Le Galant doublé/Acte V

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Le Galant doublé
Poèmes dramatiquesBordeletTome 3 (p. 77-92).
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ACTE V



Scène I.

ISABELLE, LÉONOR, BÉATRIX.
ISABELLE.

La visite où pour vous ici je me dispense,
Peut-être choquera l’exacte bienséance ;
Et, quand pour Dom Félix on presse mon aveu,
Je n’entre point chez vous, sans en rougir un peu.
Aussi, quoi qu’à vous voir l’amitié m’autorise,
Je ne m’en croirois pas la liberté permise,
Si, le voyant absent, je ne venois sans peur
De rencontrer le frere où je cherche la sœur.
Vous m’avez confié votre secrette flamme ;
Et, sachant ce que peut Dom Fernand sur votre ame,
Ce seroit mal répondre à ce que je vous dois,
Que de vous refuser mon avis sur ce choix.

LÉONOR.

En l’état déplorable où l’amour m’a réduite,
J’ai bien besoin qu’on m’aide à régler ma conduite.
Cet époux qu’à Séville un pere m’a choisi,
Fait le chagrin mortel dont mon cœur est saisi.
De moment en moment il doit ici paroître ;
Et pleine du désordre où vous me voyez être,
J’ai mandé Dom Fernand pour résoudre avec lui
Ce que mon feu du sien peut attendre d’appui.
Comme il sait qui je suis, je n’ai plus lieu de feindre.

ISABELLE.

Donc à vous déclarer il a sû vous contraindre ?

LÉONOR.

Quoi, ce n’est pas de vous qu’il tient tout mon secret ?

ISABELLE.

Peut-être pour le taire est-il assez discret ;
Mais, s’il l’a sû de moi, j’ai mauvaise mémoire.

LÉONOR.

Ce qu’il a fait tantôt m’obligeoit à le croire.
De l’hymen qui me perd désespéré, jaloux,
Afin d’y mettre obstacle, il est venu chez nous.
À peine ai-je obtenu qu’il n’ait pas vû mon pere.

ISABELLE.

Cette chaleur d’amour ne doit pas vous déplaire ;
Mais, si son cœur pour vous nourrit des feux constans,
Vous étes en danger de l’attendre long-temps.

LÉONOR.

Quoi, vous doutez qu’ici Jacinte ne l’amene ?

ISABELLE.

Je crains qu’à le trouver elle n’ait quelque peine,
Tout-à-l’heure, à mes yeux, on vient de l’arrêter.

LÉONOR.

Quel rude revers avois-je à redouter ?
Que le sort m’est cruel !

ISABELLE.

Que le sort m’est cruel !J’ai pourtant un scrupule,
Qui sur ce point encor me laisse peu crédule.
Je viens de la prison, où, de tout mon pouvoir,
J’ai tâché, mais en vain, d’obtenir de le voir ;
Le concierge en oppose une étroite défense.

LÉONOR.

Quel sujet avez-vous par là de défiance ?

ISABELLE.

C’est que j’en ai beaucoup de me persuader
Que jamais de la fourbe on ne sût mieux s’aider.
Ce même Dom Fernand qui vous voit, qui vous aime,
Doit être un Dionis qui m’en conte à moi-même,

Ou, s’il ne l’étoit pas, le rapport est si grand,
Qu’il confond en effet, plûtôt qu’il ne surprend.
Béatrix n’y peut voir pourtant de ressemblance.

BÉATRIX.

J’en vois autant qu’il faut, & dis ce que je pense ;
Mais que ce soit le même, à quoi bon s’alarmer ?
Vous suffira-t-il pas qu’il sache bien aimer ?

LÉONOR.

En conter en tous lieux, n’en est pas un bon signe.

BÉATRIX.

De votre amour par-là vous le croiriez indigne ?
Ma foi, si la maxime avoit lieu contre nous,
S’il est bien des galants, il seroit peu d’époux.
Se trouve-t-il encor de ces sottes cruelles,
Qui se fâchent d’ouïr que l’on se meurt pour elles,
Et, parmi tous nos droits, n’est-ce pas le plus vieux
D’ouvrir presque l’oreille, aussi-tôt que les yeux ?
Il n’est pour un amant fidélité qui tienne,
Tout ce qui flatte plaît, de quelque part qu’il vienne.
On écoute ; & fît-on magasin de vertu,
Jamais pour des douceurs galant ne fut battu.
Qu’on y trouve à redire, après tout, qu’on y glose,
La faculté d’ouïr est une belle chose ;
Et qui jugera bien des malheurs les plus hauts,
Trouvera qu’être sourde est le plus grand des maux.
Pour moi, que la fleurette a toujours réjouïe,
Je n’entretiens mes jours qu’au moyen de l’ouïe ;
Et j’en aurois déja vû le cours arrêté,
S’il m’en étoit échû quatre de surdité.

LÉONOR.

L’humeur de Béatrix n’aura jamais d’égale.
Malgré mon déplaisir j’écoute sa morale ;
Mais elle adoucit peu ce que ma flamme craint,
S’il faut que Dom Fernand soit tel qu’on me le peint.

BÉATRIX.

Il me semble, pourtant, que sans trop de mystere
De tout ce que je dis la conséquence est claire.

De même qu’en tous lieux il nous plaît d’écouter,
Les hommes de leur part prennent droit d’en conter ;
Mais, de tant de galans, dont la fleurette roulle,
Il en est toujours un qu’on met hors de la foule.
Le cœur, quoi qu’il le cache, a son choix favori,
On préfere ; & c’est-là ce qui fait un mari.
C’est ainsi qu’un amant jamais ne se partage,
Que quelqu’une en secret n’ait toujours son hommage,
Et que ce Dom Fernand, qui vous fait les yeux doux,
Peut protester à cent, & n’adorer que vous.

ISABELLE.

Enfin de sa prison, ou fausse, ou véritable,
Dépend de ce qu’il est la preuve indubitable ;
C’est à quoi je m’arrête ; & vous devez juger
Qu’ici votre intérêt me peut seul engager.
Je dois un cœur fidéle aux vœux de votre frere ;
Et quand à tous objets son amour me préfere,
Le mien de ce qu’il vaut par ses respects instruit…
Mais, dieux ! Je vois Jacinte, & Dom Fernand la suit.

LÉONOR.

Que me disiez-vous donc, & quelles conjectures…

ISABELLE.

Sur ce que vous savez prenez bien vos mesures.
[à Béatrix.]
Hé bien, ce n’est pas fourbe encor que sa prison ?

BÉATRIX.

À la fin je crains bien que vous n’ayez raison.



Scène II.

ISABELLE, LÉONOR, D. FERNAND, GUZMAN, JACINTE, BÉATRIX.
D. FERNAND à Guzman.

Que je trouve Isabelle avec mon inconnue ?

GUZMAN.

Nous avons tous notre heure, & la vôtre est venue,
Monsieur, c’est sans reméde, il faut passer le pas.

LÉONOR, à D. Fernand.

Vous voir est un bonheur que je n’attendois pas.
Sur un bruit, Dom Fernand, qui m’avoit mise en peine,
J’avois lieu de tenir cette espérance vaine ;
On parloit de disgrace & d’emprisonnement.

D. FERNAND, montrant Isabelle.

J’étois avec Madame en ce fâcheux moment ;
Mais, comme dans la cour, contre la violence
J’ai des amis puissans qui prennent ma défense,
À peine ont-ils appris que j’étois arrêté,
Qu’ils ont fait de leur rang agir l’autorité.
Leur parole donnée a causé ma sortie.

ISABELLE.

C’est avoir promptement dressé votre partie.
Leur envoyer l’avis, prendre leur caution,
Trouver, suivre Jacinte à l’assignation,
Le tout en moins d’une heure, & dans un temps si juste,
Qu’il semble qu’à vos vœux chaque moment s’ajuste ;
Qui, pour aller si vîte, a des ressorts tout prêts,
S’il n’est quelque peu fourbe, a d’étranges secrets.

D. FERNAND.

L’amour est un grand maître, & tout le favorise.

ISABELLE.

Mais tout-à-l’heure encor, ce qui fait ma surprise,
Le concierge sembloit n’avoir pas le pouvoir
De souffrir seulement qu’un ami vous pût voir.

D. FERNAND.

C’est à quoi ma partie avoit sû le contraindre ;
Mais il a vû bien-tôt qu’il n’avoit rien à craindre ;
Et trop de gens de marque ont répondu de moi.

LÉONOR.

Cependant il s’agit de prouver votre foi,
On me la rend suspecte ; &, si je l’en veux croire,
Je ne m’y puis fier sans hazarder ma gloire ;
Il doit faire mal sûr recevoir vos sermens.

D. FERNAND.

Elle a conçû de moi d’étranges sentimens !
Mais, hélas ! Se peut-il que, les ayant sû prendre,
Vous doutiez d’un amour & si pur, & si tendre,
Et qu’un soupçon indigne, & de vous & de moi,
Déshonorant mes vœux, fasse outrage à ma foi ?

LÉONOR.

Je tâcherois en vain, Dom Fernand, de vous taire
Qu’un mouvement secret m’en rendit l’offre chere,
Et que rien à mon cœur ne peut être plus doux,
Que vous voir mériter ce qu’il ressent pour vous ;
Mais réduite à l’hymen qu’un pere me prépare,
Si contre mon devoir mon cœur ne se déclare,
Songez que cet effort ne se doit hazarder
Que pour prix d’une foi qu’on veuille me garder.

D. FERNAND.

Ah ! Si brûler pour vous ne fait toute ma gloire…

LÉONOR.

Dans ce qu’on vous impute ai-je lieu de le croire ?
Tout ce que Dom Fernand me conte de douceurs,
Dom Dionis, dit-on, le sait conter ailleurs.
C’est sous deux divers noms que son cœur se partage.

D. FERNAND.

Madame a contre moi rendu ce témoignage ;

Je connois quelle erreur m’attire son courroux ;
Mais je suis Dom Fernand, & je n’aime que vous.

ISABELLE.

Enfin de vos talens elle est bien informée.
Qu’elle aime là-dessus, qu’elle se croie aimée,
J’ai, pour ses intérêts, agi comme j’ai dû.

D. FERNAND.

Et d’un soupçon si bas rien ne m’a défendu ?
Vous n’en voulez juger qu’à mon désavantage ?

LÉONOR.

Mais de Dom Dionis connoissant le visage,
Croirai-je qu’en effet elle ait pû s’abuser ?

D. FERNAND.

Elle est du moins trop prompte à vouloir m’accuser.
Si l’on en croit le bruit dot elle a connoissance,
Avec ce Dom Dionis j’ai quelque ressemblance ;
Et ce rapport de traits, sans doute surprenant,
M’ôte dans son esprit le nom de Dom Fernand.

ISABELLE.

Un rapport si fidéle a grand lieu de surprendre.

LÉONOR.

Mais peut-il être tel qu’on s’y puisse méprendre,
Et que, dans cet abus, la taille ni la voix…

D. FERNAND.

L’autre, dit-on, Madame, est plus haut de deux doigts ;
Aucun ne nous a vûs, qui, dans la ressemblance,
N’ait remarqué soudain beaucoup de différence ;
Et de la vérité soutenant l’intérêt,
Béatrix vous dira que…

BÉATRIX.

Béatrix vous dira que…Non pas, s’il vous plaît.
Avec tous vos détours vous m’aviez attrapée,
Mais j’en vois l’artifice, & je suis dédupée.
Vous savez donc ainsi vous faire prisonnier ?

D. FERNAND.

Quoi, pour me perdre mieux, veux-tu…

BÉATRIX.

Quoi, pour me perdre mieux, veux-tu…Point de quartier.
Je connois ma sottise, elle en vaut bien une autre,
Je le sai, mais ma foi, vous avouerez la vôtre,
Et nous éclaircirons votre genre douteux.

LÉONOR.

Ce procédé pour vous n’a rien que de honteux.
Par tout, sous divers noms, faire intrigues nouvelles ?

GUZMAN bas.

Le voilà justement le cul entre deux selles ;
Pour en embrasser trop, il l’a bien mérité.

D. FERNAND.

Ce reproche est sensible à ma fidélité ;
Mais si quelques soupçons vous tiennent en balance,
Le temps de mon amour prouvera la constance,
Et des soins si pressans la feront éclater,
Que vous n’aurez enfin aucun lieu d’en douter.

LÉONOR.

En vain cette assurance à mes soupçons s’oppose,
Dom Dionis ailleurs promet la même chose,
D’autres en ont ouï ce qu’il dit maintenant.

D. FERNAND.

Laissez Dom Dionis, & croyez Dom Fernand ;
Je le suis, & ma foi vous en devroit répondre.

LÉONOR.

Mon doute me déplaît, je cherche à le confondre ;
Mais peut-on refuser de croire ce qu’on voit ?

BÉATRIX.

Puisqu’il veut l’être enfin, consentez qu’il le soit,
Madame ; &, seulement, tâchons de savoir comme
Il nous amene ici ce brave gentilhomme.

GUZMAN.

Je suis laquais d’honneur, & tu me fais grand tort.

D. FERNAND.

C’est que, m’ayant trouvé…

ISABELLE.

C’est que m’ayant trouvé…Parler pour lui d’abord !

Vous viendrez au secours, s’il sait mal vous connoître.
Parle, à qui donc es-tu ?

GUZMAN.

Parle, à qui donc es-tu ?Moi ? Je suis à mon maître.

ISABELLE.

Et c’est Dom Dionis, que ce maître ?

GUZMAN.

Et c’est Dom Dionis, que ce maître ?Il est vrai.

ISABELLE.

Est-ce lui que tu vois ?

GUZMAN.

Est-ce lui que tu vois ?Si c’est lui ? Je ne sai.
Puis-je le démêler d’avecque sa figure ?

D. FERNAND.

Ce que j’ai dit, Madame, est la vérité pure ;
Dom Dionis, sans doute, est un autre que moi.

BÉATRIX.

Mais nous l’avons laissé tantôt avecque toi.

GUZMAN.

L’ayant quitté depuis, je ne sai plus qu’en dire,
On me l’a pû changer, & j’en aurois le pire.

ISABELLE.

Mais tu l’aurois connu quand tu l’as abordé ?

GUZMAN.

Je m’avançois vers lui quand je l’ai vû mandé ;
Ainsi, j’ai crû devoir le suivre à l’aventure ;
Dom Dionis, tant mieux ; Dom Fernand, je l’abjure.

LÉONOR.

Pour les pouvoir surprendre ils s’entendent trop bien.

JACINTE.

Tous leurs déguisemens ne vont servir de rien.
Quand la coëffe abaissée, allant en inconnue,
J’ai trouvé ce matin Dom Fernand dans la rue ;
Et que de ma maîtresse il a lû le billet,
Tu m’as complimentée en fidéle valet.
Tu disois ton avis, c’étoit alors ton maître.

GUZMAN.

J’étois avecque lui ? Moi ? Cela ne peut-être,
À moins que le doublant, comme il paroît ici,
Le diable ait pris plaisir à me doubler aussi.

JACINTE.

Quel impudent valet ! Madame, je proteste…

BÉATRIX.

Enfin, il faut ici jouer de votre reste.

D. FERNAND à Léonor.

Tout semble avoir juré ma perte auprès de vous ;
Mais je veux que du ciel m’accable le courroux,
Si je ne suis…

LÉONOR.

Si je ne suis…Soyez tout ce qu’il vous plaît d’être ;
Loin de prendre intérêt encor à vous connoître,
C’est un surcroît sensible à mes tristes ennuis,
Qu’on vous ait, malgré moi, découvert qui je suis.

D. FERNAND.

Moi, je le sai, Madame ? Et vous étes capable
De vouloir insulter au sort d’un misérable,
Qui, du plus pur amour se sentant consumer,
Ignore, en vous aimant, qui le force d’aimer ?

LÉONOR.

Quoi, jaloux d’un hymen que je n’ai pû vous taire,
Vous n’étes point venu pour parler à mon pere,
Lui proposer de rompre ?

D. FERNAND.

Lui proposer de rompre ?Où prendre sa maison ?
Où le chercher, enfin, si j’ignore son nom ?

LÉONOR.

Ah ! C’est trop soutenir un lâche stratagême.
Nier obstinément ce que j’ai vû moi-même,
Et, de l’art de fourber se tenant glorieux,
Démentir à la fois mon oreille & mes yeux !
Je n’en demande point une preuve plus forte.
Adieu. Va du jardin le remettre à la porte,
Jacinte, je rougis de l’avoir écouté.

D. FERNAND.

Je n’avouerai jamais ce qui m’est imputé ;
Mais, pour vous témoigner que ma flamme est sincére,
Faites-moi tout à l’heure entretenir ce pere,
Qu’instruit de ma naissance, il puisse examiner
Si je vous ai rien dit qu’on doive soupçonner.

LÉONOR.

Enfin je ne veux point m’éclaircir davantage.
Pour un autre à l’hymen sa parole m’engage,
Il le veut, il l’ordonne, & je dois obéir.

D. FERNAND.

Ô Ciel ! pour mon rival chercher à me trahir !
Madame, songez mieux…

JACINTE.

Madame, songez mieux…Parlez bas, je vous prie ;
Madame, le bon-homme est dans la galerie,
Je croi qu’il vient ici.

GUZMAN.

Je croi qu’il vient ici.Monsieur, tout est perdu.

LÉONOR.

Après ce que j’ai fait ce malheur m’est bien dû.

ISABELLE.

Songez à les cacher, s’il faut qu’il les surprenne…

JACINTE.

Entrez ici…

D. FERNAND.

Entrez ici…Non, non, la prévoyance est vaine,
En l’état où je suis, il faut tout hazarder.

LÉONOR.

N’espérez pas…

D. FERNAND.

N’espérez pas…L’amour saura me seconder.

LÉONOR.

Donc à ne craindre rien le péril vous anime ?

GUZMAN.

Bon pour lui ; mais pour moi, qui suis pusillanime,
Mesdames, n’est-il point, dans ce mortel danger,
Quelque endroit charitable où me pouvoir loger ?

JACINTE.

Je l’entens à sa toux, vous l’aller voir paroître ;
Entrez vîte…

GUZMAN.

Entrez vîte…Hé, Monsieur !

D. FERNAND.

Entrez vîte…Hé, Monsieur !Mon malheur ne peut croître,
Il faut avec éclat justifier ma foi.

LÉONOR.

Mais cet éclat me perd.

D. FERNAND.

Mais cet éclat me perd.Dieux ! Qu’est-ce que je voi ?
N’est-ce pas Dom Juan ?

GUZMAN.

N’est-ce pas Dom Juan ?Et de plus le Beau-pere.

D. FERNAND.

Où suis-je, & que croirai-je ?

LÉONOR.

Où suis-je, & que croirai-je ?Hélas ! Que dois-je faire ?

ISABELLE.

Préparez quelque excuse, & je vous aiderai.



Scène III.

D. DIÉGUE, D. JUAN, ISABELLE, LÉONOR, D. FERNAND, BÉATRIX, JACINTE, GUZMAN.
D. DIÉGUE à D. Juan.

D’où naît ce changement, si vous m’avez dit vrai ?
J’apperçois Dom Fernand.

D. FERNAND, à D. Diégue.

J’aperçois Dom Fernand.Ah ! Monsieur.

LÉONOR.

J’aperçois Dom Fernand.Ah ! Monsieur.Ah ! Mon pere,
De ma témérité vous serez en colere ;

Mais quand vous apprendrez…

D. DIÉGUE.

Mais quand vous apprendrez…Je voi que tu rougis,
D’avoir reçu sans moi Dom Fernand de Solis ;
Mais le titre Époux qu’il a droit de prétendre,
Souffre la liberté que nous te voyons prendre.
Sans doute qu’à tes vœux mon choix a répondu ?

LÉONOR à Jacinte.

Dom Fernand de Solis ! Ai-je bien entendu ?

D. FERNAND.

L’Inconnue est sa fille ! Ah, Guzman, quelle gloire !

D. DIÉGUE.

Si ton bonheur est tel que j’ai lieu de le croire,
Il faut que je te loue, au moins, d’avoir eu soin
Que l’aimable Isabelle en pût être témoin.

ISABELLE.

Comme pour Léonor une forte tendresse
Toujours dans son destin veut que je m’intéresse,
Le choix de Dom Fernand ne peut m’être que cher,
S’il est digne du cœur qu’il tâche de toucher.

D. FERNAND.

C’est dont je n’ose encor me souffrir l’espérance,
Et ce doute cruel me réduit au silence.
Madame, quoi qu’un pere autorise mes vœux,
Son aveu sans le vôtre en vain me rend heureux,
Mon cœur ne reconnoît que votre seul empire.
Parlez, expliquez-vous.

LÉONOR.

Parlez, expliquez-vous.Je l’ai déjà sû dire ;
Mon pere ayant des droits que je ne puis trahir,
S’il a choisi pour moi, je ne sai qu’obéir.

D. JUAN.

Ainsi par cet aveu votre soupçon s’efface ;
Mais de Dom Dionis obtiendrons-nous la grace ?
Madame…

ISABELLE.

Madame…C’est assez. Votre jeu concerté
N’a pas surpris en moi trop de crédulité.

D. DIÉGUE à Isabelle.

Enfin, dans le bonheur qu’ici le Ciel m’envoie,
Un mot de votre bouche achèveroit ma joie ;
Madame, Dom Félix, dont j’attens le retour…

ISABELLE.

Vous m’avez, pour répondre, accordé plus d’un jour ;
Suffit que je l’estime, & que je ne puis taire
Que la sœur, près de moi, peut beaucoup pour le frere.

D. DIÉGUE.

Je ne demande rien après ce doux espoir.

D. JUAN.

Il ne nous reste plus que Guzman à pourvoir ;
C’est à lui de choisir entre les deux Suivantes.

GUZMAN.

Ah ! Béatrix.

BÉATRIX.

Ah ! Béatrix.Hé bien, est-ce fait ?

GUZMAN.

Ah ! Béatrix.Et bien, est-ce fait ?Tu me tentes ;
Et, si je m’arrêtois à jeter l’œil sur toi,
Le diable pourroit bien être plus fin que moi.

BÉATRIX.

Quoi, tu doutes ?

GUZMAN.

Quoi, tu doutes ?Vois-tu ? L’hymen dont tu me pries
Doit durer un peu plus que tes friponneries.
Pour un bail de six mois je pourrois hazarder ;
Mais ma foi, pour toujours, Dieu m’en veuille garder.
Tous ces friands attraits qui parent ton visage,
Sont meubles de haut prix mal propres au ménage ;
Et je tiendrois heureux qui les doit posséder,
S’il ne falloit toujours que voir & regarder.
Mais, chere Béatrix, qui sous l’hymen se range,
Fait tout comme un autre homme, il boit encor & mange.
Partant, Jacinte, tiens.

JACINTE.

Partant, Jacinte, tiens.Tu la quittes pour moi ?

GUZMAN.

Va, touche.

BÉATRIX.

Va, touche.Pauvre fou ! J’aurois voulu de toi ?
Dans quelle folle erreur ton esprit s’enveloppe !
Sais-tu que j’ai fait tirer mon horoscope,
Et que le moindre honneur qui me puisse être acquis
C’est, avant qu’il soit peu, d’épouser un marquis ?
Peut-être même un duc, ou plus.

GUZMAN.

Peut-être même un duc, ou plus.Le doux augure !
Bonsoir, belle marquise, ou duchesse future.
Le ciel…

D. JUAN.

Le ciel…Va, Béatrix, n’écoute plus ce fat,
Je vais faire ériger ma terre en marquisat ;
Et si, dans ce temps-là, ta foi n’est point promise,
Prends-en la mienne ici, je te ferai marquise.
Comme en toi je choisis l’objet le plus parfait ;
J’en sai qui m’ont trouvé peut-être assez bien fait,
Je plais où je veux plaire, & suis assez de mise.

BÉATRIX.

Nous n’avons pas besoin tous deux qu’on nous le dise ;
Et, si je crois valoir qu’on ait des yeux pour moi,
Vous avez pour vous-même autant de bonne foi ;
Mais, à bien prendre tout, quoi qu’un peu plus grand’dame,
Je n’en serois pas mieux pour être votre femme ;
Et nous n’irions pas loin ensemble à communs frais,
Qu’il ne fût question de venir au rabais.
De l’humeur dont je suis, de l’humeur dont vous étes,
Je crois qu’assez souvent nous ferions bourses nettes ;
Nous sommes en défauts opposés tant soit peu,
J’aime fort la dépense, & vous aimez le jeu.
L’un de l’autre par là nous nous verrions les dupes ;
Je voudrois de l’argent pour acheter des jupes ;

Et loin de m’en fournir, comme j’aurois pensé,
Peut-être, ce jour là, vous auriez tout massé.
Un point, ou de Venise, ou de quelque autre mode,
Serait d’un taupe & tinc une suite incommode ;
Et vous enrageriez cent fois tout votre saoul,
Quand vous me verriez brave, & n’auriez pas le sou.
Si la nécessité se trouvoit trop pressante,
On prendroit au besoin un peu d’argent en rente ;
La somme doubleroit, elle feroit éclat,
Et la terre saisie, adieu le marquisat.
Voilà comme le tout s’en irait en fumée.

D. JUAN.

Je n’ai pas avec toi méchante renommée.
Puisque tu me connois, n’allons pas plus avant ;
Aussi bien nous pourrions nous quereller souvent,
Au lieu que, demeurant aux termes où nous sommes,
Tu verras que je suis le plus ardent des hommes,
Et que tant que le jeu me laissera de quoi,
Si tu prens à crédit, j’irai payer pour toi.


FIN.