Le Dialogue (Hurtaud)/104

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 379-382).

CHAPITRE VII

(104)

Comment la pénitence ne doit pas être considérée comme le fondement ni comme le principal effet de la perfection, qui est l’amour de la vertu.

J’ai répondu, très chère fille, à tes deux premières questions. Je vais maintenant résoudre la troisième. Je te demande d’apporter à cet exposé une attention toute particulière, pour te reprendre toi-même, Si parfois le démon ou la faiblesse de ton esprit te portaient à vouloir conduire, ou à désirer voir marcher tous mes serviteurs, dans la voie que tu as suivie toi-même. Rien ne serait plus contraire à la doctrine que tu as reçue de ma Vérité.

Souvent, en effet, il arrive qu’en voyant nombre de créatures marcher dans le chemin d’une austère pénitence, l’on souhaite de voir toutes les âmes s’engager dans cette voie : si l’on en remarque qui ne la prennent pas, on s’en indigne, on s’en scandalise en soi-même, on estime qu’elles ne font pas bien.

Quelle erreur pourtant, et sache-le comprendre !

Celui que l’on juge ainsi comme faisant mal, parce qu’il accomplit moins de pénitences, bien souvent, fera mieux et sera plus vertueux, que l’homme austère qui murmure contre lui. Je te l’ai déjà dit précédemment, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence n’apportent pas dans leur mortification une véritable humilité, si leur pénitence, au lieu d’être simplement un instrument de vertu, est leur principal souci, maintes fois, par leurs murmures, ils nuiront à leur perfection. Ils doivent sortir de leur aveuglement. Il leur faut apprendre que la perfection ne consiste pas seulement dans les macérations, dans les mortifications corporelles, mais dans la destruction de la volonté propre, de la volonté perverse. C’est dans cette voie de l’abnégation et de la soumission de la volonté à ma douce volonté, que vous devez désirer et que je veux que tu désires voir marcher toutes les âmes. Voilà la doctrine, éclairée de cette glorieuse lumière, voilà la voie où l’âme, revêtue de ma Vérité, s’empresse à courir, emportée qu’elle est par l’amour.

Ce n’est pas que je méprise la pénitence. La pénitence est bonne pour mâter le corps, et l’empêcher de se révolter contre l’esprit. Mais je ne veux pas, très chère Fille, que tu en fasses une règle pour chacun, car le corps n’est pas chez tous d’égale force, ni de même complexion il est chez l’un plus robuste, chez l’autre plus débile. Et même souvent, comme je l’ai dit, chez la même personne, des circonstances pourront survenir, qui forceront d’interrompre les pénitences qu’elle avait commencées.

Si donc tu avais pris ou fait prendre aux autres la pénitence, comme fondement de la perfection, le découragement viendrait vite et avec lui l’imperfection. Vous seriez sans consolation, et comme sans force dans l’âme, en vous voyant sevrés de cette austérité que vous aimiez, et dont vous aviez fait le principe de votre avancement spirituel. Il vous semblerait être séparés de moi, et le sentiment d’être privés de ma Bonté vous remplirait d’ennui, d’amertume et de trouble. Vous en viendriez ainsi à négliger vos exercices, et à vous relâcher de l’oraison fervente, que vous étiez accoutumés de faire au temps de vos pénitences. Maints accidents survenus vous auront obligés de renoncer à vos macérations, et l’oraison n’aura plus pour vous cette saveur que vous lui trouviez auparavant. Oui, voilà où vous en arriveriez, Si vous aviez fait de l’amour de la pénitence, le fondement de la perfection, au lieu de le placer dans l’ardent désir des vraies et réelles vertus. Tu vois quelles funestes conséquences résulteraient de cette méprise : c’est l’aveuglement, c’est le murmure contre mes serviteurs, c’est l’ennui, c’est l’amertume profonde, c’est l’application à me servir par des œuvres finies, moi, le Bien infini, et qui, à ce titre, réclame de vous un désir infini.

Il faut donc fonder votre perfection sur la mortification et l’anéantissement de la volonté propre. Dès lors, par cette volonté toute soumise à ma volonté, vous m’offrirez un doux et ardent et infini désir, sans autre objet que mon honneur et le salut des âmes.

Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, sans jamais trouver en vous-mêmes ou dans le prochain une occasion de scandale ; vous vous réjouirez en toute chose, et vous saurez tirer profit de tant de manières différentes, par lesquelles je conduis les âmes.

Ce n’est pas ce que font, bien au contraire, les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, cette voie droite tracée par nia Vérité. Ils jugent d’après leur aveuglement, ou d’après leur vue personnelle qui est très basse, et les voilà partis comme des fous, perdant tout à la fois les biens de la terre et les biens du ciel ! Dès cette vie, je te l’ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de l’enfer.