Le Japon (Humbert)/07

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Officier et soldats japonais des guerres civiles du treizième siècle. — Dessin de A. de Neuville d’après des gravures japonaises.


LE JAPON,


PAR M. AIMÉ HUMBERT, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE[1].


1863-1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


Séparateur



Le temple d’Hatchiman, à Kamakoura.

Le bâtiment du temple d’Hatchiman, qui s’élève vis-à-vis des ponts, abrite sous sa haute toiture deux monstrueuses idoles apostées de chaque côté de la porte pratiquée de part en part au centre de l’édifice. Elles sont sculptées en bois et, de la tête aux pieds, revêtues d’une couche de vermillon. Leurs figures grimaçantes et leurs bustes énormes sont tachetés d’innombrables boulettes de papier mâché, que les visiteurs leur lancent, au passage, sans plus de formalités que n’y mettraient une bande d’écoliers en vacances. Cependant les pèlerins leur adressent des vœux et y joignent volontiers l’offrande d’une paire de chaussons en paille, qu’ils attachent à la grille dont les statues sont entourées. Ces chaussures, appropriées aux pieds des deux colosses, étant suspendues par milliers aux barreaux de la grille, on peut se figurer l’agréable coup d’œil que présente cette garniture.

Ici, un frère servant de la bonzerie s’approche de notre société, et sa démarche câline dénote des vues intéressées. Nous lui déclarons que ses bons offices n’auront quelque mérite à nos yeux que s’ils nous procurent l’accès des bâtiments fermés. Alors, secouant la tête de manière à nous faire comprendre que nous lui demandons une chose impossible, il se borne à suivre nos pas avec la ponctualité machinale d’un homme qui exécute une consigne.

Archer japonais (troupes du Siogoun). — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Le tableau que nous avons devant nous est vraiment digne d’admiration. Une haute terrasse, à laquelle conduit un large escalier de pierre, domine le second parvis. Elle est soutenue par un mur de construction cyclopéenne, et supporte le temple principal ainsi que des habitations de bonzes. Les toits grisâtres de ces divers édifices se détachent sur une sombre forêt de cèdres et de pins.

À notre gauche sont les bâtiments du trésor. L’un d’eux a une toiture pyramidale, surmontée d’une aiguille de bronze artistement travaillée. Au pied du grand escalier est la chapelle des ablutions.

À notre droite s’élève une haute pagode, construite sur le principe des pagodes chinoises, mais d’un goût moins baroque et d’un style plus sobre et plus sévère. Le premier étage, de forme quadrangulaire, est assis sur des piliers ; le second étage consiste en une vaste galerie circulaire, qui, toute massive qu’elle est, se dessine dans les airs avec une telle légèreté, qu’elle semble reposer sur un simple pivot.

Un toit pointu, évasé par la base et terminé par une haute flèche en spirale, coulée en bronze et ornée d’appendices de même métal, complète l’effet de cet étrange monument, dans lequel il était impossible d’allier plus de hardiesse à une plus juste entente des proportions.

Le problème de la pagode d’Hatchiman devait aboutir à une monstruosité architecturale ou à ce tour de force, parfaitement exécuté, que nous avons sous les yeux. En contemplant un pareil édifice, l’Européen ne peut se défendre d’un premier mouvement de défiance, et je dirai presque de protestation ; mais enfin il faut se rendre, et convenir que l’on est sous l’empire non-seulement de l’étonnement, mais de l’impression à la fois imposante et harmonieuse que produit toute véritable œuvre d’art.

L’ornementation des bâtiments que je viens d’énumérer ne manque pas non plus de goût et de mesure. Elle s’applique principalement aux frontons des portes et aux corniches sur lesquelles reposent les toitures. La belle teinte brune des bois de charpente, qui sont presque les seuls matériaux employés dans ces constructions, est animée par quelques détails de sculpture peints en rouge ou en vert-dragon. Au reste, il n’est pas superflu d’ajouter au tableau son encadrement d’arbres séculaires et l’éclat incomparable de son ciel, car le Japon est peut-être le pays du monde où l’atmosphère est de la plus grande transparence.

Nous visitâmes encore, au delà de la pagode, un campanile abritant une grosse cloche habilement ciselée, et un oratoire dont l’autel portait trois images dorées, une grande au milieu flanquée de deux petites, toutes trois entourées d’une auréole. Ainsi, bien que le temple d’Hatchiman soit consacré à un kami, il est partout visible que des usages religieux venus de l’Inde y ont supplanté l’ancien culte national.

Lancier japonais (troupes du Siogoun). — Dessin de A. de Neuville d’après une aquarelle de M. A. Roussin.

Nous en eûmes une nouvelle preuve lorsque, sur le point de rebrousser chemin, nous fûmes sollicités par le frère servant d’aller encore un peu plus loin. Il nous arrêta sous un arbre chargé d’ex-voto, au pied duquel était un bloc de rocher entouré d’une barrière. Il nous y fit remarquer une fissure vaginiforme qu’il prétendit être l’œuvre de la nature, tandis que je soupçonne le ciseau des bonzes d’avoir pour le moins achevé l’image confusément ébauchée par le hasard. Quoiqu’il en soit, les bons pères paraissent avoir fait une heureuse spéculation en exposant à la vénération des indigènes ce rocher qui rappelle le linga brahmanique. Les ex-voto seuls témoignent qu’il reçoit les hommages d’une foule de pèlerins.

Ainsi les Japonais, sans tomber dans tous les égarements du paganisme, n’ont pas échappé à la conséquence la plus ridicule d’un système qui tend à diviniser toutes les forces de la nature. Le peuple le plus spirituel et le plus moqueur de l’extrême Orient n’en est pas moins un peuple très-superstitieux. Tel bon bourgeois de Yédo, telle dame élégante de la cour riront sans doute de la ridicule idole de Kamakoura ; mais, dans certaines circonstances de famille, ils ne manqueront pas d’aller la visiter les mains pleines d’offrandes.

Un dernier coup d’œil jeté du haut de la terrasse sur l’ensemble des bâtiments sacrés nous a laissé comme un regret des temps où tout un peuple pouvait encore se réunir, avec ses magistrats et les ministres de son culte, dans un acte commun d’adoration religieuse et d’enthousiasme patriotique.

Ainsi que les tribus d’Israël à la dédicace du temple, les peuplades du Nippon et des îles voisines ont dû remplir autrefois ces parvis, ces avenues, sous les yeux des chefs de la nation groupés sur l’esplanade du sanctuaire. D’ici le regard plonge jusqu’à la mer, par-dessus les toitures, les ponts, les trois portails espacés dans la grande allée. Que l’on se représente la foule entourant ces constructions, ces piliers, ces colonnes naturelles formées par les plantations de cèdres, et tout l’espace de la grande terrasse à la mer ne fera qu’un temple immense, éclatant de couleurs et de lumière sous la voûte du ciel.

Une illusion du même genre se produit lorsque, depuis la mer, on élève la vue sur le temple principal, au sommet de la haute terrasse. Les effets de perspective de l’avenue, des trois toris, des bâtiments lointains, se combinent de telle sorte, qu’en mettant le pied sur la plage on croit toucher au seuil d’un prodigieux édifice.

Bien ne pouvait faire une plus brusque diversion au grand caractère de ce tableau, que le temple vers lequel nous nous dirigeâmes en sortant de l’avenue d’Hatchiman. On l’a construit, il est vrai, dans une admirable situation, au sommet d’un promontoire d’où la vue s’étend sur toute la baie de Kamakoura ; mais il est d’autant plus triste de rencontrer, au sein d’une si belle nature, un prétendu lieu sacré qui ne vous laisse que l’impression du dégoût. Le sanctuaire principal semble d’abord ne rien offrir de particulièrement remarquable : d’insignifiantes idoles dorées sont dressées sur le maître autel. Dans une chapelle latérale on distingue l’image du dieu des richesses armé d’un marteau de mineur. Cependant les bonzes qui nous ont reçus nous font passer derrière le maître-autel, et là, dans une cage obscure comme une prison et haute comme une tour, ils allument deux lanternes et les hissent lentement le long d’une sorte de mât. Alors, à la lueur vacillante de ces deux étoiles perdues dans les ténèbres de la toiture, nous nous apercevons que nous sommes en face d’une énorme idole en bois doré, haute de dix à douze mètres, portant à la main droite un sceptre, à la gauche un lotus, et sur le front une tiare composée de trois rangées de têtes figurant des divinités inférieures. Quant à l’idole gigantesque, elle appartient à la catégorie des dieux auxiliaires de la mythologie bouddhiste, les Amidas, les Kwannons, les intercesseurs, qui recueillent les prières des hommes et les transmettent au ciel.

Danseuse de la cour de Kamakoura. — Dessin de A. de Neuville d’après une peinture Japonaise.

C’est au moyen de pareilles conceptions religieuses et de telles scènes de fantasmagorie que les bonzes frappent d’une terreur superstitieuse l’imagination de leurs ouailles, et parviennent à les maintenir sous leur domination dans un état de perpétuelle imbécillité.

Nous prîmes le chemin de la grande statue du Daïboudhs, qui est, par excellence, la merveille de Kamakoura. Le monument dédié au Daïboudhs, c’est-à-dire au grand Bouddha, peut être envisagé comme l’œuvre la plus accomplie du génie japonais, au double point de vue de l’art et du sentiment religieux.

Le temple d’Hatchiman nous a déjà offert un exemple remarquable du parti que l’art indigène sait tirer de la nature pour produire, à peu de frais, cette impression de majesté religieuse, qui a exigé, dans nos climats du nord, les efforts prodigieux de l’architecture gothique.

Le temple du Daïboudhs devait, à certains égards, revêtir un autre caractère que le premier. Au lieu des grandes dimensions en étendue, au lieu de cet espace illimité, qui semble se perdre de portail en portail jusque sur la mer, il fallait une retraite solitaire, mystérieuse, propre à disposer l’âme à quelque révélation surnaturelle. Le chemin s’éloigne de toute habitation, et se dirige vers la montagne ; il serpente d’abord entre des haies de hauts arbustes ; ensuite l’on ne voit plus rien devant soi qu’une route toute droite, qui monte au milieu du feuillage et des fleurs ; puis elle fait un contour comme pour aller à la recherche d’un but éloigné, et tout à coup l’on voit apparaître, au fond de l’allée, une gigantesque divinité d’airain, accroupie, les mains jointes, et la tête inclinée, dans une attitude d’extase contemplative.

Le saisissement involontaire que l’on éprouve à l’aspect de cette grande image, fait bientôt place à l’admiration. Il y a un charme irrésistible dans la pose du Daïboudhs, ainsi que dans l’harmonie des proportions de son corps, la noble simplicité de son vêtement, le calme et la pureté des traits de sa figure. Tout ce qui l’environne est en parfait rapport avec le sentiment de sérénité que sa vue inspire. Une épaisse charmille, surmontée de quelques beaux groupes d’arbres, ferme seule l’enceinte du lieu sacré, dont rien ne trouble le silence et la solitude. À peine distingue-t-on, cachée dans le feuillage, la modeste cellule du prêtre desservant. L’autel, où brûle un peu d’encens aux pieds de la divinité, se compose d’une table d’airain, ornée de deux vases de lotus, du même métal et d’un travail excellent. Les marches et le parvis de l’autel sont revêtus de larges dalles formant des lignes régulières. L’azur du ciel, la grande ombre de la statue, les tons sévères de l’airain, l’éclat des fleurs, la verdure variée des haies et des bosquets, remplissent cette retraite des plus riches effets de lumière et de couleurs.

L’idole du Daïboudhs, avec le socle qui la supporte, est haute d’environ vingt mètres. Elle est loin d’égaler en élévation la statue de saint Charles Borrommée, que l’on voit près d’Arona sur les bords du lac Majeur ; mais celle-ci laisse le spectateur aussi froid que s’il était placé devant un signal trigonométrique.

Temple central d’Hatchiman, à Kamakoura. — Dessin de Thérond d’après une photographie de Béato et une aquarelle de Wirgman.

On a utilisé, plus ou moins convenablement, l’intérieur de ces deux statues colossales. Les touristes d’Europe vont s’asseoir dans le nez du saint cardinal. Les Japonais descendent, par un escalier dérobé, dans les fondations de leur Daïboudhs, et ils y trouvent un paisible oratoire, dont l’autel reçoit un rayon de soleil par une ouverture dissimulée dans les plis que fait le manteau d’airain sur la nuque de l’idole.

Ce serait se livrer à des recherches oiseuses, que d’examiner jusqu’à quel point le Bouddha de Kamakoura est le Bouddha de l’histoire ; mais il importe de s’assurer qu’il est conforme au Bouddha de la tradition.

Les bouddhistes se sont fait du fondateur de leur religion une image sacramentelle, seule authentique, revêtue de caractères minutieusement énumérés en trente deux signes principaux et quatre-vingts marques secondaires, afin qu’elle puisse se transmettre aux âges futurs dans toute son intégrité. L’idole japonaise répond, dans ses traits essentiels, à cette sorte de signalement du grand réformateur indou. Elle en reproduit scrupuleusement la pose, l’attitude méditative : c’est ainsi que le sage joignait les mains, les doigts allongés, et pouce contre pouce ; c’est ainsi qu’il se tenait accroupi, les jambes ployées et ramenées l’une sur l’autre, le pied droit étendu sur le genou gauche. On reconnaît pareillement son front large et uni, ainsi que sa chevelure, formée d’une multitude de boucles écourtées. Enfin l’on distingue jusqu’à cette singulière protubérance du crâne qui lui déformait un peu le sommet de la tête, et même une certaine touffe de poils blancs qu’il avait entre les sourcils, ce qu’une statue de métal ne pouvait d’ailleurs indiquer que par une petite excroissance arrondie.

Mais tous ces signes particuliers ne constituent pas la physionomie, l’expression du personnage.

À cet égard, le Daïboudhs de Kamakoura n’a rien de commun avec les magots que l’on adore en Chine sous le nom de bouddhas, et le fait me paraît digne de remarque, puisque c’est la Chine qui a introduit le bouddhisme au Japon.

Le Trésor et la Pagode du temple d’Hatchiman, à Kamakoura. — Dessin de Thérond d’après des photographies de Béato, et des aquarelles de Roussin et de Wirgman.

Malgré quelque différence de style et ce qu’elle a d’exceptionnel dans ses dimensions, la noble statue japonaise est la sœur de celles que l’on voit en grand nombre dans les îles de Java et de Ceylan, ces refuges sacrés qui s’ouvrirent au bouddhisme lorsqu’il fut expulsé de l’Inde. C’est là que le type du héros de la contemplation se conserve le plus religieusement et apparaît sous sa forme la plus exquise, dans de merveilleuses images de basalte, de granit ou de grès, généralement au-dessous plutôt qu’au-dessus de la taille humaine. Ce type, en majeure partie conventionnel, quoique parfaitement authentique aux yeux de la foi, est spécialement pour les prêtres singhalais voués à l’art de la statuaire, le thème unique de travaux infatigables dans lesquels ils s’efforcent de réaliser la perfection idéale. Ils ont produit en effet des œuvres d’une pureté qui n’est peut-être surpassée que par les Vierges de Raphaël.

Le Japon a hérité quelque peu de la haute tradition des îles bouddhistes. Il fut probablement visité par des apôtres venus de ces lointains parages. D’un autre côté, il subit pareillement, dans une mesure plus considérable, et sous l’influence de ses plus proches voisins, toutes les fatales conséquences de la doctrine du maître lui-même et surtout des monstrueuses aberrations de ses disciples.

À eux seuls, les temples de Kamakoura venaient de me fournir plus d’un exemple à l’appui de cette double observation.


Le bouddhisme au Japon.

C’est une simple et touchante histoire que celle du Bouddha. Au sein des délices de la cour de Kapilavastou, le jeune prince Siddhârtha, héritier du trône, éprouve avec étonnement que les plus grands biens de la terre, ceux-là mêmes dont il jouit, ne lui donnent pas le bonheur. Jetant les yeux autour de lui, il est frappé des maux, des misères, de la dépravation, qui empoisonnent la vie humaine. Chez toutes les créatures il rencontre le spectacle de la souffrance et de la mort. Il n’est pas jusqu’à la nature inanimée qui ne lui présente des tableaux de désolation.

S’adressant aux ministres de la religion, leurs dogmes ne lui offrent que des sujets d’effroi : les dieux mêmes, d’après les brahmanes, sont soumis à la loi de la transmigration. Quant aux hommes, chacun d’eux a déjà passé antérieurement par une multitude d’existences diverses, et, selon ses actions dans ce monde, il devra reprendre une forme supérieure, ou descendre un échelon plus bas. Brahma, l’esprit universel, d’où toutes choses émanent, est aussi le terme fatal de toutes les existences. Mais qui pourra dire la longueur du voyage de tel être humain en particulier ? et qui prémunira le malheureux voyageur contre les embûches que les démons sèment jusque sous les pas des plus sages, issus des castes les plus pures ?

Pagode d’Hatchiman. (Détail.). — Dessin de Thérond d’après une photographie et une aquarelle de M. Roussin.

Siddhârtha prend une résolution suprême : « Je veux qu’en disparaissant d’ici-bas, je ne sois plus sujet aux vicissitudes de la transmigration. Je trouverai la voie qui met un terme à la naissance et à la mort ; et quand je l’aurai découverte, j’en ferai part au monde, enseignerai la loi de grâce pour tous. »

Il avait alors vingt-neuf ans. Il se sépare de son père, de ses femmes, de ses enfants ; visite les plus célèbres écoles des maîtres de la loi de Manou, et s’adonne pendant six années à l’étude des systèmes religieux, ainsi qu’aux exercices ascétiques des brahmanes ; mais il arrive à la conviction que ce chemin n’est pas celui qui mène à l’intelligence accomplie.

Ce fut un peu plus tard, au sein de la retraite et de la méditation solitaire, qu’il se sentit tout à coup fixé sur les bases de sa doctrine. Dès ce moment il crut pouvoir se dire qu’il était enfin revêtu de la qualité de Bouddha, en pleine possession de la parfaite intelligence.

Il commença ses prédications à Bénarès, à l’âge de trente-six ans, parcourut le Béhar, revit la cité de Kapilavastou, et convertit à la vie religieuse ses trois femmes, son père et d’autres membres de sa famille.

Comme celle-ci portait le nom de Sâkya, c’est sous le surnom de Sâkyamouni, le solitaire des Sâkyas, que le Bouddha fut bientôt connu dans toute l’Inde centrale.

Les luttes qu’il eut à soutenir contre les brahmanes mirent plusieurs fois sa vie en péril. Cependant il put exercer sa mission pendant plus de quarante années, sans lui donner d’autre appui que la sévérité de ses mœurs et la perfection de son savoir.

Lorsqu’il sentit sa fin approcher, le vénérable octogénaire fit de tendres adieux à ses compagnons d’œuvre, et s’étant assis à l’ombre d’un bosquet de saras, il s’éteignit doucement, ne laissant autre chose au monde que sa dépouille mortelle, le souvenir de ses enseignements et l’effet de ses bons exemples.

L’an 543 avant Jésus-Christ, sept jours après la mort du Bouddha, un premier concile de ses sectateurs fixa les paroles du maître, car lui-même n’avait rien écrit. Sa doctrine, qui, dans son intention, n’avait eu d’autre but que d’opérer une réforme morale au sein du culte brahmanique, d’y substituer le règne du devoir à celui des dieux et la pratique du bien à celle de vaines cérémonies, devint, à son tour, un système dogmatique accompagné d’un culte superstitieux et idolâtre.

Le bouddhisme est aujourd’hui la principale religion de l’île de Ceylan, de l’empire Birman, des royaumes de Siam et d’Annam, du Tonkin, du Tibet, de la Tartarie, de la Mongolie, de la Chine et du Japon. Il a dominé quelque temps l’Inde entière, Java et d’autres îles de la Sonde ; il subsiste encore au Cachemire et dans le Népaul. Le nombre de ses adhérents dépasse trois cents millions d’âmes : c’est un chiffre que n’atteint aucune autre religion du globe.

Bonze d’un grade supérieur. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

L’introduction du bouddhisme au Japon remonte à l’an 552 de notre ère.

À cette époque, Kin-Meï, le trentième Mikado, reçut du roi de Petsi en Corée, une statue du Sâkyamouni, ainsi que des livres, des bannières, un baldaquin et d’autres objets destinés à l’usage du culte. Une lettre, jointe à ces présents, les accompagnait des recommandations suivantes :

« Voici la meilleure de toutes les doctrines. Venue de l’Inde lointaine, elle nous révèle ce qui fut un mystère pour Confucius lui-même, et nous transporte dans un état final dont la félicité ne peut être surpassée. Le roi de Petsi la communique à l’empire du Mikado, afin qu’elle s’y répande et qu’ainsi s’accomplisse ce qui est écrit dans les livres du Bouddha : « Ma doctrine s’étendra vers l’Orient. »

Aussitôt le Mikado consulta ses ministres sur l’accueil qu’il convenait de faire à la statue du grand Kami de l’Inde. « Toutes les nations de l’Occident, répondit Inamé, vénèrent le Bouddha : pourquoi le Nippon lui tournerait-il le dos ? — Mais, objecta Wokosi, si nous allons rendre hommage à un Kami étranger, n’est-il pas à craindre que nous n’irritions les Kamis nationaux ? »

Alors le Mikado prononça souverainement cette sentence conciliante : « Il est juste et équitable d’accorder à l’homme ce que son cœur désire. Qu’Inamé révère l’image ! »

Celui-ci l’emporta et lui construisit une chapelle.

Cependant une épidémie s’étant déclarée, on l’attribua au nouveau culte. La chapelle fut brûlée, et la statue jetée à la rivière.

La famille d’Inamé n’en demeura pas moins secrètement attachée à la doctrine étrangère.

Sous le règne de Bidats, successeur de Kin-Meï, le ministre Sogano, fils d’Inamé, présenta au Mikado un bonze venu de Sinra en Corée.

Le saint homme, prévenu des difficultés que rencontrerait l’introduction du bouddhisme dans un pays où

la religion nationale unissait si intimement le peuple
Le Daïboudhs, statue colossale du Bouddha, à Kamakoura. - Dessin de E. Thérond d’après une photographie.
et le souverain, imagina un moyen de se rendre le Mikado

favorable. Aussitôt qu’il aperçut à la cour le petit-fils du Mikado, jeune garçon de six ans, dont la naissance avait eu quelque chose d’extraordinaire, il se prosterna aux pieds de l’enfant miraculeux et l’adora, en annonçant qu’il reconnaissait en lui l’incarnation d’un émule du Bouddha, un nouveau patron de l’empire, un futur propagateur de la lumière religieuse.

Le Mikado se laissa persuader de vouer cet enfant au sacerdoce et de confier son éducation au bonze coréen. Le reste se devine. Ce jeune garçon devint l’initiateur et le premier grand prêtre du bouddhisme dans l’empire du Japon. Il y est aujourd’hui révéré sous le nom de Sjô-Tok-Daïsi, le saint et vertueux prince héréditaire.

Loin de renier l’origine étrangère du nouveau culte, les Japonais se sont fait un devoir de la rappeler par divers symboles, tels que ces têtes d’éléphants que j’ai déjà citées parmi les ornements d’architecture des monuments bouddhistes, et jusqu’à des plants de palmiers, d’une petite espèce acclimatée au Japon, que l’on rencontre aux abords des temples, en souvenir de l’Inde.

Il leur était plus facile de témoigner, par certains signes extérieurs, de leur respect pour le berceau du Bouddha, que de conserver sans altération ce qui constitue l’essence même de sa religion, c’est-à-dire l’exacte tradition de sa vie, de sa personnalité, de ses enseignements.

Dans la légende japonaise, le Bouddha vient au monde d’une manière miraculeuse. Aussitôt après sa naissance il se place debout au milieu de la chambre, fait sept pas dans la direction de chacun des quatre points cardinaux, puis montrant de sa main droite le ciel, et de sa main gauche le sol, il s’écrie : « Autour de moi, en haut et en bas, il n’y a rien qui puisse m’être comparé, ni aucun être qui soit plus digne de vénération ! »

C’est dans cette posture que l’enfant Bouddha est représenté, lorsqu’on célèbre sa naissance. Le huitième jour du quatrième mois, l’on se rend au temple pour arroser sa statuette d’une décoction d’herbes aromatiques, que les bonzes ont préparée dans une sorte de bénitier disposé aux pieds de l’image.

Celle-ci reçoit ensuite les adorations des fidèles, et les plus dévots, pour terminer leurs exercices s’arrosent de la même décoction et en boivent.

Bouddha enfant. — Fac-simile d’une vignette japonaise.

Du neuvième au quinzième jour du second mois, l’on fête le souvenir des méditations du Sâkyamouni dans la solitude des forêts. C’est une semaine de retraite et de prédications, pendant laquelle les bonzes apprennent au peuple que l’éveil de la connaissance suprême dans l’âme du Bouddha fut en corrélation avec l’apparition d’une brillante étoile ; que le sage, parvenu à la pleine possession de la lumière, annonça pendant trente-sept jours le premier livre de la loi, pendant douze ans le second, trente ans le troisième, huit ans le quatrième, et un jour et une nuit le dernier, qui traite du nirwâna ou de l’anéantissement final.

Ils ajoutent que, durant les quarante-neuf années de son ministère, il fit tourner jusqu’à trois cent soixante fois la roue de la loi, image sous laquelle il faut entendre l’exposé complet de sa doctrine.

Le septième et dernier jour de la fête est consacré à la commémoration de la mort du Bouddha. Dans chacun des lieux de culte qui lui sont dédiés, l’on élève un cénotaphe, et les fidèles vont de temple en temple, rivalisant de zèle pour orner le saint tombeau.

C’est alors que l’on déroule dans le temple de Toôfoukzi, à Kioto, le célèbre tableau du Néhanzaô, peint par Tôodenzou. Au centre de cette grande toile, le Bouddha est représenté étendu sous les arbres de saras, plongé dans le repos de l’éternel néant. Le calme solennel de sa figure révèle que l’affranchissement de son intelligence est consommé, que le sage est irrévocablement entré dans le nirwâna. Ses disciples, autour de lui, le contemplent avec une expression mêlée de regret et d’admiration. Les pauvres, les opprimés, les parias, pleurent l’ami charitable qui les a nourris des aumônes qu’il recueillait pour eux, et le consolateur dont la parole compatissante leur a ouvert les perspectives de la délivrance. Les animaux mêmes, la création entière s’émeut en voyant réduit à l’état de cadavre, celui qui respecta constamment la vie, sous toutes les formes qu’elle revêt dans la nature. Les génies de la terre, des eaux et des airs s’approchent avec respect, suivis des hôtes de leurs domaines, les poissons, les oiseaux, les insectes, les reptiles, les quadrupèdes de toutes sortes jusqu’à l’éléphant blanc, degré suprême de la métempsycose brahmanique.

Cette composition, toute bizarre qu’elle est, n’en produit pas moins un effet puissant. Elle éveille je ne sais quelle mystérieuse sympathie et semble même exprimer une idée qui n’est point étrangère au christianisme, savoir : celle d’une certaine solidarité établie entre l’homme et tous les êtres de la création terrestre.

Quant au sujet principal du tableau, je crois que l’on n’est pas encore tout à fait fixé sur le sens qu’il convient de lui attribuer. Faut-il se représenter le nirwâna, but suprême des aspirations bouddhistes, comme l’absorption de l’âme du juste dans la divine essence de l’esprit universel, ou doit-on réellement en faire le synonyme d’anéantissement ? La doctrine du Bouddha est très-obscure sur ce point. Cependant les autorités les plus respectables se prononcent en faveur de la dernière alternative. L’interprétation que M. Barthélemy Saint-Hilaire donne, d’après M. E. Burnouf, du nirwâna bouddhiste, se résume presque textuellement comme suit :

Le Bouddha prend pour point de départ de sa doctrine un fait incontestable, l’existence de la douleur, dont l’homme est atteint, sous une forme quelconque, dans toutes les conditions sociales. Recherchant les causes de la douleur, il les attribue aux passions, au désir, à la faute, à l’ignorance, à l’existence même.

Bonzerie et bosquets de bambous (voy. p. 311). — Dessin de H. Clerget d’après une aquarelle de M. Roussin.

Cela étant, la douleur ne peut avoir d’autre terme que la cessation de l’existence. Mais il faut que cette fin, pour être réelle, soit le néant, le nirwâna. Il n’y a pas d’autre moyen de sortir du cercle des renaissances perpétuelles, de se soustraire définitivement à la loi des transmigrations. Ce composé d’âme et de corps, que l’on appelle l’homme, ne saurait être réellement délivré que par l’anéantissement absolu ; car pour peu qu’il restât le moindre atome de son âme, l’âme pourrait encore renaître sous une de ces apparences sans nombre que revêt l’existence, et sa libération prétendue ne serait qu’une illusion comme les autres. Le seul asile et la seule réalité, c’est le néant, car on n’en revient pas.

Si l’opinion que je viens de citer exprime réellement la pensée du réformateur indou, il faut convenir que le nirwâna bouddhiste dépasse, en horreur tragique, tout ce que les anciens ont imaginé sur le mystère de la destinée humaine. Cette conception est à la fois le dernier mot du désespoir et la plus haute exaltation de la volonté. En se proposant d’abolir la douleur par la suppression de l’existence, le bouddha se place évidemment sur le terrain de l’athéisme, car il ne peut songer à atteindre son but qu’en faisant abstraction de l’idée d’un Être suprême. En même temps qu’il accueille la mort comme l’ange de la délivrance, il lui jette un souverain défi et se met à jamais à l’abri de son pouvoir, en détruisant dans leurs derniers germes les éléments d’une renaissance. Enfin, il trouve dans cette victoire négative, dans son anéantissement final, le moyen de se rendre supérieur aux dieux mêmes, puisque ceux-ci demeurent soumis à la loi de la transmigration.

Le premier effet des prédications bouddhistes parmi les Japonais dut être de défrayer largement la curiosité de ces insulaires, questionneurs et musards autant que les Indous sont taciturnes et contemplatifs.

Quel vaste champ à explorer pour des esprits qui en étaient encore à leur premier voyage de découverte dans les régions de la métaphysique !

Comme ils n’éprouvaientd’ailleurs aucune impatience de se plonger dans le nirwâna, ils se préoccupèrent surtout de ce qui pouvait se passer entre la mort et l’extinction finale. Bientôt, les bonzes aidant, il y eut en circulation, dans les villes et les campagnes, un certain nombre d’idées convenues sur l’âme, la mort et la vie à venir, sans préjudice, bien entendu, de ce que l’on avait appris de ses pères touchant les anciens dieux et les vénérables Kamis nationaux.

Le grand juge des enfers. — Fac-simile d’un tableau japonais.

L’âme de l’homme, disait-on, c’est comme une vapeur flottante, allongée, indissoluble, ayant la forme d’un têtard et un mince filet de sang, qui va du sommet de la tête à l’extrémité de la queue. Si l’on y prenait garde, on la verrait s’échapper des maisons mortuaires, à l’instant où le moribond rend le dernier soupir. En tout cas, il est facile de distinguer le craquement des châssis sur son passage.

Où va-t-elle ? On n’en sait rien ; mais elle ne manque pas d’être recueillie par les esprits servants du grand juge des enfers. Ils l’amènent devant son tribunal, et le juge la fait agenouiller devant un miroir qui lui retrace impitoyablement tout le mal qu’elle a commis.

C’est un phénomène qui parfois se reproduit sur la terre : un comédien de Yédo, qui s’était rendu coupable d’un meurtre, ne pouvait se regarder dans son miroir sans y rencontrer la face livide de sa victime.

Les âmes chargées de crimes errent, suivant la gravité du cas, dans l’un ou l’autre des dix-huit cercles concentriques de l’enfer. Les âmes en voie de purification séjournent dans un purgatoire, dont on leur ouvre le couvercle quand elles peuvent, sans crainte de rechute,

reprendre le cours progressif de leur pèlerinage
Campanile d’un temple bouddhiste, à Kawasaki. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Enfin il est des âmes qui reviennent aux lieux qu’elles ont habités ou à l’endroit qui cache leur dépouille mortelle.

Cette jeune femme allait se livrer au sommeil ; tout à coup elle tressaille et entrevoit une ombre au-dessus d’elle, dans l’intérieur de la moustiquaire. Le mari, de son côté, accroupi près de la veilleuse, tombe à genoux, frappé de terreur, car s’il ne distingue pas l’apparition, il entend les sons plaintifs d’une voix bien connue, la voix mourante de sa première épouse, qu’il a empoisonnée pour faire place à la jeune femme, qui était alors sa maîtresse.

Ailleurs, sur le sentier qui longe la rivière, au centre du grand marais, le voyageur attardé voit surgir deux pâles fantômes : c’est une jeune mère serrant son enfant dans ses bras ; l’abandon et la misère ont poussé la malheureuse à commettre un double crime. Passant, va dire que chaque soir les deux victimes sortent des eaux profondes et se dressent en accusatrices contre le véritable auteur de leur mort !

Il existe même certaines solitudes, jonchées de décombres, ensevelies sous les ronces et les plantes vénéneuses, où viennent errer non-seulement des âmes en peine, mais de hideux démons. Une légende uniforme s’attache à ces lieux sinistres. C’est là que s’élevait le castel d’un dynaste féodal dont la vie fut un tissu de violences et de cruautés. Enfin il a été surpris dans son repaire, et la vengeance des familles outragées s’est assouvie dans le sang et les flammes. La nuit il revient ; il se rappelle comment il fut frappé ; et sur la place même où il tomba, il reste, glacé d’horreur, exposé sans défense aux imprécations de ses victimes et aux ricanements infernaux.

Les histoires de revenants, les contes effrayants, les livres illustrés d’estampes représentant l’enfer ou des apparitions de démons, se sont multipliés au Japon avec une telle profusion, que l’imagination populaire en est véritablement obsédée.

Apparition d’une femme noyée. — Dessin de Feyen Perrin d’après une gravure japonaise.

Le patron de cette littérature, selon la mythologie nationale, c’est Tengou, le dieu des songes, génie ailé, burlesque, coiffé d’un éteignoir, armé d’une crosse d’or. Il conduit la sarabande nocturne de tous les objets, profanes ou sacrés, qui peuvent occuper les rêveries de l’homme. Même l’asile de la mort obéit à son appel brutal. Les candélabres inclinent en cadence leur tête percée de trous lumineux. Les tortues de pierre qui supportent les épitaphes emboîtent le pas lourdement ; et les squelettes grimaçants, drapés dans leur linceul, se joignent à la ronde fantastique, en agitant autour d’eux, par mesure de prudence, le goupillon de papier qui chasse les mauvais esprits.


Les bonzes.

L’imagination se représente difficilement que près d’un tiers de l’espèce humaine n’ait pas d’autre croyance religieuse que le bouddhisme, ce culte sans dieu, cette religion du néant, inventée par le désespoir.

On voudrait se persuader que les multitudes rangées sous sa domination ne comprennent pas la doctrine qu’elles professent ou se refusent à en admettre les conséquences. Les pratiques idolâtres qui se sont implantées sur le tronc du livre de la loi sembleraient en effet témoigner que celui-ci n’a pu ni satisfaire ni étouffer le sentiment religieux inné dans l’homme et constamment vivace au sein des peuples.

D’un autre côté, l’on ne saurait méconnaître l’influence de la philosophie de l’anéantissement final, dans un grand nombre de traits de mœurs de la vie japonaise. On a vu que l’Irowa, enseigne aux enfants des écoles que la vie s’enfuit comme un songe et qu’il n’en reste pas de trace. C’est avec la plus dédaigneuse indifférence que, parvenu à l’âge mûr, le Japonais sacrifiera sa vie ou celle de son prochain pour la satisfaction de son orgueil ou de quelque futile ressentiment. Les meurtres et les suicides sont si fréquents au Japon, qu’il est peu de gentilshommes qui ne possèdent dans leur famille et ne se fassent un point d’honneur de pouvoir exhiber au moins un sabre ayant été trempé dans le sang.

Le bouddhisme cependant l’emporte, à quelques

égards, sur les religions qu’il a détrônées. Cette
Tengou, démon des songes. — Dessin de Feyen-Perrin d’après des esquisses japonaises.
supériorité relative, il la doit à la justesse de son point de

départ, qui est l’aveu d’un besoin de délivrance, basé sur le double fait de l’existence du mal dans l’homme, ainsi que d’un état universel de misère et de souffrance dans le monde.

Les promesses du culte des Kamis se rapportaient à la vie présente. Les règles de la purification devaient préserver le fidèle des cinq grands maux, qui sont le feu du ciel, la maladie, la pauvreté, l’exil et une mort précoce. Les pompes des fêtes religieuses avaient pour but la glorification des héros de l’empire. Mais dût le patriotisme être idéalisé jusqu’à la puissance d’un culte national, il n’en est pas moins vrai que ce sentiment naturel, si précieux et si respectable, ne suffit pas pour remplir l’âme et assouvir tous ses besoins. L’âme humaine est plus grande que le monde. Il lui faut une religion qui la détache de la terre. Le bouddhisme, en un certain sens, répondait à des aspirations de ce genre, jusqu’alors méconnues. Cette circonstance, propagé au Japon et ailleurs, par les seules armes de la persuasion. Toutefois, l’on peut bien croire que ce n’est pas sous sa forme abstraite et philosophique qu’il est devenu si populaire, et rien ne le démontre mieux que son état actuel.

Boddhi-Dharma. — Fac-simile d’une vignette japonaise.

Le Japon a possédé, comme l’Inde, des ascètes amortis par les abstinences et perdus dans les abstractions ; mais ils furent certainement en très-petit nombre, et le plus illustre d’entre eux était Indou d’origine.

C’est Boddhi-Dharma, le fondateur de la secte sensjou. Il vint au Japon l’an 613 après Jésus-Christ. La légende le représente traversant le détroit de Corée, debout sur une des larges feuilles de l’arbre appelé « aschi, » ou même, ce qui est moins probable, sur une simple tige de roseau. Il s’était préparé à sa mission par une retraite de neuf années consécutives, qu’il passa dans le temple coréen de Schâo-lin, accroupi sur une natte, et le visage invariablement tourné du côté de la muraille.

A. Humbert.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Suite. — Voy. p. 1, 17, 33, 49, 65 et 305.