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Le Grand voyage du pays des Hurons/01/21

La bibliothèque libre.
Librairie Tross (p. 197-202).
Des deffuncts, et comme ils pleurent et enseuelissent les morts.

Chapitre XXI.


L mesme temps que quelqu’vn est decedé, l’on enueloppe son corps vn peu retressi, dans sa plus belle robe, puis on le pose sur la natte où il est mort, tousiours accompagné de quelqu’vn, iusques à l’heure qu’il est porté aux chasses. Cependant tous ses parens et amis, tant du lieu que des autres bourgs et villages, sont aduertis de cette mort, et priez de se trouuer au conuoy. Le Capitaine de la Police de son costé, faict ce qui est de sa charge : car incontinent qu’il est aduerty de ce trespas, luy, ou son Assesseur pour luy, en faict le cry par tout le bourg, et prie vn chacun disant : Prenez tous courage, Etsagon, Etsagon, et faictes tous festin au mieux qu’il vous sera possible, pour vn283||tel ou vne telle qui est decedée. Alors chacun en particulier s’employe à faire vn festin le plus excellent qu’il peut, et de ce qu’ils peuuent, puis ils le departent et l’enuoyent à tous leurs parens et amis, sans en rien reseruer pour eux, et ce festin est appellé Agochin atiskein, le festin des âmes. Il y a des Nations lesquelles faisans de ces festins, font aussi vne part au deffunct, qu’ils iettent dans le feu ; mais ie ne me suis point informé de nos Hurons s’ils en font aussi vne au mort, et ce qu’elle deuient, d’autant que cela est de peu d’importance : nous pouuons assez bien cognoistre et coniecturer, par ce que ie viens de dire, la facilité qu’il y a de leur persuader les prieres, aumosnes et bonnes œuures pour les ames des deffuncts.

Les Essedons, Scythes d’Asie, celebroient les funerailles de leur pere et mere auec chants de ioye. Les Thraciens enseuelissoient leurs morts en se resiouyssans, d’autant (comme ils disoient) qu’ils estaient partis du mal, et arriuez à la beatitude : mais nos Hurons enseuelissent les leurs en pleurs et tristesses, neantmoins tellement modérées et réglées au niueau de la raison, qu’il semble que ce pauure peuple284||aye vn absolu pouuoir sur ses larmes et sur ses sentimens ; de maniere qu’ils ne leur donnent cours que dans l’obeyssance, et ne les arrestent que par la mesme obeyssance.

Auant que le corps du deffunct sorte de la Cabane, toutes les femmes et filles là présentes, y font les pleurs et lamentations ordinaires, lesquelles ne les commencent ny ne finissent iamais (comme ie viens de dire) que par le commandement du Capitaine ou Maistre des ceremonies. Le commandement et l’aduertissement donné, toutes vnanimement commencent à pleurer, et se lamentent à bon escient, et femmes et filles, petites et grandes (et non iamais les hommes, qui demonstrent seulement vne mine et contenance morne et triste, la teste panchante sur leurs genoüils) et pour plus facilement s’esmouuoir et s’y exciter, elles repetent tous leurs parens et amis deffuncts, disans. Et mon père est mort, et ma mere est morte, et mon cousin est mort, et ainsi des autres, et toutes fondent en larmes ; sinon les petites filles qui en font plus de semblant qu’elles n’en ont d’enuie, pour n’estre encore capables de ces senti-285||mens. Ayans suffisamment pleuré, le Capitaine leur crie, c’est assez, cessez de pleurer, et toutes cessent.

Or pour monstrer combien il leur est facile de pleurer, par ces ressouuenirs et repetitions de leurs parens et amis decedez, les Hurons et Huronnes souffrent assez patiemment toutes sortes d’iniures : mais quand on vient à toucher cette corde, et qu’on leur reproche que quelqu’vn de leurs parens est mort, ils sortent alors aysement hors des gonds et perdent patience de cholere et fascherie, que leur apporte et cause ce ressouuenir, et feroient enfin un mauuais party à qui leur reprocheroit : et c’est en cela, et non en autre chose, que ie leur ay veu quelques-fois perdre patience.

Au iour et à l’heure assignée pour l’enterrement, chacun se range dedans et dehors la Cabane pour y assister : on met le corps sur vn brancart ou ciuiere couuert d’vne peau, puis tous les parens et amis, auec vn grand concours de peuple, accompagnent ce corps iusques au Cimetiere, qui est ordinairement à vne portée d’arquebuze loin du bourg, où estans tous arriuez, chacun se tient en silence, les vns de-286||bout, les autres assis, selon qu’il leur plaist ; pendant qu’on esleue le corps en haut, et qu’on l’accommode dans sa chasse, faicte et disposée exprez pour luy : car chacun corps est mis dans vne chasse à part. Elle est faicte de grosse escorce, esleuée sur quatre gros piliers de bois vn peu peinturez, de la hauteur de neuf ou dix pieds ou enuiron : ce que ie coniecture, en ce qu’esleuant ma main, ie ne pouuois toucher aux chasses qu’à plus d’vn pied ou deux prez. Le corps y estant posé, auec la galette, l’huile, haches et autre chose qu’on y veut mettre, on la referme, puis de dessus on iette deux bastons ronds, chacun de la longueur d’vn pied, et gros vn peu moins que le bras ; l’vn d’vn costé pour les ieunes hommes, et l’autre de l’autre, pour les filles : (Ie n’ay point veu faire cette ceremonie de ietter les deux bastons en tous les enterremens ; mais à quelques vns,) et ils se mettent après comme lyons, à qui les aura, et les pourra esleuer en l’air de la main, pour gaigner vn certain prix, et m’estonnois grandement que la violence qu’ils apportoient pour arracher ce baston de la main des vns et des autres, se veautrans et culbutans contre terre, ne les287||estouffoit, tant les filles de leur costé, que les garçons du leur.

Or pendant que toutes ces ceremonies s’obseruent, il y a d’vn autre costé vn Officier monté sur vn tronc d’arbre, qui reçoit des presens que plusieurs personnes font, pour essuyer les larmes de la vefue, ou plus proche parente du deffunct : à chaque chose qu’il reçoit, il l’esleve en l’air, pour estre veuë de tous, et dict : Voilà vne telle chose qu’vn tel ou vne telle a donnée pour essuyer les larmes d’vne telle, puis il se baisse, et luy met entre les mains : tout estant acheué chacun s’en retourne d’où il est venu, auec la mesme modestie et le silence. I’ay veu en quelque lieu d’autres corps mis en terre (mais fort peu) sur lesquels il y auoit vne Cabane ou Chasse d’escorce dressée, et à l’entour vne haye en rond, faicte auec des pieus fichez en terre, de peur des chiens ou bestes sauuages, ou par honneur, et pour la reuerence des deffuncts.

Les Canadiens, Montagnais, Algoumequins et autres peuples errans, font quelqu’autre particuliere ceremonie enuers les corps des deffuncts : car ils n’ont desia point de Cimetiere commun et ar-288||resté ; ains enseuelissent et enterrent ordinairemen les corps de leurs parens deffuncts parmy les bois, proche de quelque gros arbre, ou autre marque, pour en recognoistre le lieu, et auec ces corps enterrent aussi leurs meubles, peaux, chaudieres, escuelles, cueilliers et autres choses du deffunct, auec son arc et ses flesches, si c’est vn homme, puis mettent des escorces et des grosses busches par-dessus, et de la terre après, pour en oster la cognoissance aux Estrangers. Et faut noter qu’on ne sçauroit en rien tant les offencer, qu’à fouiller et desrober dans les sepulchres de leurs parens, et que si on y estoit trouué, on n’en pourroit pas moins attendre qu’vne mort tres-cruelle et rigoureuse, et pour tesmoigner encore l’affection et reuerence qu’ils ont aux os de leurs parens : si le feu se prenoit en leur village et en leur cimetière, ils courroient premierement esteindre celuy du cimetière, et puis celuy du village.

Entre quelque Nation de nos Sauuages, ils ont accoustumé de se peindre le visage de noir à la mort de leurs parens et amis, qui est vn signe de deuil : ils peindent aussi le visage du deffunct, et l’enjo-289||liuent de matachias, plumes et autres bagatelles, et s’il est mort en guerre, le Capitaine faict vne Harangue en manière d’Oraison funèbre, en la presence du corps, incitant et exhortant l’assemblée, sur la mort du deffunct, de prendre vengeance d’vne telle meschanceté, et de faire la guerre à ses ennemis, le plus promptement que faire se pourra, afin qu’vn si grand mal ne demeure point impuny, et qu’vne autre fois on n’aye point la hardiesse de leur courir sus.

Les Attiuoindarons font des Resurrections des morts, principalement des personnes qui ont bien merité de la patrie par leurs signalez seruices, à ce que la memoire des hommes illustres et valeureux reuiue en quelque façon en autrüy. Ils font donc des assemblées à cet effect, et tiennent des conseils, ausquels ils en eslisent vn d’entr’eux, qui aye les mesmes vertus et qualitez (s’il se peut) de celuy qu’ils veulent ressusciter, ou du moins qu’il soit d’vne vie irreprochable parmy vn peuple Sauuage.

Voulans donc proceder à la Resurrection, ils se leuent tous debout, excepté celuy qui doit ressusciter, auquel ils im-290||posent le nom du deffunct, et baissans tous la main iusques bien bas, feignent le relever de terre : voulans dire par là qu’ils tirent du tombeau ce grand personnage deffunct, et le remettent en vie en la personne de cet autre qui se leue debout, et (apres les grandes acclamations du peuple) il reçoit les presens que les assistans luy offrent, lesquels le congratulent encore de plusieurs festins, et le tiennent désormais pour le deffunct qu’il represente ; et par ainsi iamais la mémoire des gens de bien et des bons et valeureux Capitaines ne meurt point entr’eux.