Le Jour de Saint-Valentin/25

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Le Jour de Saint-Valentin ou La Jolie Fille de Perth
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 23p. 306-316).


CHAPITRE XXV.

L’ENTRETIEN.


Le cours du véritable amour n’est jamais tranquille.
Anonyme.


Les craintes de notre armurier ne l’avaient point trompé. Quand le bon gantier se fut séparé de son futur gendre, après que l’événement du combat judiciaire eut été décidé, il trouva, comme il s’y attendait, que la Jolie Fille n’était pas dans des dispositions favorables à son amant. Mais, quoiqu’il s’aperçût que Catherine était froide et réservée, qu’elle paraissait avoir banni toute passion humaine, et n’écouter qu’avec une froideur méprisante la description la plus brillante qu’il put faire du combat de Skinners’yards, il résolut de n’avoir point l’air de remarquer son changement, et de lui parler de son mariage avec Henri comme d’une chose qui ne pouvait manquer d’avoir lieu. Enfin, quand elle commença de nouveau à lui déclarer que son attachement pour l’armurier ne passait pas les limites de l’amitié, qu’elle était décidée à ne jamais se marier, que ce prétendu combat judiciaire était un outrage à la volonté divine et aux lois humaines, le gantier conçut naturellement de l’humeur.

« Je ne puis lire dans votre pensée, ma fille, ni deviner d’après quelle malheureuse illusion vous embrassez un amant déclaré, vous permettez qu’il vous embrasse, vous courez à sa maison quand le bruit de sa mort se répand, et vous vous jetez dans ses bras quand vous l’y trouvez seul. Tout cela montre une fille disposée à obéir à ses parents, en prenant le mari que désire son père ; mais de semblables marques d’affection, données à un homme qu’une jeune femme ne peut estimer, et ne veut jamais épouser, sont déplacées et inconvenantes. « Vous avez déjà accordé plus de faveurs à Henri Smith que votre mère, à qui Dieu fasse paix ! ne m’en accorda jamais avant notre mariage. Je vous le dis, Catherine, se jouer ainsi de l’amour d’un honnête homme est ce que je ne veux, ni ne dois endurer. J’ai donné mon consentement à ce mariage, et j’insiste pour qu’il se fasse sans délai ; il faut que vous receviez demain Henri Smith comme un homme dont vous deviendrez bientôt la femme. — Un pouvoir au-dessus du vôtre s’y oppose, mon père, dit Catherine. — Nous verrons cela ; mon pouvoir est légitime, c’est celui d’un père sur son enfant, sur un enfant qui s’égare ; Dieu et les hommes reconnaissent mon autorité. — Que le ciel vienne donc à notre aide ! car, si vous persistez dans votre projet, nous sommes perdus. — Nous n’avons point d’aide à attendre du ciel quand nous agissons contre la raison. Je suis assez clerc pour savoir cela, et tout prêt à dire que votre résistance sans motif à ma volonté est un péché. Et de plus, vous avez parlé avec mépris du saint appel au jugement de Dieu par l’épreuve du combat. Prenez garde, car la sainte Église veille attentivement sur son troupeau pour extirper l’hérésie par le fer et le feu. Je vous en avertis. »

Catherine fit entendre une exclamation à demi étouffée, et s’efforçant de prendre un air calme, elle promit à son père que, s’il voulait lui épargner toute discussion sur ce sujet jusqu’au lendemain matin, elle viendrait lui faire un aveu complet de ses sentiments.

Simon Glover fut forcé de se contenter de cette promesse, quoique très-inquiet de l’explication qui devait avoir lieu. Ce ne pouvait être par légèreté ni par caprice que sa fille agissait avec une inconséquence si singulière envers l’homme qu’il lui avait choisi pour mari, et que tout récemment elle avait choisi elle-même d’une manière si peu équivoque. Quelle cause étrangère et d’une si puissante influence avait pu changer des résolutions qu’elle avait manifestées si clairement il n’y avait pas vingt-quatre heures, c’était une chose qu’il ne pouvait comprendre.

« Mais je serai aussi obstiné qu’elle, pensa le gantier ; elle épousera Henri Smith sans plus tarder, où elle donnera au vieux Simon un excellent motif pour ne pas le faire. »

On n’en parla plus ce soir-là, mais le lendemain matin, au lever du soleil, Catherine s’agenouilla devant le lit où son père dormait encore ; son cœur palpitait comme s’il eût voulu sortir de sa poitrine, et ses pleurs baignaient le visage de son père. Le bon vieillard s’éveilla, leva les yeux, fit un signe de croix sur le front de sa fille, et l’embrassa affectueusement.

« Je te comprends, Catherine, dit-il, tu viens à confesse, et avec le désir, j’espère, d’éviter une dure pénitence par ta sincérité. »

Catherine se recueillit un instant, puis elle prit la parole en ces termes :

« Je n’ai pas besoin de vous demander, mon père, si vous vous rappelez le père Clément, et si vous gardez le souvenir de ses sermons et de ses instructions, auxquels vous avez assisté si souvent, que l’on vous regarde comme un de ceux qu’il a convertis ; on le disait aussi de moi, et avec plus de raison. — Je sais tout cela, » dit le vieillard en se levant sur son coude ; « mais je défie la mauvaise renommée de montrer que je l’aie jamais approuvé en quelque proposition hérétique, quoique j’aimasse à l’entendre parler de la corruption de l’Église, du mauvais gouvernement de la noblesse, de l’ignorance des pauvres, ce qui me paraissait prouver que toute la vertu, la force et la considération de l’État se trouvaient dans la première classe des bourgeois, doctrine très-saine et très-honorable pour la ville. Et s’il a prêché quelque hérésie, pourquoi les supérieurs de son couvent le permettaient-ils ? Si les bergers amènent au milieu du troupeau un loup revêtu d’une peau de mouton, ils ne peuvent blâmer les agneaux de se laisser dévorer. — Ils ont souffert ses prédications, reprit Catherine ; ils les ont même encouragées, tant que les vices des laïques, les querelles des nobles et l’oppression du pauvre, étaient l’objet de sa censure ; et ils se réjouirent de voir la foule s’empresser à leur église, et déserter celles des autres couvents. Mais les hypocrites se sont unis avec les autres moines pour accuser leur prédicateur Clément, quand, après avoir censuré les crimes des laïques, il commença d’attaquer l’orgueil, l’ignorance et la corruption des hommes d’église, leur soif du pouvoir, leur autorité usurpée sur la conscience des hommes, et leur désir d’accroître leurs richesses terrestres. — Pour l’amour de Dieu, Catherine, dit Simon, parlez de manière à n’être pas entendue. Vous élevez la voix, vous parlez avec un ton d’amertume… vos yeux étincellent. C’est ce zèle pour ce qui ne vous regarde pas plus que les autres qui fait que des malveillants vous donnent le nom odieux et dangereux d’hérétique. — Vous savez que je ne dis que la vérité, que ce que vous avez reconnu vous-même. — Non, de par l’aiguille et la peau de daim ! » répondit le gantier avec empressement. « Voudrais-tu que je reconnusse ce qui me coûterait la vie et les membres, mes biens et mon argent ? Une commission a été donnée pour saisir et juger les hérétiques qui ont causé tous les troubles et tous les désordres des derniers temps. C’est pourquoi, parler le moins est le plus sage, ma fille. Je suis toujours de l’avis du vieux poète :

« Puisque la parole est esclave,
Et puisque libre est le penser,
Oh ! retiens ta langue, mon brave.
De peur de te faire pincer. »

— Le conseil vient trop tard, mon père, » répondit Catherine se laissant tomber sur une chaise près du lit de son père ; « les paroles ont été prononcées et entendues, et Simon Glover, bourgeois de Perth, est accusé d’avoir parlé avec irrévérence des doctrines de la sainte Église. — Aussi vrai que je vis de l’aiguille et des ciseaux, s’écria Simon, c’est un mensonge ! Je n’ai jamais été assez sot pour parler de ce que je n’entends pas — Et d’avoir calomnié le clergé régulier et séculier, continua Catherine. — Je ne nierai jamais ce qui est vrai, dit le gantier ; je puis en avoir tenu quelques paroles inconsidérées en buvant une pinte d’ale ou un pot de vin, mais en compagnie sûre, et ma langue n’est point assez folle pour mettre ma tête en péril. — Vous le pensez ainsi, mon cher père ; mais vos moindres paroles ont été rapportées, vos phrases les plus innocentes travesties, et vous êtes prévenu d’avoir outragé l’Église et le clergé, pour en avoir mal parlé avec des gens dissolus et débauchés, tels que feu Olivier Proudfute, l’armurier Henri de Wynd et d’autres, qu’on prétend favoriser les doctrines du père Clément, qu’ils accusent de sept chefs d’hérésie, et qu’ils poursuivent avec le bâton et l’épieu, pour le condamner à mort. Mais, » continua-t-elle en tombant à genoux et levant les yeux au ciel, semblable à une de ces belles saintes que la religion catholique a données aux beaux-arts, « ils ne le pourront jamais. Il a échappé aux filets de l’oiseleur ; et, le ciel en soit béni, c’est moi qui lui en ai donné le moyen. — Toi, ma fille ! es-tu folle ? » dit le gantier saisi de surprise.

« Je ne nierai jamais ce dont je me glorifie, répondit Catherine ; c’est moi qui ai fait venir ici Conachar, avec une troupe de ses montagnards, pour emmener le vieillard, qui est maintenant bien loin dans les montagnes. — Ô malheureuse fille ! imprudente fille ! as tu osé aider la fuite d’un homme accusé d’hérésie ? et exciter les montagnards à s’emparer les armes à la main de l’administration de la justice dans la ville ? Hélas ! tu as violé à la fois les lois de l’Église et celles du royaume ? Que deviendrions-nous si cela était connu ! — Cela est connu, mon cher père, » dit Catherine avec fermeté, « connu de ceux-là mêmes qui seront le plus empressés de punir cette action. — C’est quelque sotte imagination, Catherine, ou quelque ruse de ces prêtres ou de ces nonnes ; cela ne s’accorde guère avec la disposition que tu as montrée récemment à épouser Henri. — Hélas ! mon cher père, rappelez-vous la consternation où m’avait jetée la nouvelle de sa mort, et le plaisir et la surprise que j’éprouvai à le trouver vivant, et ne vous étonnez point si je me suis permis, sous votre protection, d’en dire plus que je n’aurais dû en dire en réfléchissant. Mais alors j’ignorais ce qu’il y a de plus terrible, et je croyais que je m’exagérais le danger. Hélas ! j’ai été cruellement détrompée quand l’abbesse est venue ici elle-même avec le dominicain. Ils m’ont montré la commission scellée du grand sceau de l’Écosse, pour rechercher et punir l’hérésie ; ils m’ont montré votre nom et le mien sur une liste de personnes suspectes, et ce fut avec des larmes, des larmes sincères, que l’abbesse me conjura d’écarter une destinée fatale en me retirant dans un cloître, et que le moine engagea sa parole que vous ne seriez point inquiété si je le faisais. — Le diable emporte ces deux crocodiles larmoyants ! s’écria le gantier. — Hélas ! dit Catherine, la plainte ou l’emportement nous seront de peu de secours ; mais vous voyez que j’ai un bien réel sujet d’alarmes. — D’alarmes ! dis donc que c’est une ruine complète. Hélas ! imprudente fille, où était votre sagesse quand vous avez donné de tête en avant dans un tel piège ? — Écoutez-moi, mon père ; il y a encore un moyen de salut : c’est celui que je vous ai souvent proposé, et que je vous ai supplié en vain d’approuver. — Je vous comprends, le couvent ; mais, Catherine, quelle abbesse ou prieure oserait… — Je vous expliquerai cela., mon père ; et je vous dirai aussi par quelles circonstances j’ai paru chancelante dans mes résolutions au point de m’attirer vos reproches et ceux des autres ; le vieux père Francis, le confesseur, que j’avais pris parmi les dominicains, par votre ordre… — Oui, sans doute, je te l’ai conseillé et ordonné, pour qu’on ne prétendît plus que ta conscience était sous la direction du père Clément. — Ce père Francis m’a pressée, à différentes fois, de converser sur des sujets sur lesquels il pensait que j’avais reçu des instructions du père Clément. Dieu me pardonne mon aveuglement ! Je suis tombée dans le piège, j’ai parlé librement ; et comme il répondait avec douceur, comme un homme disposé à se laisser convaincre, je défendis avec chaleur ma croyance. Mon confesseur ne reprit point son véritable rôle, et ne trahit point son secret dessein, jusqu’à ce que je lui eusse appris tout ce que j’avais à lui dire. Ce fut alors qu’il me menaça de peines dans cette vie et de la damnation dans l’autre. Si ses menaces ne s’étaient adressées qu’à moi, je serais demeurée ferme ; car j’aurais pu endurer la rigueur de ces peines dans ce monde, et je ne crois point à leur existence dans l’autre. — Pour l’amour de Dieu ! » dit le gantier, qui était presque hors de lui en voyant augmenter à chaque parole le danger où était sa fille, « prends garde de blasphémer la sainte Église, dont le bras est aussi prompt à frapper que l’oreille habile à entendre. — Pour moi, » dit la Jolie Fille de Perth, levant de nouveau les yeux au ciel, « les châtiments dont on me menaçait m’auraient peu effrayée ; mais quand ils ont parlé d’envelopper mon père dans la même accusation, j’avoue que j’ai tremblé, et que j’ai désiré accepter l’arrangement. Martha, l’abbesse du monastère d’Elcho, étant parente de ma mère, je lui contai mes malheurs, et j’en obtins la promesse qu’elle me recevrait si, renonçant à tout amour mondain, à toute pensée de mariage, je voulais prendre le voile dans son couvent. Elle eut sans doute une conversation sur ce sujet avec le dominicain Francis, et tous deux me chantèrent la même chanson. « Restez dans le monde, disaient-ils, et votre père et vous serez jugés comme hérétiques ; prenez le voile, et vos erreurs communes seront pardonnées et oubliées. » Ils ne me parlèrent même pas de rétracter mes opinions ; tout serait apaisé à cette unique condition. — Je n’en doute pas, je n’en doute pas, dit Simon ; le vieux gantier passe pour riche, et ses richesses suivraient sa fille au couvent d’Elcho, sauf ce que les dominicains pourraient réclamer pour leur part. Ainsi voilà toute ta vocation pour le cloître, toutes tes objections contre le mariage avec Henri ? — En vérité, mon père, tous les motifs possibles m’ont décidée à prendre cette résolution, et par moi-même je n’en étais pas éloignée. Sir John Ramorny m’a menacée de la terrible vengeance du jeune prince si je repoussais plus long-temps ses coupables sollicitations ; et quant au pauvre Henri, ce n’est que tout récemment que j’ai découvert, à ma grande surprise, que… que j’ai plus d’amour pour ses vertus que d’éloignement pour ses défauts. Hélas ! je n’ai fait cette découverte que pour quitter le monde avec plus de peine que je ne l’eusse fait quand je n’avais que vous à regretter. »

Elle appuya sa tête sur sa main et se prit à pleurer amèrement.

« Tout cela n’est que folie, dit le gantier. Il n’existe point d’occasion si désespérée qu’un homme sage ne puisse trouver un bon parti s’il a la hardiesse de le prendre. Ce n’a jamais été dans notre pays et sur nous que les prêtres ont pu exercer, au nom de Rome, une autorité sans contrôle. S’ils punissent chaque bourgeois qui dit que les moines aiment l’or, et que la vie de quelques-uns d’entre eux fait honte aux doctrines qu’ils pratiquent, certainement Étienne Smotherwell ne manquera pas de besogne ; et si toutes les jeunes étourdies qui se laissent entraîner par un prédicateur populaire doivent être séparées du monde, il faut agrandir les couvents et y recevoir des religieuses avec de moindres dots. Nos privilèges ont souvent été défendus autrefois contre le pape lui-même par nos bons monarques ; et quand il a voulu s’immiscer dans le gouvernement temporel du royaume, il s’est trouvé un parlement écossais qui lui rappela son devoir dans une épître qui aurait dû être écrite en lettres d’or. Je l’ai vue moi-même, cette épître ; et, quoique je ne pusse la lire, la seule vue du sceau des révérends prélats, des nobles et féaux barons, qui y était suspendu, fit tressaillir mon cœur de joie. Tu n’aurais pas dû me taire ce secret, ma fille ; mais ce n’est pas le moment de t’en faire un reproche. Descends et prépare-moi quelque nourriture. Je vais monter à cheval pour aller trouver notre bon prévôt, et lui demander son avis et sa protection, que j’espère obtenir ainsi que celle de tous les cœurs véritablement écossais, qui ne souffriront point qu’on accable un bon citoyen pour quelques paroles légères. — Hélas ! mon père, dit Catherine, c’est justement cette impétuosité que je redoutais. Je savais bien que, si je vous adressais mes plaintes, vous prendriez feu aussitôt, comme si la religion que nous a donnée le Dieu de paix ne devait être qu’une source de discorde. Je sens que je puis quitter le monde maintenant… oui… À l’heure même, si vous y consentez, pour me retirer parmi les religieuses d’Elcho. Veuillez seulement, mon père, consoler le pauvre Henri quand nous serons séparés pour toujours… qu’il ne pense point… qu’il ne pense point à moi avec trop d’amertume. Dites-lui que Catherine ne le tourmentera plus par ses remontrances, mais qu’elle ne l’oubliera jamais dans ses prières. — Cette fille a une langue qui ferait pleurer un Sarrasin, » dit Simon, qui mêlait ses larmes à celles de sa fille. « Mais je ne céderai point à cette machination entre un prêtre et une religieuse pour m’enlever mon seul enfant. Descends, ma fille, et laisse-moi me vêtir. Prépare-toi à obéir à tout ce que je t’ordonnerai de faire pour ta sûreté. Rassemble quelques effets et ce que tu as de plus précieux ; prends les clefs de la cassette de fer dont le pauvre Henri m’a fait présent, et partage l’or que tu y trouveras en deux portions ; mets-en une dans une bourse pour toi-même, et l’autre dans la ceinture rembourrée que je porte en voyage. Nous serons ainsi munis l’un et l’autre, dans le cas où le destin nous séparerait ; et si cela arrive, fasse le ciel que l’ouragan abatte la feuille desséchée et épargne celle qui est verte encore ! Qu’on prépare à l’instant mon cheval et le genêt blanc que j’ai acheté hier pour toi, espérant te le voir monter pour aller à l’église de Saint-Jean au milieu des filles et des femmes, mariée aussi joyeuse que la plus joyeuse qui ait jamais passé le seuil du temple. Mais à quoi sert de parler ? Va, et souviens-toi que les saints aident ceux qui sont disposés à s’aider eux-mêmes. Pas un mot de réponse ; va, te dis-je ! pas d’observations maintenant. Par un temps calme, le pilote laisse un mousse jouer avec le gouvernail ; mais, par mon âme ! quand le vent siffle et que les vagues s’élèvent, il le tient lui-même. Descends donc sans mot dire. »

Catherine quitta la chambre pour exécuter aussi bien qu’elle pourrait les ordres de son père ; car d’un naturel doux, et aimant tendrement sa fille, le père Glover souffrait souvent qu’elle dirigeât les volontés de tous deux. Mais Catherine savait fort bien qu’il était accoutumé à exiger l’obéissance filiale et à exercer l’autorité paternelle quand l’occasion semblait demander toute la rigueur de la discipline domestique.

Tandis que la belle Catherine s’occupait à exécuter les ordres de son père, et que le bon Glover se hâtait de s’habiller, comme un homme qui va se mettre en route, le pas d’un cheval se fit entendre dans la petite rue. Le cavalier était enveloppé dans son manteau, dont un pan était relevé et cachait le bas de sa figure, tandis qu’un bonnet orné d’un large panache couvrait le haut de son visage. Il sauta à bas du cheval, et Dorothée avait à peine eu le temps de répondre que le gantier était dans sa chambre à coucher, que l’étranger monta l’escalier et entra dans l’appartement de Simon. Celui-ci, surpris et effrayé, se disposait à voir dans l’homme qui le visitait de si bonne heure un appariteur ou un huissier venant pour l’arrêter lui et sa fille ; il fut grandement soulagé quand l’étranger, ôtant son bonnet et baissant son manteau, se fit connaître pour le chevalier prévôt de la belle ville, visite qui, dans tous les temps, était une faveur extraordinaire, mais qui, à une pareille heure, avait quelque chose de merveilleux ; et dans les circonstances où se trouvait Simon, c’était un événement alarmant.

« Sir Patrick Charteris ! dit le gantier. Cet honneur insigne, accordé à votre humble serviteur… — Chut ! interrompit le chevalier. Ce n’est pas le moment de faire des civilités. Je suis venu ici parce que, dans les circonstances importantes, on ne peut trouver de meilleur page que soi-même ; je ne puis rester que le temps nécessaire pour vous dire de fuir, bon Glover ; car des mandats d’arrêt seront délivrés aujourd’hui par le conseil contre toi et ta fille, comme accusés d’hérésie ; le moindre délai vous coûterait certainement la liberté et peut-être la vie. — J’en ai entendu dire quelque chose, répondit le gantier, et j’allais partir pour Kinfauns, pour me justifier auprès de vous de cette calomnieuse accusation, vous demander conseil et implorer votre protection. — Ton innocence, ami Simon, te servirait peu devant des juges prévenus ; mon avis est que tu dois prendre la fuite et attendre des temps plus heureux. Quant à ma protection, il faut attendre que la marée descende avant qu’elle puisse t’être de quelque secours. Mais si tu peux rester caché pendant quelques jours ou quelques semaines, je ne doute pas que le clergé, qui aujourd’hui veut soutenir le duc d’Albany dans une intrigue de cour, et qui, en déclarant que la décadence de la pureté de la foi est la seule cause des malheurs publics, exerce pour le moment une autorité irrésistible sur le faible roi, je ne doute pas que le clergé ne reçoive bientôt un échec. Apprends toutefois qu’en attendant, le roi a non-seulement consenti à cette enquête générale contre l’hérésie, mais qu’il a encore confirmé la bulle du pape, qui élève Henri de Wardlaw au rang d’archevêque de Saint-Andrew et de primat d’Écosse ; ainsi il abandonne à Rome ces libertés et franchises de l’Église écossaise que ses ancêtres, depuis le temps de Malcolm Conmore, ont si courageusement défendues. Ils auraient plutôt souscrit un concordat avec le diable, que cédé en pareille matière aux prétentions de Rome. — Hélas ! et quel remède y apporter ? — Aucun, mon vieil ami, si ce n’est un changement soudain à la cour. Le roi est comme un miroir qui, n’ayant point de lumière par lui-même, réfléchit avec une égale promptitude tout ce qui se trouve placé près de lui. Quoique Douglas soit ligué avec Albany, cependant le comte n’est point favorable aux prétentions élevées de ces prêtres impérieux ; car il y a eu une querelle avec eux touchant les exactions que sa suite a exercées dans les domaines d’Arbroath. Il reviendra bientôt avec une nouvelle autorité : car, dit-on, le comte de March a fui devant lui. À son retour, nous verrons tout changer ; sa présence retiendra Albany ; beaucoup de nobles et moi-même, je te le confie sous le secret, nous avons résolu de nous liguer avec Douglas pour défendre les droits de tous. Ainsi ton exil finira quand le comte reviendra à la cour, et tu n’as besoin que de chercher une retraite pour attendre ce moment. — Cela ne sera point difficile, milord, car j’ai quelque droit à la protection d’un puissant chef montagnard, de Gilchrist Mac-Jan, chef du clan de Quhele. — Certes, si tu peux tenir le pan de son manteau, tu n’auras pas besoin d’autre appui. Ni laïque, ni prêtre de la plaine ne ferait exécuter des arrêts de justice dans les hautes terres. — Mais ma fille, noble sir… ma Catherine ? — Emmène-la avec toi. Le pain de Graddan entretiendra la blancheur de ses dents ; le petit-lait de chèvre rendra à ses joues la brillante fraîcheur que les alarmes en éloignent ; et la Jolie Fille de Perth pourra même dormir mollement sur un lit de bruyère des montagnes. — Ce ne sont point de telles bagatelles qui me font hésiter, milord, Catherine est fille d’un simple bourgeois, et n’est point accoutumée à la recherche dans la nourriture ni le coucher. Mais le fils de Mac-Jan a été pendant plusieurs années l’hôte de ma maison ; et je suis forcé de dire que j’ai remarqué qu’il regardait ma fille (qui est déjà comme fiancée) d’une manière peu inquiétante dans Curfew-Street, mais qui me ferait craindre pour ses conséquences dans une vallée des hautes terres, où Conachar a beaucoup d’amis, et moi pas un seul. »

Le prévôt répondit par un long sifflement :

« Whew ! whew ! alors je te conseille de l’envoyer au couvent d’Elcho, dont l’abbesse, si je ne me trompe, est ta parente. Elle me l’a dit elle-même, en ajoutant qu’elle aimait beaucoup sa cousine, et tout ce qui t’appartient, Simon. — Vraiment, milord, je crois que l’abbesse a tant d’attachement pour moi qu’elle recevrait volontiers ma fille et tous mes biens dans son monastère. Mais son affection a un certain caractère de ténacité, et ce serait chose difficile de lui faire rendre et la fille et l’argent. — Whew ! whew ! » siffla encore le prévôt. « Par la croix de Thane ! voilà un écheveau difficile à dévider. Cependant il ne sera pas dit que la plus belle fille de la belle cité aura été renfermée dans un couvent, comme une poule sous une mue, quand elle est sur le point d’épouser le brave Henri Smith. Il n’en sera point ainsi tant que je porterai le baudrier et les éperons, et qu’on m’appellera prévôt de Perth. — Mais que faire, milord ? demanda le gantier. — Il faut que nous prenions tous notre part des risques, Montez tous deux à cheval sur-le-champ, toi et ta fille, et suivez-moi ; nous verrons qui osera vous regarder. Le mandat n’a point encore été signifié, et s’ils envoient un huissier à Kinfauns sans un ordre signé de la propre main du roi, je jure ici, par l’âme du Corsaire rouge, qu’il avalera son écrit sceau et parchemin. À cheval ! à cheval ! et vous aussi, ma jolie fille, » dit-il à Catherine, qui entrait en ce moment :

À cheval ! et ne craignez pas pour vos terres : elles vous appartiennent par titres et par Chartres.

En une minute ou deux, la fille et le père furent à cheval, marchant, par le conseil du prévôt, à une portée de trait en avant, afin de ne point paraître marcher dans sa compagnie. Ils passèrent en hâte la porte de l’Est et avancèrent rapidement jusqu’à ce qu’ils fussent hors de vue. Sir Patrick les suivit plus lentement ; mais quand il ne put être aperçu des gardes, il piqua des deux, et rejoignit bientôt Catherine et le gantier. Il eut avec eux la conversation suivante, qui éclaircira quelques passages précédents de cette histoire.