Le Japon et ses ressources dans la guerre actuelle

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Le Japon et ses ressources dans la guerre actuelle
Revue des Deux Mondes5e période, tome 20 (p. 389-419).
LE
JAPON ET SES RESSOURCES
DANS LA GUERRE ACTUELLE

Lorsque, au mois de février 1854, le commodore américain Perry, à la tête d : une petite escadre, forçait les portes du Japon hermétiquement fermées depuis plus de deux siècles et que les nations occidentales envoyaient à sa suite leurs navires, leurs consuls, et leurs commerçans, nul, certes, ne prévoyait de quelle étrange façon serait célébré le cinquantenaire de cet événement. Alors les guerriers à deux sabres, pittoresques mais impuissans, avaient dû s’incliner devant la menace de trois frégates et de quatre sloops, et ouvrir, la rage au cœur, les portes de leur pays, aux « barbares » dont ils abhorraient les mœurs, les usages et les idées. Aujourd’hui, cinquante ans à peine écoulés, les fils de ces mêmes samouraïs, ayant importé chez eux tous les engins de production et de destruction de l’Occident, non contens de faire concurrence au commerce de l’Europe sur les marchés de l’Asie orientale et sur d’autres encore, osent se mesurer avec le plus vaste empire du monde, dont leur très moderne flotte de guerre torpille les cuirassés et bombarde les forteresses. On comprend que l’Europe soit un peu déroutée de cette extraordinaire aventure et des excellons élèves qu’elle ne s’attendait pas à former.

Tout occupée d’autres soins, elle n’avait accordé longtemps qu’une attention distraite à cet archipel lointain, médiocrement étendu, que rien ne paraissait destinera jouer un grand rôle dans le monde. C’est seulement depuis l’éclatante victoire du Japon sur la Chine, il y a dix ans à peine, que l’Occident, jusqu’alors stupéfait et sceptique, a consenti à regarder sérieusement l’extraordinaire expérience tentée par ce peuple pour implanter chez lui la civilisation européenne. Aussi plane-t-il encore une atmosphère mystérieuse sur l’Empire du Soleil-Levant. C’est ce qui augmente les inquiétudes causées par la guerre actuelle. Il y règne plus d’obscurité qu’en aucune autre, tant sur les causes véritables de la lutte que sur les forces respectives des combattans, dont l’un est le plus difficile à bien connaître parmi les pays d’Europe, dont l’autre semble échapper à toutes les lois habituelles du développement des peuples. Nous voudrions essayer de fixer ici, dans la mesure où l’on peut les connaître, les conditions où se trouve le Japon pour soutenir la lutte. Nous nous efforcerons de le faire impartialement : ce n’est pas manquer à notre amitié pour la Russie que de rendre justice à des adversaires que nos alliés n’ont peut-être pas au premier moment estimés tout à fait à leur juste valeur.


I

L’Empire du Japon tient bien peu de place sur les cartes en comparaison de son colossal antagoniste, l’Empire russe. Celui-ci est quarante fois plus étendu que la France ; celui-là n’a que les trois quarts de la surface de notre pays[1]. La disproportion est sensiblement moindre, si, au lieu de s’arrêter aux surfaces, on considère le nombre des habitans. Les sujets du Tsar étaient 129 millions au recensement du 9 février 1897, ils doivent bien être 140 millions aujourd’hui ; les sujets du Mikado étaient 46 millions et demi au 31 décembre 1898 ; on peut évaluer leur nombre actuel à 49 millions. Ce chiffre des populations, si l’on tient compte en outre des distances qui séparent le centre des deux pays du théâtre de la lutte, donne des conditions de la guerre une idée plus exacte que celui des surfaces ; il permet en même temps d’en saisir la cause la plus essentielle.

Plus nombreux d’un quart que les Français, n’ayant à leur disposition qu’un territoire d’un quart moins étendu, ne possédant pas encore, à beaucoup près, une industrie aussi développée que la nôtre, les Japonais étouffent dans leurs îles. Dans l’ensemble de leur Empire, la population est aussi dense que dans le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, beaucoup plus que dans l’Empire allemand ; mais les trois quarts des habitans des Iles Britanniques, la moitié de ceux de l’Allemagne vivent dans les villes ; plus des deux tiers des Japonais habitent au contraire des localités de moins de 2 000 habitans et sont, par conséquent, des campagnards. Ils ont besoin de terres.

Encore des chiffres bruts ne montrent-ils que d’une manière imparfaite à quel degré la population se serre en certaines provinces du Japon. Il est vrai qu’elle est fort inégalement répartie. Dans les plaines, dans les basses vallées, c’est un grouillement extraordinaire : les villages se succèdent à quelques centaines de mètres de distance les uns des autres ; entre eux pas un pouce du sol n’est perdu. Les rizières couvrent presque toute la plaine de leurs plans d’eau inondés et miroitons au-dessus desquels émergent à peine les fines pointes vertes de la plante ; de temps à autre elles s’interrompent pour faire place aux buissons ronds des théiers ou à quelques champs plantés de mûriers au milieu d’autres cultures ; sur les chemins étroits, ombragés de pins aux formes tourmentées ou bordés de rideaux de bambous, défilent sans cesse des paysans et des paysannes traînant eux-mêmes leurs petits chariots, — car les bêtes de somme sont rares, — ou, s’ils ont quelque loisir, s’en allant le bâton à la main, le gros manteau de paille jeté sur leurs vêtemens de cotonnade bleue, visiter les nombreux petits temples qui parsèment les coteaux au milieu des magnifiques et sombres cryptomerias ou des érables au feuillage éclatant. Suivez, au contraire, en le remontant, le cours d’une de ces rivières qui, dans la plaine, s’étalent en larges lits de gravier, coupés de longs et pittoresques ponts de bois, mais dont le cours supérieur n’est presque toujours qu’une gorge étroite ; aussitôt toute activité disparaît : de temps à autre, en quelque élargissement de la vallée se trouve un médiocre village et, de loin en loin, sur des pentes un peu plus douces qu’elles ne le sont en général, ou sur des plateaux, les habitans de quelques pauvres hameaux cultivent de maigres champs d’orge ou de riz de terre. Sans doute, en nos pays d’Europe les plaines, les larges et basses vallées sont aussi bien plus peuplées que les montagnes ; mais la transition est moins brusque, la différence moins grande qu’au Japon ; puis nous avons des zones intermédiaires, des collines, des pays ondulés où la population est encore dense. Il ne s’en, trouve guère au Japon : c’est ou bien la plaine grouillante, ou la montagne abrupte et déserte.

Telle province du Japon central compte 254 habitans au kilomètre carré, — plus que la Belgique, — bien que sa plus grande ville ait 20 000 habitans seulement. Encore ne touche-t-elle pas à la mer et n’a-t-elle pas la ressource supplémentaire des pêcheries, qui font vivre une foule de gens dans ce Japon aux côtes si découpées. Quand on traverse la « Mer Intérieure » bordée au Nord par l’île majeure de Niphon ou Hondo, au Sud par les deux autres grandes îles de Shikokou et de Kiou-Siou, les paquebots ont peine à se frayer un passage parmi les élégantes jonques japonaises à l’unique voile blanche presque carrée, circulant, au milieu des plus gracieux paysages qui soient, dans le dédale des chenaux qui séparent les innombrables petites îles aux côtes rocheuses couronnées de pins. De petites villes, de gros villages, reliés les uns aux autres par un actif cabotage de minuscules vapeurs d’une centaine de tonnes ou moins, construits au Japon même, se pressent sur ces côtes. Presque exclusivement ichthyophages, leurs habitans ont encore beaucoup de poisson à céder à ceux de l’intérieur qui en consomment aussi largement, et ils tirent parti des résidus en les vendant comme engrais. Grâce à la poche, le Japon occidental, où les plaines sont encore moins étendues que dans le Japon central, est aussi peuplé que lui ; dans l’île de Shikokou, la province de Kagawa, dont la seule ville importante compte 36 000 âmes, a 400 habitans au kilomètre carré, densité absolument inconnue en Europe, sauf en quelques comtés industriels anglais ; et l’île passablement rocheuse d’Awaji, qui n’a pas une seule ville digne de ce nom, peut nourrir près de 200 000 âmes sur 570 kilomètres carrés, soit cinq fois plus que la France à surface égale.

La rareté des habitans dans les montagnes qui couvrent une si grande partie du Japon, explique la faible étendue des cultures : sur plus de 38 millions d’hectares, cinq millions et deux ou trois cent mille seulement sont cultivés. Pour une population moins nombreuse, nous avons en France, sans compter les prés et les herbages, ni les jachères, vingt-cinq millions d’hectares en culture, dont quinze millions en céréales. Et nous y joignons de nombreux troupeaux : une quinzaine de millions de bœufs, vaches et veaux, vingt-cinq millions de moutons et de chèvres, sept millions de porcs, nous disent les dernières enquêtes agricoles ; le Japon a dix fois moins de bœufs, dix fois moins de porcs et point de moutons du tout, mais seulement des volailles : la rareté des animaux est un des traits qui frappent le plus quand on parcourt les campagnes.

On comprend que les Japonais aient peine à vivre en leur pays, si sobre que soit leur régime végétarien et si perfectionnée leur agriculture. Elle l’est, certes, au plus haut point. On ne laisse guère chômer la terre ; sitôt le riz coupé en novembre, on retourne le sol des rizières, on en exhausse une partie avec de la terre prise dans le reste, et l’on y sème de l’orge, des céréales diverses, des sortes de grands navets appelés daïkons, des plantes maraîchères diverses, qui ont le temps de donner une récolte avant qu’on repique le riz au printemps suivant. Fumés avec de l’engrais de poisson ou de l’engrais humain, — les habitans des villes vendent le leur comme on vend en France le fumier de ses chevaux, — les champs donnent ainsi indéfiniment de bonnes récoltes. Ce n’est plus de l’agriculture, c’est du jardinage, tellement le travail de la terre est intensif. L’étendue moyenne des exploitations est du reste minime : moins d’un hectare, d’après une enquête faite il y a quelques années, et la grande propriété est rare. Quant à la sobriété des Japonais, à l’extrême économie avec laquelle vivent même des gens d’une condition un peu supérieure à celle d’un simple paysan, voici qui permettra d’en juger : pendant mon séjour au Japon, à la fin de 1897, une revue spécialement consacrée aux questions d’enseignement évaluait à 28 fr. 33 par mois, dont 17 fr. 50 pour la nourriture, les dépenses de la famille d’un instituteur de la province de Rikouzen, dans le nord de l’île de Niphon, famille composée du mari, de la femme, et d’un enfant de six à sept ans. En y joignant 37 fr. 50 par an pour l’achat de vêtemens, c’était, pour ces trois personnes, un total de 377 fr. 50 par an[2]. Encore le riz était-il fort cher à ce moment, à la suite d’une très mauvaise récolte.

Les grâces extérieures, la scrupuleuse propreté qui est l’une des plus grandes qualités japonaises, ne doivent pas faire illusion sur le fond des choses ; la vie est rude, la concurrence est âpre en ce pays qui, somme toute, ne produit pas beaucoup. Certes, depuis trente ans on y a trouvé de nouvelles sources de richesses ! On tire 8 millions de tonnes par an des mines de charbon, on a beaucoup développé celles de cuivre ; de grandes industries se sont créées : celle du coton, qui fait en Chine et en Corée une concurrence heureuse aux manufactures de l’Inde, de l’Europe et de l’Amérique ; celle des allumettes, qui inonde de ses produits tout le Pacifique et jusqu’à l’Océan Indien ; le tissage de la soie, la fabrication des nattes, la préparation du thé se sont beaucoup développés. Les salaires ont haussé : exprimés en monnaie du pays, de 1887 à 1902, ils ont plus que doublé, un journalier gagnait, en 1887, 16 sen ou centième de yen par jour ; en 1902, 39 sen. Il est vrai qu’en 1887 le sen valait près de 4 centimes, il n’en vaut plus que 2 et demi aujourd’hui, ce qui met à 1 franc environ au lieu de douze sous la journée de notre homme. Mais le prix de toutes choses a beaucoup augmenté aussi : le riz, l’orge, le daïzou, espèce de fève, c’est-à-dire les denrées qui sont le fond de l’alimentation japonaise ont à peu près doublé dans cet intervalle de quinze ans ; le saké, ou vin de riz, frappé d’impôts toujours croissans, a triplé ; le thé et le sucre n’ont guère augmenté que de moitié. Seules, les cotonnades, dont s’habille l’homme du peuple, ne sont guère plus chères qu’autrefois, grâce à l’introduction des métiers mécaniques. Ainsi le salaire réel, représenté par les marchandises que permet d’acheter le salaire nominal, a-t-il assez médiocrement augmenté, surtout dans les campagnes, et, si la vie est un peu plus large, il s’est créé aussi de nouveaux besoins. La population s’accroît maintenant de 500 000 âmes par an. À ce taux, le Japon qui avait 33 millions d’habitans en 1870 et 45 millions au 31 décembre 1900, non compris Formose et les Pescadores, en aurait 55 millions avant 1920. À cette population débordante, il faut un exutoire.

Où le trouver ? Ce ne peut être dans les districts montagneux du Japon, dans cet Extrême-Orient où les violentes pluies d’été et les typhons, les terribles tempêtes tournantes des tropiques remontent jusqu’en pleine zone tempérée : au Japon et en Corée, où ils rencontrent les hivers arctiques, toute la terre des montagnes est entraînée dès qu’on les déboise. On ne l’a déjà que trop fait. En dehors des montagnes, l’introduction de cultures variées, l’élevage, permettraient à de plus nombreux habitans de subsister dans le Nord de la grande île de Niphon où la population, bien moins serrés qu’au Centre et au Sud, n’est guère plus dense qu’en France, mais les méthodes de culture sont longues à changer, dans un pays de petite propriété surtout, et ce n’est encore là qu’un palliatif très insuffisant.

Les Japonais ont bien déjà deux colonies : une nouvelle, Formose ; une ancienne, Yeso ou Hokkaïdo. Formose a déjà soixante-quinze habitans au kilomètre carré ; une grande partie de l’intérieur est couverte de montagnes et de forêts tropicales, habitée par des tribus sauvages ; c’est plutôt une colonie d’exploitation qu’une colonie de peuplement. Elle reçoit, d’ailleurs, quelques immigrans puisque, au 31 décembre 1900, il s’y trouvait déjà 38 000 Japonais, dont 13 500 femmes, au lieu de 16 000 dont 3 500 femmes à la fin de 1897.

Yezo est vraiment une terre vacante : 94 000 kilomètres carrés, près du cinquième de la France, un quart de tout le Japon, et 17 000 indigènes seulement, les Aïnos, chasseurs et pêcheurs, faibles restes d’une race qui occupait il y a un millier d’années tout le Nord du Japon, jusques et y compris Tokio, sa capitale actuelle et peut-être, aux âges préhistoriques, l’archipel japonais entier. Jusqu’à la révolution de 1868, les Japonais n’avaient guère colonisé que la pointe méridionale d’Yezo ; même en 1881, cette île n’avait encore que 190 000 habitans ; depuis, on s’est mis sérieusement à l’œuvre, et, au 31 décembre 1898, l’île en comptait 610 000 dont 17 000 indigènes. Il y arrive, bon an mal an, 50 000 immigrans ; et il ne s’en retourne pas plus d’une dizaine de mille ; comme l’excédent annuel des naissances sur les décès est de quinze mille environ, la population d’Yezo doit atteindre aujourd’hui près de 900 000 âmes.

Peuplée seulement comme la France, ou comme le Nord du Niphon, l’île pourrait nourrir près de 7 millions d’hommes. Si les Japonais y envoyaient la moitié de leur accroissement annuel de population, ils mettraient vingt ou vingt-cinq ans à la peupler ainsi. Mais, cette belle île, au climat frais, qui nous rappelle nos pays d’Occident, leur paraît un peu froide : le riz a peine à y venir et les légères maisons de bois, aux panneaux de papier, dont ils ont l’habitude, les protègent mal de froids qui descendent souvent à 12 et 15 degrés au-dessous de zéro ; ils n’y peuvent sacrifier à leur coutume nationale « d’adorer les courans d’air, » comme disait un jour un vieux diplomate frileux. Aussi Yezo ne tire guère ses colons que de la partie septentrionale et centrale de Niphon ; le Sud-Ouest de l’Empire, c’est-à-dire la région la plus encombrée, ne lui en envoie presque pas.

Acculés à la nécessité d’émigrer hors de, leur archipel, où iront les Japonais ? Essaimeront-ils chez les autres ? Ils ont essayé, à l’instar des Chinois, mais il leur est difficile d’exercer d’autres métiers que des métiers urbains : commerçans, artisans, manœuvres, jardiniers tout au plus. J’en ai rencontré sur tous les rivages du Pacifique : à Singapore, comme à Vladivostok, ils étaient fort nombreux ; les coiffeurs français se plaignaient à moi de leur concurrence ; en Colombie Britannique, à Vancouver, je vois encore l’un d’eux, groom dans un hôtel, tellement absorbé dans sa grammaire anglaise, qu’on n’en pouvait obtenir aucun service ; Thursday Island, port important d’escale et de pêche perlière au Nord de l’Australie, est tout peuplé de Japonais. Ils pénètrent dans l’intérieur des terres. Traversant la Sibérie, à l’automne de 1897, je trouvai un cuisinier japonais dans le wagon-restaurant de Vladivostok à Khabarovsk, et ayant logé en cette dernière ville dans l’hôtel le mieux tenu que j’eusse vu depuis l’Oural, je constatai en soldant ma note que l’hôtesse était une Japonaise. Souvent, il faut l’avouer, les sujettes du Mikado, qui ne craignent pas non plus d’émigrer, exercent des professions plus hospitalières encore. Mais, dans ces pays étrangers, les Japonais, pour être moins mal vus que les Chinois des populations blanches auxquelles ils se mêlent bien davantage, sont encore suspects. Il ne leur est pas aisé d’acquérir des terres. L’entrée de la Colombie Britannique leur est aujourd’hui interdite, ou peu s’en faut, comme celle de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. D’autres pays, il est vrai, semblent les appeler. Il a été question de colonisation japonaise sur une grande échelle, avec de vastes concessions de terres, au Mexique, au Brésil ; mais ces contrées sont bien lointaines ; les Japonais n’y seraient jamais qu’un élément secondaire, ils y travailleraient en définitive pour la grandeur d’autrui ; et nulle nation au monde n’est moins disposée à s’appliquer le sic vos non vobis.

Ce que désire le Japon, comme les puissances européennes, ce sont des colonies à lui, où les Japonais aillent s’établir en restant sujets du Mikado ; mais toutes les terres du Pacifique ne sont-elles pas occupées ? Il avait songé aux îles Hawaï, où les Japonais, appelés pour cultiver la canne à sucre, forment l’élément le plus important d’une des populations les plus bigarrées qui soient : 58 000 habitans sur 154 000 ; mais l’archipel est bien petit et les États-Unis l’ont annexé en 1898, de même que les Philippines, autrement vastes et attrayantes. Qu’on ait aussi, à Tokio, jeté les yeux sur d’autres colonies européennes, sur l’Indo-Chine française, sur les Indes néerlandaises, ce n’est guère douteux ; mais notre Indo-Chine est bien peuplée déjà ; mais les îles de la Sonde, dont certaines le sont fort peu, comme Bornéo, comme Célèbes, sont des terres tout à fait équatoriales. Pourquoi d’ailleurs chercher si loin, lorsqu’on a sous la main, pour ainsi dire, une terre merveilleusement appropriée à ce but, une terre où l’action du Japon s’est exercée pour la première fois dès l’aurore de son histoire, il y a seize ou dix-huit siècles, et qu’il n’a cessé depuis de convoiter, une terre ou un grand nombre de Japonais sont déjà installés, où ils ont établi leur hégémonie économique, et dans une grande partie de laquelle ils retrouvent le même climat, les mêmes conditions de vie, les mêmes possibilités de cultures que dans leur propre pays ?

Cette terre, c’est la Corée, que le continent asiatique projette au-devant du Japon, et qui n’en est séparée que par un mince détroit de deux cents kilomètres, au milieu duquel l’île, déjà japonaise, de Tsoushima est comme la pile d’un pont. Nous n’avons pas à faire à nos lecteurs la description de la Corée ; ils la connaissent déjà[3]. Sans doute, le Nord en est déjà bien froid, au moins aussi froid qu’Yezo, elle est montagneuse aussi, et elle compte déjà sur ses 220 000 kilomètres carrés un nombre d’habitans qu’on estime fort diversement entre 5 et 15 millions ; il est permis de croire que la vérité se rapproche d’une moyenne, ce qui donnerait 45 habitans au kilomètre carré. C’est une densité qui peut nous paraître déjà importante pour une population rurale, puisqu’elle est supérieure à celle d’une bonne partie de notre Champagne, de notre Bourgogne, et de la plupart de nos régions montagneuses ; mais c’est peu, comparé au Japon, qui y trouverait de la place pour des millions de colons.

Chaque fois que le Japon s’est senti fort, capable d’une action au dehors, c’est vers la Corée qu’il a aussitôt tourné les yeux. Dans la nuit des temps légendaires, vers le IIIe siècle de notre ère, la nation japonaise, à peine constituée dans le Sud-Ouest de son archipel, avant même d’en occuper le Nord, a envahi la Corée sous la conduite de la mythique impératrice Jingo. Bien plus tard, après avoir rétabli un pouvoir central fort, au sortir des longues guerres civiles du XVe et du XVIe siècle, Hydeyoshi ou Taïko-Sama, que les Japonais appellent leur Napoléon, envoya à son tour ses armées la conquérir. Les dissensions des généraux japonais, les uns chrétiens, les autres restés bouddhistes, la mort d’Hydeyoshi et la politique de recueillement national pratiquée par les hommes qui lui succédèrent au pouvoir, amenèrent l’abandon de cette conquête dont il ne subsista qu’une vague vassalité. Mais à peine revivifié au contact de l’Europe, dès 1874, le Japon force la Corée à ouvrir trois ports au commerce étranger. Sa politique envahissante amène la guerre avec la Chine et une nouvelle occupation japonaise de la Corée en 1894 ; c’est elle qui vient d’amener la guerre avec la Russie.

Cette politique est sans doute peu respectueuse du droit qu’a tout pays de vivre indépendant ; mais la politique d’expansion de la France, de l’Angleterre ou de la Russie l’est-elle davantage ? Comme elles, le Japon argue de la nécessité d’avoir des débouchés, et d’intérêts acquis déjà importans. D’après des évaluations faites en 1901, le nombre de ses nationaux établis en Corée était de 15 000, contre 5 000 Chinois et quelques centaines d’Européens divers ; dans tous les ports ouverts, à Gensan, à Tchémoulpo, à Fousan surtout, à Séoul même, se trouvent des quartiers japonais dont la bonne tenue contraste heureusement avec les villes coréennes ; ils font un tiers du commerce extérieur total, et presque toute la navigation est entre leurs mains ; ils sont concessionnaires du chemin de fer de Fousan à Séoul, exploitent celui de Séoul à Tchémoulpo, qu’ils ont racheté aux Américains ; la monnaie uselle du pays, la seule qui inspire confiance, c’est l’argent ou le papier japonais.

Mais, disent les Japonais, tant que nous ne dirigeons pas complètement l’administration de ce pays qui a tant de coins fertiles, qui devrait être notre grenier à riz, notre fournisseur d’alimens de toutes sortes, nous ne pouvons ni l’exploiter nous-mêmes, ni profiter seulement du peu qu’en tirent ses paresseux habitans, parce que nous sommes à la merci des caprices d’un gouvernement ignare et corrompu, qui, sous un prétexte futile, interdira un beau jour l’exportation du riz ou des feuilles de mûrier, empêchera nos négocians de tenir leurs contrats, révoquera les concessions qu’il nous aura faites. Il faut donc que nous y soyons les maîtres, que nous commandions effectivement et, sous quelque fiction diplomatique que ce soit, que nous puissions y assurer notre sécurité contre nos ennemis du dedans et contre ceux du dehors.

Ce n’est point mal raisonné, et il est fort naturel que les Japonais veuillent être les maîtres absolus en cette Corée qui peut seule leur fournir le territoire dont ils ont besoin.

En revanche, il est fort naturel aussi que les Russes n’aient pas envisagé sans inquiétude cette installation japonaise en Corée ; non pas, semble-t-il, qu’ils puissent tenir beaucoup à la presqu’île pour elle-même. Qu’est-ce que ces 220 000 kilomètres carrés auprès de leurs 22 millions ? Et qu’iraient faire, en un pays qui a 45 habitans au kilomètre, les moujiks, qui se trouvent déjà trop serrés lorsqu’ils atteignent cette densité ? Pratiquant la culture la plus extensive, à faibles rendemens et à jachères triennales, les paysans russes ont besoin de terres vraiment vacantes et bien autrement étendues. Au point de vue militaire, maintenant que la Russie possède à Port-Arthur une sortie sur la mer libre, que chercherait-elle à la pointe de la Corée, à Mokpo ou à Masampo, elle qui peut atteindre par voie de terre, — et c’est là sa grande force, — tous les pays asiatiques ? La possession de cette station navale pour faire communiquer Vladivostok et Port-Arthur, qui sont reliés par chemin de fer en arrière de la Corée, et dont il est facile d’améliorer encore la communication terrestre, vaudrait-elle une grande guerre ? La raison sérieuse pour laquelle les Russes ne veulent pas voir les Japonais s’implanter en Corée, c’est que ce pays, une fois fortement occupé, solidement fortifié, devient pour les insulaires une vaste tête de pont à peu près imprenable sur le continent et par suite une menace permanente pour les possessions russes. Aussi consentaient-ils bien à le céder, mais sous la réserve qu’il n’y serait pas élevé de fortifications. Malheureusement, c’était alors le tour des Japonais de trouver qu’ils n’auraient plus aucune sécurité dans leur nouveau territoire, qu’ils y seraient à la merci de leurs voisins.

Quand les points de vue de deux pays sont aussi irréductibles sur une question qu’ils considèrent comme vitale, la guerre doit s’ensuivre presque nécessairement, surtout si, par surcroît, il ne règne entre eux aucune confiance mutuelle. Or, c’était le cas ici. Jamais le Japon n’a voulu croire à la sincérité de la Russie depuis qu’elle s’est fait céder en 1900 Port-Arthur par la Chine, alors qu’en 1895 cette même Russie avait exigé du Japon qu’il renonçât à ce même Port-Arthur, lui signifiant que l’établissement en ce point d’une forte puissance militaire serait un danger pour l’indépendance et l’intégrité de la Chine. N’était-ce pas l’aveu que la Russie faisait bon marché de cette indépendance ?

Si la question coréenne suffisait largement à provoquer une guerre, et si elle est la raison première de celle qui se déroule actuellement, on ne saurait contester que la question chinoise se pose derrière elle. Dès que la Russie et le Japon sont entrés en contact avec le Céleste-Empire, ils ont eu la conscience très nette de sa faiblesse militaire ; depuis, ils rêvent l’un et l’autre d’avoir la haute main sur la Chine ; et chacun d’eux a conscience du grave péril qu’il courrait si son rival réussissait à la prendre. La Russie ou toute autre puissance maîtresse en Chine, c’est le Japon réduit à être le seul peuple de race non européenne qui soit encore indépendant, et Ton sent tout ce que ce fait aurait d’angoissant pour lui. Le Japon dictant ses volontés à Pékin, c’est le danger pour la Russie, pour l’Europe tout entière, de voir cette énorme masse chinoise, aujourd’hui amorphe, réorganisée politiquement et militairement par l’actif levain japonais, et les blancs bientôt chassés de toute l’Asie orientale.

Sans doute, le Japon et la Russie ne sont pas seuls en jeu et les autres puissances sont intéressées à ne laisser prendre à aucune des deux une influence tout à fait exclusive ; mais ces deux nations sont les plus voisines de la Chine, celles qui la comprennent le mieux et ont plus de prise sur elle. Tout en se rendant compte que leurs plans ne peuvent s’accomplir en un jour, chacune d’elles pense que le sort de la Chine ne se débattra en définitive qu’entre elles deux et qu’une fois victorieuse, elle pourra, avec du temps et de l’habileté, parvenir à ses fins.

C’est en premier lieu et essentiellement pour trouver à sa population un déversoir en Corée, en second lieu pour prendre hypothèque sur la Chine que le Japon fait la guerre. Quelles sont les forces dont il dispose pour s’attaquer au colosse russe ? C’est ce que nous avons à examiner.


II

Le Japonais constitue une excellente matière première militaire. A peine sorti de la féodalité, il a gardé l’esprit guerrier, développé dans les longues guerres civiles qui ont ensanglanté le pays jusqu’au début du XVIIe siècle et soigneusement entretenu jusqu’à la fin du régime féodal, il y a trente ans seulement, au sein de la classe militaire des samouraïs. Celle-ci ne constituait qu’un vingtième de la nation. Mais le prestige dont était entourée cette classe à la fois militaire, gouvernante et lettrée, maintenait dans tout le peuple l’estime du métier des armes. Comme tous les jaunes, les Japonais ont le mépris de la mort sous la forme d’une indifférence stoïque et tranquille, à laquelle ne parviennent guère même les plus braves des Européens ; mais, à la différence des autres jaunes et notamment des Chinois, ils sont tous animés du patriotisme le plus intense, qu’exalte encore l’orgueil national, l’idée de leur supériorité, si fréquente chez les peuples insulaires, et qui confond dans un même amour le sol inviolé du Japon et la dynastie qui y règne et y a toujours régné « depuis des âges éternels. » Bien ou mal entendu, le souci patriotique a toujours dominé toute autre considération dans les actes de leur gouvernement : c’est lui qui a dicté la fermeture du Japon aux étrangers, au XVIIe siècle ; c’est lui qui, au XIXe, l’isolement devenu impossible, a entraîné le pays à bouleverser toute sa vie afin de soutenir la lutte pour l’existence concurremment avec les nations européennes. C’est le patriotisme qui, lors de la guerre avec la Chine, a déterminé un Parlement, jusqu’alors en lutte constante avec le ministère, à adopter à l’unanimité tous les projets présentés par lui, comme il avait déterminé, en 1868, le dernier des shogouns à laisser consommer la ruine de sa maison plutôt que d’accepter l’aide des étrangers.

Au point de vue physique, le Japonais a aussi de grandes qualités militaires : l’endurance, la sobriété, des facultés de marche tout à fait remarquables, que l’on ne connaît bien que lorsqu’on a pratiqué les voyages en djinriksha, ces petits cabriolets traînés par un ou deux hommes, dont il existe 200 000 au Japon, — alors qu’il n’y a que 100 000 voitures ou chariots traînés par des chevaux et 20 000 traînés par des bœufs, — et avec lesquels on parcourt non seulement les villes, mais l’Empire tout entier. Il me souvient d’avoir fait un jour en douze heures, dont deux de repos, 80 kilomètres en cet équipage traîné par les deux mêmes hommes. Certes, ce sont là des professionnels, mais à la quantité des djinriksha, on voit qu’ils sont nombreux, et tous les paysans sont fort entraînés à la marche. Le Japonais est très petit, la taille moyenne des hommes est inférieure à celle d’une femme européenne, à peine plus de 1m, 50 ; mais on peut se demander si ce n’est pas un avantage dans la guerre actuelle, d’autant qu’il est souvent trapu et habitué à porter des fardeaux. Enfin il applique aux choses militaires son extrême facilité d’assimilation. J’ai vu instruire à Tokio des recrues arrivées au corps depuis six semaines, qui n’avaient jamais porté le costume européen et qui étaient, certes, plus à l’aise dans leur uniforme que nos conscrits après le même temps de caserne.

Dès leur premier contact avec les Européens, au XVIe siècle, les Japonais avaient pris un intérêt particulier à leurs méthodes militaires et à leur armement, et s’étaient hâtés de les imiter. Le navigateur portugais Mendez Pinto, le premier Européen qui séjourna au Japon, raconte que lors de son arrivée, en 1545, il fit présent d’une arquebuse au prince de Tanegashima qui l’avait reçu : quand, cinq mois après, il quitta le pays, les armuriers du lieu avaient déjà fabriqué six cents armes pareilles ; peu d’années après, on l’assurait, non sans exagération peut-être, qu’il y en avait trente mille dans la capitale de la province de Bungo, et trois cent mille dans toute cette province. En 1582, l’artillerie jouait déjà un rôle important dans la bataille de Shigutake, l’une des grandes victoires d’Hydeyoshi, le « Napoléon japonais. »

A la fin du XIXe siècle, il n’en alla pas autrement qu’au milieu du XVIe. En 1867, avant même que le shogounat fût tombé, et que l’ère des grandes réformes fût ouverte, arriva au Japon la première mission militaire étrangère, pour laquelle on s’était adressé à notre pays. La révolution de 1868 eut lieu comme nos officiers venaient d’arriver et, peu au courant de la légitimité respective du Mikado et du Shogoun, ils embrassèrent la cause de celui-ci qui les avait appelés. L’un d’eux faillit s’en repentir : tombé aux mains des Impériaux, il reçut avis d’avoir à s’ouvrir le ventre, comme un simple samouraï, et n’échappa point sans peine à cette fâcheuse cérémonie. D’autres officiers français se succédèrent jusqu’en 1889, époque à laquelle il fut fait appel à une mission allemande. Malgré cette influence récente, l’armée japonaise s’inspire encore en beaucoup de points de la nôtre, et des officiers japonais viennent souvent étudier dans nos écoles ou faire des stages dans nos régimens.

Nombreuse comme elle l’est, la population japonaise pourrait fournir une armée au moins égale à celle de la France ou de l’Allemagne : le contingent annuel des jeunes gens ayant atteint l’âge de vingt ans n’est pas moindre de 428 000 hommes ; mais pour diverses raisons, budgétaires et autres, le Japon n’a pas cru devoir se lancer dans un établissement militaire si considérable et son armée ne compte que 160 000 hommes sur le pied de paix, ce qui lui permet de choisir et de n’enrôler que l’élite physique de sa population.

L’armée japonaise[4] comprend trois catégories : l’armée active et sa réserve ; l’armée de dépôt divisée en deux classes ; l’armée territoriale. Le service militaire est dû de dix-sept à quarante ans ; mais l’appel n’a lieu qu’à vingt ans. Une portion du contingent est alors incorporée dans l’armée active : elle y fait trois ans de service actif, puis passe pour quatre ans et quatre mois dans la réserve où les hommes sont astreints à deux convocations, une de quatre semaines au cours de la troisième année, une de deux semaines au cours de la quatrième. Une deuxième portion est versée dans la première classe de l’armée de dépôt où le service dure sept ans et quatre mois, équivalant au temps passé dans l’armée active et la réserve. Astreints en principe à deux convocations, ces hommes de la première classe de l’armée de dépôt n’ont été appelés jusqu’ici qu’en très petit nombre. Hommes de l’active et de la première classe du dépôt passent ensuite, pour cinq ans, dans l’armée territoriale, puis, pour huit ans, dans la réserve de l’armée territoriale. Quant à la troisième portion du contingent, elle passe un an et quatre mois dans la deuxième classe de l’armée de dépôt où elle pourrait être astreinte à une convocation, puis est directement versée dans la réserve de l’armée territoriale.

En 1902, sur 428 000 jeunes gens du contingent, 191 000 furent déclarés bons pour le service, ce qui indique un tri déjà bien autrement sévère que celui de nos conseils de révision. Sur ces 191 000, un décret impérial versa comme de coutume les plus faibles dans la deuxième classe de l’armée de dépôt, et le tirage au sort détermina parmi le reste ceux qui seraient incorporés dans l’armée active : le nombre de ceux-ci n’était que de 45 000. Il s’y ajoute 1 200 à 1 500 volontaires d’un an. Les officiers se recrutent exclusivement parmi les élèves de l’école spéciale militaire, qui ont eux-mêmes passé pour la plupart par les écoles de cadets où l’on peut entrer à partir de huit ans ; ils passent ensuite par une école d’application distincte suivant leur arme. Les sous-officiers sont généralement des sous-officiers de carrière. La base de l’armée japonaise, tant par le choix sévère qui peut s’exercer au recrutement et n’y admet que les sujets les mieux constitués, que par la constitution des cadres inférieurs, paraît ainsi vraiment solide.

Les douze divisions que compte cette armée, et auxquelles il faut joindre la Garde, qui en forme une treizième, ne sont pas groupées, comme dans la plupart des pays européens, en corps d’armée. Elles constituent des unités qui se suffisent à elles-mêmes et comprennent des troupes de toutes armes : deux brigades d’infanterie, composées chacune de deux régimens à trois bataillons de quatre compagnies ; un régiment de cavalerie à trois escadrons ; un régiment d’artillerie à six batteries de six pièces, un bataillon du génie et un escadron du train. Outre ces treize divisions, il existe deux brigades indépendantes de cavalerie et deux brigades d’artillerie, plus dix-neuf bataillons d’artillerie de forteresse et un bataillon du génie. L’ensemble donne un effectif de paix de 160 000 hommes, officiers, sous-officiers et soldats, dont 108 000 pour l’infanterie ; 19 000 pour l’artillerie, tant de campagne que de forteresse ; 4 000 pour la cavalerie ; 8 000 pour le génie ; 15 000 pour le train des équipages, et un peu plus de 6 000 pour les services non combattans divers (santé, intendance, administration). Il y a 32 000 chevaux, 684 bouches à feu de campagne ou de montagne.

Ce qui frappe immédiatement dans cette armée, c’est le faible effectif de la cavalerie qui ne s’élèverait en réalité qu’à 4 000 hommes, moins de 3 p. 100 du total, tandis que la cavalerie française compte sur le pied de paix 65 000 hommes environ, ou 12 pour 100 de l’effectif des troupes métropolitaines, gendarmerie non comprise. La cause en est non pas tant la rareté des chevaux, dont il se trouve 1 500 000 au Japon contre 3 millions en France — que la mauvaise qualité de ces animaux. En revanche, l’artillerie est proportionnellement aussi nombreuse qu’en France.

Que deviennent ces formations en temps de guerre ? Le nombre des unités de l’armée active ne varie pas ; elles sont seulement complétées par leurs réservistes, de façon que les compagnies d’infanterie se trouvent portées de 156 à 226 hommes, les batteries d’artillerie de 128 à 159, ou 151, suivant qu’il s’agit de batteries de campagne ou de montagne, l’escadron de cavalerie restant à l’effectif de 130. De plus, comme en Allemagne, il est formé dans chaque division des troupes de remplacement, qui comprennent 4 bataillons d’infanterie, un escadron de cavalerie, une batterie d’artillerie, une compagnie du génie et une compagnie du train. En y comprenant ces troupes et les unités non combattantes, l’effectif de la division mobilisée s’élève à 25 000 hommes[5] et 5 500 chevaux ; si l’on ne compte pas les troupes de remplacement, la division sur le pied de guerre a un effectif de 14 000 combattans.

Le total général de l’armée active mobilisée, y compris les troupes de remplacement et les troupes non endivisionnées, brigades indépendantes de cavalerie et d’artillerie et autres, s’élève à 339 000 hommes. C’est la véritable force combattante dont peut disposer immédiatement le Japon. L’armée de dépôt (1re classe) qui compte 50 000 hommes et 8 000 chevaux[6] n’est en effet pour ainsi dire pas instruite et, bien qu’on ait prévu le groupement de ses unités en brigades mixtes, il est clair qu’elles ne pourraient être réellement utilisables qu’assez longtemps après le début de la guerre, une fois qu’elles auraient été exercées. Quant à l’armée territoriale avec 130 000 officiers et soldats et 23 000 chevaux[7], ses troupes, qui peuvent être affectées à la défense des côtes et des places fortes et aux étapes, seraient également réparties en brigades mixtes, mais une partie seulement des hommes a reçu une instruction militaire : c’est celle qui provient de l’armée active ; le reste, venant de l’armée de dépôt, n’est naturellement pas plus exercé que cette armée elle-même.

L’ensemble de toutes ces forces militaires de valeur très inégale, active, dépôt, territoriale, s’élèverait ainsi à 520 000 hommes ; un autre calcul, que reproduit la Revue militaire des Armées étrangères, le porte même, sur le papier, à 632 000 hommes[8], sans doute en tenant compte de la 2e classe de l’armée de dépôt, qui n’est nullement instruite.

L’armement des troupes japonaises est à la hauteur de celui des meilleures armées européennes[9].

Les 339 000 hommes qui composent l’armée active mobilisée peuvent-ils tous être jetés dès l’abord sur le continent ? Il semble qu’il soit nécessaire d’en maintenir, au moins au début, une portion sur le territoire du Japon, non seulement pour garder le pays en attendant que les armées de seconde ligne soient rassemblées et dégrossies, mais encore pour aider à instruire ces armées de seconde ligne. D’ailleurs, la mobilisation même peut être assez longue en certaines régions, médiocrement desservies par les chemins de fer ; on estime qu’il aura fallu trois semaines pour qu’elle fût complète dans les douze divisions. Puis, il faut concentrer les troupes aux points d’embarquement, situés à l’extrême sud-ouest du Japon ; et les voies ferrées n’ont qu’un matériel restreint et un faible rendement, bien que les soldats japonais se prêtent plus à l’entassement que les nôtres. D’Aomori, au nord de l’île principale, à Shminosaki, à son extrémité sud-ouest, il n’y a pas moins de 1 800 kilomètres de chemin de fer ; or, en 1894, lors de la guerre de Chine, la division de Sendaï mit 9 jours pour être transportée à 1 248 kilomètres de là, à Hiroshima, assez sensiblement en deçà de Shimonosaki, où elle s’embarqua. De toute façon, il semblé bien que les Japonais doivent garder chez eux un bon quart de leur armée active pendant deux ou trois mois au moins, et n’envoyer sur le continent, selon l’opinion de ceux qui connaissent le mieux leur armée, que 250 000 hommes.

Il est fort possible, toutefois, qu’au bout de quelques mois, les formations de deuxième ligne étant plus aguerries, ils expédient aussi en Corée le reste de l’armée active et une partie de ces armées de deuxième ligne elles-mêmes, dépôt, territoriale. Étant donnée la rapidité avec laquelle se débrouille un conscrit japonais, on peut fort bien admettre qu’au cours d’une guerre qui se prolongerait jusqu’à la fin de l’année, ils puissent jeter en tout sur le continent quatre cent mille hommes, sinon plus, surtout si leur prépondérance sur mer se confirme et assure la sécurité de leur propre territoire ; il serait toujours prudent, toutefois, de maintenir quelques troupes solides à Yezo. Ce qui gênera le plus les Japonais pour tirer un bon parti de leurs forces de seconde ligne, ce sera sans doute le manque d’officiers et aussi le manque de chevaux pour atteler l’artillerie et les voitures du train ; n’étaient ces points faibles, ils pourraient peut-être, vu leurs excellentes ressources en hommes, augmenter presque indéfiniment leurs effectifs en Corée.

Les transports maritimes ne paraissent pas devoir constituer une difficulté ; il est impossible de juger, avec le peu de renseignemens exacts qu’on possède, de la manière dont ils ont été effectués jusqu’à présent ; mais on connaît le tonnage dont le Japon disposait pour cette opération. A la fin de 1901, sa marine marchande comprenait déjà 170 vapeurs de plus de 1 000 tonneaux, jaugeant ensemble 443 000 tonnes, et en outre 66 vapeurs de 500 à 1 000 tonneaux jaugeant 43 000 tonnes dont certains sont susceptibles d’être utilisés ; depuis lors, cette flotte s’est fort accrue. Or on estime en général qu’il faut une centaine de mille tonnes pour transporter un corps d’armée, qui équivaut environ à deux divisions japonaises. Avec 400 000 tonnes ou aurait donc pu amener en Corée huit divisions, soit plus de la moitié de l’armée du Mikado, sans qu’un même vapeur eût besoin de servir deux fois. Ce n’est donc pas la pénurie de navires qui peut gêner les transports des troupes elles-mêmes, ni des ravitaillemens de toute sorte[10].

En résumé, « l’organisation militaire du Japon est tout à fait comparable à celle des grandes puissances de l’Occident. Autant qu’on en peut juger d’après les apparences, l’armée du Mikado constituerait pour les Russes un adversaire dangereux ; animée d’un ardent patriotisme, solidement organisée, bien instruite, elle dispose d’effectifs supérieurs à ceux de n’importe quelle autre nation en Extrême-Orient[11]. » La flotte japonaise paraissant aujourd’hui, provisoirement du moins, maîtresse de la mer, les troupes de première ligne s’élevant à 230 000 hommes environ, doivent être aisément jetées en Corée, grâce à l’abondance des moyens de transports maritimes, aussi vite que l’auront permis la mobilisation, la concentration dans le Sud-Ouest et les facilités de débarquement ; des renforts importans pourront venir non seulement combler les vides, mais augmenter l’effectif à quelques mois d’intervalle. Maintenant, que valent les cadres supérieurs de cette armée ? Voilà le grand inconnu auquel les faits seuls donneront une réponse certaine.

Très soigneux, doués d’esprit d’organisation, habitués à ne pas négliger les détails les plus minutieux, les Japonais ont été pour les Occidentaux, au point de vue militaire comme à d’autres, d’excellens élèves. Leur armée applique les théories qui lui ont été apprises avec une perfection presque mécanique, que n’atteignent souvent pas les armées européennes elles-mêmes. Chaque unité, chaque homme une fois prévenu de son rôle, le remplit à merveille. C’est ainsi qu’ils sont passés maîtres dans l’art difficile des débarquemens. Mais, à la guerre, il faut compter avec l’ennemi. Ne peut-on pas supposer que les Japonais, l’esprit tout rempli des théories d’école qu’ils ont minutieusement étudiées, se trouveront désorientés en face de l’imprévu de la pratique ? C’est ce qui arrive à beaucoup de bons élèves, qui ne sont que de bons élèves. Les Européens qui emploient des Chinois, les meilleurs des sous-ordres dans le train journalier des affaires, leur reprochent de perdre facilement la tête quand quelque circonstance inattendue vient les troubler. D’aucuns veulent voir là une caractéristique générale de la race jaune. Il a paru à certains épisodes de la guerre russo-japonaise et de l’expédition contre les Boxeurs en 1900, qu’une fois un plan adopté, les Japonais s’y obstinaient trop, contre vents et marées, ne voulant ni le modifier, ni même y changer ce qu’il faut pour le plier aux circonstances[12]. On prétend, d’autre part, que la race jaune a une tendance, fâcheuse à la guerre, à ne se décider qu’en conciliabules, à ne pas oser prendre de responsabilité personnelle, ce qui affaiblit le commandement ; mais ne convient-il pas de se garder de généralisations un peu hâtives ?

Ce que l’on peut dire, c’est que l’armée japonaise est très jeune ; on est en droit de se demander si elle s’est bien assimilé non seulement la lettre mais l’esprit de ce qu’elle a appris ; si ses cadres ne se sentiront pas un peu troublés dans la pratique de la guerre ; enfin si, après une défaite, en dépit de son patriotisme ardent et de l’énergie des hommes qui la composent, elle ne perdrait pas confiance dans ses chefs. Mais ce ne sont ici que des questions que la réflexion suggère, que l’événement seul peut résoudre ; et, lorsque nous sommes tentés d’y répondre affirmativement, avons-nous des données suffisantes, ou ne sommes-nous pas plutôt le jouet de notre orgueil d’Occidentaux, qui serait froissé de croire que nos élèves, si jeunes encore, puissent déjà nous égaler ?


III

Les aptitudes maritimes des Japonais ne le cèdent en rien à leurs aptitudes militaires. L’Empire du Soleil-Levant, avec ses 5 000 îles, aux côtes si découpées, est peut-être le pays du monde où les pêcheurs forment la plus forte proportion du nombre des habitans. Ces pêcheurs n’ont jamais craint de s’écarter de leurs côtes quand il leur a été permis de le faire. Au cours des longues guerres civiles du Japon, beaucoup s’étaient transformés en pirates qui s’en allaient piller les côtes de Chine et de Corée. La terreur qu’ils inspiraient leur a survécu à travers les siècles ; et aujourd’hui encore sur certaines côtes de Chine les mères menacent, paraît-il, leurs enfans, qui ne veulent pas dormir ; de la venue des Japonais[13]. Au XVIe siècle, ils ne s’étaient pas mis avec moins d’ardeur à la construction des navires qu’à la fabrication des armes ; leurs vaisseaux commençaient de sillonner les mers d’Extrême-Orient, et l’un d’eux était même allé jusqu’au Mexique, lorsque au commencement du XVIIe siècle les premiers Shogouns Tokugawa, poursuivant leur idéal de rigoureux isolement, interdirent aux Japonais, sous peine de mort, de sortir de leur pays, et même de construire des navires à l’européenne : la marine japonaise fut ainsi réduite aux vieilles et peu commodes jonques chinoises. Par un des violens retours habituels en ce pays, deux cent cinquante ans plus tard, le gouvernement du Mikado, à peine restauré, interdisait à son tour de construire des jonques de plus de 500 kokou, — c’est-à-dire de 90 mètres cubes de capacité, — encourageait par des subventions l’achat de navires européens et donnait des primes à leur construction. Ainsi le Japon s’est constitué une marine marchande, qui joue un très grand rôle dans les mers de Chine et envoie ses paquebots en services réguliers jusqu’à Marseille et à Anvers, à Brisbane et à Sydney, à Vancouver et à San Francisco. Il n’a pas tardé davantage à se constituer une marine militaire.

La France a joué un grand rôle dans l’organisation de la marine, comme de l’armée japonaise. En même temps qu’il faisait venir une mission militaire française, l’ancien gouvernement shogounal avait appelé d’abord, en 1867, une mission maritime anglaise, qui ne resta que peu de mois dans le pays et le quitta au moment de la révolution de 1868. En 1873, le gouvernement du Mikado s’adressa de nouveau à l’Angleterre et une mission de 30 officiers et marins britanniques demeura six ans au Japon ; quelques-uns y furent même employés jusque vers la guerre avec la Chine ; mais c’est un Français, M. Bertin, l’éminent ingénieur du génie maritime, qui organisa les arsenaux japonais et la flotte qui vainquit les Chinois.

La marine du Mikado ne le cédait, en puissance, à l’ouverture de la guerre actuelle, qu’à celle de l’Angleterre, de la France, de l’Allemagne, de la Russie et des Etats-Unis ; elle dépassait celle de l’Italie et de l’Autriche ; mais comme les diverses puissances européennes ne peuvent concentrer toutes leurs flottes en Extrême-Orient, cette marine japonaise l’emportait sur toute autre dans les mers de Chine, bien que la flotte russe, très renforcée depuis un an, ne lui fût que légèrement inférieure. Elle comprenait comme unités principales de combat 6 cuirassés, filant 18nœuds, dont deux de 12 500 tonnes et quatre de 15 000 tonnes de déplacement et 6 croiseurs cuirassés, de 10 000 tonnes environ, filant 20 à 22 nœuds. A ces navires, tous de modèles très récens, puisqu’ils ont été lancés de 1896 à 1900, il faut joindre aujourd’hui les deux cuirassés neufs achetés à Gênes en janvier, arrivés au Japon peu de jours après la déclaration de guerre, et qui, après avoir passé trois semaines à compléter leur armement, doivent être en état à l’heure qu’il est de prendre part aux opérations. Comme unités secondaires, on trouve 8 croiseurs protégés modernes, de 2 800 à 5 000 tonnes, filant de 20 à 23 nœuds ; puis 8 croiseurs protégés plus anciens de 2 400 à 4 200 tonnes, lancés de 1883 à 1892, ayant fait la guerre avec la Chine et filant 16 à 19 nœuds ; un vieux cuirassé chinois capturé durant cette guerre et transformé en garde-côte, plusieurs avisos et canonnières ; enfin, comme flottille, 19 contre-torpilleurs ou destroyers et 75 torpilleurs.

Cette flotte de premier ordre, construite pour la plus grande partie en Angleterre, en ce qui concerne les navires récens, pourvue des meilleurs types d’armement, dispose pour se réparer des trois arsenaux de Yokosuka, près de Tokio, de Kuré, dans la mer Intérieure, près d’Hiroshima, et de Sasebo dans l’île de Kiou-Siou, un peu au Nord-Est de Nagasaki[14]. Construisant eux-mêmes des croiseurs protégés, contre-torpilleurs et torpilleurs, ces arsenaux sont munis du matériel le plus perfectionné et l’on comptait même pouvoir bientôt y construire des cuirassés. Ils paraissent à l’abri de toute tentative ennemie, surtout Kuré, placé au fond de la mer Intérieure, où aucune flotte n’oserait s’aventurer. Montée par 35 000 hommes qui ont fait leurs preuves d’endurance, de bravoure et de discipline pendant la guerre de Chine, la marine japonaise est un instrument de combat formidable ; elle l’a suffisamment montré.

Les mêmes réserves auxquelles nous avons fait allusion en parlant de l’armée de terre peuvent se présenter ici à l’esprit ; mais, sans les négliger absolument, il semble qu’il y ait moins lieu de s’y arrêter. La guerre sino-japonaise a été une épreuve plus concluante pour la marine que pour l’armée mikadonale, parce que la marine chinoise s’est beaucoup mieux défendue et était mieux outillée que l’armée de terre. La bataille du Yalou a fait époque dans l’histoire des guerres navales et, comme les grandes marines européennes n’ont pas eu à tirer le canon contre un ennemi sérieux depuis plus de trente ans, les officiers japonais sont les seuls, avec les Américains, à connaître par expérience ce qu’est le maniement à la guerre des énormes et délicats instrumens que sont les cuirassés, comme des minuscules et dangereux torpilleurs. Ne seront-ils pas tentés de trop s’entêter, comme certains croient déjà qu’ils l’ont fait, devant Port-Arthur et de fatiguer leur flotte en lui faisant trop longtemps tenir la mer ? Il faudrait, encore ici, pour répondre, être mieux éclairés que nous ne le sommes par des dépêches tendancieuses, tronquées, confuses et contradictoires. Nous touchons à ces facteurs moraux obscurs qui ont une si grande influence à la guerre, mais qu’il est impossible de déterminer à l’avance.


IV

Nous avons vu quelles étaient les aspirations du Japon et les forces dont il dispose pour les réaliser. Mais, pour mettre en œuvre ces forces elles-mêmes, il a besoin d’un autre facteur encore. L’argent, dit la sagesse des nations, est le nerf de la guerre et, certes, elle n’a pas tort. Quelles ressources financières possède donc le Japon ? Voilà une question à laquelle il semblerait plus facile de répondre qu’aux précédentes, puisqu’elle porte sur des choses purement matérielles ; et pourtant il n’en est pas de plus controversée.

Tout le monde reconnaît que les finances japonaises avaient été administrées avec la plus grande prudence, la plus stricte économie jusqu’à la veille de la guerre. Les revenus ordinaires s’élevaient, en 1893, à un peu moins de 86 millions de yen, soit 215 millions de francs. Le pays, qui comptait alors une quarantaine de millions d’habitans, ne supportait, on le voit, que des charges fort légères, puisque l’Etat ne prélevait guère que 5 francs par tête d’habitant ; encore toutes ces recettes ne provenaient-elles pas d’impôts, mais, pour 30 millions de francs environ, de revenus du domaine, des chemins de fer de l’Etat et de services divers. Qu’on songe à notre budget de 3 milliards ! Le Japon était certes alors un des pays les moins imposés du monde. La dette publique était faible aussi, 660 millions de francs seulement.

Après sa victoire sur la Chine, le Japon, devenu une grande puissance, désireux de développer son outillage économique et militaire enfla ses budgets. La progression fut tellement rapide que les recettes ordinaires prévues pour 1903 s’élèvent à 231 800 000 yen (580 millions de francs). Elles ont presque triplé en dix ans, et elles ne suffisent pas à couvrir les dépenses, tant ordinaires qu’extraordinaires, qui atteignent, pour la même année, 612 millions de francs, après être montées en 1900 à 730 millions. Pour subvenir à ces dépenses, il a fallu emprunter, et la dette a gonflé, elle aussi, jusqu’à 1 400 millions de francs.

Une pareille augmentation n’est-elle pas inquiétante ?

Pour estimer le poids qui pèse sur les contribuables japonais et la manière dont ils le supportent, il convient de se souvenir d’abord qu’en 1903, la population de l’Empire, Formose non comprise, s’élevait à plus de 46 millions d’habitans et que le chiffre brut des recettes ordinaires représente ainsi moins de 13 francs par tête. En France, il atteint près de 90 francs. Nous n’entendons établir aucune comparaison entre la richesse moyenne d’un Japonais et celle d’un Français, mais la seconde est-elle sept fois plus grande que la première ? Les salaires ne sont certainement pas sept fois plus élevés en France qu’au Japon ; quant à la richesse acquise il est bien difficile de répondre.

Mais ce n’est pas le chiffre brut des revenus publics qu’il faut seul regarder pour se rendre compte des charges qui pèsent sur un pays : les élémens des divers budgets sont fort différens et varient, notamment, suivant l’importance du domaine de l’État. Si nous laissons de côté les autres recettes, et ne prenons que les impôts, directs et indirects, nous verrons que les Japonais paient aujourd’hui à l’Etat 430 millions de francs environ, 9 fr. 40 par tête, tandis que nous payons en France, d’après le budget de la même année 1903, quelque 2 milliards 560 millions, ou 67 francs ; nous retrouvons la même proportion de 1 à 7 que pour l’ensemble des budgets. De même, un Italien paie en moyenne 40 francs chaque année au gouvernement central, un Égyptien 20 francs, un Hindou 5 francs. Ici, la comparaison nous paraît nettement à l’avantage des Japonais, car nous ne saurions admettre que la richesse moyenne d’un habitant de l’Italie, où les salaires sont si modiques, soit quadruple de celle d’un sujet du Mikado, ni celle d’un Égyptien double, ni même qu’un Hindou possède la moitié des facultés contributives d’un Japonais. Les taxes départementales et municipales, qui s’élèvent à quelque 200 millions de francs par an, viennent augmenter la charge de ce dernier, mais non, semble-t-il, d’une manière démesurée.

D’ailleurs, si les impôts ont fort augmenté au Japon, s’ils ont presque triplé en dix ans pendant que la population ne s’accroissait que de 10 à 12 pour 100, la richesse a augmenté aussi, moins assurément que les impôts, mais plus que la population. Des industries nouvelles ont été introduites ou très développées ; le commerce extérieur a lui-même triplé, tant aux importations qu’aux exportations ; les recettes des chemins de fer ont quadruplé, bien que le réseau n’ait fait que doubler, ce qui fait à longueur égale une recette double ; les recettes des postes et télégraphes ont quadruplé aussi[15]. Or ce sont là les signes les plus certains du développement de la richesse publique. Il est naturel et salutaire, que le contribuable se plaigne quand les impôts augmentent, sans quoi le gouvernement ne résisterait pas à la tentation de le tondre de trop près ; mais le Japon n’est pas le pays où il y a le plus sujet de s’apitoyer sur son sort.

Enfin, si l’on remonte, non plus à une dizaine d’années en arrière, mais à l’ancien régime, on voit qu’au milieu du XIXe siècle, l’ensemble des redevances que percevaient soit les daïmios, soit le shogoun, était évalué, en nature, à 30 millions de kokous de riz (le kokou est une mesure de capacité valant 180 litres). Or, à 41 yen le kokou, prix de ces dernières années, cela représente plus de 330 millions de yen ou 825 millions de francs, plus que les budgets actuels de l’État et des administrations locales réunies. Certes, les charges financières de l’ancien régime étaient très lourdes et leur poids excessif n’a pas été sans contribuer à sa chute, au Japon comme en France, mais qui pourrait contester l’énorme enrichissement du Japon depuis cinquante ans ? et sa population n’était pas même alors les trois cinquièmes de ce qu’elle est aujourd’hui.

En ce qui concerne la Dette de 1 400 millions de francs, on fait observer qu’une partie importante a été employée à des dépenses productives : 300 millions notamment à la construction des 2 000 kilomètres de chemins de fer de l’État, dont le produit net est de 22 millions de francs ; les 1 100 millions qui restent ne représentent que deux années de recettes ; ce n’est pas là une charge des plus lourdes. Sans vouloir peindre sous de trop brillantes couleurs l’état des finances japonaises, il est juste de reconnaître qu’elles valent celles de la plupart des États européens. Il est tout à fait exagéré de croire que le Japon n’aurait pu supporter longtemps de pareilles charges, et qu’il a fait la guerre maintenant parce que le manque d’argent l’aurait empêché de maintenir plus longtemps sur le même pied son établissement militaire et naval, qui n’absorbait, du reste, que 180 millions de francs sur ses 612 millions de dépenses annuelles.

Ce n’est pas le manque d’argent qui a précipité la guerre ; ce n’est pas davantage le manque d’argent qui l’arrêtera, d’ici longtemps du moins. Bien moins riche que les États de l’Europe occidentale et même que son colossal antagoniste, la Russie, le Japon peut réaliser cependant des ressources considérables. Il réduira dans son budget les dépenses non militaires ; il va établir des impôts de guerre ; il émet un emprunt intérieur de 250 millions de francs qui a été plusieurs fois couvert. Certes ces énormes souscriptions d’emprunt sont en grande partie l’œuvre de la spéculation et ne donnent pas la mesure des capitaux disponibles ; mais le patriotisme des Japonais les pousse assurément à souscrire à un emprunt de guerre à des conditions relativement peu onéreuses. Par ces divers moyens, le gouvernement du Mikado peut se procurer sans grande difficulté plusieurs centaines de millions. En outre, la Banque du Japon détient dans ses caisses 270 millions de numéraire ; elle peut prêter largement à l’Etat, qui l’autorisera à émettre des billets à cours forcé, expédient dont tous les pays, la France entre autres, ont usé en temps de grande crise nationale. Au dehors il sera plus difficile et plus onéreux d’emprunter. Avant la guerre, le crédit du Japon était assez prisé à la Bourse de Londres, bien qu’il eût toujours eu de la peine à faire souscrire ses emprunts par le public : le 5 p. 100 avait coté jusqu’à 106 et le 4 p. 100 jusqu’à 89 en 1902. Aujourd’hui, ces fonds sont tombés à 79 et 65, ce qui veut dire que le Japon ne pourrait pas emprunter à moins de 7 p. 100, mais sans doute à ce taux, ou un peu plus cher, trouverait-il à placer des obligations à court terme auprès d’Anglais ou d’Américains hardis et russophobes, qui ne craindraient pas de courir un risque dans l’espoir d’obtenir un gros profit.

Il est bon de s’entendre, enfin, quand on dit que l’argent est le nerf de la guerre. Il en faut beaucoup pour la préparer, beaucoup quand elle est finie pour en payer les frais ; mais, pendant qu’elle dure, on trouve presque toujours des prêteurs, fissent-ils un peu l’usure, et des fournisseurs qui donnent des délais en se réservant de majorer leurs notes. Y eut-il jamais gouvernement plus dépenaillé que le Directoire, et cela empêchait-il nos armées de parcourir l’Europe ?

Le soldat japonais est d’une sobriété extrême ; la Corée, où il va se battre, et qui n’est pas loin, est un pays qui exporte des denrées alimentaires et sur lequel il pourra vivre, en partie du moins. Avec 7 ou 800 millions que l’Empire du Soleil-Levant parviendra sûrement à se procurer, s’il n’arrive pas jusqu’à un milliard, il pourra soutenir la lutte toute la présente année et même au-delà.


V

Durera-t-elle aussi longtemps ? Il est bien hasardé de faire des pronostics en si délicate matière. La guerre comporte toujours une immense part d’inconnu et de hasard. A plus forte raison est-il difficile de rien prévoir lorsque le théâtre de la lutte est un pays éloigné, médiocrement connu, lorsqu’il s’agit de deux peuples dont l’état moral est si différent du nôtre. L’opinion générale est aujourd’hui que la guerre sera longue, mais c’est le seul point où l’on s’accorde. En France, on est convaincu que le triomphe définitif de la Russie ne peut faire le moindre doute ; en Angleterre beaucoup pensent que le Japon a des chances très sérieuses de l’emporter. Il y a quelqu’un qui se trompe, et lorsqu’on cherche à raisonner froidement, sans rien sacrifier à ses sentimens, sans se laisser entraîner à croire trop vite ce que l’on désire, c’est une angoissante incertitude.

Malgré tout, si haut que l’on porte l’armée japonaise, et quelque admiration que l’on ait pour l’œuvre accomplie depuis trente-cinq ans par ce peuple extraordinaire, il nous semble bien difficile de ne pas regarder comme presque insurmontables les obstacles qui se dressent devant le Japon, s’il entreprend de chasser les Russes de Mandchourie. Son armée n’a presque pas de cavalerie et, le jour où elle serait sortie des montagnes, qui couvrent non seulement la Corée mais une assez large bande sur la rive chinoise du Yalou, le jour où elle descendrait dans la plaine mandchoue aux environs de Moukden, et elle n’y arriverait qu’après les plus rudes fatigues, l’épais et mouvant rideau de la cavalerie cosaque l’envelopperait de toutes parts, lui masquerait les mouvemens de l’ennemi, l’exposerait à toutes les surprises. D’ailleurs, si la Russie se trouvait en médiocre posture au début des hostilités, si elle n’avait peut-être qu’une centaine de mille hommes disponibles en février, si le débit du Transsibérien n’est probablement que de 1 400 ou 1 500 hommes par jour, s’il lui faut envoyer de 8 000 kilomètres de distance non seulement des munitions, mais des approvisionnemens, elle devra avoir 200 000 hommes disponibles dans le courant d’avril, plus de 300 000 au début de juillet ; or, même si le Japon était parvenu à cette époque, hypothèse extrême, à jeter en Corée quelque 400 000 hommes et qu’il fût maître absolu de la mer, — ce qui lui permettrait de raccourcir sa ligne d’étapes, et par suite d’en diminuer les gardes en établissant la jonction entre les transports maritimes et terrestres à l’embouchure du Yalou, — il lui faudrait tout de même occuper la Corée et immobiliser ainsi une appréciable partie de ses forces. La Russie, si coûteux que cela puisse lui être, augmentera indéfiniment les siennes, parce que l’enjeu de la lutte est trop considérable, et qu’il y va du prestige de son gouvernement à l’extérieur, et à l’intérieur aussi.

Il semble qu’en Mandchourie, les Japonais doivent succomber sous le nombre. En Corée, il n’en est pas tout à fait de même. Les Russes y trouveront leurs ennemis en possession d’état, ayant eu le temps probablement de se fortifier. Dans ces montagnes escarpées qui inspirent à leurs hommes de plaine une sorte de malaise, dans ces rizières absolument impraticables aux chevaux, leur cavalerie ne pourra être que d’un bien faible secours. Si l’infanterie japonaise mérite l’éloge que l’on fait d’elle, si elle s’accroche au sol, si les communications sont bien maintenues avec le Japon, il peut être extrêmement difficile, sinon presque impossible de déloger de la péninsule l’armée du Mikado.

L’un des plus graves événemens de guerre qui pourrait se produire serait la chute de Port-Arthur, non pas tant encore pour ses conséquences militaires que pour ses effets politiques, Il y faudrait plus que des bombardemens, « ces opérations militaires de cinquième ou de sixième ordre ; » selon les paroles du regretté Borgnis-Desbordes ; il y faudrait un débarquement en force et beaucoup de bonheur pour les Japonais : mais une fois perdue, cette place qui n’est reliée à la terre ferme que par un isthme d’une lieue de large, que balaieraient les canons de la flotte japonaise, serait singulièrement difficile à reprendre. Comme la Russie ne pourrait y renoncer sans perdre absolument la face aux yeux des Chinois, la guerre risquerait de s’en trouver extrêmement prolongée.

L’un des traits particuliers de cette guerre, c’est qu’il est fort difficile pour chacun des adversaires de forcer l’autre à la paix par un coup qui l’atteigne dans ses œuvres vives. Le Japon ne peut le faire pour la Russie. D’autre part, si, après avoir expulsé du continent les envahisseurs japonais, celle-ci voulait leur imposer des conditions trop dures et qu’ils s’obstinassent à ne pas traiter, comment les y contraindre ? Un débarquement dans le Japon proprement dit est hors de toute question ; quel que fût le nombre d’hommes qu’on parvînt y jeter, il s’engagerait là une guerre comme le monde n’en a peut-être jamais vu ; les femmes, les enfans mêmes y participeraient et, du milieu des délicates et mièvres mousmés surgiraient, sinon une Jeanne d’Arc, du moins des foules de Judith ou de Jeanne Hachette. Quant à un coup de main russe sur l’île septentrionale d’Yezo, outre qu’il faudrait, pour y réussir, être maître de la mer, il entraînerait aussi l’intervention immédiate de l’Angleterre et des États-Unis.

À vrai dire, s’il est une prévision qu’on puisse faire avec quelque certitude, c’est celle d’une intervention des neutres à la fin du conflit, pour empêcher le vainqueur de pousser trop loin la victoire. Les neutres eux-mêmes sont partagés en deux camps et leurs vœux ne vont pas du même côté ; mais il est certain que des mesures seront prises, soit par les uns, soit par les autres pour prévenir la mainmise complète du vainqueur sur la Chine, sinon même sur la Corée. De cette lutte déplorable, il est ainsi douteux qu’aucun des combattans puisse retirer de grands fruits, à moins qu’elle ne se termine par l’effroyable drame d’une conflagration universelle.

En écartant même cette sombre hypothèse, l’avenir qu’ouvre la guerre entre la Russie et le Japon reste gros de menaces. En admettant que la victoire de la Russie sur terre soit plus promptement acquise qu’on ne le pense en général, cette première grande guerre entre Blancs et Jaunes aura montré que des Jaunes, après s’être mis trente ans à l’école des Blancs, peuvent, sinon encore les vaincre, du moins lutter contre eux. Certes les Chinois ne sont pas les Japonais et il semble bien difficile qu’ils se réforment d’eux-mêmes ; mais on travaille tant à les réformer qu’on se demande, non sans angoisse, si l’on n’y parviendra pas. Puis le Japon, resté intangible dans ses îles, ne sera pas accablé par sa défaite probable. Son essor, comprimé quelque temps, reprendra ; il ne retournera pas en arrière. « Le grand vent d’Occident qui souffle sur ce pays, ne s’abattra plus, » me disait un des Japonais les plus instruits que j’aie rencontrés, un grand éducateur, M. Fukuzawa. Je crois qu’il disait vrai. La tentative avortée une fois, les Japonais peuvent la reprendre, en mettant à profit des embarras momentanés de l’Europe, des difficultés intérieures de la Russie ; ils peuvent s’insinuer doucement en Chine, où il leur restera, malgré tout, quelque prestige de cette guerre. La situation des peuples d’Europe en Extrême-Orient ne sera plus demain ce qu’elle était hier encore. Ne nous étonnons pas s’il nous faut désormais compter avec ces Jaunes que nous avons nous-mêmes réveillés de leur sommeil et comme obligés à sortir de leur isolement


PIERRE LEROY-BEAULIEU.

  1. La France couvre 536 000 kilomètres carrés, l’Empire russe 22 millions de kilomètres carrés, l’Empire du Japon 417 000 dont 382 000 pour le Japon proprement dit et 35 000 pour Formose et les Pescadores, cédées par la Chine en 1895.
  2. Voici le détail de ce tableau, tel que je l’ai trouvé dans le Japan Times, journal rédigé en anglais par des Japonais, et qui avait, du reste, des attaches officieuses. Les valeurs sont en yen, le yen valant 2 fr. 55.
    3 to (1 to = 18 litres) de riz de 3e qualité. Yen 4, 60
    Légumes et poissons 1,50
    Location de literie (couverture, etc.) 1,50
    Loyer d’une maison 0, 80
    Éclairage et chauffage 0, 75
    3 sho (1 sho 1 litre 8) de soy (sauce) de 2e qualité 0, 42
    Thé 0, 30
    Objets nécessaires pour écrire 0, 30
    Éducation de l’enfant 0, 20
    Bains tous les trois jours 0, 20
    Impôt sur le logement 0, 15
    Chaussures 0, 15
    Divers 0, 40
    Total, yen 11,33
  3. Voyez dans la Revue du 1er février 1901, l’étude de M. Villetard de Laguérie sur la Corée.
  4. La plupart des renseignemens numériques qui suivent sont extraits d’un article de la Revue militaire des Armées étrangères, rédigée au 2e bureau de l’état-major de l’armée (livraison de février 1904).
  5. 592 officiers, 2 667 sous-officiers et 21 758 soldats.
  6. Cet effectif comprend 52 bataillons d’infanterie. 17 escadrons de cavalerie, 19 batteries d’artillerie, 13 compagnies du génie et autant du train. Les brigades mixtes entre lesquelles doivent être groupées ces unités comprendraient 6 à 8 bataillons d’infanterie, un escadron de cavalerie, une batterie d’artillerie, une compagnie du train et des services accessoires,
  7. Ces troupes comprennent 104 bataillons d’infanterie, 34 escadrons de cavalerie, 76 batteries d’artillerie de campagne ou de montagne, 15 bataillons du génie à 2 compagnies, autant du train et 19 bataillons d’artillerie de forteresse à 2 compagnies.
  8. Dans ce total l’infanterie figure pour 374 000 hommes, la cavalerie pour 12 500, l’artillerie de campagne et montagne pour 38 000, l’artillerie de forteresse pour 20 500, le génie pour 23 000, le train pour 27 000. Le reste comprend le service de santé, d’administration et autres accessoires.
  9. L’infanterie de l’armée active a le fusil Arisaka, du calibre de 6mm, 5, du nom de l’officier japonais qui l’a inventé, — en plagiant, disent les mauvaises langues, le fusil Mauser ; l’armée de dépôt recevrait le fusil Murata, de 8 millimètres, calibre de notre Lebel, et l’armée territoriale partie cette même arme, partie l’ancien Murata, de 11 millimètres. La cavalerie a une carabine du même genre et un sabre. L’artillerie possède, depuis 1898, un matériel à tir rapide de campagne et de montagne, de 75 millimètres ; l’armée de dépôt et la territoriale se serviraient des pièces Krupp, de 8 centimètres, qui étaient en usage auparavant et sont encore fort bonnes.
  10. C’est ce que dit très nettement l’auteur de l’étude sur l’armée japonaise publiée par la Revue militaire des Armées étrangères. « Sans entrer dans le détail un peu spécial des transports des troupes mikadonales par mer, on peut dire que les délais de temps nécessités par ces opérations ne seront pas commandés par le tonnage disponible, mais par d’autres considérations (précautions à prendre contre la flotte ennemie, durée de la mobilisation des diverses unités, temps nécessaire à la concentration, outillage des ports à l’embarquement et au débarquement, etc.). Il est même à penser qu’on n’utiliserait pas tous les élémens de transport dont il serait possible de disposer. »
  11. Revue militaire des Armées étrangères, article cité.
  12. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1904, l’article du général- Frey, sur l’Entrée des Alliés à Pékin (14-15 août 1900).
  13. Le fait est rapporté dans l’un des meilleurs et plus complets ouvrages qu’aient été publiés sur le Japon, celui du professeur allemand J.-J. Rein, traduction anglaise, t. Ier, p. 259.
  14. Deux autres arsenaux sont en voie d’organisation, à Maizuru sur la côte de la Mer du Japon et à Muroran, dans l’île d’Yezo ; ces cinq places sont les chefs-lieux des cinq préfectures maritimes entre lesquelles sont divisées les côtes du Japon.
  15. D’après l’Annuaire financier et économique du Japon.