Le Fédéraliste/Tome 1/23

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CHAPITRE XXIII.


Néceſſité d'un Gouvernement au moins auſſi énergique que celui qui nous eſt propoſé.



Il nous reſte à examiner la néceſſité d'un Gouvernement au moins auſſi énergique que celui qui nous eſt propoſé, pour le maintien de l'Union.

Cette recherche ſe diviſe naturellement en trois branches : les fonctions du Gouvernement Fédéral ; le degré de pouvoir néceſſaire pour les remplir ; les perſonnes ſur leſquelles ce pouvoir doit agir. Nous nous occuperons plus particulièrement de ſa diſtribution & de ſon organiſation, dans la ſeconde Partie de cet Ouvrage.

Les principales fonctions de l'Union ſont de défendre tous les membres, de garantir la paix publique des convulſions intérieures & des attaques du dehors ; de régler le commerce avec les Nations étrangères, & entre les États ; d'entretenir nos relations politiques & commerciales avec les Nations étrangères.

Les pouvoirs eſſentiels, pour le ſoin de défenſe commune, ſont de lever des troupes ; de conſtruire & d'équiper des flottes ; de preſcrire les loix qui les gouvernent ; de diriger leurs opérations ; de pourvoir à leur entretien. Ces pouvoirs doivent être ſans bornes, parce qu'il eſt impoſſible de prévoir ou de fixer l'étendue & la variété des moyens néceſſaires pour y ſatisfaire. Les circonſtances, qui expoſent la ſûreté des Nations, ſont infinies ; ainſi on ne peut raiſonnablement donner d'entraves au pouvoir à qui le ſoin en eſt confié. Ce pouvoir doit s'étendre à toutes les combinaiſons poſſibles de ces circonſtances, & doit s'exercer ſous la direction des mêmes Conſeils, nommés pour veiller à la défenſe commune.

C'eſt ici une de ces vérités, qui pour un eſprit ſans préjugés, portent avec elles leur évidence, & que des explications & des raiſonnemens peuvent obſcurcir, mais ne peuvent jamais rendre plus claires : elle repoſe ſur des principes auſſi ſimples qu'ils ſont univerſels ; les Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/278 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/279 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/280 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/281 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/282 dépôt des intérêts nationaux : & ſi les intérêts nationaux peuvent lui être confiés avec raiſon, on peut y joindre ſans danger des pouvoirs proportionnés. Tel eſt le réſultat de tout raiſonnement juſte ſur ce ſujet, & les adverſaires du plan publié par la Convention auroient donné une meilleure idée de leur ſincérité, s'ils ſe fuſſent bornés à prétendre que l'organiſation intérieure du Gouvernement propoſé le rendroit indigne de la confiance du Peuple. Ils auroient dû s'épargner des déclamations incendiaires & des ſophiſmes dénués de ſens ſur l'étendue des pouvoirs. Les pouvoirs ne ſont pas trop étendus pour les objets de l'Adminiſtration fédérale, ou en d'autres termes, pour le ſoin des intérêts nationaux ; & l'on ne peut alléguer une raiſon ſatisfaiſante pour en démontrer l'excès.

S'il eſt vrai, comme l'ont inſinué quelques écrivains du parti contraire, que la difficulté vienne de la nature de la choſe, & que l'étendue du pays ne nous permette pas de former un Gouvernement à qui l'on puiſſe confier une autorité ſi conſidérable, cela nous prouveroit que nous devons rétrécir nos vues, & recourir à l'expédient des Confédérations ſéparées, dont les mouvemens s'exécuteront dans des eſpaces plus commodes ; car, enfin, c'eſt une abſurdité dont nous devons rougir, de confier à un Gouvernement le ſoin des intérêts nationaux les plus eſſentiels, ſans oſer lui aſſurer l'autorité néceſſaire pour les adminiſtrer convenablement & avec ſuccès. Sans chercher à concilier des choſes contradictoires, fixons-nous à une alternative raiſonnable.

J'eſpère cependant qu'on ne parviendra pas à prouver l'impoſſibilité d'un ſyſtême général. Je ſuis frot trompé, ſi l'on a donné une raiſon ſolide à l'appui de cette opinion, & je me flatte que les obſervations faites dans le cours de cet Ouvrage ont porté la propoſition contraire à la plus haute évidence, dont puiſſe être ſuſceptible une opinion qui n'a pas ſubi l'épreuve du temps & de l'expérience. Ce qu'il y a de certain, c'eſt que la difficulté même qu'on fait réſulter de l'étendue du pays eſt l'argument le plus puiſſant en faveur d'un Gouvernement énergique ; car ſans cela, il ſeroit inſuffiſant pour maintenir l'union d'un ſi grand Empire. Si nous adoptons les principes des adverſaires de la Conſtitution nouvelle, nous vérifierons la triſte prévoyance de ceux qui ſoutiennent l'impoſſibilité d'un Gouvernement général.