Le Cygne de Pau

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LE CYGNE DE PAU


La couleur ne peut naître que de la couleur.

De la chaux monacale au ripolin blanc des cliniques, le prisme n’est guère varié. N’empêche que nous la font au bleu ciel les scribouilleurs de la rubrique poésie, chaque fois qu’ils évoquent l’une ou l’autre des entités de la mythologie chrétienne : Résignation et Virginité.

Le paradis est une Olympe désossée, sans rien de solide que tel vieil hymen en peau de tambour. Sur cette membrane sclérosée se réfugient les anges gélatineux, trop contents d’avoir leur radeau de la Méduse. Le merveilleux ne trouve preneur à moins d’être de bon et authentique style Saint-Sulpicien. Et voilà bien les premières amours à quoi l’on revient toujours.

Écoutons plutôt Mallarmé :

La lune s’attristait, Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles,

Il n’y a qu’à joindre, bout à bout, ces vers, pour avoir le début d’un roman à mettre entre toutes les mains.

Les vraies-jeunes-filles-consommatrices-de-Pilules-Pink souligneraient (d’un crayon rose) ces beautés initiales, les demoiselles-affranchies-et-qui-sucent-dans-les-coins estimeraient, sentencieuses, que « c’est bien écrit quoique ça fasse un peu « coco », et l’étudiant-de-philosophie-qui-n’a-pas-de-préjugés-et-a-entendu-parler-de-Freud découvrirait, à l’archet ou doigt, un arrière-goût de masturbation.

Par la faute des séraphins en pleurs, nous retombons dans des moiteurs de mains tripoteuses, ou fond des poches volontairement déchirées. Bien la peine pour un poète d’avoir aussi altière réputation. Ne vont rien gagner à l’affaire les transparents glaciers des vols qui n’ont pas fui. Le papa Mallarmé s’est donné bien du mal pour pas grand-chose. Il a eu beau s’esbigner à saupoudrer de strass le sexe d’un faune en chaleur, l’histoire d’Antoine et Cléopâtre, des narines un peu subtiles (les miennes, pardi, puisque je suis, avec votre permission, olfactif de naissance, un olfactif distingué) n’en reconnaissent pas moins cette bonne vieille odeur littéraire de couille en papier mâché, de foutre à l’encre (pas encore Waterman) de pubis hérissé de plumes Sergent-Major.

Aux angles de cette géométrie givrée, nul risque de se blesser. L’écume inconnue et les flots, les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux dans le ciel ne constituent ni des tentations, ni des menaces bien dangereuses.

Le poète-professeur doit inspirer aux foules la même confiance que ce soldat-laboureur sous l’égide duquel s’est mis un bazar de l’avenue d’Orléans.

Rue de Rome la chair est triste, hélas ! Et comment ne le serait-elle pas lorsqu’on a lu tous les livres, lorsqu’on se cuirasse d’une redingote, style tuyau de poêle, s’emmitoufle dans le plaid (immortalisé par la photo de Nadar) et les fumées de tous les trains qui, eux, savent au moins quitter la gare Saint-Lazare.

Alors, d’évoquer le vierge, le vivace et le bel, mais basta, le cygne par la faute de Mallarmé et celle de ses contemporains, devient animal domestique, symbole d’une pucellerie conservée, comme le dîner de la veille, dans le Frigidaire. D’autres métaphores glaciales, de leur avoir valu un petit chatouillis à la base du cerveau, aidèrent, après une première lecture, les contemporains à prendre excellente opinion du siècle, donc d’eux-mêmes, sans se rendre compte qu’ils s’étaient tout bonnement enrhumés dans ce conservatoire d’automates gelés. Que le professeur-poète lui prête son plaid, n’en grelottera pas moins, dorénavant, une pensée qui devrait aller toute chaude, toute nue.

Mais, puisqu’on parle de cygne, j’en ai connu un, moi qui vous parle, et un fameux, ce qui se fait de mieux dans le genre, avec bottines élastiques, à la mode de 1899. Cette volaille corsetée vivait une vie d’esthète dans un petit lac artificiel dont elle ne quittait les eaux que pour une allée, baptisée fort à propos « allée Maurice-Barrès ».


1924