Le Dialogue (Hurtaud)/154

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 251-255).

DE L’OBEISSANCE

CHAPITRE I

(154)

Où l’on trouve l’obéissance ? — Ce qui la fait perdre. — A quel signe l’homme peut connatre qu’il la possède ou non ? -Quelle est la compagne de l’obéissance ? — Qui la nourrit ?

Alors le Seigneur, Père éternel et bon, abaissa le regard de sa miséricorde et de sa clémence sur cette âme O fille très chère, lui dit-il, les saints désirs et les justes prières doivent être exaucés. C’est pourquoi moi, la Vérité souveraine, je demeurerai fidèle à ma vérité, en accomplissant la promesse que je t’ai faite et en réalisant ton désir. Tu m’as demandé où tu trouveras l’obéissance, ce qui peut te la faire perdre, le signe auquel tu reconnaîtras que tu la possèdes, ou non !

Je réponds que tu la trouveras dans le doux Verbe d’amour, mon Fils unique. Si prompte fut en lui l’obéissance que, pour la pratiquer, c’est avec empressement qu’il alla à la mort ignominieuse de la croix. Regarde maintenant le premier homme, tu y découvriras la cause qui le fit manquer à l’obéissance que je lui avais imposée, moi, le Père éternel. L’orgueil, fils de l’amour-propre et de la complaisance qu’il eut pour sa compagne, voilà la cause qui le détourna de l’obéissance parfaite, et l’engagea dans cette révolte où il perdit la vie de la grâce et l’innocence première, pour tomber dans l’impureté et dans la plus profonde misère, où il entraîna avec lui toute sa race, comme je te l’ai dit.

Le signe que tu possèdes cette vertu, est la patience ; l’impatience, par contre te fera connaître qu’elle te manque. Ce que je t’expliquerai te fera comprendre qu’il en est bien ainsi.

Mais remarque tout d’abord, qu’il y a deux manières de pratiquer l’obéissance, dont l’une est plus parfaite que l’autre ; elles ne sont pas d’ailleurs séparées, mais unies, comme je te l’ai dit à propos des commandements et des conseils. L’une est bonne et parfaite, l’autre très parfaite, mais il n’est personne qui puisse entrer dans la vie éternelle s’il n’est obéissant. Sans l’obéissance, on reste dehors ; car l’obéissance est la clef, avec laquelle fut ouverte la porte qui avait été fermée par la désobéissance d’Adam. Poussé par ma bonté infinie et ne pouvant me faire à l’idée que l’homme que j’aimais tant, ne faisait pas retour à moi sa fin dernière, je pris la clef de l’obéissance et je la remis aux mains du doux Verbe d’amour, ma Vérité, que j’établis portier du ciel. C’est lui qui en ouvrit la porte. Sans cette clef et sans ce portier, nul n’y peut avoir accès. C’est ce qu’il vous a appris dans son Evangile, quand il vous a dit que nul ne peut venir à moi, le Père, si ce n’est par lui. Quand il quitta la société des hommes pour retourner près de moi en montant au ciel, il vous laissa cette précieuse clef de l ’obéissance. Comme tu sais, il établit son vicaire, le Christ sur terre, à qui tous vous êtes tenus d’obéir jusqu’à la mort. Qui se sépare de son obédience est en état de damnation, comme je te l’ai dit en un autre endroit.

Je veux te faire voir, maintenant, cette vertu si excellente dans l’humble Agneau sans tache et t’apprendre d’où elle procède. D’où vient donc que ce Verbe fut si obéissant ? De l’amour qu’il eut de mon honneur et de votre salut. Et cet amour d’où procédait-il ? De la claire vision qu’avait son âme de la divine essence et de l’immuable Trinité. Il me voyait ainsi toujours moi-même, le Dieu éternel. Cette vision produisait en lui, avec une perfection absolue, cette fidélité, que la lumière de la foi ne réalise en vous qu’incomplètement. Il me fut donc fidèle à moi, son Père éternel, et sous cette glorieuse lumière, dans l’ivresse de l’amour, il s’est élancé dans la voie de l’obéissance.

Mais l’amour ne va jamais seul, sans son cortège des vraies et réelles vertus, qui toutes puisent leur vie, dans le foyer même de la charité ; toutefois les vertus de mon Christ n’ont pas la même mesure des vôtres. Parmi ces vertus, la principale est la patience, qui est comme la moelle de l’amour : c’est elle qui est pour l’âme, le signe infaillible, qu’elle est en grâce avec Dieu et qu’elle aime véritablement. C’est pourquoi sa mère, la charité, l’a donnée pour sœur à la vertu d’obéissance, et les a si bien unies ensemble que la perte de l’une entraîne la mort de l’autre. On les a toutes les deux, où l’on ne possède ni l’une ni l’autre.

L’obéissance a une nourrice qui sans cesse l’alimente, et qui est la vraie humilité. On n’est obéissant qu’autant qu’on est humble, et l’on ne saurait être humble si l’on n’est obéissant. Cette vertu d’humilité n’est-elle pas mère nourricière de la charité ? Comment s’étonner dès lors, qu’elle nourrisse de son même lait la vertu d’obéissance. Le vêtement dont la couvre cette bonne nourrice, c’est le mépris de soi-même, c’est le désir des opprobres, qui porte l’âme à se contrarier en tout pour me plaire. Où trouver cette vertu ? Dans le doux Christ Jésus, mon Fils unique. Qui donc plus que lui s’est abaissé ! Il s’est abreuvé d’opprobres, de moqueries et d’affronts : il s’est renoncé soi-même en donnant sa vie corporelle pour me plaire. Et patient, qui le fut plus que lui ? Pas une plainte, pas un murmure, mais une patience douce aux injures, qui lui faisait accomplir avec élan d’amour, l’obéissance que je lui avais imposée, moi, son Père éternel.

C’est donc en lui, que vous trouverez l’obéissance parfaite. Il vous en a fourni la règle ; il vous en a laissé la doctrine, en commençant par l’observer lui-même, et cette doctrine vous donne la vie, parce qu’elle est la voie droite. C’est lui-même qui est la voie ; aussi a-t-il dit qu’il était la voie, la vérité et la vie. Qui suit cette voie est dans la lumière, et celui qui marche dans la lumière ne peut heurter, ni être heurté, sans s’en apercevoir ; il s’est sorti des ténèbres de l’amour-propre qui le faisait tomber dans la désobéissance. Je te l’ai dit, en effet, l’obéissance a pour compagne inséparable l’humilité, elle procède de l’humilité. En conséquence, la désobéissance est un fruit de l’orgueil, qui a sa source dans l’amour-propre, destructeur de l’humilité.

La désobéissance a une sœur, elle aussi, que lui a donné l’amour-propre, et qui est l’impatience elle a pour nourrice la superbe. Sous sa conduite, l’âme, dans les ténèbres de l’infidélité, se précipite par le chemin obscur qui mène à la mort éternelle.

A vous tous, donc, il faut lire en ce glorieux livre, où vous trouverez écrite cette vertu d’obéissance avec toutes les autres.