Le Fils du Noir

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Le Fils du Noir
Rires et pleurs, poésies. Première partie - Poèmes, élégies, satires, odelettesÉd. Creté (p. 57-58).


VIII

LE FILS DU NOIR


sonnets.


I


Je ne puis plus aimer. Le souffle d’une femme
Ne fera plus frémir mon cœur maintenant froid,
Car il a fui, ce temps, où deux yeux, en mon âme,
Allumaient un désir mêlé d’un vague effroi !

Vieillard de trente étés, mon cœur n’a plus de flamme.
Je m’en vais las, courbé, sans joie et sans émoi.
La colombe roucoule et l’amante se pâme,
Tout s’aime et se caresse en vain autour de moi.

Et, cependant, mon cœur est plein de sève encor ! Le monde
Ne l’a point desséché de son haleine immonde,
Ni flétri des baisers impurs de ses Phrynés.


À vingt ans, j’aimais Lise ; elle était blanche et frêle.
Moi, l’enfant du soleil, hélas ! trop brun pour elle,
Je n’eus pas un regard de ses yeux étonnés !

II


Et ma mère était blanche, aussi blanche que Lise !
Elle avait des yeux bleus où scintillaient les pleurs.
Quand elle rougissait de crainte ou de surprise,
On croyait voir soudain une grenade en fleurs.

Sa chevelure était blonde aussi ; sous la brise,
Elle couvrait son front, pâle dans les douleurs.
Mon père était plus noir que moi ; pourtant l’église,
Dans un pieux hymen, maria leurs couleurs.

Puis l’on vit, — doux contraste ! ― à sa blanche mamelle,
Pendre un enfant doré comme nos blonds maïs,
Ardent comme un soleil de notre beau pays.

Orphelin, je vis Lise, et je l’aimai comme elle.
Mais son front pur pâlit à mes aveux tremblants :
Le fils du noir fit peur à la fille des blancs !

*