Le Dialogue (Hurtaud)/167

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 328-331).

soupire après l’eau vive des sources, ainsi mon âme désire sortir de la prison ténébreuse du corps, pour vous voir en vérité ! Oh ! combien de temps encore votre visage sera-t-il caché à mes yeux ôTrinité éternelle, feu et abîme de charité ? Dissipez donc aujourd’hui même le nuage de mon corps ! La connaissance que vous m’avez donnée de vous, dans votre Vérité, me fait désirer avec violence de déposer le fardeau de ma chair, de donner ma vie pour la gloire et l’honneur de votre nom. Car j’ai goûté et j’ai vu, avec la lumière de mon intelligence dans votre lumière, votre abîme, ô Trinité éternelle, et la beauté de la créature. En me contemplant en vous, j’ai vu que j’étais votre image, et que vous m’avez donné votre puissance à vous, Père éternel, avec dans mon intelligence la sagesse, qui est votre Fils unique, en même temps que l’Esprit-Saint qui procède de vous et de votre Fils, faisait ma volonté capable de vous aimer. Vous, Trinité éternelle, vous êtes le Créateur, et moi, votre créature. J’ai connu, dans la réparation que vous avez faite de moi par le sang de votre Fils, que vous êtes épris de la beauté de la créature !

O abîme, ô Divinité éternelle ! Océan sans fond ! Eh ! pouvez-vous me donner davantage que de vous donner vous-même ? Vous êtes le feu qui brûle toujours et ne s’éteint jamais. Vous êtes le feu qui consume en lui-même tout amour-propre de l’âme ; vous êtes le feu qui fond toute glace et qui éclaire ; c’est à sa lumière que vous m’avez fait connaître votre vérité ! Vous êtes la lumière au-dessus de toute lumière ; c’est cette lumière qui communique à l’œil de l’intelligence une clarté surnaturelle, si abondante et si parfaite que la lumière de la foi en est éclairée, cette foi, par laquelle je vois que mon âme a la vie, et dans cette clarté vous reçoit, vous, la Lumière. Par la lumière de la foi, je possède la sagesse dans la sagesse du Verbe votre Fils. Par la lumière de la foi, je suis forte, constante et persévérante. Par la lumière de la foi, j’espère et je ne me laisse pas défaillir en route. Cette lumière m’indique le chemin et, sans cette lumière, je marcherais dans les ténèbres. C’est pourquoi je vous ai demandé, Père éternel, de m’éclairer de la lumière de la très sainte foi. Cette lumière est vraiment un océan, car elle plonge l’âme en vous, l’océan de paix, ô Trinité éternelle ! L’eau de cette mer n’est pas trouble ; l’âme n’y a pas peur, car elle y connaît la vérité. Elle est transparente et laisse voir les choses qu’elle recèle en ses profondeurs. Aussi là où abonde la resplendissante lumière de la foi, l’âme a, pour ainsi dire, l’évidence de ce qu’elle croit. Elle est un miroir, c’est vous, Trinité éternelle, qui me l’avez appris, — et en regardant dans ce miroir tenu par la main de l’amour, je m’y contemple moi-même en vous, moi votre créature, et vous-même en moi, par l’union que votre Divinité a contractée avec notre humanité. Dans cette lumière je vous connais, et vous êtes présent à mon esprit, vous le Bien suprême et infini.

Bien au-dessus de tout bien ! Bien qui fait la félicité ! Bien incompréhensible ! Bien inestimable ! Beauté qui surpasse toute beauté’, Sagesse au-dessus de toute sagesse, bien plus, la Sagesse même ! Vous, le pain des anges, dans l’ardeur de votre amour vous vous êtes donné aux hommes. Vous êtes le vêtement qui couvre toute nudité, la nourriture qui réjouit par sa douceur, tous ceux qui ont faim. Car vous êtes doux, sans ombre d’amertume !

O Trinité éternelle, dans votre lumière que vous m’avez donnée et que j’ai reçue, avec la lumière de la très sainte foi, j’ai connu, par les explications aussi nombreuses qu’admirables, la voie de la grande perfection. Vous me l’avez montrée, pour que je vous serve dans la lumière et non dans les ténèbres, pour que je sois un miroir de bonne et sainte vie, et que je renonce enfin à cette existence misérable, où jusqu’ici et par ma faute, je vous ai servi dans les ténèbres.

Je ne connaissais pas votre Vérité, voilà pourquoi je ne l’ai pas aimée ! Et pourquoi vous ai-je ignoré ? Parce que je ne vous voyais pas, à la glorieuse lumière de la très sainte foi, parce que la nuée de l’amour-propre obscurcissait l’œil de mon esprit ! Et c’est vous, Trinité éternelle, qui par votre lumière avez dispersé ces ténèbres.

Qui donc pourra s’élever jusqu’à votre hauteur, pour vous remercier de vos largesses divines et de l’immense bienfait que vous m’avez accordé, par cette doctrine de vérité ? C’est vous-même qui me l’avez apprise ; elle est un don particulier que vous m’avez fait, en dehors des grâces communes que


vous répandez sur les autres créatures ! Vous avez voulu condescendre à ma nécessité et à celle des autres âmes qui voudront y trouver un miroir de vie.

Mais répondez, vous-même, Seigneur, à tant de bienfaits ! C’est vous qui avez donné, remerciez vous-même et rendez grâces, en répandant en moi une lumière surnaturelle, afin que par cette lumière je puisse vous dire ma reconnaissance. Revêtez-moi, Vérité éternelle, revêtez-moi de vous-même, pour que je passe cette vie mortelle dans la véritable obéissance et dans la lumière de la foi très sainte, dont vous avez à nouveau enivré mon âme.

Deo gratias. Amen.

Ici finit le livre fait et composé par la très vénérable Vierge, très fidèle servante et épouse de Jésus-Christ crucifié, Catherine de Sienne, de l’habit de saint Dominique, en l’an du Seigneur 1378, au mois d’octobre. Amen.

Priez Dieu pour votre frère inutile.