Le Dhammapada/XXVI

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Traduction par Fernand Hû.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, XXIp. 91-97).

CHAPITRE XXVI




LE BRÂHMANA[1]


383 Résiste avec énergie au torrent ! Repousse les jouissances, ô Brâhmana ! Sachant comment finissent les agrégations d’éléments, tu sais où elles n’existent plus[2].

384 Lorsque, par l’observation des deux préceptes[3], le Brâhmana a atteint l’autre rive, alors, en possession de la Science Parfaite, il en a fini avec tous les liens.

385 Celui pour qui n’existent plus ni cette rive, ni l’autre, ni toutes deux à la fois, qui, exempt de crainte, est affranchi de tout, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

386 Celui qui, plongé dans la méditation, assis en paix, exempt de passion et de péché, a fait son devoir et atteint le but le plus élevé, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

387 Pendant le jour brille le soleil ; pendant la nuit brille la lune ; armé de toutes pièces, brille le guerrier ; en méditation, brille le Brâhmana. Mais le jour comme la nuit, d’un éclat ininterrompu, brille le Buddha.

388 Celui qui ne fait plus de mal, on l’appelle Brâhmana. Celui qui vit dans la quiétude, on l’appelle Çramana. Celui qui se débarrasse de ses souillures, on l’appelle Pravarjita[4].

389 Qu’on ne s’attaque point à un Brâhmana, et que le Brâhmana lui-même n’use pas de représailles. Malheur à l’agresseur du Brâhmana ! Malheur au Brâhmana qui riposte ![5]

390 Ce n’est pas un mince avantage pour un Brâhmana qu’une âme insensible aux plaisirs. Lorsque cesse en lui l’idée de faire du mal à autrui, en lui cesse également la douleur.

391 Celui qui, ne faisant le mal ni avec son corps, ni avec sa langue, ni avec son esprit, vit dans une triple continence, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

392 Aussitôt qu’on a connu la loi, telle que l’a enseignée Celui qui est devenu un Buddha accompli, qu’on s’incline humblement devant elle, comme le Brâhmana devant le feu du sacrifice.

393 Ce ne sont ni les cheveux tressés, ni les richesses, ni la naissance qui font le Brâhmana. Celui en qui se rencontrent la vérité et la justice, — celui-là est heureux, celui-là est un Brâhmana.

394 À quoi bon ces cheveux tressés ? À quoi bon une jupe en peau de chèvre ? Chez toi l’intérieur est un vrai chaos ; tu soignes seulement l’extérieur.[6]

395 L’homme au vêtement couvert de poussière, qui, maigre, couturé de veines, se livre solitairement à la méditation dans la forêt, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

396 Je ne dis point, moi, « un Brâhmana » celui qui est sorti d’un certain sein, qui est né d’une certaine mère. Celui-là, on peut l’appeler arrogant, celui-là peut être riche. C’est celui qui est pauvre et détaché de tout que je dis « un Brâhmana ».

397 Celui qui, ayant brisé tous ses liens, ne ressent plus aucun effroi, qui est détaché de tout, affranchi de tout, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

398 Celui qui a brisé la courroie, la corde, la sangle et le reste, qui a forcé la barrière, qui est Éveillé, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

399 Celui qui, tout innocent qu’il est, endure les injures, les coups et les chaînes avec une patience égale à sa force, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

400 Celui qui est exempt de colère, fidèle à ses vœux, instruit dans la tradition, qui, s’étant dompté lui-même, en est à sa dernière incarnation, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

401 Celui sur lequel glissent les jouissances comme l’eau sur une feuille de lotus, ou la graine de moutarde sur une pointe d’aiguille, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

402 Celui qui sait mettre ici-bas un terme à la douleur, qui a déposé son fardeau, qui est détaché de tout, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

403 Le sage qui possède une science profonde, qui connaît ce qui est et ce qui n’est pas la Voie, qui a atteint le but suprême, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

404 Celui qui ne cohabite ici-bas, ni avec ceux qui ont un logis, ni avec ceux qui n’en ont pas ; qui, se contentant de peu, ne va point frapper aux portes, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

405 Celui qui s’abstient de toute violence à l’égard des êtres faibles aussi bien que des forts, qui ne tue point, qui ne fait point tuer, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

406 Celui qui est tolérant avec les intolérants, doux avec les violents, détaché de tout avec ceux qui sont attachés à tout, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

407 Celui de l’âme duquel sont tombés la haine, l’orgueil et l’hypocrisie, comme tombe la graine de moutarde placée sur la pointe d’une aiguille, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

408 Celui qui fait entendre des paroles sans rudesse, instructives, vraies, à l’aide desquelles il n’injurie personne, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

409 Long ou court, petit ou grand, agréable ou désagréable, quel que soit en ce monde l’objet qu’on ne lui donne pas, celui qui ne le prend pas, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

410 Celui qui n’espère plus rien en ce monde ni dans l’autre, qui est inaccessible à tout et détaché de tout, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

411 Celui qui n’a plus d’attaches, que la science préserve des « pourquoi ? », qui parvient à s’affranchir de la mort, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

412 Celui qui a secoué ici-bas les deux chaînes, celle du bien et celle du mal, qui est pur, exempt de douleur et de passion, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

413 Celui qui, dans la pureté, dans la sérénité et dans la paix de son âme, est semblable à la lune immaculée, qui a tari en lui la source de toute joie, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

414 Celui qui est venu à bout de ces vicissitudes rebutantes et inextricables, qui, ayant achevé la traversée, a gagné l’autre rive, qui est plongé dans la méditation, exempt de désirs et de curiosité, n’ayant besoin de rien et satisfait, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

415 Celui qui, après avoir dit ici-bas adieu aux jouissances et tari en lui leur source, embrasse la vie errante des religieux, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

416 Celui qui, après avoir dit ici-bas adieu à la convoitise, et tari en lui sa source, embrasse la vie errante des religieux, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

417 Celui qui, n’ayant plus de liens avec les hommes, a secoué ceux qu’il pourrait avoir avec les dieux, qui est complètement détaché de tout, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

418 Celui qui, n’ayant plus rien qui lui plaise ou qui lui déplaise, devenu insensible et ne fournissant plus matière à rien, s’est élevé au-dessus de tous les mondes, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

419 Celui qui connaît à fond l’origine et la fin des êtres, qui est détaché de tout, Heureusement arrivé (Sugata), Éveillé (Buddha), — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

420 Celui dont ne connaissent la voie ni les dieux, ni les gandharvas, ni les hommes, qui a détruit en lui la concupiscence, qui est devenu Arhat, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

421 Celui qui ne possède rien, ni devant, ni derrière, ni dans le milieu, qui ne possède absolument rien, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

422 Celui qui, semblable à un taureau, est supérieur à tous, le Héros, le Chantre inspiré, le Triomphateur, celui qui est exempt de désirs, le Purifié, l’Éveillé, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

423 Celui qui connaît ses anciens domiciles,[7] dont la vue embrasse le ciel et l’enfer, qui a atteint le terme des renaissances, qui est arrivé dans la solitude à la Science Parfaite, celui qui, en toutes choses, est arrivé à la Perfection, — celui-là, je le dis « un Brâhmana ».

  1. Le Brâhmane, l’Ascète, le Savant par excellence.
  2. C’est-à-dire : tu connais le Nirvâna.
  3. Les deux préceptes : la continence et la méditation.
  4. Sur ces trois fausses étymologies, voir M. Müller, v. 388, note.
  5. Omnis, qui irascitur fratri suo, reus erit judicio (Matt. v. 22).
  6. Mundatis quod deforis est calicis et paropsidis ; intùs autem pleni estis rapinâ et immunditiâ (Matt. xxiii. 25).
  7. C’est-à-dire : les apparences qu’il a successivement revêtues.