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Le Féminisme aux États-Unis, en France, dans la Grande-Bretagne, en Suède et en Russie/2

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II

LE FÉMINISME EN FRANCE

[Population totale : 38 millions 133,385.

Femmes : 19,201,031.

Hommes : 18,932,354.

78 p. 100 de la population appartiennent à la religion catholique.]

Lorsque, en 1789, la France adopta la devise : « Liberté, égalité, fraternité », les femmes françaises demandèrent leur part des nouveaux droits, et un certain nombre de Parisiennes, réunies le 28 octobre 1789, s’adressèrent à l’Assemblée nationale pour obtenir l’établissement de l’égalité politique des deux sexes.

La Déclaration des droits de l’homme ne visant que les citoyens, Olympe de Gouges, en 1789, présenta à la reine Marie-Antoinette la Déclaration des droits de la femme. Demandant le suffrage politique pour les femmes françaises, « la loi », dit-elle, « doit être l’expression de la volonté générale ». Une phrase analogue sert aujourd’hui de devise à l’Association Américaine nationale pour le suffrage des femmes[1].

De 1789 à 1793, de nombreuses réunions de femmes, revendiquant l’égalité politique et civile des deux sexes, avaient lieu à Paris. Des sociétés féministes s’établirent sous les noms de Société des femmes républicaines et révolutionnaires, Amies de la Constitution, etc. Une femme, Mme Keralio, fonda un journal : Le journal de l’État et du Citoyen, qui avait une tendance nettement féministe.

Les chefs de la Révolution prirent parti ou pour ou contre le féminisme[2], qui trouva dans Condorcet un de ses champions les plus zélés. L’érudit et généreux secrétaire de l’Académie des sciences avait déjà réclamé le vote politique des femmes, en 1788, dans son Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales[3]. Il inséra cette même demande dans le projet d’une Constitution pour la République française qu’il avait été chargé de présenter à la Convention. Décrétée en juin 1793, cette Constitution proclama l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de sexe. Mais elle n’entra jamais en vigueur.

Au contraire, une résolution de la Convention, du 9 brumaire de la même année, arrêta net le mouvement féministe en France ; les femmes révolutionnaires, les amies de la Constitution ayant été dans leurs réunions et leurs manifestations publiques tout aussi turbulentes que les hommes de l’époque, le Comité de la sûreté générale demanda à la Convention d’interdire, dans l’intérêt de la tranquillité publique, les sociétés et les clubs de femmes.

Dans la séance où cette mesure fut discutée, le citoyen Amar déclara que la place de la femme est au foyer. Il n’y a pas d’assemblée législative du monde qui, le cas échéant, n’ait produit son Amar, voire même toute une tribu d’Amarites, usant et abusant de « la phrase du foyer » pour empêcher toute réforme dans la condition de la femme.

Dans la même séance de la Convention, le citoyen Charlier fit valoir que la femme était un être humain et qu’elle en avait les droits. Le citoyen Bazire, de son côté, conclut que l’exercice de ces droits nuisait à la tranquillité publique et qu’il y avait, par suite, lieu de le retirer aux femmes.

Il est heureux pour les hommes qu’on n’use pas à leur égard de la même argumentation : ce serait la fin du régime parlementaire.

Quoi qu’il en soit, les citoyens Amar et Bazire l’emportèrent : après le 9 brumaire, les clubs de femmes cessèrent d’exister. Les femmes, il est vrai, n’en continuèrent pas moins à prendre part aux émeutes et à se faire tuer pour une liberté, une égalité dont cependant on les excluait. Évidemment, elles avaient le feu sacré, l’enthousiasme désintéressé pour les grands principes de la Révolution française.

Le premier consul, puis empereur. Napoléon, ne fut pas précisément féministe : le Code, qui porte son nom, en fait foi. C’est la mise consciencieuse en paragraphes du mot que, pendant la discussion du nouveau recueil de lois, le consul prononça au Conseil d’État. « Il y a », dit-il, « une chose qui n’est pas française, c’est qu’une femme puisse faire ce qu’il lui plaît ».

À ce point de vue, le Code Napoléon doit passer pour une œuvre éminemment française : car la femme n’y fait certainement pas ce qu’il lui plaît. Nous indiquerons ici très rapidement les grandes lignes de la législation que le Code Napoléon impose à la femme : Tutelle légale du mari à l’égard de l’épouse ; l’épouse est même incapable d’obtenir de la part du mari une autorisation générale pour ceux des actes de la vie civile qu’elle ne peut accomplir de son propre chef ; dans toutes les questions intéressant la communauté, le droit de décision est du côté de l’homme.

Le régime légal est la communauté de biens, réduite cependant aux biens meubles. Le mari en a l’administration et la libre disposition. C’est à lui qu’appartiennent le salaire et l’épargne de la femme.

En cas d’adultère de la part de la femme, le meurtre que le mari commet sur elle est « excusable ».

La mère n’a aucun pouvoir légal sur les enfants. La femme ne peut être tutrice que de ses propres enfants. Aucune femme ne peut faire partie des conseils de famille.

Mère, hors mariage, la recherche de la paternité lui est interdite. — Aucune femme ne peut servir de témoin dans les actes de l’état civil[4].

Les femmes sont exclues de tous les droits du citoyen : elles ne sont électeurs et éligibles ni aux commissions administratives de l’Assistance publique[5], ni aux élections municipales ou politiques.

La Restauration de 1815 ne trouva rien à changer à la situation créée par le Code Napoléon à la femme. M. de Bonald proclama même pompeusement que « l’homme et la femme ne sont pas égaux et ne peuvent jamais le devenir ». Si le célèbre philosophe par égaux entendait pareils, nous sommes tout à fait de son avis. Toutefois, il peut très bien y avoir, et il y a, selon nous, entre les sexes équivalence, et en ce sens égalité dans la diversité.

Ce n’est qu’en 1830 que l’activité et la propagande féministes reprirent en France, et elles ne se sont plus arrêtées depuis.

Les théories saint-simoniennes, fort en vogue en 1830, admettaient l’égalité de l’homme et de la femme ; des théories socialistes analogues venaient encore fortifier le courant féministe. L’apparition, enfin, d’un génie comme George Sand était un puissant argument en faveur des revendications des femmes. En 1836, une Gazette des femmes fut fondée, dont la directrice, Mme Poutret de Mauchamps, revendiqua le suffrage politique des femmes. Elle soutint que le mot de « Français » employé dans la Constitution impliquait les Françaises. Appuyées par les hommes politiques et les penseurs de l’époque, Chateaubriand, Jules Janin, Laboulaye, etc., les femmes françaises adressèrent une pétition à Louis-Philippe, dans laquelle elles demandèrent le suffrage politique.

La Condition civile et politique des femmes, de Laboulaye, et l’Histoire morale des femmes, de M. Legouvé, éveillèrent d’ailleurs l’intérêt du grand public pour les revendications féministes. Ces travaux déterminèrent en outre, en 1838, de la part des femmes, une demande d’admission aux Universités.

Les Françaises, cependant, n’obtinrent ni le vote politique ni le droit d’étudier aux Universités, elles virent, au contraire, leur cause compromise par certaines extravagances du groupe saint-simonien, qui jetèrent le ridicule également sur les féministes.

En 1848, le féminisme se confondit complètement avec le socialisme. Deux tentatives infructueuses eurent lieu alors pour assurer aux femmes l’électorat politique. La première, faite en 1848 même, eut pour auteur Victor Considérant, le disciple de Fourier ; la seconde, en 1851, fut due à l’initiative du député socialiste Pierre Leroux.

D’ardentes socialistes, Jeanne Deroin, Eugénie Niboyet, Rose Lacombe, Flore Tristan, fondèrent à cette époque des sociétés et des journaux féministes, intitulés : la Politique des femmes, l’Opinion, la Voix des femmes, etc.

Sociétés et journaux partagèrent le sort éphémère de la deuxième République : le coup d’État de 1851 arrêta à la fois le mouvement socialiste et le mouvement féministe. Plusieurs des femmes dont nous venons de citer les noms furent même exilées.

Bien que sous le second Empire les femmes aient eu une large place, les écrivains de l’époque n’admettaient guère l’égalité des sexes. Proudhon, dans son livre sur La Justice dans l’Église et dans la Révolution, de 1858, déclara que les chiffres 2 et 3 représentent la valeur respective de la femme et de l’homme.

Cette arrogance ne passa pas inaperçue : Proudhon reçut des réponses de la part de Jenny d’Héricourt, dans la Femme affranchie, de Juliette Lambert (Mme Adam), dans les Idées antiproudhoniennes. Et comme Proudhon avait dû partager le prix d’économie politique de l’Université de Lausanne avec une femme, Mme Clémence Royer, il était certainement mal placé pour affirmer l’infériorité du cerveau féminin.

Mais la féministe par excellence du second Empire est Maria Deraismes. Ses idées sont aujourd’hui représentées par sa sœur, Mme Féresse-Deraismes ; son nom a été donné récemment à l’une des rues du XVIIIe arrondissement, et ses nombreux amis lui ont élevé une statue à Pontoise, sa résidence d’été.

Maria Deraismes voyait son temps sous un triste jour. « Notre société », dit-elle, « est si sagement organisée qu’elle laisse toute l’action et l’influence à la femme de mauvaises mœurs et aucune à la femme de bien. Qu’une femme monte sur des tréteaux, qu’elle démoralise, qu’elle déprave, on lui fera des ovations. Mais qu’une femme monte sur une tribune pour parler morale et vertu, toutes les railleries tournent contre elle. »

Orateur née, Maria Deraismes résolut d’aborder quand même cette tribune qui l’attirait d’une force irrésistible. Elle le fit avec le concours de M. Léon Richer, qui, convaincu qu’un changement radical dans la situation de la femme devenait nécessaire, organisa des réunions dans lesquelles il céda la parole à Maria Deraismes.

La campagne féministe entreprise par Maria Deraismes à partir de 1869 devint d’autant plus nécessaire que la troisième République n’avait, pas plus que ses devancières, admis l’égalité civile et politique des sexes.

Les femmes pourtant ne se lassaient pas d’indiquer la voie au législateur. Ainsi une pétition adressée, dès 1871, à l’Assemblée nationale, demanda l’abrogation de 30 articles du Code. L’auteur de la pétition, Mme Amélie Bosquet, n’obtint pas gain de cause. Mais en 1874, lors de la discussion de la nouvelle loi électorale, M. Baudot, député de la droite, proposa de reconnaître, du moins indirectement, l’importance du rôle social de la femme, en attribuant deux votes à l’homme marié.

En attendant, de nombreux travaux sur le rôle surtout économique de la femme, attiraient l’attention des législateurs, des philanthropes et du grand public sur la question féministe, qui devenait un des problèmes de l’époque. Citons parmi ces livres, l’Ouvrière, de Jules Simon ; La femme pauvre au xixe siècle par Julie Daubié ; La Mère, par Eugène Pelletan ; Le travail des femmes au xixe siècle, par Leroy-Beaulieu ; les écrits de Michelet, de Deschanel, etc. ; enfin, la lettre de Victor Hugo à M. Léon Richer, dans laquelle le célèbre écrivain s’exprimait comme il suit : « L’homme a sa loi, il se l’est faite à lui-même, la femme n’a pas d’autre loi que la loi de l’homme… l’homme fait verser tous les droits de son côté et tous les devoirs du côté de la femme. De là un trouble profond, de là la servitude de la femme… Une réforme est nécessaire. Elle se fera au profit de la civilisation, de la société et de l’humanité. »

Encouragées par les marques de sympathie venant des régions élevées de la pensée nationale, les féministes françaises fondèrent, en 1876, leur première société, sous le nom de Société pour l’amélioration du sort de la femme. Parmi ses fondatrices, nous voyons Maria Deraismes, Mme Griess-Traut, Mlle Hubertine Auclert, etc.

En 1878, les féministes françaises réunirent un premier Congrès, présidé par M. Léon Richer. Le grand public ne s’en occupa guère ; mais il y eut de vives et brillantes discussions qui attirèrent l’intérêt d’Émile de Girardin et d’Alexandre Dumas fils.

Ce dernier était à ce moment plutôt un adversaire du féminisme. Il n’était pas encore arrivé à se rendre compte de ce que la méchanceté, la perfidie, la ruse et le mensonge qu’il reprochait à la femme, n’étaient que ses représailles à l’égard de l’homme et d’une société qui lui avaient refusé ses droits. Émile de Girardin était déjà bien plus gagné au féminisme. Dans un opuscule intitulé : L’Égale de l’homme, le brillant polémiste, en 1880, en réponse à l’Homme-Femme de Dumas, s’exprima en ces termes : « Aussi longtemps que le Code français maintiendra entre l’homme et la femme des inégalités que l’humanité, des inégalités que la nature ne justifient pas, les femmes seront fondées à revendiquer le droit de concourir à la réforme des lois iniques qui les abaissent, de lois enfin qui sont un anachronisme !

« Le jour où la femme sera légalement et législativement l’égale de l’homme, ce jour-là sera un grand jour pour l’humanité, sera un grand jour pour la civilisation.

« Les femmes électeurs et éligibles, ce serait l’avènement d’une politique plus haute, plus profonde et plus large, de moins en moins révolutionnaire, et de plus en plus sociale. »

Remarquons cependant qu’Émile de Girardin, dont la femme était pourtant écrivain comme lui, n’était pas partisan du travail professionnel des femmes. Il considérait « la maternité comme l’axe de la société ». Mais, nous venons de le voir, loin de vouloir enfermer la femme dans le foyer, il partait de son rôle d’épouse et de mère pour revendiquer pour elle le droit de s’occuper directement, activement, de toutes les questions politiques et sociales.

Est-ce le petit livre d’Émile de Girardin qui opéra la conversion de Dumas fils au féminisme ? En tout cas, celui-ci, faisant brusquement volte-face, écrivit : Les femmes qui tuent et les femmes qui votent, et proclama avec sa véhémence ordinaire que la femme était la victime de la société.

« Sacrifiée », dit-il aux hommes, « depuis des siècles à vos combinaisons sociales comme fille, épouse et mère… elle dit : j’en ai assez, et je tue ». « Ces femmes, » ajoute l’auteur, « ne sont pas dans leur droit, mais elles montrent l’homme dans son tort ».

Et Dumas fils aussi demande l’électorat des femmes pour hâter la réforme des injustices sociales. « Établissez », dit-il, « cette loi avec toutes les précautions possibles, mais établissez-la. La France doit au monde civilisé l’exemple de cette grande initiative ».

Ces discussions entre écrivains provoquèrent, en 1882, une pétition à la Chambre, relative à l’électorat politique des femmes et revêtue de 1,000 signatures. La Chambre fut d’avis que la question n’était pas encore mûre en France.

Saisie, en 1885, d’une pétition analogue de Mlle Auclert, la Chambre passa à l’ordre du jour.

Depuis ce temps, les demandes de réformes civiles et politiques n’ont plus disparu du programme des féministes françaises. On les a formulées dans les réunions et congrès féministes de 1889, 1890, 1891, 1892 et 1896.

Les sociétés féministes qui existent aujourd’hui en France se trouvent toutes à Paris. Ce sont : la Société pour l’amélioration du sort de la femme (1880), présidente Mme Féresse-Deraismes.

La Ligue pour le droit des femmes (1882), présidente Mme Pognon.

L’Union universelle des femmes (1890), présidente Mme Chéliga-Loevy.

La Solidarité (1891), présidente Mme Potonié-Pierre[6].

Le Féminisme chrétien (1896), présidente Mlle Maugeret.

Un Comité d’action parlementaire, qui poursuit certaine réformes de droit civil nettement délimitées, s’est constitué en 1896, sous le nom de l’Avant-Courrière. Il demande actuellement le droit, pour la femme mariée, de disposer de son salaire. Ce comité est dirigé par Mme Schmahl, Mlle Sarah Monod et Mme la duchesse d’Uzès.

Un autre groupe, l’Égalité, fondé par Mme Vincent, se consacre à la recherche des documents historiques relatifs aux droits des femmes dans le passé.

En dehors des sociétés et des groupes que nous venons de citer, il existe à Paris beaucoup d’œuvres féminines de charité qui, bien qu’indirectement, concourent de plus en plus à des buts féministes. Les représentantes de ces œuvres féminines se réunissent annuellement à Versailles, sous la présidence de Mlle Monod.

Depuis le mois de décembre 1897, les féministes françaises peuvent se féliciter de posséder un journal quotidien, la Fronde, C’est un journal géré, rédigé et composé exclusivement par des femmes. La fondatrice est Mme Durand de Valfère.

Il n’y a pas, en France, d’union nationale des sociétés féministes, comme nous en avons trouvé aux États-Unis.

Les adhérentes des sociétés féministes de Paris ne sont pas, généralement, bien nombreuses. Aucune d’elles ne compte des milliers de membres, comme la Ligue des femmes libérales ou la Ligue des Primevères, en Angleterre.

Dans le domaine de renseignement, les femmes françaises n’ont plus beaucoup à désirer. À cet égard, la troisième République, pour des raisons toutes politiques, est allée au-devant de leurs demandes.

Depuis 1880, l’enseignement secondaire des jeunes filles est donné dans des écoles de l’État (lycées). Les femmes seules sont admises à l’enseignement et à la direction des lycées.

Pour former des institutrices, on a fondé, dans chaque département, une école normale. Les femmes qui se proposent d’entrer dans l’enseignement secondaire font leurs études à l’école normale de Sèvres.

Celles qui désirent enseigner les langues vivantes dans les lycées, suivent les cours des Universités françaises, où elles sont admises après avoir obtenu le brevet supérieur.

La plupart de ces femmes-professeurs, qu’elles sortent de l’école normale de Sèvres ou qu’elles aient passé leurs examens à l’Université, portent le titre d’agrégées.

Le nombre des femmes employées dans l’enseignement primaire et secondaire de la France est d’environ 85,000. Elles ne comptent pas, en général, parmi les féministes militantes.

Les Universités françaises ont admis les femmes depuis 1868, à la fin du second Empire. Ce fut une Anglaise, Mary Putnam, qui, n’ayant pu obtenir de faire sa médecine à Londres, reçut l’autorisation d’étudier à Paris.

La troisième République a généralisé cette mesure.

Les autorités universitaires admettent également les jeunes filles aux épreuves du baccalauréat. Les lycées de jeunes filles ne préparant pas à cet examen, les candidates doivent faire, à cet effet, les études particulières. Ayant passé le baccalauréat, elles peuvent ensuite obtenir les titres de licenciée, d’agrégée et de docteur. Elles sont admises dans toutes les Facultés, sauf celle de théologie.

Le nombre des Françaises profitant des grands avantages en matière d’enseignement supérieur que leur offre le gouvernement, est dépassé par celui des étrangères qui viennent étudier en France, notamment à Paris. La plupart de ces étrangères sont d’origine russe et polonaise ; elles étudient de préférence la médecine.

On compte à Paris une vingtaine au moins de femmes-médecins, tant Françaises qu’étrangères.

Admises à la Faculté de droit, elles sont encore exclues du barreau : Mlle Jeanne Chauvin a tenté vainement de s’y faire inscrire.

Mais, au mois d’avril de cette année, M. Léon Bourgeois a présenté à la Chambre un projet de loi autorisant les femmes à faire partie du barreau.

571,067 femmes françaises sont occupées dans le commerce ; 1,840,885 dans l’industrie, 1,405,387 dans l’agriculture. Il y a au moins 5 millions de femmes gagnant en France leur vie par le travail professionnel en dehors de la maison.

Toutes, même à travail égal, sont moins payées que l’homme ; elles n’obtiennent que les deux tiers ou la moitié seulement du salaire de celui-ci.

L’ouvrière gagne, en moyenne, 2 francs par jour. Après défalcation de toutes les autres dépenses obligatoires, il lui reste, sur cette somme, 65 centimes pour sa nourriture. Les lingères mêmes n’ont que 1 fr. 25 par jour, et les chômages réduisent leur gain annuel à 300 et 200 francs. Mais, pour qu’une ouvrière puisse subsister, il lui faut, à Paris, 850 francs. Alors, comme dit M. Charles Benoist dans son livre : Les Ouvrières de l’aiguille, « à elle de se rappeler qu’elle est femme ».

Le mouvement syndical, parmi les ouvrières françaises, en est encore à ses débuts.

C’est en France que le féminisme a le plus occupé les écrivains hommes ; il y a trouvé son expression littéraire la plus achevée, sinon la plus vigoureuse. Au lieu d’un petit nombre de grandes associations nationales, il a produit un grand nombre de petites sociétés, limitées à Paris. La plupart des mesures libérales dont les femmes bénéficient actuellement sont dues à l’initiative des pouvoirs publics.

  1. Voir p. 12.
  2. Nous signalons, à ce sujet, les conférences très applaudies de M. Léopold Lacour, à la Bodinière.
  3. Condorcet a fait école parmi ses contemporains : en 1792, Gottlieb Hippel, haut fonctionnaire prussien, ex-maire de Kœnigsberg, publia un ouvrage sur : l’Émancipation civile et politique des femmes, dans lequel il formule la même demande que Condorcet.
  4. Cette disposition a été abolie en décembre 1897.
  5. Aujourd’hui elles le sont à Paris.
  6. Mme Potonié-Pierre vient de mourir, le 12 juin 1898.