Le Jardin du Silence et la Ville du Roy/III/Au bord de mes cyprès…

La bibliothèque libre.
G. Oudin & Cie (p. 107-108).



X


Au bord de mes cyprès je pense à vous, Cézanne.
Si, pour moins pardonner à ceux qui vous condamnent,
La gloire vint très tard gravir votre tombeau,
Voyez comme l’attente a rendu forts et beaux
Le laurier qui vous couvre et l’ombre qui vous fête !
Je ne sais rien de vous que la piété muette,
Que le travail, que le silence et la maison…
Je n’ajouterai pas la rose à votre front
Car ma main ne saurait s’exhausser jusqu’au chêne !
Pourtant, si c’est aimer que d’ouvrir ses mains pleines,
Je vous offre, ce soir, la paix de ce jardin
Triste et désenchanté que décorent des pins.

Peut-être l’avez-vous connu dans vos années !
Peut-être vos grands pas, au flanc d’une journée,
Ont-ils passé ma porte et traîné doucement
Entre la vigne morte et les buis ! Du mur blanc
Avez-vous vu le clocher de Saint-Jean-de-Malte,
La route, le morceau de la ville et la halte
Immense et bleue du Mont Victoire, à l’horizon ?
Avez-vous regardé, par la même saison
Que celle d’aujourd’hui, cette lumière rousse,
Pareille à des cheveux légers que le vent pousse
Devant lui ? à des cheveux que les cyprès
Écartent quand ils sont trop rouges et trop près ?
Si vous êtes venu, vous savez mon offrande ;
Mais si vous ignorez mon enclos, sa guirlande
De lierre, son bassin, ses arbres, ses deux puits,
Sachez que je vous donne, en eux, comme le fruit
Le plus pur des étés que j’ai passés sur terre,
Ô Cézanne d’Aix-en-Provence ! solitaire !