Le Jardin des dieux/Le Clair de lune dans les ruines/Dans la ville

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 206-208).
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DANS LA VILLE



Timgad, enfin c’est toi, debout, qui t’échelonnes,
La brique saigne auprès de tes marbres jaunis
Et brûlant de clarté, saturé d’infini,
L’impérissable azur vibre entre tes colonnes.

Tandis que, dans la plaine immense, un chameau beugle
Tourné vers ton silence et ton isolement,
Tes grands arcs de triomphe à l’horizon fumant
Fixent le crépuscule avec des yeux d’aveugle.


C’est toi, voici tes murs et tes dalles immenses
Où je cherche le sang des taureaux écorchés…
Des lézards fuient parmi les tables du marché
Et le vent éternel disperse les semences.

L’herbe pousse et disjoint les mosaïques, l’herbe
Foisonne dans les bains, déborde les autels
Et les chardons autour de tes dieux immortels
Dressent les bleus piquants de leurs têtes superbes.

Le vent seul fait sonner la tribune aux harangues
Et le théâtre vide et le cirque désert,
Le vent seul retentit sur le forum où l’air
A tant vibré du choc des races et des langues.

Il passe et couche l’herbe aux ruines des portes
Où l’ornière des chars arrête et fait songer,
Il passe et dans cette herbe où je le vois plonger
Va chercher le silence en marche des cohortes.


Il règne. Tout est vide et béant. Il s’écoule
Sous l’arc qui sonne ainsi que la voûte des ponts
Et, plus fort que le cri dont nous l’interrompons,
Il remplit l’horizon d’une rumeur de foule.

La ruine déserte et solitaire est pleine
De ses bondissements et de son hurlement
Tandis que le soleil allonge lentement
L’ombre des fûts brisés au milieu de la plaine.

Et voici que passant le cirque des montagnes,
Couleur des gorges d’or où son vol triompha,
Un petit aigle roux venu de Maafa,
Avant de retrouver son aire qu’il regagne,

Vient planer longuement sur la triste broussaille
Où tout l’orgueil romain gît en morceaux épars,
Et, sous son aigre appel, secouant les lézards,
Le marbre de Trajan se souvient et tressaille.