Le Fils du diable/Tome I/II/12. Le tonneau des Danaïdes

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Legrand et Crouzet (Tome Ip. 391-400).
Deuxième partie

CHAPITRE XII.

LE TONNEAU DES DANAÏDES.

Quand ils furent partis, une sonnette s’agita au-dessus du poêle, et le garçon d’antichambre hâta son pas solennel pour s’élancer à l’ordre.

Presque aussitôt après, il revint et il dit :

— Ces messieurs ne recevront plus aujourd’hui.

La vieille femme joignit ses mains desséchées, et demeura comme frappée de la foudre dans son coin.

Une ou deux personnes qui attendaient leur tour pour être introduites, s’éloignèrent en murmurant.

Le garçon d’antichambre se mit en devoir de rentrer dans l’intérieur des bureaux.

— Klaus !… dit en ce moment le baron à voix basse.

Le garçon s’arrêta court, la main sur le bouton de la porte. Il restait immobile et l’oreille ouverte ; mais il ne se retournait point, parce qu’il croyait avoir mal entendu.

— Klaus ! répéta M. de Rodach.

Le garçon se retourna cette fois, et vivement ; il ne fit qu’un bond jusqu’au milieu de la chambre.

Jusqu’alors il n’avait pas plus regardé M. de Rodach que les autres ; — dès qu’il eut jeté les yeux sur cette figure, il poussa un cri de surprise.

Rodach mit un doigt sur sa bouche.

Klaus se tut aussitôt et ses traits seuls continuèrent d’exprimer son étonnement.

— Approche ici, lui dit le baron.

Klaus obéit.

— On m’avait bien dit, reprit Rodach, que je te trouverais dans la maison du juif… mais on ne m’avait pas dit que tu avais oublié les traits de tes anciens maîtres.

La pâle et grave figure de l’Allemand se colorait d’un rouge vif ; ses paupières tremblaient, et il y avait dans ses yeux une émotion profonde.

— Gracieux seigneur… commença-t-il.

— Chut ! fit Rodach ; ces titres, qui ne m’appartiennent point, sont ici un danger… Je m’appelle le baron de Rodach, si tu ne me connais pas.

— Comment, je ne vous connais pas !… s’écria l’ancien chasseur de Bluthaupt.

— Je suis le baron de Rodach, te dis-je, et il ne faut point que tes nouveaux maîtres puissent soupçonner mon véritable nom… Tu as mon secret ; es-tu capable de le garder ?

Klaus mit sa main sur son cœur.

— Je suis capable de faire tout ce que vous ordonnerez, gracieux seigneur, répondit-il. Non, oh ! non, sur ma foi d’Allemand ! je n’ai oublié ni vous, ni votre noble père… Je suis un pauvre homme, et je loue mon travail à qui veut le payer… mais mon cœur est à mes anciens maîtres, et si vous me voulez pour serviteur, vous n’avez qu’un mot à dire.

— Voilà qui est bien parlé, mon garçon, répliqua Rodach ; tu es un brave cœur, et je te reconnais pour un des nôtres… Touche là.

Klaus mit sa main dans celle du baron, de l’air d’un vassal qui ferait hommage lige à son suzerain. Il n’avait plus cette allure roide et empesée que nous lui avons vu naguère : c’était là son masque officiel. — Il revêtait ce visage grave en même temps que son grand habit noir, qui lui donnait la tournure d’un éligible.

Maintenant il avait une figure naïve et bonne, où se peignait toute la sincérité de son dévouement.

— Avez-vous quelque chose à m’ordonner ? demanda-t-il.

— J’ai besoin d’être introduit sur-le-champ auprès des chefs de la maison de Geldberg, répondit M. de Rodach.

— Je vais être chassé comme un chien, pensa Klaus.

Mais il n’hésita pas un seul instant, et se dirigea vers la porte des bureaux, en priant Rodach de le suivre.

Le baron se leva, et ils quittèrent tous deux l’antichambre.

La mère Regnault les regarda sortir d’un air triste et envieux.

— Et moi, dit-elle, et moi… je n’entrerai donc jamais !…

La porte des bureaux retomba ; la vieille femme était seule. Elle leva au ciel ses yeux humides, puis sa tête se pencha de nouveau.

Elle demeura immobile dans son coin, pliée en deux, et les mains croisées sur ses genoux qui tremblaient…

M. le baron de Rodach et Klaus, son introducteur, traversèrent en silence les bureaux de Geldberg.

L’ancien chasseur de Bluthaupt marchait le premier, revêtu de son bel habit noir. Il avait repris son air grave et digne. À ne considérer que le costume, l’avantage ne demeurait certes point à M. de Rodach, et l’on aurait pu s’étonner de voir le respect témoigné par un homme si bien mis au cavalier allemand, vêtu encore de son manteau poudreux, et gardant à ses bottes grises la poussière de la veille.

Le baron, en effet, depuis le soir précédent, n’avait point trouvé le loisir de changer de costume. Il avait passé la nuit debout, et tel nous l’avons vu descendre de voiture, au milieu de la foule, devant le Château-d’Eau, tel nous le retrouvons dans les riches bureaux de Geldberg, Reinhold et Compagnie.

Tandis qu’il passait, les commis lui jetaient ce regard morne des oiseaux en cage. Lui, au contraire, examinait tout ce qui l’entourait avec une satisfaction évidente.

Il admirait cet ordre parfait, cette régularité active, ces silencieuses évolutions du travail. Toutes ces choses avaient une bonne odeur d’opulence, qui semblait flatter ses sens et le mettre en joie.

Si les employés eussent été des observateurs, ils auraient pensé sans doute que ce personnage à mine exotique était un associé nouveau qui arrivait à la maison de Geldberg.

Il est vrai que ses habits n’étaient pas faits pour donner une haute idée de son portefeuille ; mais les habits trompent souvent, et les millions sont connus pour mépriser la toilette.

Dans la dernière salle, où se trouvait un monsieur respectable, chargé de la correspondance, et ses aides, qui étaient déjeunes lions, il y avait un escalier tournant, montant à l’étage supérieur.

Klaus et le baron prirent cette voie.

L’escalier débouchait dans une petite pièce servant d’antichambre, où un valet tout pareil à Klaus veillait.

Sa consigne était probablement de barrer le passage, car il se mit au-devant de la porte.

— Vous savez bien, dit-il, que ces Messieurs ne reçoivent plus…

— Je sais ce que je sais, répliqua Klaus de ce ton suffisant des gens qui ont une mission de confiance. — Rangez-vous, s’il vous plaît, monsieur Durand : ces Messieurs attendent.

M. Durand fit volte-face en grondant avec mauvaise humeur. Il lui semblait étrange et désobligeant qu’un autre sût ce qu’il ne savait point…

Klaus traversa l’antichambre en étouffant son pas sur le tapis. Il affectait un grand air d’assurance ; mais le diable, comme on dit, n’y perdait rien, et le pauvre garçon avait la chair de poule sous son magnifique habit noir.

Il frappa trois petits coups à une porte sur laquelle se croisaient deux rideaux de laine.

— Ils ne veulent pas ! murmura-t-il ; — s’il ne s’agissait pas de vous, gracieux seigneur…

— C’est là qu’ils sont ? interrompit Rodach.

Klaus, qui était tout pâle, fit un signe de tête affirmatif.

Rodach l’écarta et mit sa main sur le bouton de la porte.

— Sois tranquille, dit-il, avant d’entrer, on ne te chassera point… et si l’on te chasse, je te prendrai à mon service.

La grave figure de l’ancien chasseur de Bluthaupt s’illumina de joie. Il frappa ses mains l’une contre l’autre, et fut obligé de faire appel à sa dignité pour ne point gambader sur le tapis.

Rodach entra et referma la porte derrière lui.

Il se trouva dans une pièce de grande étendue, meublée avec un luxe sévère et à l’extrémité de laquelle un vaste bureau d’ébène reposait sur ses pieds sculptés. — Autour de la cheminée en marbre noir, ornée de colonnes torses et de sujets taillés en demi-relief, cinq ou six fauteuils en désordre semblaient annoncer qu’il y avait eu là naguère assez nombreuse compagnie.

Rodach conjectura que les places vides étaient celles des messieurs décorés qu’il avait vus traverser l’antichambre, en riant et en causant, quelques minutes auparavant.

Quoi qu’il en soit, il ne restait personne dans la chambre, et le bureau, qui était couvert d’un pêle-mêle de papiers, restait à la merci du premier venu.

Le regard de Rodach se tourna d’abord de ce côté, mais il eut à peine le temps de déchiffrer sur plusieurs imprimés jetés là au hasard le fameux en tête Chemin de fer de Paris à *** ; Compagnie des grands propriétaires ; car, en ce moment même, un bruit de voix s’éleva dans la chambre voisine, dont la porte était entr’ouverte.

Rodach se retourna vivement. Il ne put rien apercevoir. La porte ne présentait qu’une étroite ouverture, et ceux qui parlaient se trouvaient en dehors de la direction où pouvait percer son regard.

Il lui restait la faculté d’écouter.

Ceux qui parlaient semblaient être au nombre de quatre. — Il y avait une voix jeune et lourde, qui amenait les mots du gosier avec un léger accent allemand, une voix flûtée, française au premier chef, une voix grave et pédante, ornée de l’emphase méridionale, et qui pouvait bien appartenir à un habitant de la péninsule espagnole ; enfin une bonne voix de vieillard, plaintive, consternée, honnête, qui n’avait d’autre accent que celui de la rue Saint-Denis.

C’était cette dernière voix qui parlait.

— Messieurs, disait-elle, ça me brise le cœur de voir tomber une si belle maison !… Mon Dieu ! quand je pense aux affaires que nous faisions du temps du vieux M. de Geldberg, le brave homme !… C’était simple, c’était clair, c’était loyal ! Les bénéfices venaient sans qu’il y eût une seule chance de perte… et nous arrivions au bout de l’année avec une balance qu’on pouvait montrer à ses amis comme à ses ennemis.

— Affaires mesquines, mon bon monsieur Moreau !… dit la voix flûtée.

— Vieux système ! ajouta l’accent allemand.

Le baron Rodach était tout oreilles, et son visage exprimait une inquiiétude soudainement venue.

— Est-ce que la maison serait moins solide qu’autrefois ? se disait-il.

— C’était le bon système, reprit dans l’autre chambre le brave homme qu’on avait appelé M. Moreau ; — en ce temps-là, grâce à lui, notre caisse était toujours pleine… et Dieu sait qu’à présent, il n’en est pas de plus creuse dans tout Paris !

La basse-taille péninsulaire toussa. La voix flûtée et l’accent allemand grommelèrent des paroles que le baron n’entendit point.

— Et comment ne serait-elle pas creuse ! reprit encore M. Moreau, qui s’animait et parlait de plus en plus haut, je ne suis caissier que de nom… ce que je mets sous clef la veille est enlevé le lendemain !…

Il y eut de la part des trois voix comme une protestation confuse. À chacune de ces trois voix, Rodach donnait un nom : la basse-taille était le docteur José Mira ; la voix flûtée appartenait au chevalier de Reinhold, et l’accent allemand au jeune M. Abel de Geldberg.

— Ah ! çà, mon cher Moreau, dit ce dernier, nous étions en affaire sérieuse ces messieurs et moi… êtes-vous monté exprès pour nous tancer, comme si nous étions des échappés de collège ?

— Je suis venu pour vous dire, répliqua le caissier, que j’avais laissé vingt-deux mille francs en caisse samedi soir, et que j’ai fait argent ce matin de nos valeurs de complaisance pour une somme de quarante-cinq mille francs ; il y avait pour soixante mille francs environ à payer aujourd’hui…

Le caissier s’interrompit, et personne ne lui répliqua. Mais Rodach entendit qu’un mouvement se faisait parmi les trois associés, et il lui sembla que quelque chose se mouvait à l’autre extrémité de la chambre.

Son regard, qui se porta instinctivement de ce côté, rencontra, dans une glace, quatre figures groupées : un front chauve et débonnaire qu’il reconnut facilement pour le caissier ; un visage fade, orné d’une barbe dessinée admirablement ; une figure hâve, roide, sévère, qui eût fait la fortune d’un traître de mélodrame ; et enfin un visage plâtré comme celui d’une vieille coquette qui abuserait du fard.

Rodach n’avait jamais vu le fils de M. de Geldberg. Quant au docteur portugais et au chevalier de Reinhold, il les avait aperçus chacun une fois, dans une de ces circonstances qui gravent les traits tout au fond de la mémoire. Mais il y avait de cela bien longtemps.

Néanmoins, soit qu’il devinât, soit qu’il eût souvenir, il ne se trompa point en faisant mentalement la part de chacun des associés, qu’il avait déjà classés pour ainsi dire au son de leur voix.

Ils étaient tous debout, ainsi que le caissier, qui tenait un registre à la main. Ils avaient tous les trois un air de malaise, et il était facile de lire sur leur visage une forte envie de renvoyer à sa caisse le bon M. Moreau.

Mais celui-ci n’avait pas fini.

— Par conséquent, reprit-il en poursuivant son raisonnement commencé, — la caisse contenait sept mille francs de trop pour les échéances du jour… mais, quand je suis arrivé ce matin, j’ai trouvé la caisse absolument vide…

Rodach vit les trois associés s’entre-regarder en silence.

— Ce n’est pas moi, murmura le jeune M. de Geldberg.

— Ni moi, dit M. de Reinhold.

— Ni moi, ajouta le docteur portugais.

Le caissier releva sur eux son regard où le respect commercial faisait place à la colère.

— C’est donc moi, s’écria-t-il, en jetant violemment son registre sur une table ; — ma caisse est, Dieu merci ! comme un tonneau qui aurait quatre trous !… Vous avez une clef, monsieur le docteur… vous aussi, monsieur Abel ; vous aussi, monsieur le chevalier !… moi, j’ai la quatrième… je ne sais pas si vous avez l’espérance de me faire croire que c’est moi qui ai emporté les vingt-deux mille francs !

Rodach écoutait et fronçait le sourcil.

— Vingt-deux mille francs ! pensait-il ; — moi qui croyais qu’on ne parlait ici que par millions !

Comme si le hasard eût voulu répondre à sa pensée, son œil, qui se tournait vers le bureau abandonné, rencontra les prospectus tout neufs de la compagnie des Grands Propriétaires pour le chemin de fer de Paris à ***, et lut : Capital social cent quatre-vingt dix millions de francs.

— Voyons, mon excellent monsieur Moreau, disait dans la chambre voisine la voix prétentieuse du chevalier de Reinhold, est-il bien convenable de venir faire du bruit jusque chez nous pour une pareille misère ? Envoyez dix mille écus à l’escompte, et qu’il n’en soit plus question !

— C’est que vos bonnes valeurs sont à longues échéances, répondit le caissier, — et que votre crédit, si grand qu’il fût autrefois, ne résistera pas à ces effets de fabrique…

— Cela nous regarde, reprit Abel en haussant les épaules.

— Cela me regarde aussi, monsieur de Gcidberg, reprit le caissier dont la voix devint grave, tandis que sa tête chauve se penchait sous le poids d’une pensée décourageante ; — j’ai eu confiance dans le crédit de la maison, vous le savez bien… Il y a sur la place de Paris plus de trois cent mille francs de mes acceptations qui ne portent même pas voire endos, tant je croyais aveuglément en vous !… Je suis sans fortune. Messieurs, et j’ai une nombreuse famille…

— Ah ! monsieur Moreau, monsieur Moreau ! interrompit le chevalier, au nom du ciel, faites-nous grâce de ces détails !…

— Je sais bien que la maison possède encore des ressources puissantes, poursuivit le caissier ; je ne craindrais rien, si je pouvais voir clair dans la comptabilité générale… mais vous tenez des livres à part… nous ignorons en bas où en est le compte de la maison Yanos Georgyi, de Londres…

— Cela me regarde, dit le chevalier de Reinhold.

— Le compte de la maison Van-Praët, d’Amsterdam… continua Moreau.

— C’est mon affaire, répliqua le jeune monsieur de Geldberg.

— Et le compte de Léon de Laurens, de Paris… ajouta le caissier.

— Ne vous en inquiétez pas, dit à son tour le docteur José Mira. — En outre, poursuivit encore le caissier, à supposer même que ces comptes particuliers soient à jour, ce que Dieu veuille ! restent les charges courantes de la maison, et ces charges, vous les avez faites bien lourdes !… Vous me demandiez tout à l’heure pourquoi je suis montè ; j’ai longtemps hésité à vous le dire, Messieurs, car voilà vingt ans que je sers la maison de Geldberg, et il me semble que sa prospérité m’est plus chère que ma propre vie…

Le vieux commis s’arrêta, et Rodach, qui suivait cette scène avec un intérêt croissant, crut voir les yeux de Moreau battre et se baisser, comme si son émotion allait jusqu’aux larmes.

— Remettez-vous, mon brave ami, dit le chevalier de Reinhold, d’un ton de haute protection ; — nous sommes prêts à convenir que vous êtes un digne et fidèle serviteur.

— Oui, oui, monsieur le chevalier, je suis un serviteur fidèle, reprit le caissier, dont la voix, retrouva de l’assurance, et c’est pour cela que je dois vous parler sans détour… La maison marche à sa ruine ; je ne veux pas y assister, et, s’il ne vous convient point de me remettre à l’instant même vos comptes particuliers et les clefs de la caisse que vous avez gardées depuis la retraite de M. de Geldberg le père, je vais prendre congé de vous à l’instant même, en vous priant de chercher un autre caissier.

M. Moreau remit son livre sous son bras, salua respectueusement et sortit.

Les trois associés restèrent seuls, penauds et déconcertés.

Durant quelques minutes, ils gardèrent le silence.

— Nous avons besoin de lui, dit enfin le chevalier de Reinhold ; — c’est une boutade de Kaleb, et, avec une concession, il serait facile de l’apaiser.

— Il faudrait d’abord et avant tout lui descendre ces vingt mille francs dont il a besoin, opina M. de Geldberg ; or, je déclare que je n’ai pas une obole disponible…

— Ni moi…

— Ni moi…

Dirent tour à tour les deux associés.

— Messieurs, reprit Reinhold, il y a du vrai, pourtant, dans ce qu’avance le pauvre Moreau, et, pour ma part, je confesse avoir pris six mille francs dans la caisse, samedi soir.

— Et moi, cinq cents louis dimanche matin, ajouta Abel.

— Et moi grommela le docteur de mauvaise grâce, — j’ai pris le reste cette nuit.

— Avec un système pareil, s’écria le chevalier qui éclata de rire, — il est de fait que l’état de caissier doit être rempli de déceptions !… Mais avisons, Messieurs, poursuivit-il plus sérieusement, — il ne faut pas jouer avec le crédit, et, si Moreau sort de chez nous, bien des petites choses seront connues.

— On ne peut empêcher les chefs d’une maison, objecta le docteur, — de puiser à leur propre caisse…

— Ceci est une question, répliqua Regnault ; je sais pour et contre de bonnes raisons… Mais il s’agit maintenant des vingt mille francs qui manquent à la caisse et qu’on peut venir réclamer d’un instant à l’autre… Allons, faites appel à votre Imaginative, mes chers associés… Avez-vous un moyen de vous procurer à l’instant cette somme ?

Le docteur et Abel firent semblant de réfléchir.

— Je connais le vieux Moreau, dit enfin Abel, et je parie que la somme est dans son tiroir… Tout cela est pour nous effrayer…

— Mais, si c’était sérieux ?…

— Eh bien, empruntons, parbleu !

— À qui ? demanda Regnault.

— Nous avons des amis…

— Sans doute ; mais en ces circonstances, il faudrait avoir ses amis sous la main.

Au moment où le docteur Mira ouvrait la bouche pour placer son mot, il se fit un léger bruit du côté de la porte. Les trois associés se tournèrent à la fois dans cette direction, et demeurèrent ébahis à la vue d’un personnage inconnu qui se tenait sur le seuil.

Celui-ci les salua gravement.

— Messieurs, dit-il, le hasard vous sert à souhait… vous avez besoin d’un ami : me voilà !


FIN DU PREMIER VOLUME.