’hui sans défense ;
À pleurer des ingrats le voilà donc réduit !
Le Rédempteur du monde, en la dernière nuit,
Nuit d’angoisse et d’horreur, qu’il passa sur la terre,
Fut ainsi délaissé par ses amis, par Pierre,
Ce disciple oublieux, qui fut sourd à sa voix,
Et jusqu’au chant du coq le renia trois fois !
Des chrétiens consternés le guide si fidèle,

Abandonne en secret une cité rebelle !
Et Rome, maintenant, exhale ses regrets ;
Avec lui vont s’enfuir le bonheur et la paix ;
Elle ne pourra plus, l’ingrate, voir encore
Les peuples du midi, du couchant, de l’aurore ;
Et les froids habitants des mornes régions
Que d’un pâle soleil éclairent les rayons,
Aborder avec joie à son pieux rivage,
Pour venir tous les ans lui porter leur hommage ;
D’elle ils s’éloigneront bientôt avec terreur,
Et ne rediront plus son nom qu’avec horreur.
Ô coupable cité, redoute la colère
Qui déjà contre toi s’allume sur la terre !
De nombreux combattants, des bouts de l’univers,
Pour détruire tes murs traverseront les mers,
Et si ce n’est assez pour les réduire en poudre,
En éclats l’on verra sur toi tomber la foudre !
Un volcan, en ouvrant son cratère profond,
T’engloutira vivante en un gouffre sans fond !
Un jour le voyageur errant dans ta vallée,
Quand il découvrira ta plage désolée,
Hélas, en déplorant ta faute et tes malheurs,
Sentira de ses yeux tomber de larges pleurs ;
Recueillant avec soin ta poussière sacrée,
Ainsi qu’une relique antique et vénérée,
Et hâtant son retour vers son heureux pays,
Il ira la montrer tristement à ses fils.
Mais quoi ! s’accomplit-il mon funeste présage !
L’océan a vomi, Rome, sur ton rivage,
Pour punir tes forfaits, d’invincibles guerriers ;
Le sol tremble et frémit sous leurs fougueux coursiers ;
Dans les airs tourbillonne une ardente fumée,
Et la bombe décrit son ellipse enflammée.
De la balle j’entends les aigus sifflements ;
Le boulet destructeur bat les retranchements ;
La brèche s’élargit ; en colonne mobile
Les assiégeants serrés s’élancent dans la ville,
Et Rome a succombé : c’est la troisième fois
Que son aigle est vaincu par le coq des Gaulois.

Vous, oppresseurs du peuple, insolentes cohortes,
Aventuriers, fuyez, fuyez loin de ses portes,
En hâte reprenez vos obliques chemins !
Et vous qu’ils contristaient, infortunés Romains,
Vous qu’ils ont aveuglés, qu’un rayon de lumière
En descendant des Cieux maintenant vous éclaire.
Du Pontife de Rome annonçant le retour,
Les bronzes du Saint-Ange ont tonné tour à tour.
Le voilà ! Tous les fronts sont radieux de joie.
Sur le mont Vatican, en face de la voie
Où jadis, enchaînés derrière leur vainqueur,
Les rois honteux suivaient le char triomphateur,
Un temple dans la nue élève sa coupole,
Et ferme le chemin qui mène au capitole.
Sur les autels du Christ mille cierges en feu,
De leur vive lumière éclairent le saint lieu ;
Le peuple, en se pressant sous son pieux portique,
Inonde de ses flots l’immense basilique.
C’est là que le Saint-Père, au pied de l’Éternel,
Présente de son cœur l’hommage solennel,
Lui demande qu’il veuille, en sa bonté profonde,
De sa grâce épancher les trésors sur le monde,
Qu’il daigne illuminer les âmes des pervers ;
Sa main bénît ensuite et Rome et l’univers.


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