Quand on est mort, c’est pour longtemps,
Dit un vieil adage
Fort sage ;
Employons donc bien nos instants,
Et contents,
Narguons la faux du Temps.
De la tristesse
Fuyons l’écueil ;
Évitons l’œil
De l’austère sagesse.
De sa jeunesse
Qui jouit bien,
Dans sa vieillesse
Ne regrettera rien.
Si tous les sots
Dont les sanglots,
Mal à propos,
Ont éteint l’existence,
Redevenaient
Ce qu’ils étaient
Dieu sait, je pense,
Comme ils s’en donneraient
Quand on est mort, etc.
Pressés d’éclore,
Que nos désirs,
Que nos plaisirs
Naissent avec l’aurore :
Quand Phébus dore
Notre réduit,
Chantons encore
Chantons quand vient la nuit ;
Des joyeux sons
De nos chansons
Étourdissons
La ville et la campagne,
Et que, moussant
À notre accent,
Le gai champagne
Répète en jaillissant :
Quand on est mort, etc.
Jamais de gêne,
Jamais de soin ;
Est-il besoin
De prendre tant de peine
Pour que la haine,
Lançant ses traits,
Tout-à-coup vienne
Détruire nos succès ?
Qu’un jour mon nom
De son renom
Remplisse ou non
Le Temple de Mémoire,
J’ai la gaîté,
J’ai la santé,
Qui vaut la gloire
De l’immortalité.
Quand on est mort, etc.
Est-il monarque
Dont les bienfaits,
Dont les hauts faits
Aient désarmé la Parque ?
Le souci marque
Leur moindre jour,
Et puis la barque
Les emporte à leur tour.
Je n’ai pas d’or,
Mais un trésor
Plus cher encor,
Me console et m’enivre ;
J’aime, je bois,
Je plais parfois ;
Qui sait bien vivre
Est au-dessus des rois.
Quand on est mort, etc.
Au lit, à table
Aimons, rions,
Puis envoyons
Les affaires au diable.
Juge implacable
Sot chicaneur,
Juif intraitable,
Respectez mon bonheur.
Je suis, ma foi,
De mince aloi ;
Épargnez-moi
Votre griffe funeste…
Sans vous, hélas !
N’aurai-je pas
Du temps de reste
Pour me damner là-bas ?
Quand on est mort, etc.
Quand le tonnerre
Vient en éclats
De son fracas
Épouvanter la terre,
De sa colère
Qu’alors pour nous
Le choc du verre
Amortisse les coups.
Bouchons volez !
Flacons, coulez !
Buveurs, sablez !
Un dieu sert les ivrognes.
Au sein de l’air,
Que notre œil fier,
Nos rouges trognes
Fassent pâlir l’éclair.
Quand on est mort, etc.
De la guinguette
Jusqu’au boudoir,
Matin et soir
Circulons en goguette.
Guerre aux grisettes,
Guerre aux jaloux,
Guerre aux coquettes,
Surtout guerre aux époux.
Sur vingt tendrons,
Bien frais, bien ronds,
En franc lurons,
Faisons rafle à toute heure
Puisque aussi bien,
Sage ou vaurien,
Il faut qu’on meure,
Ne nous refusons rien
Quand on est mort, c’est pour longtemps,
Dit un vieil adage
Fort sage ;
Employons donc bien nos instants,
Et contents,
Narguons la faux du Temps.
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