Le Faste funéraire et son développent historique/02

La bibliothèque libre.
Le Faste funéraire et son développent historique
Revue des Deux Mondes3e période, tome 20 (p. 557-583).
◄  01
LE FASTE FUNERAIRE
ET
SON DEVELOPPEMENT HISTORIQUE

II.[1]
LES TEMPS MODERNES.


I.

On sait de quelle façon le christianisme traite la tombe : il y plante une croix de bois. Comment donc le faste funéraire subsisterait-il sous l’empire d’une telle religion? Il subsista pourtant, avec éclat presque toujours, trop souvent même avec excès, maintenu d’un côté par les résistances de l’orgueil humain, et de l’autre renouvelé par les ornemens et les emblèmes du nouveau culte. Outre l’influence religieuse, diverse selon les pays et les temps, l’état social et politique se reflétera dans la nature et le degré de développement de ce faste, modifié tour à tour par la prédominance de l’aristocratie, de la monarchie pure, de la richesse. Les arts qui concourent à le former auront aussi leur vie propre, leurs conditions successives. Ce sont autant de circonstances à noter dans les transformations du faste funéraire pendant la période historique qui commence avec le christianisme et se continue, à travers des phases bien diverses, jusqu’à nos jours.

Le christianisme n’a pas produit un brusque changement dans les habitudes qu’il trouvait établies, soit qu’il ait rencontré des résistances trop fortes, soit qu’il ait accepté certains compromis. Le faste dans les obsèques est un des reproches fréquemment adressés aux chrétiens par les Pères de l’église latine et de l’église grecque, au IVe et au Ve siècle. Saint Chrysostome y revient dans plus d’un passage éloquent de ses homélies. Il oppose à ce faste la nudité du Christ dans le tombeau. De nombreux textes d’Origène, d’Eusèbe, de Prudence, font allusion à l’usage persistant de parer les morts avec une somptuosité peu conforme à l’esprit du christianisme. La coutume d’oindre et d’embaumer les corps dans la myrrhe et d’autres préparations odoriférantes se prolonge, peut-être même à l’ombre du dogme de la résurrection. La découverte du cimetière de Calliste à Rome par M. de Rossi est venue confirmer récemment cette persistance du luxe funéraire chez les chrétiens du IIe siècle. Il suffirait, pour en trouver les preuves décisives, de se reporter à l’ample et précise description qui en a été faite ici même[2]. La magnificence des décorations qui couvraient fréquemment les murs de la chambre sépulcrale, la richesse des peintures et des revêtemens de marbre, les débris de sculpture, de chapiteaux, de fûts de colonnes, de pilastres brisés, attestent la part faite au luxe dans ces sépultures, dont plusieurs furent celles de pontifes, et un plus grand nombre celles d’évêques et de martyrs célèbres. Dans cette ornementation, la peinture est chrétienne le plus souvent, tandis que la sculpture reste fidèle aux symboles mythologiques. La raison en est que, pour la peinture, l’artiste chrétien travaillait à des fresques souterraines loin des regards profanes : les ornemens extérieurs de la sculpture ne laissaient pas la même liberté. Une exhibition trop claire des croyances chrétiennes en eût exposé les emblèmes aux violences des païens. On achetait tout faits les ornemens de marbre qui reproduisaient des types de convention, qu’on se bornait à choisir aussi peu païens que possible. Comme élément de richesse, il faut aussi compter dans les tombes chrétiennes les dons des fidèles, les ornemens qu’y déposait la piété. C’est ainsi que les catacombes elles-mêmes se trouvèrent avoir une part notable de luxe funéraire.

Les peuples barbares n’opposèrent pas moins de résistance que la société élégante et riche au rapide changement des habitudes funéraires. Ils étaient pour la plupart loin de justifier ce que Tacite dit des Germains : « Ces pompeux monumens que l’orgueil élève à grands frais leur sembleraient peser sur la cendre des morts. » Lorsque Théodoric vint à mourir, à 200 lieues de son royaume, ses funérailles furent célébrées par l’armée des Visigoths avec une pompe imposante, quoique sauvage. Celles d’Attila, qui succombait à une mort mystérieuse le lendemain de la cérémonie de ses noces, revêtirent surtout un magnifique appareil. On y vit, selon l’antique usage, les débauches de la strava ou repas funèbre se mêler aux pompes guerrières, aux splendeurs des tentures, aux jeux funèbres et aux chants des poètes qui célébraient le puissant roi des Huns. Toutes les fastueuses prodigalités, comme toute la férocité des vieux cultes, se rencontrent dans les détails qui accompagnent la sépulture de ce chef barbare. Le corps superbement vêtu, renfermé dans un triple cercueil, le premier d’or, le second d’argent, le troisième de fer, accompagné de carquois couverts de pierreries, d’armes prises sur l’ennemi et des meubles les plus précieux, fut descendu la nuit dans la terre, pour dérober la trace de sa présence et de tant de richesses enfouies. On ajouta la précaution cruelle de faire mourir tous les ouvriers qui étaient dans le secret. Combien d’autres holocaustes, inspirés par des motifs tout religieux! Que de défenses réitérées, à Carthage par exemple, avant que l’église parvînt à mettre un terme à ces sacrifices sanglans!

Le luxe funéraire intérieur, qui cache ses richesses pour les consacrer aux défunts, ne cessa pas d’enfouir des trésors dans les tombeaux. Cet usage, en provoquant la cupidité, devait causer la destruction d’une masse de richesses d’art et de monumens intéressans pour l’archéologie. On peut à peine s’en faire quelque idée par les vols et les dévastations qui eurent lieu dans un endroit fréquenté et surveillé comme pas un, l’église Saint-Germain-des-Prés, qui servit de sépulture royale depuis Childebert, fils de Clovis, jusqu’à Dagobert, fondateur de l’abbaye de Saint-Denis. L’ouvrage de Montfaucon est là-dessus curieux à consulter. Le célèbre bénédictin assistait aux fouilles dans cette église de Saint-Germain-des-Prés, vers 1729, et il signale en témoin oculaire les spoliations qui furent alors constatées, les vols les plus audacieux de la part de gens de qui on pouvait le moins les attendre. Qui le croirait? un des principaux spoliateurs fut un des moines de la congrégation de Saint-Maur, un des gardiens de ces trésors. Ce malheureux avouait son méfait au moment de mourir. Une autre fois, en 1645, ce sont les ouvriers qui, dans les travaux de reconstruction du chœur, pillent particulièrement les sépultures de Childéric II, de son épouse et du jeune Dagobert. Le vol était resté ignoré, lorsqu’en 1656 de nouveaux travaux furent exécutés sous le chœur; alors on se rendit compte de la gravité des pertes et des dégâts. Les ouvriers accusés, tout en se défendant d’être eux-mêmes les auteurs du vol, reconnurent qu’en ouvrant le cercueil de Childéric, ils avaient vu sur le visage du prince une toile d’or, et sur sa tête un grand passement d’or en forme de diadème; il avait des éperons et une ceinture enrichie d’ornemens en argent. La reine sa femme, parée de ses habits royaux, avait sous la tête, en forme de coussin, un faisceau d’herbes aromatiques. En effet, le cercueil contenait encore quelques parcelles éparses de ces herbes, avec un bâton de coudrier rompu en deux.

On rencontrait une preuve plus éclatante encore de ce luxe funéraire intérieur dans le tombeau attribué à Childéric, père de Clovis, découvert en 1653, près de Tournai. On fut émerveillé de trouver, près du squelette du prince, sa lance, sa hache, son baudrier, son épée et deux bagues, dont l’une portait son nom et présentait son effigie. Il y avait aussi des restes d’hommes et de chevaux qui attestaient des immolations faites sur le tombeau. Les objets précieux abondaient tellement que les ouvriers et le peuple commencèrent par le piller. On put recueillir encore un petit globe de cristal, un vase d’agate, plus de trois cents médailles d’or ou d’argent, toutes antérieures à l’année 480, époque de la mort de Childéric; plus de trois cents petites figures en or, qui représentaient grossièrement une fleur de lis ou des abeilles, des agrafes, des boucles, des filamens ou restes d’habillemens, la plupart garnis en pierres précieuses, enfin beaucoup d’autres objets également en or. Une partie de ces antiquités devait passer à la cour de Vienne, puis être donnée à Louis XIV, pour être ensuite déposée au Louvre dans le cabinet des médailles, et de là au cabinet des antiques de la bibliothèque royale.

En vain tous les pouvoirs s’armèrent-ils pour protéger ce luxe funéraire contre des vols sacrilèges. La loi visigothe condamnait le coupable à la restitution, à une amende, et lorsque ni lui ni sa famille n’étaient en état de restituer, à recevoir cent coups de fouet. Plus sévère encore, la loi franque prononçait contre cette sorte de vol le bannissement, sans qu’il fût permis au coupable, ni à aucun de ses proches ni à sa femme même, de lui donner du pain ou de lui fournir un asile. Cette peine durait jusqu’à ce que sa famille eût conclu un accommodement avec celle du mort. Plus tard un des serviteurs de confiance du défunt fut commis à la garde du sépulcre.

Dans les bas siècles du moyen âge, le luxe funéraire diminue sensiblement. Faut-il, comme on le fait souvent, en accuser la misère des temps? Cette misère n’a pas empêché les églises de s’enrichir de très précieux ouvrages. C’est sous le coup des continuelles invasions des barbares que l’orfèvrerie religieuse a pu accumuler des trésors, tantôt appréciables par le poids considérable du métal, tantôt déjà travaillés avec art. Dès le Ve siècle, ce bel art de l’orfèvrerie a commencé à fleurir avec l’école de Limoges ainsi que dans d’autres villes, Cologne, Nuremberg, Florence, Paris, pour produire, à la fin du VIe siècle, les œuvres les plus remarquables avec saint Éloi. En outre, si le faste funéraire est rare, hâtons-nous de dire qu’il ne manque pas. Ces magnifiques châsses enrichies de pierreries en forment une partie fort importante. On se plaît à répandre comme une splendide auréole autour de la grande nouveauté chrétienne, la sainteté. Les saints les plus humbles et les plus pauvres se trouvent entourés, après leur mort, par une sorte de transfiguration glorieuse, emblème de leur transfiguration céleste, de ce luxe qu’ils dédaignèrent pendant leur vie. Ce même Éloi fit servir son talent à la décoration des tombeaux. Il orna, dit la chronique, « d’un admirable travail d’or et de pierres précieuses » les sépulcres de saint Martin à Tours et de saint Denis dans l’abbaye où ce saint martyr avait été inhumé. — « Il composa aussi des vases et des sculptures magnifiques pour ce monument; il couvrit d’or le devant de l’autel, et posa aux quatre coins des pommes d’or enrichies de pierreries. » Il ornait avec non moins de somptuosité les sépultures de saint Quentin, de saint Piat et d’autres saints dont il avait découvert les corps dans son diocèse, quand lui-même eut abjuré, pour embrasser l’austérité chrétienne, le luxe qui ne devait plus avoir que ses os. Son tombeau, dans l’église du monastère de Saint-Loup, presque tout en or et en argent, allait être en effet couvert, par la piété des princes contemporains, de croix, de vases, de lampes, de candélabres en métal précieux, comme si on voulait honorer, outre sa sainteté, la profession à laquelle il avait dû sa célébrité : faste pieux que Dieu lui-même prit sous sa garde; un larron, ayant réussi à enlever une chaîne d’or et divers objets extérieurs, fut miraculeusement frappé de paralysie à la porte de l’église. Luxe et misère, luxe au dedans des églises, misère au dehors, ce contraste remplit sous toutes les formes les périodes mérovingienne et carolingienne. On voit plus que jamais se multiplier les ornemens servant au culte, vases, crosses, vêtemens sacerdotaux, bas-reliefs placés sur les autels et sur les murs des édifices religieux. On met partout en œuvre les métaux précieux et les pierreries. Aux temps de Gontran et de Dagobert, le marbre ne suffisait plus pour les portraits des hauts personnages, moins encore pour les images des saints. Que sera-ce sous le règne de Charlemagne, qui devait donner un si vif essor à tous les arts religieux! On trouve alors des églises pavées de marbre et de porphyre, quantité de portraits représentant des épisodes entiers de l’histoire religieuse, force dorures et mosaïques, calices d’or et statues de métal consacrées aux saints. Même dans ce triste Xe siècle cette veine n’était pas épuisée. Un évêque d’Auxerre, Guy, reconstruit le portail de sa cathédrale et le couvre de sculptures qui représentent d’un côté le paradis et de l’autre l’enfer. Le même prélat donne un devant d’autel en argent enrichi de figures. Un Amalbert, abbé de Saumur, fait à la même époque exécuter une châsse d’argent ornée de bas-reliefs où l’on renferme le vase qui contenait le corps de saint Florent. Comment donc admettre, après tant de témoignages, que la misère des temps puisse rendre suffisamment compte du peu de développement du faste funéraire ?

Il faut, je crois, en chercher d’autres raisons. Le caractère éminemment religieux du luxe dans cette période, c’est-à-dire jusqu’au Xie siècle, explique lui-même que les scrupules d’humilité et le sentiment public aient pu se montrer peu favorables à ce déploiement du faste, d’autant plus ménager à l’égard des hommes qu’il était plus prodigue envers Dieu. On donnait sans mesure le marbre et l’or aux sépulcres des saints, on gardait pour soi la simple pierre et la nudité, plus convenables à des pécheurs. L’orgueil paraissait d’ailleurs peu séant à l’idée solennelle qu’on se faisait de la mort. Pouvait-on, lorsqu’on croyait la trompette du jugement dernier prête à résonner, songer à s’établir dans une somptueuse demeure funéraire ? Chez ceux que ces raisons touchaient moins, d’autres circonstances faisaient obstacle. C’est un fait que, jusqu’au XIIe siècle, l’inhumation dans les églises fut sans cesse combattue par l’autorité ecclésiastique, comme on le voit par une interdiction du concile de Nantes, en 660. Bien que l’abus n’ait jamais cessé complètement, cette poursuite incessante laissait peu de sécurité à ces sépultures. On obtenait à grand’peine d’être inhumé sous les porches des églises. L’enceinte bénie qui les entourait était elle-même assez limitée. Le désir d’être enterré dans le sanctuaire, pour participer de plus près, croyait-on, aux mystères sacrés, parvenait pourtant assez souvent à franchir l’enceinte. On devait alors ménager l’espace à ces morts privilégiés, sinon l’architecture funéraire eût bientôt tout envahi. Il fallut donc que la pierre restât humble et modeste, même quand les morts ne l’étaient pas : les tombeaux des grands durent se faire petits ; ils se réduisirent à une simple dalle, tout au plus à une tombe plate dépassant à peine le sol. Enfin l’église elle-même renfermait dans son propre sein un courant d’idées et de sentimens contraires au luxe décoratif dans les lieux consacrés au culte. Quelques-uns, dans leur haine contre toute peinture, toute sculpture, toute argenterie, prêchaient la nudité avec un zèle qui semble faire d’eux les précurseurs des protestans iconoclastes du XVIe siècle. Cette thèse excessive fut condamnée par un concile de Francfort dans la personne d’Agobart au temps de Charlemagne ; mais cette sévérité, sans sortir des limites de l’orthodoxie, ne cessa de trouver des adhérons illustres. Tel fut le rigide abbé de Clairvaux, saint Bernard, au XIIe siècle. Il ne fit que se rendre l’écho d’une plainte déjà vieille au sein du catholicisme, lorsqu’il condamnait, avec une grande dureté de termes, ces décorations qu’il jugeait excessives. Il jetait un ironique anathème sur une célèbre abbaye trop richement ornée par les arts : « Tu es trop belle, Hautecombe, ma mignonne! tu ne pourras pas subsister!»

Dans les siècles qui précédèrent, le système généralement établi des tombes plates ne devait pas pourtant exclure tout luxe funéraire, il s’en faut, et l’art décoratif dépassait bientôt le simple dessin linéaire représentant l’effigie du défunt. Sans doute, la figure en pierres de couleurs du tombeau dit de Frédégonde n’est qu’une exception, mais destinée à devenir de moins en moins rare. Lorsque les tombes plates, exhaussées elles-mêmes, permirent de mesurer d’une façon moins avare la place réservée à la sépulture, le moment vint où les effigies furent plus fréquemment exécutées en bronze coulé ou repoussé. Elles posèrent sur de petites colonnes, parfois sur des lions. La tombe plate finit ainsi par comporter une sorte de luxe quelquefois imposant. On le peut voir dans le chœur de l’abbaye de Saint-Denis par le tombeau de Charles le Chauve représenté en demi-relief, la tête sur un coussin, les pieds sur un lion, la main droite tenant le sceptre fleurdelisé, la gauche une sphère, vêtu de trois robes et portant la couronne fleuronnée. Les deux petits anges tenant la tête, les encensoirs, les quatre statuettes d’évêques, les lions de bronze, le fond de la plaque émaillé en bleu, avec fleur de lis et réseau d’or, achèvent de présenter l’image d’un faste funéraire assez avancé. On verra se multiplier les monumens de cuivre doré et émaillé dont l’effet était encore accru plus d’une fois par un superbe éclairage placé sur les côtés. Plus d’un spécimen de ce genre a provoqué pendant les siècles l’admiration dans l’église de Villeneuve, à Nantes, dans les abbayes de Braisne et de Royaumont, dans les cathédrales de Beauvais, de Paris, dans d’autres encore. Combien déjà de statues peintes, couchées sur un lit peu élevé, avec mailles dorées et cottes armoriées! Que sera-ce quand, au sein des églises agrandies, de ces magnifiques cathédrales sorties de terre en même temps que le soupir de délivrance, à partir du XIe siècle, les tombes plates, sans disparaître, feront place à des constructions funéraires plus étendues, où l’architecture et la sculpture trouvent à se déployer également ! Les niches et chapelles, les édicules en forme de dais, ne suffisent plus bientôt. Dès le XIIe siècle, avec Nicolas de Pise, commence à paraître la forme superbe du mausolée. On a une image déjà du grand faste funéraire monarchique de la royauté française dans la sépulture de Philippe Ier inhumé à Saint-Benoît-sur-Loire, couché sur son tombeau, revêtu des insignes royaux, tenant en main un gant de fauconnerie. Les cénotaphes ou tombeaux vides appelleront aussi le développement des arts décoratifs, qui se déploient avec grandeur dans le monument surmonté de la statue de Dagobert, que Suger fit élever à Saint-Denis. Est-ce toutefois le caractère monarchique qui prévaut durant ces siècles dans le faste funéraire? Non, la France entière présente dans toutes ses parties des monumens funéraires d’un aspect imposant. Cette dispersion même suffirait pour convaincre que la puissance qui s’y manifeste est très morcelée. Tout dans ces monumens montre une aristocratie indépendante, dominatrice dans l’intérieur de ses domaines, portant haut la tête et ne la baissant que devant Dieu, — aristocratie orgueilleuse et dévote, oppressive et chevaleresque, guerrière jusqu’à vouloir retrouver dans ses plaisirs l’image des combats, fidèle à elle-même enfin lorsqu’elle plaçait sur ses tombeaux les insignes de tout ce qu’elle avait aimé, ses écussons et ses armoiries, ses armes et ses chasses, comme ses symboles religieux. Cet aspect féodal des tombeaux subsiste jusqu’à la fin du XIVe siècle et souvent même plus tard. Lorsque les vivans ont subi déjà le joug de la royauté, les morts conservent encore parfois leur attitude souveraine, comme ils gardent les hautaines devises du passé. Au reste la féodalité orgueilleuse et l’humble religion se partagent ces sépultures. D’un côté l’homme y apparaît fort et puissant. Nulle aristocratie guerrière n’avait eu un air comparable à celui-là dans la mort. Rien dans le faste funéraire des anciens n’annonce, ne peut seulement faire pressentir ces preux chevaliers, couchés tout armés, ou qui se dressent sur leur tombeau. Ce titre qu’ils se donnent de hauts et puissans seigneurs, qui songerait à le leur disputer? Morts, ils semblent encore commander. Non contens de commander aux hommes, parfois ils commandent aux anges eux-mêmes. Dans ces représentations plus d’une fois fastueuses par l’inspiration, alors même que l’exécution reste simple, ce sont en effet des anges qui portent le casque ou l’écusson du noble défunt, qui tiennent à la main la queue de son manteau, qui ouvrent devant lui son livre de prières. Tous, dans le lieu saint, s’agenouillent devant ces êtres surhumains. Le fier seigneur croirait naïvement déroger en ne mettant pas à ses ordres même ces serviteurs de Dieu, le seul maître qu’il reconnaisse au ciel comme sur la terre. Et pourtant dans ces sépultures féodales l’orgueil nobiliaire n’étouffe pas le sentiment chrétien. En dépit de ces pompeux insignes, tout montre le plus souvent que l’homme lui-même appartient à d’autres pensées : une piété muette et recueillie est comme posée sur les traits d’un calme infini; les yeux sont clos par un demi-sommeil qui semble hanté par une vision céleste, les mains jointes ne se lèveront plus pour faire le geste du commandement. Abaissez vos regards de ces scènes qui décorent les tombeaux de ces seigneurs sur les inscriptions qui semblent donner une voix au mort lui-même : elles s’humilient, elles s’accusent, elles invoquent une prière du dernier passant. Ces souvenirs brillans de ce qui n’est plus semblent eux-mêmes rendre témoignage du néant. Tout s’efface à l’idée de cette croix qui les surmonte et de cette poussière qui est sous vos pieds.

C’est à tort qu’on croit que le moyen âge s’est plu à donner à la mort sur les tombeaux un aspect lugubre. Les hideuses images qu’il en a créées en effet et si souvent placées ailleurs, le goût qu’il manifeste en plus d’un cas pour le laid, ont pu faire supposer qu’il avait fait aussi des sépulcres une sorte de théâtre pour ces funèbres exhibitions. Rien n’est moins fondé. Le moyen âge en général épargne à la tombe ces scènes affreuses et grotesques de la mort et de l’enfer. Il aime à l’entourer des images gracieuses de la vie; il répand dans l’ornementation des feuillages et des fleurs en quantité, il fait plus : il ensevelit les trépassés au milieu de vraies feuilles et de vraies fleurs, au milieu des roses, dont on retrouve encore les épines; ce feuillage éternellement vert était, dit-on, un symbole de renaissance et d’immortalité. C’est aussi la vie qui domine dans ces chasses, dans ces représentations du défunt qui le montrent en pleine possession de l’existence, dans l’aspect de ces abbés et de ces abbesses avec leurs crosses, de ces évêques avec leurs chasubles d’un bleu verdâtre, leurs mitres blanches traversées d’un bandeau rouge, de ces religieux vêtus de diverses couleurs qui se détachent parfois sur un fond noir, enfin dans les ornemens plus extérieurs des sépulcres. Ici la poésie pourrait servir à commenter la sculpture; elle a su parfois donner à la description de la tombe une sorte de charme pénétrant. C’est ainsi qu’elle semble se complaire à nous peindre le sépulcre où l’on a déposé le corps charmant de Blancheflor et où elle retrouve l’image de son fiancé. « Sépulcre bien moulé d’or et d’argent, nous dit l’aimable trouvère. Il n’y a sous le ciel bête ni oiseau, serpent ou poisson ne de la mer qui n’y soit placé. La tombe est établie devant un moutier, sous un arbre, et recouverte d’une pierre que firent les orfèvres de Frise de moult fin marbre inde, jaune, noir, vermeil, reluisant au soleil. Deux enfans y sont figurés, l’un ressemblant à Floire, l’autre à Blancheflor. La belle tient devant son ami une rose d’or fin, et Floire porte une fleur de lis. Sur la tête de Floire brille une escarboucle ardente qu’on aurait vue d’une lieue dans une nuit obscure. Quatre tuyaux pratiqués dans la tombe amènent l’air des quatre vents, de manière que, s’il vient à toucher ces jeunes gens, l’un baise l’autre et l’accole. Ils se disent par nécromancie leurs bons souvenirs d’enfance. Floire dit à Blancheflor : « Baisez-moi, belle, par amour, » et Blancheflor, en le baisant, lui répond : « Je vous aime plus que rien vivant. » Oncques ne fut tombe si belle, bordée qu’elle était de riches listes et environnée de bons émaux, de pierres douées de beaucoup de vertus, opérant de grandes merveilles : saphir, calcédoine, corail, crysolithe, diamant, améthyste, et toute la tombe était niellée d’or arabe, avec lettres disant :

Ci gist la belle Blancheflor,
Que Floire aima par amoar[3]. »

Certes il y a peu de tombes comme cette sépulture parée, luxueuse avec coquetterie, qui semble presque sourire, avec ses jolies pierres précieuses et ses images d’une volupté ingénue ; mais la fiction même, dans son exagération naïve, donne tort à ceux qui croient que le moyen âge n’a su prêter à la mort que des traits tristes et affreux ; la vérité est qu’il l’a fait rarement sur les tombeaux, et que c’est l’aspect doux et consolant qui de beaucoup y domine.

Ah ! le christianisme a mêlé sous d’autres formes assez de terreurs à la mort. Lui aussi il a paru, comme la religion de l’antique Égypte, croire le mort vivant sous son linceul, et il y porte les épouvantes d’une autre vie. Dans ces offices d’un pathétique effrayant, le mort parle dans sa bière : il parle de ses péchés, delicta juventutis. Il ne crie pas, comme dans le Rituel funéraire égyptien : Je suis pur, je suis pur ! Non, non, il s’afflige, il s’humilie, il gémit sur ses jours passés, sur ses espérances évanouies, il fait appel au sépulcre qu’il nomme « mon père. » De même c’est à lui que s’adressent personnellement et le prêtre et le chœur qui répond, pour lui parler d’immortalité et de résurrection. Au lever du corps, ce mort sensible jette à Dieu une supplication suprême : Je crie vers vous du fond de l’abîme ! Quel drame que celui-là qui se joue comme sur la frontière de deux mondes, au milieu de l’appareil funèbre des obsèques ! L’espérance et l’effroi ont chacun leur tour, de même que semblent lutter la noire horreur des tentures funéraires et l’éclat brillant des flambeaux ; mais l’impression qui domine consterne l’âme. Quelle pensée plus douce ne serait comme écrasée par le terrifiant Dies iræ ?

Les cimetières publics restent relégués presque tous, sous le rapport des ornemens, à un rang tout à fait secondaire dans cette période qui s’étend du IVe au XIIe siècle. Les traces de luxe funéraire qu’on pourrait relever çà et là dans les cimetières mérovingiens n’ont pas assez d’importance pour qu’on s’y arrête. On trouverait à peine dans le midi quelques exceptions. Tels sont, à Arles, ces Champs-Elysées, asile du luxe funéraire jusqu’en plein XVIe siècle et même au-delà. On peut à peine juger par quelques débris de ce qu’était la noble structure des monumens que présentait en abondance ce champ funèbre dont l’aristocratie méridionale avait fait au loin sa sépulture de prédilection : vrai musée de tombeaux chrétiens qui succédait à un autre musée de tombes païennes, et que les générations entretenaient avec une émulation de richesse et de goût. Je cherche d’autres monumens originaux de ce faste funéraire de la première moitié du moyen âge. Il en est un que l’on ne peut laisser passer à la limite extrême de cette période. Arrêtons-nous un instant devant le célèbre Campo-Santo de Pise, type plus d’une fois imité, véritablement à part, qui n’est ni une vaste église servant comme accidentellement de sépulture, ni un cimetière en pleine campagne ; sorte de cloître sépulcral, fermé à l’intérieur, et qui présente au dedans une série de galeries ouvertes. L’austère et pieux génie du XIIIe siècle est empreint dans cette nécropole élevée de 1218 à 1283. Une simplicité grave et majestueuse, une ornementation sévère qui élève le luxe jusqu’à l’art, ont fait du Campo-Santo un des lieux funéraires qui, depuis l’antique Égypte, ont produit sur l’imagination des hommes l’impression la plus forte et la plus conforme à l’idée mystérieuse et solennelle de la mort. La foule des morts n’a pas à se plaindre d’être écrasée par l’orgueil solitaire de quelques tombes. La légitime fierté des grandes races, le souvenir des grands noms et des grands services respirent dans une quantité de monumens, de bustes, d’inscriptions, de statues. Voilà bien le tombeau qu’une ville libre devait offrir à ses citoyens illustres. L’âme de la vieille cité républicaine de Pise semble encore remplir ce lieu funèbre. Quelques cyprès qu’agite la brise, l’herbe qui croît dans la cour, çà et là des fleurs grimpantes qui enlacent les colonnes, mêlent comme un parfum de nature à ce monde de la pierre, grave et noble, mais qui ne saurait éviter un peu de sécheresse. Les siècles qui ont suivi le XIIIe ont enrichi le Campo-Santo d’éclatantes peintures décoratives. Sont-elles en complète harmonie avec le goût élevé et pur de cette nécropole? Parmi ces peintures figure au premier rang l’œuvre d’Orcagna. C’est d’abord le fameux Triomphe de la mort. On a souvent salué cet ouvrage du nom de chef-d’œuvre. Cette composition n’en présente pas moins une exception regrettable à la manière calme et reposée dont le moyen âge avait presque toujours jusque-là représenté la mort dans les lieux funèbres. Ah! l’on sent que le XIIIe siècle s’éloigne, et avec lui la noble et pure inspiration d’un pieux mysticisme. En vain l’artiste a-t-il fait jaillir une grande leçon morale d’une antithèse pleine d’énergie. En vain est-ce à de brillans cavaliers, à de belles châtelaines richement parées, à tout un monde joyeux qui déploie un appareil de fête, qu’apparaissent au fond d’une tombe ouverte trois hideux cadavres, l’un gonflé, l’autre rempli de vers, le dernier presqu’à l’état de squelette. Le degré d’horreur physique que l’art comporte, du moins l’art religieux, est évidemment dépassé. Si digne d’éloges que puisse être cette page de la peinture italienne à ses débuts, ni le véritable esprit religieux ni le beau, pour peu qu’il ait souci d’un certain idéal, ne sauraient avouer cette œuvre d’une inspiration fortement, mais grossièrement matérielle. Ne faut- il pas apprécier de même l’autre grande composition qui semble faire pendant à celle-là, le Jugement dernier du même peintre? Ce sont, rendues avec une égale énergie, les mêmes figures atroces, les mêmes contorsions hideuses de diables et de damnés. Que dire enfin d’œuvres, remarquables aussi, quoique à un degré inférieur, d’autres artistes qui trouvent moyen d’enlaidir encore ces démons et de rendre ces réprouvés plus affreux? Non, ce n’est pas cette peinture qui convenait au Campo-Santo! Un génie tout différent, eût-il été moins coloriste, un artiste moins théâtral et plus pénétré du sentiment chrétien, aurait été ici mieux à sa place, et ce qu’il aurait fallu pour ce lieu grand et sévère, c’eût été un Eustache Lesueur bien plutôt qu’un André Orcagna.


II.

Le XIVe siècle mit au service du faste funéraire tous ses élémens de richesse et d’industrie, et ses arts de plus en plus sécularisés. Il agrandit les proportions des tombeaux, il en accrut les décorations et les splendeurs. C’est un mélange frappant, curieux, d’inspiration encore chrétienne et de pensées plus profanes, qui recevront des siècles suivans leurs derniers développemens. La magnificence ne fait pas tort ici à la vraie grandeur. L’usage du marbre est de plus en plus fréquent. On obtient des combinaisons de couleur d’un effet puissant par le mélange du marbre noir et du marbre blanc. Le tombeau se peuple et s’anime à ce qu’il semble. Les figures, les groupes s’y multiplient; des scènes entières y sont représentées. La famille du défunt, ses pompeuses obsèques, les processions des confréries et des pleureuses prennent place sur ces vastes monumens. Souvent un dais est dressé sur le lit funéraire, surélevé et superbe : deux anges, ailes déployées, tiennent un voile étendu sur lequel une petite figure représente l’âme du défunt, qu’ils sont censés porter au ciel ; d’autres fois ce sont des anges thuriféraire qui soutiennent le coussin sur lequel repose la tête du mort. Rien ne manque, ni les apparitions des saints patrons, ni les légendes pieuses, ni les scènes empruntées à l’ancien et au Nouveau-Testament; mais, nous y insistons, si la part du ciel dans ces représentations reste grande, et paraît, par la multiplicité des figures, s’être même agrandie, celle qui est faite à l’homme s’est accrue plus encore; il prend, avec les tombeaux du XIVe siècle, un relief saisissant.

L’embarras serait ici dans le choix entre beaucoup d’exemples. On est frappé de la composition savante, de l’imposante étendue, du nombre des statues qui figurent sur presque tous les tombeaux des papes d’Avignon. Celui d’Innocent VI présentait seize belles statues de marbre, sans compter celle du pontife ; celui d’Urbain V, construit aussi en forme de chapelle, montrait plus de trente figures, les unes en ronde bosse, les autres en bas-relief : le visage du pontife était en argent. Paris n’était pas au-dessous de ces splendeurs. La seule église des Chartreux voyait s’élever dans son enceinte, en moins d’un siècle, dix-sept tombeaux qui semblaient presque tous rivaliser entre eux de magnificence. Parmi les plus superbes sépultures de ce temps-là se placent celles des deux fous du roi Charles V, peu fidèle peut-être à son surnom le jour où il se permit cette fantaisie. Les mausolées de ces deux bouffons, morts à peu de distance l’un de l’autre, devinrent des types par leur beauté. On est allé jusqu’à soutenir que les plus magnifiques sépultures royales du XVe siècle n’en furent que des imitations. Le premier de ces tombeaux, celui de Thévenin de Saint-Légier, fut érigé dans l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois ; le second à Senlis, dans l’église de Saint-Maurice. Sauval, qui a vu celui-ci au milieu du XVIIe siècle, en a laissé une description. Les belles tombes royales se multiplient. On cite celle de Charles V lui-même, le monument de la reine Blanche, veuve de Philippe de Valois, et de la princesse Jeanne, leur fille, autour duquel étaient placées vingt-quatre statues en albâtre. Partout se dressent les sépultures imposantes de princes, de grands, de hauts fonctionnaires du tiers-état. On trouve déjà même des monumens funéraires élevés à des hommes de la classe moyenne. Tels sont ceux de Nicolas Flamel, libraire, et de sa femme, de Simon de Dammartin, valet de chambre du roi, et de sa femme, de Nicolas Boulard, écuyer de la cuisine du roi, et de sa femme Jeanne Dupuis : toutes ces tombes sont avec statues. La haute magistrature prend surtout alors dans le luxe funéraire une place proportionnée à son importance croissante. L’expression de luxe funéraire se justifie à la lettre par une masse d’ornemens surajoutés aux tombeaux. Les meubles, les bijoux de tout genre en or ou en argent, enrichis d’images ciselées, images niellées, les aiguières, les coupes, etc., y figurent à côté des anges, qui tiennent des flambeaux ou des encensoirs.

Avec le XVe et le XVIe siècle, malgré les rapports qu’ils gardent avec le moyen âge, s’ouvre l’ère moderne du faste funéraire. N’est-il pas caractéristique qu’au XVe siècle la série des grands tombeaux de la royauté soit marquée par les sépultures des ducs de Bourgogne, comme par un trait d’union entre les tombes féodales et les imposans monumens du faste monarchique ? Le tombeau de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, ouvre cette galerie funéraire, qui aboutit aux magnificences des sépultures royales et pontificales du XVIe siècle. Ô passion du faste dans la noble maison de Bourgogne ! Le voilà bien, ce prince aimable et brave, spirituel, prodigue, couvert de dettes ; c’est lui qui s’est commandé ce tombeau. On se le figure avec sa bonhomie imprévoyante, tout au sortir d’une fête et à la veille d’une autre réjouissance qu’il prépare, s’assurant de la beauté des marbres qu’il fait tout exprès acheter à Paris. C’est lui qui fait les comptes de la main d’œuvre, et qui conclut un traité pour l’exécution du monument avec Claux de Verne, son valet de chambre et son tailleur d’images. Il laissait au fameux Jean sans Peur, son fils, le soin de ratifier le traité et bien entendu de payer les dettes. Cette sépulture se place, par les représentations mêmes qu’elle reproduit, sur la limite de deux époques. Jetez un coup d’œil sur l’ensemble et sur les détails d’une délicatesse achevée[4]. Le moyen âge apparaît dans les sculptures qui, sur les quatre côtés du monument, représentent un cloître, avec ses galeries découpées à jour dans l’albâtre, avec ses arcades et ses colonnes. Le long défilé de ces figurines de moines encapuchonnés complète l’évocation. C’est bien là l’expression diversifiée et uniforme de ce monde cloîtré. On lit sur ces physionomies tour à tour la sainteté. recueillie, la bonhomie placide et sereine, l’ascétisme sec et dur; sur d’autres visages, moins prédestinés à refléter les vertus du cloître, percent des penchans plus sensuels, des pensées plus positives. On se demande si ce sont là autant de portraits d’individus réels ou des types de la vie monacale au moyen âge. Voici maintenant la puissance civile. La statue du prince, en marbre blanc et drapée, couchée sur un sarcophage noir, est revêtue de tous les insignes de son rang. Ses pieds s’appuient sur le dos d’un lion. Remarquez le nombre, considérable aussi, de statuettes représentant les divers personnages de la maison des ducs de Bourgogne. Enfin l’élévation même du tombeau sur un socle et une base en marbre noir fixe la pensée sur une image de grandeur qui se détache avec relief au milieu de cet entourage ecclésiastique. L’effet est le même devant le tombeau de Jean sans Peur, exécuté sur le même modèle, mais plus imposant et plus orné encore. On a sous les yeux, dans cette trop fidèle image qui montre le caractère brutal de l’homme, l’énergie d’un pouvoir qui sent sa force[5].

La présence fréquente des statues de femmes, même encore vivantes, sur les tombeaux de leurs époux, atteste alors l’importance croissante de la femme dans la société. Marguerite de Bourgogne défunte porte la couronne ducale à côté de son époux Jean sans Peur, et quatre anges soutiennent ses armoiries. Sur la tombe de Pierre de Navarre, comte d’Alençon, inhumé en 1418 dans l’église des Chartreux, on peut voir la statue de Catherine d’Alençon, sa veuve, qui prenait elle-même place dans le sépulcre en 1462. Isabeau de Bavière attendit avec une patience qu’on s’imagine sans peine de sa part plus de onze ans avant d’aller rejoindre Charles VI. Quelle épigramme en plus d’un cas que ces statues destinées à servir de symbole à l’inviolable fidélité, à l’union indissoluble ! idée touchante en elle-même quand l’histoire ne s’est pas chargée d’y apporter de trop cruels démentis. On n’a nulle raison de ne pas se laisser aller à cette impression plus confiante devant le monument de Juvénal des Ursins, surmonté aussi par la statue de sa veuve, la dame Michèle de Vitry, bien qu’on sache par les dates de la mort des deux conjoints que la dame ait fait attendre son mari encore vingt-cinq ans.

Ce siècle de mœurs légères et de royauté qui, de toute façon s’émancipant, en prend à son aise avec la morale et les convenances trouve encore son expression dans certains tombeaux qui eussent paru scandaleux à d’autres époques. Tel est le monument élevé à Agnès Sorel. On le voit aujourd’hui, à Loches, dans la tour du château, dite la Tour d’Agnès. Là du moins la belle maîtresse de Charles VII semble dans son cadre naturel. Ces lieux furent témoins de ses éblouissantes splendeurs et de ses dispendieuses folies. Autrefois ce monument figurait avec pompe dans le chœur de l’église de Notre-Dame de Loches. En lisant l’inscription qui célèbre ses vertus charitables, on eût pu se tromper aisément sur la qualité de la défunte. Même en ce lieu plus profane où elle est aujourd’hui placée, en présence de cette tombe élégante, on a quelque peine à s’habituer à la vue de ces deux anges qui tiennent l’oreiller où s’appuie la tête de la belle des belles, et de ces deux agneaux qui supportent ses pieds. Il n’y a pas lieu d’invoquer l’indulgence due aux Madeleines repentantes, et il faut avouer que la poésie qui longtemps prit sous sa protection la brillante favorite semble aujourd’hui un peu passée de mode. On ne répète qu’avec une demi-confiance la légende d’une Agnès ayant un réveil de patriotisme et de courage et secouant la torpeur de son royal amant, ainsi que les héroïques appels que lui prête le poète Baïf :

Doncques, sire, armez-vous, armez vos gens de guerre,
Délivrez vos sujets, chassez de votre terre
Votre vieil ennemi……….
Si l’honneur ne vous peut de l’amour divertir,
Vous puisse au moins l’amour de l’honneur avertir.

Y eut-il un tel éclair de générosité dans l’âme de la séduisante maîtresse du roi Charles VII ? Son vif esprit, sa naissance que ses biographes rattachent à une noble famille, son éducation distinguée, ne rendent peut-être pas ce mouvement invraisemblable ; mais, quoi qu’on fasse, ce qui domine, lorsqu’on évoque cette ombre légère, c’est l’image de l’amour du plaisir le plus effréné, de la coquetterie et du luxe poussés aux dernières limites chez celle qui se donnait à elle-même le nom de dame de beauté, c’est le souvenir des grands biens qu’elle reçut, c’est enfin le nombre de ses enfans, et peut-être, — car on n’ose rien affirmer, — celui de ses galanteries. Alain Chartier n’en doute pas, croyant, il est vrai, par là mettre à l’abri de toute attaque l’amour tout platonique du roi : car le vieil écrivain a beau savoir que Charles VII ne la quittait pas, et qu’il la combla publiquement de ses bienfaits, il explique le plus sérieusement du monde comment les personnes qui fréquentaient la cour pendant le règne d’Agnès lui ont affirmé par serment « que oncques ne la virent toucher par le roy au-dessous du menton ! » — Étrange et licencieux XVe siècle ! N’est-ce pas un trait qui suffit à le peindre que ce soit la vue d’un tombeau qui puisse entraîner l’imagination vers des pensées si profanes !

La puissance financière, qui s’inaugure avec éclat, reçoit, elle aussi, un hommage dans un des plus imposans mausolées de ce temps, consacré à la femme de Jacques Cœur, alors disgracié. La puissance ministérielle recevait le même honneur dans la personne d’Enguerrand de Marigny par une sorte de réhabilitation posthume. Rien n’est plus curieux que la manière dont le sculpteur élude la défense de faire allusion au procès dans l’inscription. Ce mausolée, construit en forme de chapelle, était un véritable édifice. La statue d’Enguerrand reposait sur le sarcophage. Au-dessus de l’attique étaient élevées cinq figures en ronde bosse, grandes comme nature : celle du milieu représentait l’Éternel assis, vêtu d’une toge ; à sa droite, on voyait Enguerrand à genoux, implorant son jugement, et derrière lui un ange qui tenait d’une main une couronne de cordes et de l’autre une trompette. À la gauche de l’Éternel était Charles de Valois à genoux attendant aussi son jugement : derrière ce prince, un ange qui tenait une toise pour mesurer ses torts. Millin, qui décrit ce tombeau dans ses Antiquités nationales, explique le sens de cette transparente allégorie. Pouvait-on plus clairement faire entendre que l’accusé supplicié était absous par le jugement de Dieu, et que l’accusateur était au contraire condamné ? Ainsi le marbre osait donner des leçons. Le faste funéraire faisait acte d’opposition ou du moins d’indépendance historique. N’est-ce donc pas là aussi un signe des temps nouveaux ?

Tandis qu’à Aix, à Marseille, à Nancy, à Tours, s’élèvent des monumens princiers, — parmi lesquels les tombes de la famille de René d’Anjou se distinguent par leurs sculptures, leurs images en relief, leurs moulures en feuillage, leurs colonnes de marbre et de porphyre, — la somptuosité toute monarchique des tombes des rois de France dépassait avec la tombe de Charles VIII tout ce que le faste royal avait jusqu’alors offert de considérable. La majesté suprême respire dans la statue du prince en bronze doré, grande comme nature, vêtue du manteau royal, entourée de quatre anges qui portent divers écussons. Sur les quatre faces du sarcophage en marbre noir sont placées douze figures de femmes, aussi en bronze doré. La monarchie française a désormais des tombeaux en rapport avec le grand rôle que la marche historique des faits lui assigne et qu’elle doit garder encore pendant trois cents ans.


III.

Le souffle de la renaissance devait passer sur l’art funéraire comme sur tous les autres arts. Nul éloge ne semble excessif devant les monumens pleins de majesté et de grandeur qui vont naître ; mais on y sentira l’influence de cette mythologie qui semble faire concurrence au christianisme. Une dévotion trop matérielle altère le goût par la recherche des représentations physiques, si chères aux penchans idolâtriques des races méridionales. Le genre théâtral n’était qu’un germe, il va se développer sans qu’on puisse désormais assigner une limite à laquelle il s’arrête. Les têtes de mort, les squelettes, plus tard l’imitation des cadavres en dissolution, satisferont ce goût nouveau et malsain. Le diable et l’enfer, qui figurent la peur, tiendront plus de place souvent que les emblèmes qui expriment l’amour de Dieu. Voilà bien ce temps qui offre un type à la fois de dévotion et de débauche dans cet Henri III qui lui-même aimait ces représentations de la mort hideuse et avait l’idée d’en orner jusqu’à ses reliures ! Aussi bien ce goût maladif est partout. On recherche les momies avec une sorte de passion. Le célèbre médecin Ambroise Paré rapporte qu’il s’en établit en Égypte même une fabrication frauduleuse. Les cadavres des pauvres et des criminels en offraient la matière à d’habiles préparateurs. À cette manie luxueuse se joignit l’idée de se servir de ces momies comme de drogues. François Ier en portait toujours sur lui un petit paquet pulvérisé avec de la rhubarbe. Il se forma même en France une fabrication clandestine dont Ambroise Paré divulgue la recette. Par une de ces mystifications dont les érudits n’ont été à l’abri à aucune époque, de très savans hommes allèrent jusqu’à tirer argument de ces momies indigènes contre l’exactitude des historiens grecs qui n’indiquaient pas la même composition, et le grand Scaliger, se posant en conciliateur, fit de ces momies une classe à part sous le nom de « momies à la poix. » On montrait à Anvers, moyennant argent, la momie d’un ancien roi d’Egypte avec sceptre et couronne. Le surintendant Fouquet, soit qu’il y ait été attrapé lui-même, soit qu’il cédât à la mode, devait aussi placer dans sa maison de Saint-Mandé deux momies avec leurs boîtes, qu’on lui avait vendues comme étant celles de Chéops et de Chéphrem. On montrait jusque dans une sacristie une reine égyptienne portant des bracelets ainsi que d’autres ornemens, à laquelle on avait pris soin de façonner un nez avec du bitume.

Le XVIe siècle a laissé d’incomparables monumens funéraires qui ne sont pas pourtant à l’abri de ce genre de critique. On loue avec raison le mausolée de Louis XII et de la reine Anne, construction vraiment monumentale. L’auteur pourtant, — Paul Ponce ou bien plus probablement Jean Juste, — n’a pas évité cette sorte de réalisme que marquent la gorge affaissée de la reine, la bouche ouverte du roi, ses traits décomposés, le ventre recousu de l’un et de l’autre après l’opération de l’embaumement. Une beauté plus pure reluit dans le mausolée de François Ier, qui répondait bien au faste de la monarchie des Valois. Si, dans l’intérieur du monument, les corps du roi et de la reine sont représentés nus, la nudité et la mort ont ici un auguste caractère, et on admire la belle expression du visage. Que dire aussi du mausolée d’Henri II, dont les dessins ont pu être attribués à Philibert de Lorme et l’exécution à Germain Pilon, qui frappe par l’heureux mélange du marbre et du bronze, la précision dans les contours, la naïveté dans les mouvemens, le facile et large développement dans les draperies, enfin par la noble expression de ces figures, conservant encore comme un reste de vie ; et du mausolée de François II, belle imitation de l’antique, avec ses colonnes, dont l’une, chargée de flammes, est surmontée d’un vase de bronze dans lequel était le cœur du roi? N’est-ce pas un monument presque royal que celui du connétable Anne de Montmorency ? C’est l’amour conjugal le plus exalté qui inspirait à Madeleine de Savoie de le commander à l’architecte-sculpteur Jean Bullant. En admirant ce monument d’architecture, couvert d’un demi-cintre et orné de colonnes torses décorées de feuilles de vigne et de lauriers, il faut reconnaître que l’esprit de gloire mondaine y a plus de part que la religion. La statue du connétable reproduit ses distinctions militaires : il porte une armure complète avec les cordons de ses ordres; la connétable est, elle aussi, vêtue du costume qui annonce son rang. En fait de somptuosité, que ne doit-on pas attendre des contemporains du Rosso, du Primatice, de Benvenuto Cellini? Nous indiquons seulement les grandes œuvres italiennes. Il est éternellement regrettable que Michel-Ange n’ait pas terminé le monument de Jules II, qui eût été, par sa vaste étendue et ses innombrables accessoires, le monument funéraire par excellence de la papauté temporelle. Du moins ce génie sublime, ami du colossal, a-t-il élevé la coupole de la sacristie de Saint-Laurent, qui devint la chapelle sépulcrale de Laurent et de Julien de Médicis.

Moins original, d’une allure moins libre et moins vive, l’art du XVIIe siècle devait porter dans la construction des tombeaux ses qualités de correction et de pompe, souvent d’énergie et de grandeur. Il aime aussi les vastes compositions funéraires et présente quelques-uns des défauts du XVIe siècle en les exagérant, comme on le voit par le Bernin, à qui revient l’assez triste honneur d’avoir le premier, dans le tombeau d’Alexandre VII, fait figurer la mort sous la forme d’un hideux squelette ailé qui tient un sablier et s’élance des profondeurs du tombeau, pour menacer celui qui la contemple vivant et sera bientôt sa victime. C’est par la recherche outrée des mêmes effets dans les tombeaux d’Urbain VIII et d’autres personnages considérables que Bernin a fait école, à moins qu’on ne soutienne que l’influence à laquelle il obéissait était elle-même, pour ainsi dire, dans l’air. On n’avait jamais vu tant d’artistes empressés à prodiguer les Temps armés de faux, les personnages allégoriques et les scènes trop compliquées qui semblaient vouloir faire, selon l’expression de M. Quatremère de Quincy, « de tout mausolée un poème ou un tableau. »

La grandeur de cet admirable siècle se retrouve au reste là comme ailleurs. Il suffirait de nommer les Jacques Sarazin, les François et les Michel Auguier, les Coysevox, les Girardon. Malgré quelques traces des défauts auxquels bien peu de grands artistes ont échappé depuis le XVIe siècle, plusieurs de ces monumens sont des chefs-d’œuvre d’un puissant effet. Quelques-uns ont été recueillis au musée de sculpture du Louvre ou à Versailles. On ne saurait résister à l’impression de beauté majestueuse, quoique très ornée, et de force pleine de noblesse, qui saisit à première vue, et qu’ils ne cessent de produire à mesure que l’on s’arrête à les contempler. Et pourtant comment ne pas remarquer qu’ils ne sont plus là dans leur cadre? Sans doute on est ici dans d’éclatans foyers consacrés par les arts et par l’histoire. On ne se sent pas dépaysé, comme nous l’éprouvions avec un sentiment un peu pénible en présence des tombeaux des ducs de Bourgogne, dans un musée mêlé d’œuvres d’art et d’objets de curiosité, qui, quelle qu’en soit la valeur, n’offre rien qui approche de cette grandeur; mais on ne saurait trop le redire : la place de tels monumens est dans les églises. On l’a compris en restituant quelques-uns de ces tombeaux aux lieux qui les avaient renfermés d’abord ou même à d’autres sanctuaires, Nommons du moins, parmi ces œuvres mémorables de l’architecture et de la sculpture funéraires au XVIIe siècle, les superbes mausolées de Colbert, du cardinal de Mazarin, de Bignon, de Charles Lebrun, le grand peintre officiel, tombeau tel qu’il convenait à ses pompeuses et brillantes qualités, c’est-à-dire empreint d’une magnificence un peu théâtrale. On admire, dans l’église de la Sorbonne, le mausolée de Richelieu du même Girardon, auquel on doit les mausolées de Louvois, des Gondi, des Castellan. La noblesse, la sévérité, la finesse et la distinction dans la figure du redoutable ministre qui expire, soutenu par la Religion et pleuré par la Patrie, restent gravées dans le souvenir, Jacques Sarazin, contemporain de Lesueur et de Corneille, avait élevé des tombeaux dans le grand style de Louis XIII et du commencement de Louis XIV. La révolution les a brisés, dispersés. On n’a guère recueilli que quelques belles parties du mausolée en bronze élevé à la mémoire de Henri de Bourbon, prince de Condé. Où sont les quatorze bas-reliefs qui faisaient l’honneur de cet admirable monument? Regardez à Versailles le tombeau de Jacques-Auguste de Thou, par François Auguier. La réflexion et la mélancolie donnent une grave et belle expression à la physionomie de l’illustre historien. C’est Michel Auguier qui a élevé le monument resté célèbre de Henri de Chabot. « L’ensemble de l’œuvre, a pu dire un juge enthousiaste du XVIIe siècle, M. Victor Cousin, dans sa belle étude sur l’art français, l’ensemble en est imposant, et les détails sont exquis. La figure de Chabot est de toute beauté, comme pour répondre à sa réputation, mais c’est la beauté d’un mourant. Le corps a déjà la langueur du trépas, languescit moriens, avec je ne sais quelle grâce antique. Ce morceau, s’il était d’un dessin plus sévère, rivaliserait avec le Gladiateur mourant, qu’il rappelle, peut-être même qu’il imite. »

Le XVIIe siècle se reflète donc, lui aussi, dans ses monumens funéraires. C’est bien là sa religion pleine de convenance et de gravité plus que d’élan et de foi naïve. C’est bien cette alliance qui, dans ses artistes comme dans ses poètes, a su mêler le christianisme et la fable. C’est de même la belle ordonnance que ce grand siècle impose à toutes ses œuvres, toujours réfléchies et pourtant vivantes. Enfin on sent là aussi cette sorte d’égalité naissante à travers mille privilèges, cette égalité dont se plaint Saint-Simon dans la société des vivans : elle élève dans la cité des morts, à côté des mausolées des grands, les tombes imposantes non-seulement des magistrats et des parlementaires, mais des artistes et des gens de lettres. Symptômes nouveaux à ce point de développement du moins, à peine aperçus du grand siècle lui-même, — indices d’une révolution que l’âge suivant va se charger d’accomplir.

IV.

Comment définir le XVIIIe siècle? quelle formule ne paraît trop simple pour contenir ce mélange d’élémens qui se complètent les uns par les autres tout en semblant se contrarier? Il n’est pas difficile d’en retrouver la marque jusque dans le faste funéraire. Malheureusement, quelque dignes encore d’admiration que soient en ce genre certaines de ses œuvres, les qualités mêmes de cette grande époque de l’esprit humain risquent ici de tourner en défauts en faussant les conditions de l’art. Sans doute il faut approuver l’application particulière qu’a faite le XVIIIe siècle de ses sentimens d’humanité et de philanthropie lorsqu’il a eu l’idée de créer de vastes cimetières hors de l’enceinte des villes. On ne peut lui refuser la même approbation lorsqu’on le voit honorer les tombeaux des hommes qui ont eu pour seul titre à ces magnificences posthumes le mérite personnel; mais ces idées d’humanité ne déclament-elles jamais, même sur les tombes? Le sensualisme philosophique n’y entre-t-il pas en un fâcheux partage avec les symboles religieux? La pompe qui s’y étale ne rappelle-t-elle pas trop parfois certaines tragédies du temps? N’y a-t-il pas là même une certaine mondanité, un luxe coquet et presqu’un goût régence? Tout cela ne constitue pas en somme un art funéraire qu’il faille recommander et surtout prendre pour modèle.

Qui plus que Pigalle fait honneur à la sculpture de ce temps? Ses bustes superbement posés ont conquis et gardent toute sorte de droits à l’admiration. La même énergie et la même puissance recommandent, surtout dans certaines parties supérieurement traitées, ses œuvres funéraires; qui songerait pourtant à les absoudre du reproche de violence et d’effet outré? Si remarquable que soit son Tombeau du duc d’Harcourt, placé dans une chapelle de Notre-Dame, la figure principale repousse par les symptômes les plus effrayans de la mort. Le mausolée du maréchal de Saxe à Strasbourg passe presque pour un chef-d’œuvre : c’est du moins peut-être celui de cet éminent artiste. Ce monument, justement apprécié, en a-t-il moins un caractère par trop théâtral? si l’effet est atteint, n’est-ce pas à l’aide de moyens bien compliqués? Nulle trace, il est à peine besoin de le remarquer, d’inspiration spiritualiste et chrétienne. Une fermeté toute humaine, d’ailleurs très frappante, soutient le maréchal qui, debout, descend d’un pas assuré les marches qui conduisent au tombeau. Le Génie de la guerre en pleurs porte un flambeau renversé, et, à côté de lui, la France éplorée s’efforce d’une main de retenir le héros et de l’autre main repousse la Mort qui montre au maréchal le cercueil ouvert. De l’autre côté se tient Hercule, symbolisant la force. En somme, l’impression que l’on reçoit nous paraît assez analogue à celle que l’on éprouve en lisant les parties les plus fortes du Brutus ou de telle autre tragédie romaine de Voltaire. Dans d’autres monumens funéraires, je serais tenté de reconnaître le même esprit brillant qui a créé Alzire et Tancrède. Quelquefois c’est à un ordre de poésies moins élevé qu’il faudrait demander des analogies. Nous en étions frappé naguère dans cette admirable cathédrale de Sens, où l’on voyait, avant la révolution, le majestueux mausolée du cardinal Duprat, dont on n’a pu conserver que les bas-reliefs et deux belles statues en marbre blanc agenouillées. Aujourd’hui on ne trouve comme monument à contempler qu’une de ces œuvres où le faste funéraire du XVIIIe siècle a mis sa marque si reconnaissable. Le tombeau du dauphin, fils de Louis XV, père de Louis XVI, et de sa femme Marie-Josephe de Saxe, est une œuvre où les hommes de l’art apprécient les qualités distinguées qui composent le talent de Guillaume Coustou, et c’est assurément ce qu’on pourrait nommer un fort joli tombeau; mais nous doutons qu’on rencontre plus d’allégories sentimentales et de froids emblèmes mythologiques dans les vers de Dorat et des autres poètes du temps. Les statues de la Religion et de l’Immortalité s’y montrent, mais combien avec plus d’art que de conviction! L’artiste y a joint un petit Génie des sciences s’appuyant sur une sphère et plusieurs instrumens scientifiques. Du côté opposé, deux autres statues représentent le Temps et l’Amour conjugal, auxquels un Génie montre une chaîne de fleurs brisée. Les inscriptions, les emblèmes, les écussons achèvent d’écarter l’idée sérieuse de la mort : c’est tout au plus si on y est vaguement ramené en voyant les deux urnes en marbre blanc qui surmontent ces magnifiques blocs de marbre si bien sculptés. Sans doute un talent voisin du génie a rendu, vers la fin de ce siècle, éclat et énergie à ce faste funéraire un peu trop affadi. Pourtant Canova, malgré son noble effort de retour à l’antique, confirme autant que quiconque ce que nous avons dit de l’art funéraire au XVIIIe siècle en général. Ni le pompeux mausolée de Clément XIV ni son propre tombeau, œuvre de ses mains, qu’il destinait au Titien, que l’on visite à Venise, dans l’église de Santa-Maria dei Frari, ne démentiraient ce jugement.

Comment, occupé surtout à rechercher dans le faste funéraire une expression des temps, omettrais-je de remarquer une forme assez nouvelle que le XVIIIe siècle lui a imprimée en consacrant de vrais panthéons à l’illustration personnelle? Ici, qu’on nous permette de donner le pas à l’Angleterre sur la France et de ne pas insister sur le monument assez pauvre qui, sous ce nom même de Panthéon, sent trop l’imitation païenne, et n’a jamais rempli d’ailleurs sérieusement cet office de servir de sépulture aux grands hommes. Arrêtons-nous devant l’abbaye de Westminster et devant cet autre temple, l’église de Saint-Paul. Sans doute ces églises, la première surtout, n’ont pas attendu le XVIIIe siècle pour recevoir cette destination, mais c’est ce siècle qui leur a surtout donné ce caractère. Les illustrations parlementaires y occupent une place d’honneur qui suffirait à indiquer la nature des institutions et l’importance que le pays y attache. Ces grands représentans et ces dévoués serviteurs de la vieille Angleterre, ces marins illustres, ces savans et ces écrivains, ces orateurs puissans dans leur attitude de combat, ces hommes d’état patriotes, montrent l’homme dans sa liberté et dans sa force, représenté par le citoyen anglais. La liberté, la patrie, la navigation, l’éloquence, la science, l’histoire, voilà, sous forme de trop fréquentes allégories, les divinités de ces lieux; mais comme on sent qu’il n’y en a qu’une qui soit véritablement vivante, l’âme elle-même, l’âme libre et fière de la Grande-Bretagne!

A Dieu ne plaise que j’accuse ces panthéons! Ils ont une sorte de grandeur qui impose et ils relèvent le génie de l’humanité. Les nations ont le droit d’ailleurs d’être fières de leurs grands hommes. Elles font un louable calcul en étalant, avec le témoignage éclatant de leur reconnaissance, de glorieux exemples mêlés à de nobles souvenirs. Combien plus touchante pourtant est la tombe isolée dans l’angle de quelque sanctuaire où on ne s’attendait pas toujours à la rencontrer, d’un guerrier, d’un poète, d’un artiste célèbre ! Le faste qui décore le monument, fût-il moindre, ressort avec plus d’effet, et l’impression qu’on reçoit remplit l’âme tout entière d’une seule pensée. Entrez à l’église de Saint-Sébastien, à Venise. Un seul homme y semble régner : c’est celui qui dort sous une pierre tumulaire surmontée de son buste, écussonnée de ses armes; c’est Paul Véronèse. Cette église, qui l’a vu travailler pendant des années, est son panthéon à lui, il s’y repose aujourd’hui dans la majesté solitaire de la mort et dans l’auréole immortelle de ses chefs-d’œuvre.

Revenons à la France. La révolution est une époque aussi dans l’histoire des tombeaux : ce n’est pas là son plus beau côté. Nous n’avons pas à rappeler ce que la terreur révolutionnaire a fait de ce faste funéraire, héritage accumulé des siècles, où revivaient, en quelque sorte les époques successives de l’art et de notre histoire nationale. Les fureurs huguenotes du XVIe siècle, qui avaient commencé cette œuvre de vandalisme, furent étendues à toute la France avec un effrayant ensemble dont les annales de l’anarchie n’offrent pas d’exemple. On en voulait à la monarchie, à la noblesse, à la religion, à l’orgueil qui attente à l’égalité, c’est-à-dire à tout ce qui produit le faste funéraire, et on se vengea sur les monumens de la piété nationale comme sur ceux de la vanité humaine. Cette haine systématique portée au faste funéraire du passé, quel qu’en fût le caractère, a reçu son expression la plus complète, c’est-à-dire la plus idiote, dans une adresse à la Convention des habitans de Saint-Denis, qui avait alors échangé son nom contre celui de Franciade. « L’or et l’argent qui enveloppent les guenilles sacrées de Saint-Denis, disait l’orateur chargé de porter la parole, vont contribuer à affermir l’empire de la raison et de la liberté... vous, jadis les instrumens du fanatisme, saints, saintes, bienheureux de toute espèce, montrez-vous enfin patriotes, levez-vous en masse, marchez au secours de la patrie, partez pour la Monnaie !.. Il ne reste à Franciade qu’un autel d’or. Nous vous prions de donner ordre à la commission des monumens de nous en débarrasser sans délai, pour que le faste catholique n’offense plus nos yeux républicains. » On fit en effet porter à la Monnaie, avec beaucoup d’autres objets précieux, les trois cercueils d’argent où étaient renfermées les reliques de saint Denis et de ses deux compagnons de martyre. Tandis que les morts qui dormaient là depuis des siècles étaient traités avec cette brutalité qui se hâtait d’en faire disparaître les restes en même temps qu’elle dépouillait les tombeaux des valeurs qu’on y avait enfouies, les morts de la veille étaient traités, sous le règne de la commune, avec un cynisme plus choquant encore. On enterrait en chantant le Ça ira ; à la place du prêtre, un commissaire avec un bonnet phrygien, l’assistance, coiffée de la même façon, le cercueil enveloppé d’un drap tricolore : à peine un tombeau et point d’emblèmes.

Une réaction énergique éclatait sous le directoire et se prolongeait, en s’accusant encore davantage, sous le consulat. La police des cimetières fut rétablie, et avant même que l’administration du célèbre préfet Frochot inaugurât l’ère nouvelle des cimetières de Paris, on mit plus de décence dans les obsèques et dans les enterremens; on s’enquit quel pourrait être le faste funéraire compatible avec les principes de la révolution. Ici on se divisait : les uns n’en voulaient aucun ; simplicité austère, égalité ou peu s’en faut, voilà la réforme radicale qu’ils méditaient. D’autres se montraient plus accommodans sur l’inégalité ; seulement ils auraient voulu se passer des anciens emblèmes religieux. Cette singulière préoccupation se montre dans le programme de l’institut national, qui mit la question au concours. Le programme demandait un code de cérémonies funèbres dans lesquelles il ne serait introduit aucune forme qui appartint à un culte quelconque. Un luxe tout civil de funérailles et de sépultures, tel était l’idéal, peu facile à réaliser, qu’on imposait aux concurrens. Nous avons lu les mémoires que ce concours fit naître, et d’autres ouvrages plus volumineux, qui composent alors toute une littérature funéraire, n’ayant d’intérêt que comme document historique et moral. Des plans de toute espèce se font jour : il en est un qui coupait court à toutes les cérémonies. On y propose de pulvériser les morts. On fera des ossemens une sorte de pâte qui, moyennant un alliage qu’indique l’auteur, permettra à tout citoyen d’en former des bustes qu’il gardera à domicile. Ainsi nous pourrons tous avoir notre galerie des ancêtres. Les procédés divers de l’inhumation et de l’incinération eurent alors leurs avocats. On ne rencontre dans les mémoires des concurrens, sans en excepter celui du citoyen Millot, qui obtint le prix, que des vues morales assez honnêtes, sans beaucoup de portée, un reste d’idées chimériques, l’indication judicieuse de quelques moyens de police, rien qui se rapporte directement aux formes nouvelles que pourra recevoir le luxe funéraire dans une société démocratique, il est vrai, mais libre, et maîtresse sans doute d’honorer ses morts comme elle l’entend.

La réaction religieuse allait d’ailleurs trancher la question en rétablissant dans les églises et dans les lieux consacrés à la mort les emblèmes du catholicisme. Le faste funéraire renaissait avec le culte des morts remis en honneur et presque à la mode. Les vers de Fontanes, de Legouvé, de l’abbé Delille, les chapitres tout poétiques du Génie du christianisme, servirent d’écho à cette réaction, qui y puisa une nouvelle force. Le luxe funéraire n’avait pas attendu ce signal pour reparaître; l’ouverture des nouveaux cimetières en avait favorisé le développement. C’est alors le tour des classes moyennes à prendre possession de la cité des morts. Elles y marquent leur importance en revendiquant leur part de faste funéraire. Tour à tour féodal, monarchique, puis partagé entre les hautes classes, le luxe funéraire devient bourgeois. Les contemporains en ont conscience eux-mêmes. « On revient, écrivait Lemontey, à la sainteté des devoirs funèbres... Mais, comme si rien de bon et de sage ne pouvait se faire avec mesure, la vanité et l’afféterie corrompent la piété renaissante. Déjà on dispute par le luxe des convois à qui enrichira davantage l’entreprise nouvelle des fermiers d’Atropos; déjà la sculpture et la poésie ne peuvent suffire à orner les catacombes de la bourgeoisie. »

Ce n’était ni au directoire, ni même aux périodes qui ont suivi jusqu’à la restauration, qu’il fallait demander la réforme du luxe funéraire sous le rapport de l’art. Le goût public reste engagé et comme figé dans la mythologie : elle préside aux vers, elle fournit des sujets à tous les objets d’art; elle règne trop souvent encore sur les sépultures. Sur les somptueux tombeaux d’acteurs célèbres qui semblaient prendre avec éclat leur revanche des anciens refus de sépulture, on put voir Melpomène, Thalie et Terpsichore. Les Muses figurèrent sur les tombes des poètes. Tous les styles furent mêlés, confondus. Le mérite individuel étant proclamé, tout le monde voulut avoir du mérite : à défaut de statue, les morts un peu notables eurent leur buste ou leur médaillon. La vanité bourgeoise fit étalage de sa richesse et d’une supériorité récemment conquise, dans des sépultures visant trop à l’effet. Le faste des inscriptions compléta et au besoin suppléa celui des mausolées. Il y en eut pour les rangs les plus modestes de l’industrie et du négoce. Sentimentales comme la littérature à la mode ou positives comme le siècle, les épitaphes exaltèrent les vertus de famille et les qualités de la profession. Si elle en était réduite à ce genre de documens pour juger notre époque, la postérité pourrait croire qu’aucune n’a rendu la vertu si commune. Le naturel fut ce qui manqua le plus dans des lieux où il semble qu’il soit si bien à sa place.

Le faste funéraire se ressent encore trop de ces influences. On se demande quelle forme d’art nouvelle l’a régénéré, quel sentiment religieux et moral inspire nos sépultures. La vanité y figure toujours pour une trop grande part. Certes une quantité de monumens honorent nos architectes et nos sculpteurs; mais parcourez ces champs funèbres, devenus l’image de la société par le nombre et la diversité des genres d’importance qui se les partagent, et où l’aristocratie, l’industrie, la banque, le commerce, la célébrité littéraire, l’illustration militaire et politique, ont des monumens à l’envi; ce qui manque à l’ensemble, c’est l’originalité, c’est la grandeur. Le petit luxe, trop souvent de mauvais goût, y tue le grand faste, j’entends celui que l’art consent à servir et à illustrer. Le genre de dévotion qui règne semble favoriser ces défaillances de l’art en multipliant ces petites images qui ont un singulier air d’idolâtrie. Pour ceux aussi qui ne donnent pas un sens religieux à la mort, c’est encore une industrie bien inférieure qui fabrique à bas prix, beaucoup trop cher pourtant pour ce qu’ils valent, les objets destinés à la décoration des sépultures. Babioles funéraires qu’il faudrait appeler ridicules si ces choses fausses et de mauvais goût ne servaient souvent d’expression aux douleurs les plus sincères. Au reste, le sentiment primitif n’a pas changé : si on pare ces tombes, c’est toujours en vue de plaire au mort; c’est à cette intention qu’on y dépose des fleurs, qu’on y entretient des jardins. La religion des morts subsiste, elle n’a même pas perdu son fétichisme, surtout dans les tombes d’enfans. Ils ont là leurs jouets, comme le guerrier barbare avait ses armes, comme la jeune femme égyptienne avait ses bijoux et son miroir.

Certes, à la vue de ce qui se passe, on peut dire que la démocratie a contribué à niveler le faste funéraire. Elle ne l’a pas supprimé : elle l’a rendu plus commun. Si l’art peut en souffrir, tout n’est pas à reprendre tant s’en faut sous le rapport moral. Il est bon que le culte des morts se maintienne, s’étende au plus grand nombre de familles possible. Nous n’examinons pas les sources de cette sorte de piété qui subsiste dans le peuple de Paris. Chez beaucoup, faut-il dire chez la plupart? elle peut bien se rapporter plutôt aux souvenirs du passé qu’aux espérances de la vie future, bien que rien n’indique non plus une négation systématique de perspectives ultérieures. Tel qu’il est, un tel sentiment veut être respecté et satisfait. Il est désirable qu’on en tienne compte au moment d’ouvrir de vastes champs funèbres. Ce sera comme un dernier progrès dans cet ordre d’idées et de faits. Une tombe à part, d’abord monopole de l’aristocratie, ensuite privilège plus étendu, sera alors le droit commun. Le communisme n’est bon nulle part, même dans la mort. Ce qui fut une personne mérite de rester au moins un nom. S’il doit y avoir toujours des pauvres dans la société des morts, il n’est peut-être pas nécessaire qu’il y ait toujours des misérables. En laissant dire ceux qui jalousent les somptueux tombeaux, on peut ôter du moins prétexte à ceux qui se demandent avec amertume combien on pourrait tailler de tombes modestes dans ces sépultures inutilement fastueuses que les services rendus ne justifient pas toujours et que l’art n’absout pas. Ce vœu que forment les familles pauvres doit recevoir un accueil d’autant meilleur qu’elles le présentent moins comme un droit que comme le pieux accomplissement d’un devoir qui leur est cher.

Nous avons terminé cette sorte de pèlerinage historique à travers les tombeaux, qui nous a permis de chercher dans le faste funéraire une des manifestations les plus claires et les plus frappantes de l’état religieux, moral et politique des sociétés. Sans revenir sur les idées qui nous ont guidé et sur les conséquences que l’histoire elle-même s’est chargée d’en tirer, il en est une qui résulte trop évidemment de cette étude : il n’est pas douteux que le luxe funéraire, pour rester à la fois dans ses justes bornes et pour briller de son légitime éclat, exige les inspirations les plus élevées qui ont présidé à son origine : il s’abaisse et se corrompt quand il obéit seulement aux motifs frivoles d’une vanité qui ne s’allie à aucune pensée supérieure. Les arts qui contribuent au faste funéraire se sont toujours repentis de cet abaissement des influences qui en modifient les formes : ils ne se sont épurés et relevés qu’avec les hautes inspirations qui rappellent ce qu’il y a dans la vie humaine de plus grand, et surtout en se pénétrant des idées mystérieuses et profondes qui conviennent à la mort.


HENRI BAUDRILLART.

  1. Voyez la Revue du 1 5 mars.
  2. Voyez la Revue du 1er mars 1869.
  3. p. Paris ; Romancero français.
  4. Les tombeaux des ducs de Bourgogne à Dijon ont été saccagés pendant la révolution, mais les débris conservés avec soin ont permis une intelligente restauration qui figure aujourd’hui au musée de cette ville.
  5. On trouve la description la plus détaillée et la plus sentie des tombeaux des ducs de Bourgogne dans les Impressions de voyage et d’art qu’a publiées ici même M. É. Montégut, — Revue du 1er mai 1872.