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Le Grand voyage du pays des Hurons/01/13

La bibliothèque libre.
Librairie Tross (p. 121-124).
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Chapitre XIII.


N ’exercice ordinaire et journalier des jeunes garçons, n’est autre qu’à tirer de l’arc, à darder la flesche, qu’ils font bondir et glisser droict quelque peu par-dessus le paué : joüer auec des bastons courbez, qu’ils font couler par-dessus la neige, et crosser vne balle de bois leger, comme l’on faict en nos quartiers, apprendre à ietter la fourchette auec quoy ils harponnent le poisson, et s’addonnent à autres petits jeus et exercices, puis se trouuer à la Cabane aux heures des repas, ou bien quand ils ont faim. Que si vne mere prie son fils d’aller à l’eau, au bois, ou de faire quelqu’autre semblable seruice de mesnage, il lui respond que c’est vn ouurage de fille, et n’en faict rien : que si par-fois nous obtenions d’eux semblables seruices, c’estoit à condition qu’ils auraient tousiours entrée en nostre Cabane, ou pour quelque espingle, plu-175||me, ou autre petite chose à se parer, dequoy ils estoient fort-contens, et nous aussi, pour ces petits et menus seruices que nous en receuions.

Il y en auait pourtant de malicieux, qui se donnoient le plaisir de couper la corde où suspendoit nostre porte en l’air, à la mode du pays, pour la faire tomber quand on l’ouuriroit, et puis apres le nioyent absolument, ou prenoient la fuite, aussi n’auoüent-ils iamais leurs fautes et malices (pour estre grands menteurs) qu’en lieu où ils n’en craignent aucun blasme ou reproche : car bien qu’ils soient Sauuages et incorrigibles, si sont-ils fort superbes et cupides d’honneur et ne veulent pas estre estimez malicieux ou meschans, quoy qu’ils le soient.

Nous auions commencé à leur apprendre et enseigner les lettres, mais comme ils sont libertins, et ne demandent qu’à ioüer et se donner du bon temps, comme i’ay dict, ils oublioient en trois iours, ce que nous leur auions appris en quatre, faute de continuer, et nous venir retrouuer aux heures que nous leur auions ordonnées, et pour nous dire qu’ils auoient esté empeschez à ioüer, ils en estoient ||176 quittes ; aussi n’estoit-il pas encore à propos de les rudoyer ny reprendre autrement que doucement, et par vne maniere affable les admonester de bien apprendre une science qui leur deuoit tant profiter et apporter du contentement le temps à venir.

De mesme que les petits garçons ont leur exercice particulier, et apprennent à tirer de l’arc les vns auec les autres, si tost qu’ils commencent à marcher, on met aussi vn petit baston entre les mains des petites fillettes, en mesme temps qu’elles commencent de mettre vn pied deuant l’autre, pour les stiler et apprendre de bonne heure à piler le bled, et estans grandelettes elles ioüent aussi à diuers petits ieus auec leurs compagnes, et parmy ces petits esbats on les dresse encore doucement à de petits et menus seruices du mesnage, et aussi quelquefois au mal qu’elles voyent deuant leurs yeux, qui faict qu’estans grandes elles ne valent rien, pour la pluspart, et sont pires (peu exceptées) que les garçons mesmes, se vantans souent du mal qui les deuroit faire rougir ; et c’est à qui fera plus d’amoureux, et si la mere n’en trouue pour soy, elle offre ||177 librement sa fille, et sa fille s’offre d’elle-mesme, et le mary offre aussi aucunes fois sa femme, si elle veut, pour quelque petit present et bagatelle, et y a des Maquereaux et meschans dans les bourgs et villages, qui ne s’addonnent à autre exercice qu’à presenter et conduire de ces bestes aux hommes qui en veulent. Ie louë nostre Seigneur de ce qu’elles prenoient d’assez bonne part nos reprimandes, et qu’à la fin elles commençoient à auoir de la retenuë, et quelque honte de leur dissolution, n’osans plus, que fort rarement, vser de leurs impertinentes paroles en nostre presence, et admiroient, en approuuant l’honnesteté que leur disions estre aux filles de France, ce qui nous donnoit esperance d’vn grand amendement, et changement de leur vie dans peu de temps : si les François qui estaient montez auec nous (pour la pluspart) ne leur eussent dit le contraire, pour pouuoir tousiours iouyr à cœur saoul, comme bestes brutes, de leurs charnelles voluptez, ausquelles ils se veautroient, iusques à auoir en plusieurs lieux des haras de garces, tellement que ceux qui nous deuaient seconder à l’instruction et bon exemple de ce peuple, ||178 estoient ceux-là mesme qui alloient destruisans et empeschans le bien que nous establissions au salut de ces peuples, et à l’aduancement de la gloire de Dieu. Il y en auoit neantmoins quelques-vns de bons, honnestes et bien viuans, desquels nous estions fort contens et bien edifiez ; comme au contraire nous estions scandalisez de ces autres brutaux, athées et charnels, qui empeschoient la conuersion et amendement de ce pauure peuple.

L’vn de nos François ayant esté à la traicte en vne Nation du costé du Nord, tirant à la mine de Cuiure, enuiron cent lieues de nous : il nous dit à son retour y auoir veu plusieurs filles, ausquelles on auoit couppé le bout du nés, selon la coustume de leur pays (bien opposite et contraire à celle de nos Hurons) pour auoir fait bresche à leur honneur, et nous asseura aussi qu’il auoit veu ces Sauuages faire quelque forme de priere, auant que prendre leur repas : ce qui donna au Pere Nicolas et à moy vne grande enuie d’y aller, si la nécessité ne nous eust contraincts de retourner en la Prouince de Canada, et de là en France.