Le Dépeuplement des eaux de France, la Pisciculture et la Législation sur la Pêche

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Le Dépeuplement des eaux de France, la Pisciculture et la Législation sur la Pêche
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 89 (p. 243-263).


LE
DÉPEUPLEMENT DES EAUX
DE FRANCE


Séparateur


Le moment est certainement venu d’envisager la possibilité d’une disette prochaine et de rechercher quelle aurait pu être, en face d’une pareille éventualité, l’importance du peuplement complet des eaux de notre pays. Toutefois les moyens d’obtenir ce résultat ne seront bien compris que lorsque nous aurons passé en revue les causes principales qui ont fait disparaître le poisson de nos eaux. Pour tous ceux qui connaissent ces matières, le fait du dépeuplement est chose patente ; pour la masse du public, il est beaucoup moins évident, d’autant que peu de personnes possèdent des données précises sur ce que doit être un peuplement complet.

En principe, on peut établir que tout cours d’eau qui ne produit pas le maximum de poisson dont il est susceptible laisse à désirer au point de vue du rendement, et dès lors doit être soumis à un traitement scientifique rationnel. En fait, pas un seul de nos cours d’eau, grands ou petits, ne produit ce maximum : tous en sont fort loin. On a pu acquérir cette certitude en comparant leur rendement avec celui de certaines eaux fermées convenablement aménagées ; mais cela ne suffirait pas encore pour prouver que le dépeuplement relatif existe, et qu’il fait sans cesse les plus tristes progrès. Il faut, pour s’en convaincre, se reporter aux statistiques spéciales et à celles des principaux marchés de France, dans lesquels on tient compte des entrées ; alors on s’apercevra que, malgré l’accroissement du prix total, qui tient au renchérissement continu de toutes les denrées alimentaires et peut-être aussi à la rareté croissante du poisson, la quantité en matière va en diminuant, ou, ce qui revient au même, est loin de suivre le mouvement de la consommation. C’est l’inverse de ce que l’on obtient pour les produits de la terre ; mais aussi les méthodes de culture se perfectionnent tous les jours : on fume, on sème avant de récolter, et le rendement approche d’un maximum. Que n’en est-il de même pour les eaux ! Que ne pouvons-nous anéantir ainsi les principales causes de stérilité de nos rivières ! Sans doute une partie de ces causes s’effacera devant la culture ; mais d’autres persisteront, car elles naissent de l’absence d’une législation protectrice vraiment efficace.

Nous pouvons en effet classer sous deux chefs les causes de dépeuplement de nos cours d’eau : les unes viennent du défaut de prévoyance et de culture systématique, les autres découlent des abus de récolte d’un produit poussant au hasard. Parmi les premières, il faut signaler l’absence de soins pour le repeuplement : la pêche en tout temps, même pendant la période de reproduction, la pollution des cours d’eau par les résidus industriels. Nous rangerons parmi les secondes le braconnage éhonté qui règne dans nos campagnes, l’empoisonnement pour la pêche, la capture des individus non adultes, les pêches à la main, et nombre d’autres pratiques plus ou moins répandues. C’est contre ces abus multiples qu’il serait grand temps de nous élever.


I

Constater l’absence complète de soins méthodiques pour le repeuplement, c’est constater simplement que la pisciculture est inconnue dans la plus grande partie de nos villes et dans toutes nos campagnes. De loin en loin, quelques amateurs, comprenant la grandeur de l’effort à faire, essaient de donner le bon exemple ; mais les semences, faites dans des eaux non préparées pour les recevoir, restent sans produit. Alors le découragement vient : les amateurs laissent inoccupés des appareils souvent établis avec une grande sollicitude, et la vieille routine reprend ses droits. Comment peut-il en être autrement d’efforts privés d’ensemble et de direction ? Avant d’ensemencer la terre, on lui fait subir certaines préparations ; avant d’ensemencer l’eau, il en doit être de même. Seulement la terre, immuable par sa nature, se renferme et se garde entre les mains de chacun ; l’eau coule partout et pour tous, elle ne doit donc être soumise qu’à des traitemens d’ensemble. En France, rien de pareil ne peut être fait ; notre législation n’a jamais soupçonné qu’il pût y avoir quelque chose à faire à ce sujet.

On pêche en tout temps, même pendant la période de reproduction, non, il est vrai, dans les fleuves et rivières navigables et flottables, soumis à l’amodiation continue et pourvus de gardes sur leur parcours, mais partout ailleurs, dans tous les autres cours d’eau, dont le nombre est immense, comparé aux premiers, et qui devraient leur servir de pépinières. On gaspille ainsi tout ce que les ruisseaux peuvent renfermer, on mange le bien général en herbe. Pour remédier à cet état de choses, il conviendrait d’organiser une forte et sérieuse surveillance sur tous les points du territoire. L’état, même en admettant qu’il ne rentrât pas dès l’abord dans ses dépenses, serait encore tenu de les faire, tant la question est sérieuse au point de vue de l’alimentation du peuple. L’établissement de cette surveillance générale pourrait d’ailleurs se combiner avec celle des délits communs, avec un service d’avertissemens météorologiques, avec la destruction des ravageurs, insectes, oiseaux ou quadrupèdes sauvages, et avec d’autres services que l’avenir rendra nécessaires ; on pourrait ainsi alléger, en les divisant entre plusieurs services utiles ou nécessaires, les frais d’une armée pacifique de gardiens cantonniers de l’eau. Nous verrons plus tard qu’il reste à l’état un moyen de s’exonérer de cette dépense, s’il ne se sent pas assez sûr de lui pour en accepter la responsabilité.

La contamination des eaux courantes par les matières et déchets de l’industrie doit être comptée parmi les causes de dépeuplement les plus actives. Les populations ont pris la funeste habitude de déverser leurs immondices dans les rivières, dont on fait les sentines, les égouts de la civilisation. Comment cet usage a-t-il pu s’établir ? Dans l’antiquité, au moyen âge même, le travail fut longtemps individuel, les fabriques étaient inconnues, les produits chimiques ignorés ; par conséquent les rebuts, les déchets de toute profession, pouvaient à la rigueur être confiés à la rivière, à ce chemin qui marche et qui les porte loin de la cité ; les poissons, plus nombreux, contribuaient à purifier les eaux en consommant la plupart des détritus qu’elles charriaient. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Le nombre des usines dont les résidus empoisonnent nos rivières s’accroît de jour en jour, et les eaux contaminées ne s’assainissent que très lentement par le dépôt des matières dont elles sont chargées. Cet état de choses ne menace pas seulement la santé publique, il est désastreux pour le poisson. Est-il juste que le propriétaire d’une fabrique puisse considérer comme une dépendance de son établissement la rivière, qui appartient à tous, qui est un bien public ? N’oublions pas d’ailleurs que ces déjections qui souillent les rivières sont perdues pour les champs, qu’elles rendraient fertiles. Nous laissons s’en aller à la mer avec les eaux courantes ces précieux phosphates que la terre nous fournit par l’entremise des grains ; les rivières dilapident les trésors amassés par la terre. Nous n’avons qu’un moyen de reconquérir une partie de ces richesses : c’est de multiplier dans nos eaux les poissons, les crustacés, les mollusques, qui nous rendront au moins un peu du phosphore perdu. Sur ce point encore, il est urgent d’aviser par des lois qui mettent un terme à la pollution des rivières.

Passons maintenant aux causes particulières qui contribuent à diminuer le nombre des poissons dans nos cours d’eau, et qu’il importe de faire disparaître. Il y a d’abord le braconnage, véritable fléau, dont nous débarrasserait le réseau de cantonniers riverains que nous avons proposé d’organiser. Échelonnés le long des rivières et au bord de la mer, ils réprimeraient les abus tout en donnant leurs soins à l’aquiculture sur leur cantonnement spécial. Ils feraient en même temps cesser l’empoisonnement des eaux en vue de la pêche, et empêcheraient d’ajouter, comme on le fait aujourd’hui, les effets d’une substance toxique aux misères que les intempéries peuvent infliger aux poissons.

Autrefois, au temps où les peuples étaient rares, une sécheresse survenant, la rivière n’était pas ravagée. Quelques tribus, profitant de cette bonne aubaine et battant l’eau de certaines cavités, y pratiquaient une récolte abondante, mais locale. Aujourd’hui une sécheresse persistante est le signal du dépeuplement absolu, rigoureux, des cours d’eau. La moindre flaque restante, le moindre détour encore humide devient la proie de l’homme ; tous les coins sont fouillés, et les premières pluies couleront sur un lit ne renfermant plus que des cailloux !

La capture, surtout la vente et le colportage des individus non adultes sont atteints dans les grandes villes par la dernière loi sur la pêche ; seulement dans l’intérieur des provinces tout cela est lettre morte. Avec l’organisation des cantonniers de l’eau, la destruction des jeunes poissons serait un fait très rare, sinon impossible. Nous en dirons autant de la pêche à la main, ce maraudage terrible que nous ont légué nos premiers pères. Désormais il n’y aurait pas plus de raison pour laisser le premier venu fouiller à la main le lit d’un ruisseau que pour lui permettre de piller un champ de pommes de terre.

Ce fut, il y a quelque vingt ans, quand l’appauvrissement de nos eaux se faisait déjà cruellement sentir, que naquit l’idée de la culture des eaux et de la récolte artificiellement préparée, augmentée, de leurs produits naturels. Il en a été de nos eaux comme de nos montagnes : de même que nous reculons, effrayés, devant les dépenses que nécessiterait le reboisement de nos crêtes dénudées, de même nous restons découragés par l’étendue des abus à détruire pour rendre la fertilité aux eaux de notre territoire. Encore avons-nous borné notre sujet, en n’examinant d’abord que l’état des eaux douces de la France. Que serait-ce si nous y comprenions l’étude des mers qui la baignent de trois côtés ! Certains écrivains ont cru pouvoir avancer hardiment que l’aquiculture marine était une utopie, parce que, disaient-ils, la mer n’est fertile que sur une zone étroite du littoral. Le fait est vrai d’ailleurs, et il s’explique de plusieurs manières. D’abord tous les poissons, jusqu’aux plus inoffensifs en apparence, sont carnassiers ; la nécessité de chercher des proies telles que les mollusques, les annélides, les pousse vers les côtes. Ensuite on sait que la mer porte au rivage les débris parsemés à sa surface, et c’est encore l’abondance de ce butin qui attire les espèces marines. Il est donc très vrai que les poissons de mer font station près des rivages ; mais cela ne nous empêche pas de croire que l’aquiculture marine pourra devenir l’une des grandes sources de l’alimentation générale. La mer a toujours contribué, dans une mesure importante, à la satisfaction de nos besoins, quoique l’homme ne lui demande que le croît du hasard, et fasse tout son possible pour en dilapider le fonds et les produits. Au resté, il y a si peu de temps que les premiers essais de piscifacture et l’aquiculture ont été tentés sur ce champ immense, ils ont eu si peu d’importance relative, qu’il nous semblerait très imprudent de prononcer une condamnation, même provisoire. Nous pensons au contraire qu’il y a d’immenses résultats à attendre de l’aquiculture marine, par la raison même qui les a fait nier. Puisque le poisson se tient de préférence le long des côtes, il n’en est que mieux placé sous la main de l’homme et plus facile à soumettre à la culture. Cette culture peut être envisagée de deux manières : on peut se contenter de favoriser la reproduction naturelle par des aménagemens raisonnés sur le terrain, ou bien recourir à des reproductions artificielles, soit en fécondant les œufs pour en élever les produits, soit en récoltant des individus en bas âge pour les enfermer dans des enclos où la mer, deux fois par jour, apporte avec la marée la nourriture nécessaire ; le premier de ces systèmes a jusqu’à présent médiocrement réussi ; mais aussi combien peu d’efforts ont été tentés en définitive la tâche étant entièrement livrée à l’initiative individuelle ! Le second au contraire est victorieusement expérimenté, surtout pour une espèce précieuse, le turbot. On récolte ce poisson par immenses quantités sur les plages sableuses de la Bretagne, où il vient au bord lorsqu’il a de 2 à 5 centimètres de diamètre, on le dépose dans des bassins fermés communiquant avec la mer, et il y prend les plus fortes dimensions dans un temps relativement assez court pour que cette spéculation devienne très productive. Nous comprenons qu’une mer sans marée permette aux auteurs du midi de jeter un doute sur de pareilles réussites ; mais, l’Océan et ses annexes fournissant une abondante nourriture quotidienne aux poissons enfermés dans les enceintes, nous sommes autorisés à dire que le concours immense de la mer à l’alimentation des masses se présente à l’état de fait accompli dans une certaine mesure.

Le mal actuel est reconnu, le danger constaté, la disette imminente. Comment expliquer, devant de tels faits, l’indifférence dans laquelle on se complaît chez nous, tandis que l’Angleterre marche ? Nos voisins acceptent l’utilité immédiate de l’aquiculture, ils l’appliquent non-seulement à leurs eaux douces, mais à leurs côtes, trouvant désormais que ces côtes, dix fois plus fertiles pourtant que les nôtres, ne rapportent plus assez. Depuis longtemps, la Chine a vu la moitié de sa population quitter la terre ferme pour habiter exclusivement l’eau douce des fleuves, des lacs, des étangs. Dans le céleste empire, la culture de l’eau, la culture du poisson, sont en honneur. La Suède, la Norvège, le Danemark, font des pas de géant dans le repeuplement de leurs fleuves, de leurs lacs admirables. La Russie les suit, mais plus timidement ; l’Allemagne, la Suisse, marchent sur leurs traces. Partout des comités, des clubs, des sociétés de pisciculture s’organisent, s’étendent, prospèrent. En France, presque rien ne se fait.

Cependant la pisciculture n’est point un vain mot. Elle n’est pas aussi simple qu’on l’a cru longtemps, et, sans vouloir invoquer l’exemple et les résultats acquis à l’étranger, Huningue chez nous a fait ses preuves ; malheureusement une chaire unique ne suffit pas pour un pareil enseignement, surtout quand cette chaire est confisquée par une seule personnalité. Aussi tous les efforts du gouvernement demeurent-ils paralysés, tous les soins des ponts et chaussées restent-ils stériles, parce que toute initiative individuelle se trouve arrêtée. Tout ce qui ne relève point de certaines personnes soutenues par l’esprit de corps est comme non avenu.

Nous ne ferons rien en France que le jour où le gouvernement favorisera l’initiative individuelle, et, lui mettant la bride sur le cou, la laissera aux prises avec les problèmes. Ce qui est déjà fait prouve que le succès est certain dès qu’on le voudra ; mais il faudrait un centre, et ce centre n’existe pas. Il faudrait une école de pisciculture, d’aquiculture ; il faudrait un enseignement comparable à celui qui a été organisé pour l’agriculture. On nous dira que nous avons des cours de pisciculture à l’École des ponts, des mines, à l’École polytechnique. Sans doute, mais ce n’est là encore qu’un seul des cours que nous réclamons, la culture des eaux ne se réduit pas à savoir faire naître le poisson. A l’École forestière, le cours de culture des bois n’est qu’un des douze que l’on y professe ; à l’école d’aquiculture, il en sera de même.


II.

Nul pays n’est mieux doué que le nôtre sous le rapport des ressources naturelles : fleuves divers par la température et le peuplement, rivières de plaines et torrens des montagnes, ruisseaux abondans et partout répandus, étangs, mares à chaque pas. Les lacs seuls manquent ; nous n’en possédons que deux vraiment dignes de ce nom, le lac de Grandlieu en Bretagne et le lac du Bourget en Savoie, et nous conservons le nom d’étangs aux lagunes salées de la Méditerranée. En revanche, la quantité des eaux fermées par petites masses est si grande chez nous que, si nous possédons très peu de lacs proprement dits, nous en avons la monnaie répandue partout.

Il faut, pour notre sujet, considérer les eaux douces sous deux aspects bien différens, comme eaux ouvertes et comme eaux fermées, les premières comprenant les fleuves, les rivières et les ruisseaux, les secondes représentées par les lacs, étangs, lagunes et mares. Les eaux ouvertes renferment des peuplemens naturels moins divers entre eux, malgré les variations de localité et de climat, que l’on serait tenté de le supposer, tandis qu’ils sont toujours très différens de ceux des eaux fermées. Or ce sont surtout ces eaux ouvertes, véritables mines de richesse pour l’avenir, qui sont susceptibles des aménagemens particuliers que tous les hommes prévoyans réclament, et que l’administration des ponts et chaussées, après avoir succédé à celle des eaux et forêts, s’efforce de faire sortir du néant. Par malheur, les ressources spéciales manquent, et l’administration est encore bien loin de pouvoir accomplir une faible partie du nécessaire. En sera-t-il toujours ainsi ? Cela dépendra de l’intelligence et du bon vouloir de nos assemblées législatives.

Malgré les efforts d’Huningue, — établissement auquel on refuse, nous ignorons pourquoi, la faculté d’élever des poissons en l’obligeant de se borner à les faire éclore, — malgré les efforts d’Huningue et de deux ou trois autres établissemens plus petits disséminés un peu partout par les ponts et chaussées, nous sommes bien forcés d’avouer que la piscifacture n’existe point encore en France. Il faut la créer, car, du jour où elle s’étendra et se vulgarisera, elle produira des résultats précieux ; la valeur des améliorations réalisables dans les eaux ouvertes n’a pour ainsi dire pas de limites, et le champ est si large qu’il y a là de l’occupation pour plusieurs siècles. Le tout est de commencer ; il suffirait pour cela qu’une assemblée législative voulût bien avancer 10 millions, comme elle l’a fait pour les repeuplemens forestiers. On pourrait tenter quelques efforts et voir si le succès n’est pas aussi facile à obtenir chez nous que chez les peuples du nord ; mais nous ne devons pas cacher que les difficultés naturelles ne sont pas seules à craindre, et que les plus terribles ; sont les difficultés que nous appellerons politiques. C’est ainsi que nous avons vu certains repeuplemens forestiers d’une réussite assurée livrés à la dépaissance pour satisfaire à quelque nécessité électorale. On n’avance pas ainsi, on recule. Mieux vaut ne pas défricher et ne pas ensemencer, si l’on n’a pas le courage de défendre son blé en herbe.

Le repeuplement des eaux fermées repose presque entièrement sur la multiplication d’un très petit nombre d’espèces particulières. On rencontre bien quelques représentans naturels de ces espèces dans les eaux ouvertes, mais ils y sont toujours peu nombreux relativement à celles qu’ils accompagnent. En effet, les cours d’eau les mieux empoissonnés ne renferment jamais qu’une quantité très restreinte de carpes et de tanches, si l’on compare ce nombre au peuple immense des poissons blancs qui y pullulent. Le brochet lui-même, pondérateur prédestiné d’une exubérance dangereuse, est moins nombreux dans les fleuves et les rivières que dans les étangs. Les eaux fermées, nous dira-t-on ; sont soumises au régime de l’initiative individuelle ; propriétés privées, elles doivent être l’objet des soins les plus assidus de leurs propriétaires, et par conséquent fournir un maximum de produits. Il n’en est rien. La France ne se doute même pas de ce qu’elle pourrait retirer de ses eaux fermées.

Parmi celles-ci, la moins importante comme étendue, mais certainement la plus considérable comme contenance totale, c’est la mare de la ferme. Eh bien ! il est permis d’affirmer que partout la mare est inhabitée. Que l’on n’objecte pas qu’elle assèche tous les ans ; si elle assèche, c’est qu’elle est mal faite et insuffisante, et sur cent, quatre-vingt-dix-neuf sont dans ce cas. L’ignorance préside à la construction, l’incurie règne dans l’aménagement. Autre chose est la mare telle que nous la comprenons, et les produits que l’alimentation générale est en droit d’attendre un jour de ce côté sont hors de proportion avec ce que suppose un premier coup d’œil. Prenons pour exemple une mare de 10 à 12 ares : c’est la grandeur que ; nous considérons comme suffisante pour une ferme moyenne ; beaucoup de propriétaires la trouveraient même luxueuse, car elle offre 3,000 mètres cubes d’eau à la consommation des habitans, des bestiaux et du jardin. La construction d’une telle mare est toujours et partout possible, et son approvisionnement, dépendant de l’eau adventive sans rien demander aux sources, est partout et toujours assuré. Supposons que l’on ne veuille pas s’occuper de la production des poissons de luxe, tels que le poisson-rouge ou cyprin doré de Chine, — culture très rémunérative, parce que les aquariums en consomment beaucoup, — mais que l’on s’en tienne à la culture toute campagnarde des espèces ordinaires des étangs. Il faut d’abord remarquer que nous ne devons pas appliquer au cas particulier d’une mare les règles générales d’empoissonnement des étangs d’alevinage ordinaires, parce que la quantité de nourriture fournie par la ferme est bien plus considérable que pour l’étang en plein champ. Si nous considérions notre mare comme un étang, elle ne devrait recevoir que cinq carpes femelles et trois mâles adultes, lesquels pourraient produire à la fin de l’année, à raison de 300,000 œufs seulement par femelle, la quantité immense de 1,500,000 alevins ! De ce nombre, il convient de rabattre d’un coup les cinq sixièmes, pour faire la part de la mort naturelle, de la nourriture des canards et des accidens. Il reste donc un petit troupeau de 200,000 à 250,000 feuilles. Or ces petits poissons, qui n’ont aucune valeur culinaire, sont fort recherchés pour le repeuplement des grands étangs. Le mille de feuilles d’un an, représentant un poids de 10 kilogrammes, à raison de 100 poissons par kilogramme, se vend sur place 0 franc 75 centimes. Ce n’est pas du poisson cher, puisque le kilogramme ne vaut ainsi que 0 franc 075 millimes ; néanmoins les 250,000 alevins rapportent 187 francs 50 centimes comme produit de la mare. Quel est le champ qui donne 187 francs annuellement par 12 ares ? En outre une mare, telle que nous la supposons, peut fournir, sans gêner l’élevage, une quantité d’eau considérable, — 2 mètres cubes par jour pour les besoins de la ferme, — et l’élevage, se faisant sans appareils, n’empêche ni l’élève des canards ni aucune autre source des revenus de la mare. Encore avons-nous mis la mare sur le même pied que l’étang ; mais, comme elle reçoit beaucoup plus de matière nutritive, on pourra sans danger augmenter le nombre des reproducteurs en proportion de la nourriture dont on disposera. Nous verrons plus loin qu’il sera bon de se borner à la fabrication des feuilles, et que l’élevage des grosses pièces, dont la chair, du. reste est médiocre dans les mares, doit être réservé pour les grandes étendues d’eau. On le voit, le produit de nos eaux fermées, sous leur forme la plus vulgaire et la moins importante, pourra être, quand on le voudra, très considérable. Multiplions par 200,000 ou 300,000, — car le nombre de nos mares n’est pas inférieur à ce chiffre, — le rendement que nous venons de calculer, et l’on sera émerveillé de l’immense richesse en jeunes poissons qui peut être ainsi créée chaque année sans frais.

Supposez maintenant tous nos étangs d’élevage convenablement aménagés, toutes nos retenues d’eau pour les usines, en un mot toutes nos eaux fermées repeuplées au moyen de ces millions d’alevins, et l’on peut être convaincu qu’il resterait encore disponible une quantité de jeunes suffisante pour remplir la plupart de nos rivières et de nos eaux ouvertes. Qu’attendons-nous pour le vouloir, pour l’essayer ? Il faudra d’abord que le paysan sache et comprenne le profit qu’il peut tirer de sa mare, comme il sait et comprend ce qu’il peut obtenir de son champ. Par les quelques progrès qu’il a déjà réalisés sous ce dernier rapport, par la somme d’efforts que l’on a dû y dépenser, on peut juger de ce qui reste à faire, maintenant qu’il s’agit d’aquiculture. Instituez des cours temporaires, — je dirai presque ambulans, — dans les villes, les bourgs et jusque dans les villages ; faites construire quelques installations, quelques modèles bien choisis, dans chaque département, dans chaque canton, s’il le faut ; distribuez des récompenses sous toutes les formes à ceux qui vous suivront et vous imiteront. La réussite est certaine ; mais il faut des professeurs, il faut un centre d’initiative.

Ce serait dans les établissemens modèles ainsi créés que, parallèlement aux poissons communs des eaux fermées, on devrait traiter les salmonidés, ces produits précieux des eaux ouvertes, mais qui deviennent l’apanage des rivières de montagnes et de certains ruisseaux dont l’adaptation à leurs mœurs est encore un mystère. Fort heureusement pour nous, les salmonidés, — poissons de luxe au premier chef, — produisent des œufs d’une taille relativement énorme qui facilite la piscifacture. C’est sur ces espèces que reposera la richesse de l’avenir, sans qu’on doive pour cela négliger la reproduction des cyprins de bonne qualité, dont nous avons vu tout à l’heure la fabrique première dans la mare. Quelques pisciculteurs ont compromis le succès de leurs élevages en voulant a toute force introduire des salmonidés dans leurs eaux, tandis qu’il leur eût été facile de repeupler celles-ci à l’aide des poissons blancs qui s’y rencontrent. Nos eaux ouvertes, quoique bien appauvries déjà, renferment cependant encore quelques représentans clair-semés des espèces qui jadis y ont prospéré. Ce n’est point ailleurs qu’il faut chercher la matière du repeuplement complet et fructueux de ces eaux, du moins pour la première heure ; plus tard on avisera. Le premier progrès devra être d’emplir nos fleuves de chair mangeable ; ensuite nous les emplirons de chair délicate, si nous le pouvons.

Sans doute des efforts ont été faits pour amener dans nos contrées de nouvelles espèces de poissons ; malheureusement les espèces préconisées étaient aussi mal choisies que possible. Sans prétendre que nous possédions dans nos eaux des poissons tout à fait phytophages, — ce qui serait une erreur, car tous les poissons deviennent carnivores à l’occasion, — nous ne pouvons compter comme carnassiers que trois espèces, le brochet, la perche et la truite ; je laisse de côté l’anguille, toujours voyageuse, et j’embrasse sous le mot truite la famille des salmonidés. Or, de ces trois carnassiers, deux au moins infestent nos rivières, et celui qui semble le plus inoffensif est celui dont les ravages sont les plus terribles. La perche est un fléau contre lequel nombre de piscifacteurs luttent en vain. C’est qu’elle s’adresse surtout au menu fretin, dont elle fait sa proie continuelle ; à cet état, elle dévore même sa propre espèce malgré la prétendue protection que lui apporterait sa dorsale aiguë et érectile. Il faut en dire autant du brochet. Ces deux fléaux suffiraient à dévaster nos eaux douces et à y rendre tout repeuplement souvent difficile, sinon impossible. Nous avons trop de carnassiers, et ce sont encore des carnassiers que l’on veut introduire. On a importé en France le silure, cet énorme poisson qui, dans le Danube, pèse 150 kilogrammes, et qui, acclimaté déjà chez nous dans le canal de la Marne au Rhin, ne demande qu’à grandir aux dépens de nos espèces indigènes. On a introduit un autre mangeur, le saumon du Danube ; on veut maintenant introduire le sandre ; cette fois c’est encore pis. Celui-ci est un compromis entre la perche et le brochet, une sorte de métis naturel participant à la voracité de sa mère et armé des dents de son père. On a parfaitement acclimaté dans le Rhin, dans le lac des Settons du Morvan, dans plusieurs autres endroits, l’excellente fera des lacs suisses. Celle-ci heureusement est une insectivore au premier chef. On veut importer le gourami, ce précieux poisson cochinchinois, qui déjà prospère à Bourbon, à Madagascar et dans les colonies hollandaises ; soit, s’il est omnivore, comme on le prétend, quoique sa constitution et ses affinités de famille semblent prouver le contraire. Laissons donc tous ces dévorans à leurs grands fleuves, n’enfermons point le loup dans la bergerie : nous avons bien assez d’ennemis chez nous, et quand on songe que chaque jour d’expérience apprend aux piscifacteurs que la réussite de leurs efforts dépend essentiellement d’une prompte liberté donnée aux jeunes, on se demande comment on a pu préconiser l’introduction de nouvelles espèces carnivores.

Il vaudrait mieux demander aux Chinois ces précieux poissons qu’ils nourrissent d’herbes, à la main, dans d’étroits viviers fermés. « C’est là, nous disait M. Dabry, c’est là que sera le progrès. » Déjà ce persévérant importateur a pu s’assurer que les herbes aquatiques dont se compose la provende de ces trois utiles poissons correspondent à des espèces communes dans les étangs de notre pays. En ce moment, c’est de l’acquisition même de ces animaux qu’il s’agit : notre consul en Chine s’en occupe, et bientôt nous serons probablement en possession des fameux poissons paissans. Les conserverons-nous ? Nos plantes suffiront-elles à entretenir leur existence ? C’est ce qu’il est difficile de prédire ; mais ce qui paraît certain, c’est que de telles importations ne devraient point être abandonnées aux soins d’une société, aux efforts d’un homme : elles devraient devenir une entreprise nationale.

Les Chinois, en nourrissant un poisson avec des herbes, réalisent une remarquable économie ; chez nous, le poisson revient beaucoup plus cher parce qu’il ne se nourrit des herbes aquatiques que de seconde main, en dévorant des espèces phytophages. Il suffit, comme exemple, d’établir le prix de revient de la chair du brochet. On admet que le kilogramme de chair de brochet est produit par la consommation de 30 kilogrammes de poisson. Si ce poisson n’avait aucune valeur ou était nuisible, évidemment l’élevage des carnassiers serait avantageux ; mais il n’en est pas ainsi. Le poisson blanc le plus commun présente une valeur marchande ; dans nos pays peuplés outre mesure, il sert directement à l’alimentation de l’homme. Par conséquent, multipliée par 30, sa valeur, même minime, donne à la chair du brochet un prix excessif et constitue une perte réelle pour la consommation. Les Chinois au contraire ont fait pour les herbes de l’eau ce que nous ne savons faire que pour les herbes de la terre : ils les font paître directement par des animaux dont l’homme se nourrit ensuite.

Ces considérations ne manquent pas d’à-propos, si l’on songe à la disette dont nous sommes menacés. Alors qu’en présence d’une sécheresse dont l’histoire fournit peu d’exemples, nous avons vu tous les bestiaux menés à l’abattoir, les prix s’avilir, les fermiers, les propriétaires ruinés par une vraie calamité publique, que ne devons-nous pas craindre pour l’an prochain ! Où trouverons-nous des sujets pour réparer les pertes de l’espèce ? À l’étranger ? N’y comptons pas. La guerre, — comme si ce n’était pas assez d’un fléau à la fois, — la guerre étend ses horreurs sur le pays. En privant l’agriculture de bras, en amenant les bestiaux en nombre inusité sur quelques points définis, elle va encore troubler plus profondément l’équilibre de la production et de la consommation. La famine est à nos portes, famine relative sans doute, non comparable aux famines du moyen âge, mais famine indigne de l’humanité au XIXe siècle. En temps ordinaire, le blé nous viendrait en suffisante quantité des quatre parties du monde, — les moyens de transport sont désormais suffisans pour cela. Des fourrages s’y joindraient, qui pourraient sauver nos derniers bestiaux. Aujourd’hui qui remplacera les animaux que la panique des premiers jours a fait sacrifier ? Le temps seul refait des organismes vivans ; pour tous, mangeurs et mangés, c’est l’étoffe dont la vie est faite ; c’est aussi la vraie difficulté du problème.

Voici donc les ports de la Baltique et les chemins de l’Allemagne centrale fermés par la guerre. Nous ne pouvons plus espérer que la Pologne et la Russie nous envoient leurs blés par terre ; nous ne pouvons plus attendre ni de Prusse, ni de Saxe, ni de Wurtemberg, ni de Hongrie, les moutons dont nous manquerons. En réalité, notre déficit en céréales n’est pas trop inquiétant par lui-même, d’abord parce qu’il est relativement moins considérable qu’on le craignait au premier moment, puis parce que ce genre de denrées est d’un transport facile ; seulement notre récolte de fourrages a été si faible qu’il nous faudra en importer d’immenses quantités, si nous voulons conserver le reste de notre bétail. Les puissances neutres européennes peuvent-elles nous les fournir ? Les chemins de fer qui doivent nous ravitailler passent tous sur les petits états d’outre-Rhin. La Prusse empêche maintenant toute exportation de ce genre. Un convoi de blé et de moutons parti de Hongrie n’irait pas plus loin que la Bavière, à moins qu’il ne prît la route de la Haute-Italie, par Vienne, Venise, Gênes, Marseille : quel détour ! que de difficultés ! que de frais !

Combien une telle situation inspire de tristesse quand on songe qu’il eût suffi de le vouloir, de sacrifier quelques centaines de mille francs, pour créer une réserve de viandes à l’intérieur, réserve immense que rien ne pourrait nous enlever ! On m’objectera que tout ne peut être fait à la fois. Déjà l’agriculture a reçu des encouragemens de toute sorte, encouragemens dont elle a profité dans une très large mesure, nous en convenons. Pour elle se sont ouverts les comices, les écoles, les concours, les récompenses. Pourquoi faut-il qu’en même temps la culture des eaux n’ait pas reçu ces encouragemens ? C’est que la culture des eaux, nous l’avons déjà dit, a été mal commencée. Livrée dans sa période naissante à des essais sans ensemble, sans portée, elle a dévié, et aujourd’hui on la relègue à peu près au rang des utopies, La pisciculture est cependant un art et un art sérieux, plein de promesses, mais à la condition qu’on le traitera sérieusement, c’est-à-dire avec des ressources qui permettent de réussir.


III

Toute culture suppose un ensemencement et une récolte ; la culture des eaux n’échappe point à cette règle commune, et si nous rencontrons de loin en loin des lois et des règlemens concernant la récolte, nous devrions aussi en trouver qui regardent les semailles. Aucune loi chez nous ne régit les semailles, car nous ne pouvons vraiment donner le nom de réglementation à quelques vagues et incomplètes mesures sans cohésion prescrites ça et là parmi les articles de la loi sur la pêche, — loi de récolte. Aussi ne faut-il pas craindre d’affirmer que, telle qu’elle existe aujourd’hui, la réglementation des choses de l’eau est insuffisante et impraticable. Sans doute nous savons gré aux efforts de l’administration des travaux publics pour revoir et corriger les lois qui ont été promulguées ; mais ce qui manquera toujours à un semblable travail, c’est Une base vraie, c’est la coopération des gens du métier avec ceux qui ont médité sur la matière dans le silence du cabinet.

Pour élucider les mille complications d’une loi sur la pêche, — c’est-à-dire sur la moitié seulement des matières qui font partie de l’aquiculture en général, — on n’a rien trouvé de mieux que d’en soumettre les articles aux discussions des conseils-généraux. Ce qui est résulté d’une pareille méthode, on pouvait le prévoir : la loi qu’on a faite est hétérogène et par conséquent sans force, comme toute œuvre qui manque de cohésion. Nous reconnaîtrons cependant, pour être juste, que la dernière loi est sortie de l’ornière en essayant de devenir loi de production, tandis que tous les règlemens précédens n’avaient été que des lois de récolte. Malheureusement l’essor a manqué pour aller jusqu’au bout, pour remonter le courant des préjugés et de la routine ; l’on est demeuré à mi-chemin, dans les demi-mesures. C’est ainsi qu’on a pu introduire dans une loi spéciale des hérésies du genre de celle de l’article 1er  : « la pêche, même à la ligne flottante, est interdite de telle date à telle date… « Que la loi interdise absolument la pêche pendant une certaine période, pour laisser aux poissons le temps de frayer, et parce que dans cette période ces animaux sont malades, — fort bien. Pour atteindre ce but, il suffit d’interdire alors la pêche aux filets seule, la pêche qui ne raisonne pas. À quoi bon interdire, et avec mention spéciale, la pêche à la ligne, puisque le poisson ne mord plus dès qu’il fraie ? Ce fait est connu de tous les pêcheurs.

Des critiques aussi fondées pourraient être dirigées contre la plupart des dispositions de ces lois singulières qui nous lient bras et jambes en nous disant d’agir. Celle que nous venons de critiquer mérite des reproches non moins justes au point de vue même de ce repeuplement qu’elle aspire à favoriser. En effet, il est impossible à quiconque étudie les mœurs des poissons dans nos pays de ne pas avoir remarqué que le moment du frai, — cet espoir de notre récolte, — varie considérablement d’une année à une autre, d’une zone de territoire à la zone voisine. Pourquoi donc ne pas établir, — comme on l’a fait, grossièrement il est vrai, pour la chasse, — une série de zones dans lesquelles varierait la fixation de la fermeture et de l’ouverture de la pêche de telle ou telle espèce ? Bien mieux encore, pourquoi né pas fixer dans chaque département, après une étude attentive et des observations répétées pendant dix, quinze, vingt ans, s’il le faut, les dates entre lesquelles pourra osciller la fermeture de la pêche ?

Si nous étions arrivés au point où en sont depuis des milliers d’années les Chinois, nous dirions : Instituez des agriculteurs jurés, sortes de fonctionnaires, de magistrats, de syndics, analogues à ceux des gens de mer sur nos côtes. Rendez leurs fonctions le plus honorifiques possible, tout en étant gratuites ; tâchez qu’ils soient élus par les fabricans de poisson, car il y en aura, par les pêcheurs de leurs circonscriptions, par tous ceux en un mot qui vivent, trafiquent ou s’occupent des choses de l’eau. Efforcez-vous de ne pas les laisser devenir chefs de coalitions, ainsi qu’il n’arrive que trop souvent dans les ports. Chargez ces jurés de la surveillance et de la constatation du temps de reproduction. Dans ce cas, ils pourraient être chefs ou supérieurs des cantonniers d’eau dont nous avons parlé. Chaque année, quand ils verront telle espèce en frai, — ce qui se constate immédiatement, dès qu’on veut se donner la peine d’y regarder, — ils avertiront le préfet, lequel fermera sur-le-champ cette pêche, et de même, par quelques essais préalables, ils pourront en déterminer la réouverture. Rien n’est plus facile en prenant au filet un certain nombre de poissons d’essai, que l’on examine et que l’on remet à l’eau.

On nous dira sans doute : Qu’est-ce que cela peut faire que la pêche soit ouverte quinze jours plus tard ou fermée quinze jours plus tôt ? Cette question est du même ordre que celle de la réussite des autres récoltes, non peut-être dans le présent, où nous traitons nos rivières et nos fleuves à peu près avec autant de sollicitude que nos landes les plus abandonnées, mais dans l’avenir, lorsqu’on aura compris que la culture doit passer sur l’eau comme sur la terre. Le poisson n’est en définitive qu’un objet de consommation, qui, une fois arrivé à point, doit être utilisé sous peine de perte. Eh bien ! quand les eaux de France seront empoissonnées ainsi qu’elles doivent l’être, qui saurait calculer les pertes énormes qu’un retard comme celui dont nous parlons pourra produire ? Tant que le poisson fraie, respectez-le, donnez-lui tous les moyens possibles de sauver ses œufs, c’est votre intérêt. Au contraire, dès qu’il a frayé et qu’il vous a fourni, assuré la reproduction de son espèce, versez-le dans le torrent de la consommation. Chaque instant de retard est une perte inutile et sans compensation.

Pour assurer la régularité et la sûreté du traitement de culture intensive sur les eaux, il faut la surveillance efficace des cantonniers. Or cette surveillance demandera et des hommes et de l’argent. Si l’état s’en charge, il faudra lui en fournir l’équivalent par quelque impôt. Ne vaudrait-il pas mieux laisser aux pisciculteurs eux-mêmes, aux fabricans de poissons, le moyen de garder leur marchandise ? Peut-être ; mais alors on se heurte à plusieurs obstacles : 1° le morcellement des cantonnemens de pêche sur les fleuves et rivières navigables et flottables par suite du mode de location, — 2° le partage des eaux entre le domaine public et le domaine particuliers De ce côté, les difficultés seront incessantes et inextricables jusqu’à ce que notre législation soit radicalement modifiée. Comme on le voit, la tâche de l’aquiculteur n’est pas déjà si simple, et, lorsqu’il a fait provision d’œufs fécondés, lorsqu’il a même versé au milieu d’un cours d’eau les jeunes poissons éclos dans ses appareils, il n’a encore accompli que la moindre partie de son devoir : il lui faut avant tout assurer la continuité et la durée de son œuvre, et cette garantie nous paraît impossible sous l’empire de la législation actuelle.

La pêche en eau douce, par suite de souvenirs des anciennes réglementations, est chez nous la matière la plus bizarrement établie. Tout le monde sait qu’elle s’exerce dans trois genres de propriétés différentes : les eaux fermées, lacs, étangs ou mares, la plupart du temps création de l’industrie humaine et où nul doute ne peut exister sur la toute-puissance du propriétaire, — les eaux ouvertes, parties navigables ou flottables dont la pêche appartient à l’état — et enfin les portions supérieures de ces mêmes eaux, ou certains autres cours d’eau plus petits, qui ne sont propres ni au flottage ni à la navigation, et qui dès lors sont péchés par les riverains. Remarquons que, par une singulière anomalie, la loi actuelle, de même que l’ancienne ordonnance de 1669, ne s’occupe jamais que de la pêche, c’est-à-dire de la récolte, sans songer à la semence, c’est-à-dire au repeuplement. Cela tient à l’ignorance du moyen âge, se reflétant encore aujourd’hui en ces matières. Alors qu’on croyait que le poisson se multipliait seul, annuellement, en abondance toujours égale, on avait trouvé inutile de réfléchir que, même cette égalité de reproduction hypothétique étant admise comme un fait, on marcherait tout droit à la disette dès que la consommation la dépasserait. C’est ce qui n’a point tardé à se produire, et c’est en ce sens que l’on a raison de reconnaître que le dépeuplement de nos cours d’eau date de loin. Si jamais mauvaise disposition fut introduite dans une loi, c’est celle qui permit à l’administration de morceler la portion navigable d’un fleuve par exemple en une multitude de tronçons, dont elle loua la pêche à l’enchère au plus offrant. Tout a été dit sur ce sujet, et nous aurions presque mauvaise grâce à recommencer un procès-qui est gagné sans appel devant le tribunal des gens compétens. Il est évident que tout amodiateur n’a qu’un souci, faire le vide absolu chez lui afin que la population de ses voisins s’y extravase. C’est simple, c’est naïf, mais par cela même c’est sûr, et cela se pratique sans vergogne. De plus, comme chacun raisonne au même point de vue, la rivière est dévastée en peu de jours d’un bout à l’autre sans retour. On nous dira que l’administration ne trouverait pas d’adjudicataire pour tout un fleuve, qu’elle ne trouverait pas davantage une compagnie qui voulût entreprendre une telle œuvre. Cela est certain. Il faudra vous résigner, dans les premières années, à quelques sacrifices pour encourager les gens, il faudra leur faire entrevoir d’abord une bonne affaire, si vous voulez qu’ils se risquent ; mais là n’est pas la grande question. Comment voulez-vous qu’ils aillent travailler, ensemencer, dépenser pour ne pas récolter ? Et cette partie supérieure du cours des fleuves qui leur échappe ? et les mille petits cours d’eau qui se jettent dans cette partie ? croyez-vous que ces gens ne sachent pas que là remontera toujours le meilleur et le plus pur de leur poisson ? En vérité, ils seraient bien fous de ne travailler que pour les autres. Notre législation rend donc impossible toute amodiation sérieuse de nos cours d’eau. Ce ne sont pas les compagnies qui peuvent manquer, c’est la loi qui est défectueuse.

On a cru trouver un remède : par une disposition nouvelle, la loi dernière réserve à l’administration le droit de mettre en jachère certaines portions des cours d’eau. Sans vouloir blâmer cet essai, il faut bien se persuader que les résultats attendus seront nuls, absolument nuls, et rien n’est malheureusement plus aisé que de le prouver. Or ceci est grave, car cette mesure est à peu près la seule conservatrice, la seule tendant au repeuplement que la loi ait introduite. À ce point de vue, elle importe beaucoup au sujet que nous traitons, qui est, ne l’oublions point, la nécessité de songer au repeuplement de nos eaux et la recherche des moyens efficaces d’y arriver en présence d’une éventualité de disette comme celle qui vient de se produire. D’abord il était impossible d’accepter comme certain que la protection seule fût efficace à produire un repeuplement assez exubérant pour combler les vides un peu éloignés. En l’admettant, qu’aurez-vous fait ? Vous aurez rendu un peu meilleure la première pêche de l’amodiateur d’aval ou d’amont. Quand il aura de nouveau vidé son bief, épuisé son tronçon aussi complètement que ses voisins, vous recommencerez l’interdiction ? C’est précisément là une culture, une vraie culture alternante ; c’est l’aménagement des cours d’eau, mais timide et voilé ; tandis que nous nous demandons à l’étudier et à le pratiquer au grand jour.

Là n’est pas, — depuis que la surveillance de la pêche et les essais de pisciculture sont réunis dans la même main, forte et habile, de l’administration des ponts et chaussées, — là n’est pas cependant la plus grande difficulté. A la rigueur, une fois la loi modifiée, de grands, d’importans résultats pourraient être obtenus sur la majeure portion de nos fleuves et de nos rivières principales ; mais que fera-t-on pour le reste, pour cette portion privée, si je puis m’exprimer ainsi, qui succède à la partie publique ? Ici, afin de conserver une certaine clarté aux yeux des personnes non initiées aux complications de ces matières, embrouillées à plaisir, on est forcé d’entrer dans quelques considérations accessoires sur la nature de la propriété-eau.

C’est une erreur absolue de croire que le riverain d’un ruisseau, d’une rivière non navigable ni flottable, ou de la partie d’un fleuve qui ne l’est plus, est propriétaire du fond et de l’eau jusqu’au thalweg de son côté, ou tout à fait, s’il possède les deux rives. Le classement cadastral de ces eaux parmi les surfaces non imposables suffit à démontrer que le lit fait bel et bien partie du domaine public. Nous ne disconvenons pas que la coutume a eu le tort d’accorder au riverain un droit de servitude, la pêche, sur les eaux ouvertes de cette catégorie baignant sa propriété ; mais ce droit est abusif, c’est un obstacle absolu au repeuplement effectif de nos eaux, à une mise en valeur réelle. Ce droit doit être aboli. Tant que le droit du propriétaire sera une sorte d’usufruit timide, mal défini, comme celui que nous signalons, tant que le riverain aura la faculté de récolter et non de semer, toute amélioration sera impossible. Or à nos yeux la pisciculture représente pour notre pays une opération de première nécessité ; c’est pourquoi un intérêt particulier aussi mince que celui dont nous parlons doit s’effacer devant les besoins de la nation tout entière. Si par d’autres considérations l’on veut maintenir l’usufruit coutumier du riverain, qu’on transforme ce droit mal défini en un droit de propriété véritable. Laissez dès lors le riverain enclore, quand et comme il le voudra, la portion du domaine de l’eau qui désormais lui appartient, n’intervenez plus dans la gestion de sa chose, pas plus que vous ne vous préoccupez de l’assolement qu’il choisit pour ses terres. L’intérêt particulier le guidera dans l’une comme dans l’autre opération, et vous pouvez compter sur un maximum d’efforts de sa part. Tant que le ruisseau était ouvert à tout le monde, lui, comme les autres, se contentait d’y glaner la maigre récolte des terrains vagues ; dès qu’il sera sien, le ruisseau doit produire, et il produira. Le riverain sèmera, c’est là qu’il faut l’amener. Le succès sera dès lors acquis, non-seulement parce qu’il sèmera, parce qu’il récoltera et parce qu’il ressèmera, mais aussi et surtout parce qu’il prêchera d’exemple. Il faut voir la pisciculture là où elle doit être réellement, non dans les ateliers, à Paris, ni même à Huningue, non dans les établissemens plus ou moins luxueux créés par quelques particuliers aujourd’hui, et plus tard par l’état ; il faut la voir où elle doit être, en pleine campagne, en plein champ, dans la prairie, sur la montagne, dans la vallée, à l’angle de la forêt, au détour du chemin. C’est alors qu’elle deviendra réellement grande, parce qu’elle sera vulgaire, parce qu’elle sera partout. L’agriculture n’est pas demeurée enfermée dans les fermes-modèles.

La terre et l’eau sont sœurs ; l’une permet de juger l’autre. Il y a quelque trente ans, le département de la Mayenne renfermait encore d’assez grandes étendues de landes sur les collines granitiques et quartzeuses qui forment l’extrémité orientale des montagnes de Bretagne. Autour de ces landes absolument couvertes de bruyères, d’ajoncs et de genêts clair-semés, s’étendaient des champs enclos de gros murs et cultivés depuis un temps plus ou moins long. À cette époque, les communes mirent en adjudication par lots les terrains improductifs ; chaque riverain de la lande en acheta. Peu à peu les clôtures s’avancèrent dans la lande ; au dedans des clôtures, le défrichement s’opéra, puis l’ensemencement : aujourd’hui le pays tout entier est cultivé et bien cultivé. Laissez la clôture délimiter les propriétés bien assises dans la rivière, et la récolte y suivra une semence sérieuse : double avantage, car, pour le poisson comme pour les folles herbes, les graines s’en vont toujours au loin.

Telle est la première solution du problème de l’empoissonnement sérieux de nos rivières : abandon absolu aux riverains de toutes les parties d’eau courante non flottables ni navigables. Par le fait, c’est une location plus ou moins avantageuse de la partie des fleuves sur laquelle la navigation ou le flottage s’exécute, et comme conséquence l’abandon à peu près absolu de la portion où la marée se fait sentir. Nous ne nions pas que cette solution du problème ne soit celle qui présente le moins de difficultés matérielles ; en effet, on ne change rien à la législation actuelle sur la majeure partie des points. Un seul est modifié, l’extension de la propriété riveraine ; mais nous ne pensons pas que, tout en produisant de sérieux résultats, ce moyen suffise à tout. Si nous obtenons à coup sûr, dans un délai plus ou moins rapproché, le repeuplement de la partie supérieure des cours d’eau et par suite, par expansion, celle des parties inférieures, ces dernières demeureront toujours beaucoup au-dessous du maximum de peuplement exigible. D’ailleurs la pêche, que l’on continuera d’y amodier, entravera tout repeuplement sérieux ; enfin les portions inférieures, vers les embouchures, seront toujours le lieu d’élection d’un pillage contre lequel la loi restera impuissante.

Maintenant, si ce système répugne, qu’on embrasse l’autre, celui qui fait qu’en Écosse et en Angleterre on peut exécuter de grandes choses sur les cours d’eau : il est également plein d’avenir. Déclarez que toute eau qui coule, grande ou petite, est propriété nationale, et administrez l’ensemble. Il n’y a pas de milieu entre les deux systèmes, et nous avouons que de ce côté-ci est pour nous la véritable solution. À ce prix seul, la mise en valeur de nos eaux devient possible ; nous dirons plus, elle est alors certaine. À ce prix, vos cours d’eau, facilement amodiés d’un bout à l’autre du pays à des particuliers ou à des compagnies, prendront, au point de vue de l’alimentation publique, l’importance qu’ils doivent avoir. Toutefois c’est une véritable et immense manufacture de chair vivante qu’il faudra créer. Or une semblable entreprise, abstraction faite des ouvriers qu’elle emploiera, ne peut être dirigée que par des hommes spéciaux, qui aient étudié à fond toutes les données du problème, toutes les faces de la question. C’est pour cela que nous mettons en avant, comme pierre angulaire de l’édifice, la création d’une école d’aquiculture. Nous proposons la même marche que l’on suivit lorsqu’on voulut la restauration intelligente de nos forêts dévastées. L’état n’a pas eu à se plaindre de ce qu’il institua, quoiqu’il y ait fait preuve d’une générosité qui n’a pas péché par l’excès. Quant au projet qui nous occupe, une semblable parcimonie ne serait pas de saison, d’abord parce que les études préliminaires sont à faire, en second lieu parce que les résultats à attendre lors de la réussite de l’opération auront une bien autre importance.

En fait d’aquiculture, que savons-nous ? Considérée dans son acception étendue, elle a pour but de convertir en chair assimilable à l’homme des matières dont les unes seraient complètement perdues pour lui, et dont les autres, grâce à cette transformation, peuvent doubler de valeur. Ou se trouvent consignés les moyens d’exécution ? Partout. Qui ne verrait là un champ immense ouvert aux expériences, aux recherches sur l’histoire naturelle et sur l’économie politique et privée ? Il ne s’agit plus ici de multiplier les classifications, il s’agit de pénétrer les aptitudes, les besoins, de deviner les instincts, de constater les mœurs des habitans de l’eau, et ce n’est point besogne aisée. Rien que la différence d’élément décuple les difficultés. Ajoutons qu’il faudra créer une physiologie et une hygiène des espèces aquatiques, qu’on sera conduit à dresser la liste des êtres que chacune recherche, et dont chacune a besoin pour vivre, croître et se reproduire. Ce n’est pas tout encore : on devra opérer une sélection entre les espèces rémunératrices et celles qui ne le sont pas.

Tout cela, c’est un monde à soulever ; nous ne pouvons qu’effleurer des questions si importantes, si neuves, si difficiles. Nos savans les plus autorisés seraient fort embarrassés de nous dire en quoi telle eau diffère de sadisme ; la truite, elle, ne s’y trompe pas. Le poisson, guidé par bon instinct mystérieux, sent et voit ; il demeure ou fuit, prospère ou meurt ; Il est hors de doute cependant que l’influence des états physiques des diverses eaux est très grande, puisqu’elle en détermine la plupart du temps le repeuplement ; mais qui connaît les rapports possibles entre ces états et la quantité de ces peuplemens ? Qui sait la valeur des terrains, des fonds, par rapport aux poissons ?

Avant de demander des conseils et des avis aux sciences d’observation, il faudra faire appel à la science du droit, et nous aurons dès l’abord à soulever une grave question de réglementation et d’attributions, celle des eaux où se fait sentir le flux et le reflux. Là s’élèvera un conflit entre la marine et les travaux publics, conflit qu’il faudra vider en faveur des seconds, auxquels il est essentiel de livrer le bas tout aussi bien que le haut de nos cours d’eau productifs. En l’état actuel, tout le monde sait que la marine revendique toute partie de rivière où la marée se fait sentir, et qu’en vertu des ordonnances malheureuses de Colbert elle en réserve la pêche aux marins inscrits. Jamais plus déplorable division n’a pu être établie, cette attribution spéciale annihilant de fait toute espèce de surveillance et entraînant a sa suite les plus mauvais résultats. Concluons hardiment en demandant à la France de réagir contre son insouciance séculaire ; souhaitons que la crise menaçante de la disette de viandes, crise certaine l’an prochain, crise qu’il semble très difficile de conjurer, soit l’occasion salutaire d’un premier effort. Répétons bien haut que dans ses eaux douces et salées notre pays doit se créer une ressource immense pour l’alimentation publique, une réserve hors de toute atteinte pour les cas de famine ou de disette accidentelle.

Nous voulions montrer que l’aquiculture peut et doit être dans l’état l’égale de l’agriculture. Deux vérités ressortent de tout ceci. L’homme a besoin de chair pour vivre, chair venant de la terre et chair venant de l’eau. La première va nous manquer par suite d’événemens contre lesquels nous ne pouvons rien ; la seconde nous manque par suite de notre incurie. Disette d’un côté, disette de l’antre, — disette alors que l’abondance devrait régner dans le pays le mieux doué en fleuves de l’univers ! Cette leçon sera-t-elle comprise ? Nous l’espérons, et cette confiance nous a fait proposer divers moyens. Quelques-uns sont radicaux, et l’application de ces derniers exigerait le remaniement d’une partie de nos codes. Des esprits de bonne foi penseront peut-être que le but à atteindre ne mérite pas de semblables efforts ; ils se trompent, et c’est pour les en convaincre que nous sommes entré dans les détails où le lecteur a bien voulu nous suivre.


H. de La Blanchère.