Le Jour de Saint-Valentin/28

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Le Jour de Saint-Valentin ou La Jolie Fille de Perth
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 23p. 338-346).


CHAPITRE XXVIII.

LA FÊTE.


Quel besoin auraient-ils, ces proscrits conquérants, d’acheter une page de l’histoire pour qu’elle les proclamât grands, et d’avoir un espace plus vaste, un tombeau plus orné pour dormir ? leurs espérances n’en seraient pas plus vives, leurs âmes n’en seraient pas plus fortes.
Byron.


Les funérailles terminées, la même flottille qui avait traversé le lac dans un ordre lugubre et solennel, se prépara à s’en retourner, les bannières déployées, et avec tous les signes de la joie et du plaisir. Car on n’avait que peu de temps pour célébrer les fêtes, l’époque du terrible combat du clan de Quhele contre ses plus redoutables rivaux étant aussi rapprochée. On était donc convenu que la fête funéraire serait réunie aux réjouissances de l’inauguration du jeune chef.

Quelques-uns réclamèrent contre cet arrangement, qui leur semblait de mauvais présage. Mais, d’un autre côté, il était appuyé en quelque sorte par les usages et les sentiments des montagnards, qui, jusqu’à nos jours même, ont coutume de mêler à leur deuil une espèce de joie solennelle, et à leur joie quelque chose qui ressemble à la tristesse. La peine qu’on éprouve d’ordinaire à parler de ceux qu’on a aimés et perdus se fait moins sentir chez ce peuple grave et enthousiaste que chez tout autre. Non-seulement vous entendez les jeunes rappeler, comme partout ailleurs, le mérite et les qualités de leurs parents qui, dans l’ordre de la nature, sont morts avant eux, mais la veuve même parle dans la conversation de son époux qui n’est plus ; et, ce qui est encore plus étrange, les pères et mères font de fréquentes allusions à la beauté et au courage de l’enfant qu’ils ont perdu. Les montagnards écossais paraissent regarder les séparations causées par la mort comme une chose moins absolue et moins complète qu’on ne le pense généralement ; c’est pourquoi ils s’habituent à parler de ceux qui leur étaient chers et qui sont descendus dans la tombe, comme s’ils étaient partis pour un long voyage où eux-mêmes doivent bientôt les suivre. La fête funéraire était donc généralement en usage en Écosse ; il n’y avait, aux yeux de ceux qui devaient y prendre part, aucune inconvenance à la réunir aux réjouissances de l’installation du nouveau chef.

La barque, qui tout à l’heure avait porté le corps au tombeau, conduisait maintenant le jeune Mac-Jan à la prise de possession du commandement ; et les ménestrels jouaient leurs airs les plus gais pour célébrer l’avènement d’Éachin, comme ils avaient auparavant fait entendre leurs chants les plus tristes en conduisant Gilchrist à sa dernière demeure. Des bateaux de la suite s’élevaient des chants de joie et de fête, au lieu de ces cris de lamentations qui avaient troublé les échos du lac de Tay ; et mille voix saluaient le jeune chef qui se tenait debout sur la poupe, armé de toutes pièces, brillant de jeunesse, de beauté et de vivacité, à la place même où le corps de son père avait été couché : entouré d’amis triomphants, comme le cadavre l’avait été d’amis éplorés. Un bateau se tenait plus près que tous les autres de la barque du chef ; Torquil du Chêne, géant à la chevelure grisonnante, en tenait le gouvernail, et ses huit fils, tous au-dessus de la taille ordinaire de l’homme, maniaient les rames. Semblable à un énorme chien favori, qui n’est point retenu en laisse, et qui folâtre autour de son maître, le bateau des frères de lait du chef passait tantôt d’un côté de sa barque, tantôt de l’autre, et tournait même à l’entour, avec la jalouse vigilance de l’animal auquel nous l’avons comparé. Ceux qui le montaient et qui semblaient comme emportés par l’excès de la joie, empêchaient ainsi toute autre barque d’approcher, dans la crainte d’être coulée à fond par des mouvements aussi impétueux et aussi imprévus. Élevés à un rang éminent dans le clan par l’avènement de leur frère de lait, c’était là la manière turbulente et presque terrible dont ils témoignaient la part qu’ils prenaient au triomphe d’Éachin.

Bien loin derrière eux, et avec des sentiments bien différents, au moins chez un des membres de la compagnie, venait le petit bateau conduit par Booshalloch et un de ses fils, et dans lequel était Simon Glover.

« Si nous devons aller jusqu’à l’extrémité du lac, dit Simon son ami, il nous faudra bien du temps pour y arriver. »

Tandis qu’il parlait, l’équipage du bateau des frères de lait, à un signal de la barque du chef, laissa reposer les rames jusqu’à ce que le bateau de Booshalloch fût tout prêt ; alors, après avoir jeté une corde de courroies que Niel attacha solidement à la proue de son esquif, les rameurs reprirent leurs rames, et bien qu’ils traînassent le petit bateau à la remorque, ils glissèrent sur le lac presque avec autant de rapidité qu’auparavant. L’esquif était entraîné avec une telle vitesse, qu’il semblait courir risque de chavirer ou d’avoir sa proue arrachée.

Simon Glover vit avec inquiétude l’impétuosité téméraire de cette course et l’inclinaison du bateau, qui se baissait quelquefois à un pouce ou deux du niveau de l’eau. Et quoique son ami Niel Booshalloch l’assurât que c’était un honneur qu’on lui faisait, il désirait vivement que son voyage finît heureusement. Il en arriva ainsi, et plus tôt que Simon ne comptait ; car le lieu de la fête n’était pas éloigné de quatre milles de l’île où le corps avait été déposé, ayant été choisi pour faciliter la marche du chef, qui devait se diriger vers le sud-est aussitôt que le banquet serait achevé.

L’endroit où ils s’arrêtèrent était une baie sur la rive méridionale du lac, qui offrait une belle côte d’un sable étincelant, sur laquelle les bateaux pouvaient aborder facilement ; plus loin on voyait une prairie couverte de gazon vert pour la saison, et entourée de hautes collines couvertes de taillis ; là se déployaient les abondants préparatifs de la fête.

Les montagnards, bien connus pour leur habileté à manier la hache, avaient construit une vaste salle champêtre pour le banquet, pouvant contenir à peu près deux cents hommes, et un grand nombre de petites huttes élevées à l’entour semblaient devoir servir de chambres à coucher. Les poteaux et les poutres de la salle temporaire étaient de gros pins de montagne encore couverts de leur écorce. Les murailles étaient formées de planches ou de pieux du même bois, entrelacés de branches de sapin et d’autres arbres verts que les bois voisins fournissaient en abondance ; on avait pris sur les collines les bruyères qui formaient le toit. Les personnages les plus importants du cortège furent invités à prendre part au festin dans ce palais champêtre. Ceux d’un ordre inférieur devaient manger sous divers hangars construits avec moins de soin ; des tables de gazon, ou de planches à peine dégrossies, placées en plein air, étaient destinées à la multitude.

À quelque distance on voyait des brasiers de charbon ardent ou de bois enflammé, autour desquels des cuisiniers sans nombre travaillaient, remuaient, s’agitaient, semblables à une troupe de démons dans leur élément naturel. Des trous creusés dans le flanc d’une colline, et garnis de pierres rougies au feu, servaient à faire cuire une immense quantité de bœuf, de mouton et de venaison. Des broches de bois soutenaient des moutons et des chevreaux qu’on faisait rôtir tout entiers. D’autres étaient coupés en morceaux, et on les faisait bouillir dans des chaudières faites des cuirs même des animaux cousus ensemble et remplis d’eau. Un très-grand nombre de brochets, de truites, de saumons et de chars[1] grillaient avec un peu plus de cérémonie sur des charbons ardents. Le gantier avait vu beaucoup de festins de montagnards, mais aucun qui fût préparé avec cette profusion barbare.

Il eut peu de temps, toutefois, pour admirer ce spectacle ; car, à peine eut-il touché le bord, que Booshalloch lui fit remarquer avec quelque embarras que, n’ayant point été invités au banquet de la grande salle, contre son attente, ils feraient bien de s’assurer une place à l’une des tables des hangars. Il le conduisait donc dans cette direction, quand il fut arrêté par l’un des gardes du corps du chef, qui semblait remplir en cette occasion les fonctions de maître des cérémonies, et qui lui dit quelques mots à l’oreille.

« Je le pensais ainsi, dit le berger ; je pensais bien qu’un étranger, et un homme qui remplit un emploi comme le mien, ne seraient pas exclus de la première table. »

On les conduisit donc dans la grande salle, dans laquelle était une longue table déjà presque entièrement occupée par des convives, tandis que les serviteurs y plaçaient les mets abondants, quoique grossiers, qui composaient le repas. Le jeune chef, quoiqu’il eût certainement vu le gantier et le berger, ne les salua point particulièrement, et leurs places furent marquées à un coin éloigné, beaucoup au-dessous de la salière, énorme et antique pièce d’argenterie, le seul objet de valeur qu’on vît sur la table, et qui était regardé par le clan comme une sorte de palladium, et dont on ne se servait que dans les occasions les plus solennelles, comme celle de ce jour.

Booshalloch, un peu mécontent, dit tout bas à Simon en prenant sa place : « Les temps sont changés, ami Simon. Son père, que son âme soit en paix ! nous aurait parlé à tous deux. Voilà les mauvaises manières qu’il a prises chez vous autres Saxons des basses terres[2]. »

Le gantier ne jugea point nécessaire de répondre à cette remarque, et se mit à considérer les arbres verts, et particulièrement les peaux et les autres ornements qui décoraient l’intérieur de la salle. La partie la plus remarquable de ces ornements était un grand nombre de cottes de mailles, avec des bonnets d’acier, des haches de bataille, des épées à deux mains, suspendus au haut des murailles avec des boucliers richement relevés en bosse. Chaque cotte de mailles était attachée sur une peau de daim bien préparée, qui servait en même temps à faire ressortir l’armure avec avantage, et à la préserver de l’humidité.

« Ce sont, » lui dit tout bas Booshalloch, « les armes des champions du clan de Quhele. Ils sont vingt-neuf, comme vous voyez ; Éachin fait le trentième ; il porte son armure aujourd’hui, autrement elle serait là avec les autres. Après tout il n’a point un haubert aussi bon qu’il aurait dû en avoir un le dimanche des Rameaux. Ces neuf armures de si grande taille sont pour les Lecihtachs, sur qui on fonde tant d’espérance. — Et ces bonnes peaux de daim, » dit Simon, chez qui la vue de ces objets avait réveillé l’esprit de sa profession, « pensez-vous que le chef serait disposé à les vendre ? On en demande beaucoup pour les justaucorps que les chevaliers portent sous leur armure. — Ne vous ai-je pas prié, reprit Niel Booshalloch, de ne pas dire un mot sur ce sujet ? — Je veux parler des cottes de mailles, dit Simon ; pourrais-je vous demander s’il y en a quelqu’une qui ait été faite par notre célèbre armurier de Perth, nommé Henri de Wynd ? — Vous tombez encore plus mal, dit Niel ; le nom de cet homme fait sur Eachin l’effet d’un ouragan sur le lac, et personne n’en sait la cause. »

« Je puis la deviner, » pensa le gantier, mais il ne dit point ce qu’il pensait. Étant tombé deux fois sur des sujets de conversation si malencontreux, sans en chercher un troisième, il s’occupa, comme tous ceux qui l’entouraient, de faire honneur au festin.

Ce que nous avons dit des préparatifs peut faire comprendre au lecteur que le repas était assez grossier quant à la qualité des mets ; il consistait principalement en énormes morceaux de viande qu’on mangeait avec très-peu de scrupule, et sans avoir égard au temps de carême, quoique plusieurs moines du couvent de l’île honorassent et sanctifiassent la table par leur présence. Les assiettes étaient en bois, comme les coupes dans lesquelles les convives buvaient leurs liqueurs et même le bouillon et le jus des viandes qu’on regardait comme une boisson délicate. Il y avait aussi quelque laitage qu’on estimait beaucoup et qu’on servait dans des vases semblables. Le pain était l’objet le plus rare du banquet, mais on en servit deux petits au gantier et à Niel pour leur consommation particulière. Pour manger, les convives se servaient, comme c’était alors l’usage dans la Grande-Bretagne, de leurs couteaux de chasse appelés skennes, ou de larges poignards appelés dirks, sans être troublés le moins du monde par la pensée que ces instruments pouvaient dans l’occasion servira un usage plus terrible.

Au haut bout de la table était un siège vide, élevé de quelques marches au-dessus du sol, et recouvert d’un dais en branches de houx et de lierre ; sur ce siège étaient appuyées une épée dans le fourreau et une bannière ployée. C’était le siège du chef défunt, et on le laissait vacant pour lui faire honneur. Éachin en occupait un plus bas, à droite de la place d’honneur.

Le lecteur se méprendrait singulièrement s’il concluait de la profusion qui régnait dans le banquet que les convives se jetaient comme un troupeau de loups affamés, sur un festin tel qu’ils en trouvaient rarement. Au contraire, les membres du clan de Quhele se conduisirent avec cette espèce de réserve polie et cette attention aux besoins d’autrui qu’on rencontre souvent chez les peuples primitifs, surtout chez ceux qui ont toujours les armes à la main ; car, chez eux, l’observation des règles de la politesse est nécessaire pour éviter les querelles, l’effusion du sang et la mort. Les convives prirent les places que leur assignait Torquil du Chêne, qui, remplissant les fonctions de maréchal taeh, c’est-à-dire directeur de festin, touchait, avec une baguette blanche et sans dire une parole, la place que chacun devait occuper. Placés ainsi en ordre, ils attendirent patiemment leurs portions de vivres, qui étaient distribuées par les Leichtachs ; les hommes les plus braves, les guerriers les plus distingués du clan, recevaient une double ration, appelée emphatiquement biey fir, ou portion d’un homme. Quand les écuyers tranchants virent tout le monde servi, ils prirent leur place au festin, et chacun d’eux reçut une de ces doubles portions. De l’eau était placée à portée de chacun. et une poignée de mousse remplaçait la serviette ; comme dans un banquet de l’Orient, on se lavait les mains à chaque nouveau service. Pendant le repas, le barde chantait les louanges du chef défunt, et exprimait la confiance dans les vertus puissantes de son successeur. Quand le ménestrel se tut, le seanachie à son tour raconta la généalogie de la tribu, qu’il faisait remonter à la race des Dalriads[3] ; il y avait aussi dans la salle des joueurs de harpe qui égayaient les nobles convives, tandis que les joueurs de cornemuse réjouissaient la multitude au dehors. La conversation était grave, calme et polie. Aucun bon mot ne passa les bornes d’une plaisanterie agréable, et n’excita autre chose que le sourire ; aucune voix ne s’éleva au-dessus des autres, aucune discussion n’eut lieu, et Simon Glover avait entendu cent fois plus de bruit à un repas de corps, que n’en firent en cette occasion deux cents sauvages montagnards.

Les liqueurs elles-mêmes ne tirèrent point les convives de ce décorum de gravité : elles étaient de diverses espèces. Le vin était en très-petite quantité ; on ne le servait qu’aux principaux convives, et l’on fit à Glover l’honneur de le mettre de ce nombre. Le vin et les deux petits pains furent, il est vrai, les seules marques d’attention qu’il reçut pendant le festin. Mais Niel Booshalloch, jaloux de la réputation d’hospitalité de son chef, ne manqua pas de les lui faire remarquer comme des preuves de haute distinction. Les liqueurs distillées, dont l’usage est devenu depuis général chez les montagnards, étaient alors presque entièrement inconnues. L’usquebaugh circula en petite quantité, et il était tellement saturé d’une décoction de safran et d’autres herbes, qu’il ressemblait plutôt à une potion médicale qu’à une liqueur de festin. Le cidre et l’hydromel étaient servis en abondance ; mais l’ale, dont on avait brassé une grande quantité pour cette occasion, était la boisson générale ; cependant on en usa avec une modération que ne connaissent plus les Highlanders modernes. Une coupe à la mémoire du chef mort fut le premier toast porté solennellement, quand le banquet fut fini ; et on entendit de toute l’assemblée un murmure de bénédictions, tandis que les moines unissant leurs voix chantaient requiem œternam dona. Un silence inaccoutumé s’établit ensuite, comme si l’on attendait quelque chose d’extraordinaire ; et Éachin se leva avec un air mâle et fier, et cependant gracieux et modeste, et, montant sur le siège ou trône vacant, il dit avec dignité et fermeté :

« Ce siège et l’héritage de mon père, je les réclame comme mon droit. Ainsi puissent m’être favorables Dieu et saint Barri ! — Comment gouvernerez-vous les enfants de votre père ? » lui demanda un vieillard, oncle du défunt.

« Je les défendrai avec l’épée de mon père, et je leur rendrai la justice sous la bannière de mon père. »

Le vieillard d’une main tremblante tira du fourreau l’arme pesante, et la prenant par la lame, il en présenta la poignée au jeune chef ; en même temps Torquil du Chêne déploya la bannière du clan, et la fit flotter à plusieurs reprises sur la tête d’Éachin, qui, avec une grâce et une dextérité singulières, brandit l’énorme claymore comme pour la défendre. Les convives poussèrent des acclamations en signe qu’ils acceptaient le chef patriarcal qui réclamait leur obéissance, et il n’y en eut pas un qui fût disposé à reconnaître dans le gracieux et agile jeune homme qu’ils avaient devant les yeux l’objet de sinistres prédictions. Tandis qu’il se tenait debout, revêtu d’une brillante cotte de mailles, appuyé sur son épée, et répondant par des gestes gracieux aux acclamations qui retentissaient dans la salle, Simon Glover était prêt à douter si cette figure majestueuse était bien celle de ce même jeune homme qu’il avait souvent traité avec peu de cérémonie, et il commençait à craindre qu’il n’eût à s’en repentir. Un chœur général de ménestrels succéda aux acclamations, et les rochers et les bois retentirent des sons de la harpe et de la cornemuse, comme tout à l’heure des cris et des lamentations de douleur.

Il serait fastidieux d’entrer dans de plus longs détails sur cette fête d’inauguration, ou d’énumérer tous les toasts qui furent portés aux anciens héros du clan, et surtout aux vingt-neuf braves qui devaient bientôt combattre sous les yeux et sous la conduite de leur jeune chef. Les bardes, qui joignaient, dans les temps passés, le caractère de prophètes à celui de poètes, se hasardèrent à leur prédire la victoire la plus éclatante, et annoncèrent comment le faucon bleu, emblème du clan de Quhele, mettrait en pièces le chat des montagnes, symbole bien connu du clan de Chattan.

Le soleil était près de se coucher, quand une coupe, appelée la coupe des grâces, et faite en bois de chêne et cerclée en argent, fit le tour de la table comme pour donner le signal de la retraite, bien qu’on laissât quiconque voudrait prolonger la fête libre de se rendre à quelqu’un des hangars extérieurs. Pour Simon Glover, Booshalloch le conduisit à une petite hutte qui semblait construite pour un seul individu ; un lit de bruyère et de mousse, aussi bien arrangé que possible, et une ample provision des meilleurs mets qu’on avait servis au festin, montraient qu’on avait pris tout le soin possible pour que rien ne manquât à celui qui devait l’habiter. — Ne quittez point cette hutte, dit Booshalloch en prenant congé de son ami et protégé ; « c’est ici que vous prendrez du repos. Mais les appartements pourraient se perdre dans une telle confusion ; et si le blaireau quittait son trou, le renard s’y introduirait. »

Cet arrangement n’était nullement désagréable à Simon. Il avait été très-fatigué du tumulte de cette journée, et il désirait se reposer. Après avoir mangé un morceau, que son appétit demandait à peine, et bu une coupe de vin pour chasser le froid, il dit tout bas sa prière du soir, s’enveloppa dans son manteau et s’étendit sur une couche, qu’une ancienne connaissance lui avait rendue familière et commode. Le bruit, et même par intervalles les cris de la multitude qui continuait ses réjouissances, n’éloignèrent pas long-temps le sommeil de ses yeux, et au bout de six minutes il tomba dans un aussi profond sommeil que s’il eût été couché dans son propre lit de Curfew-Street.



  1. Autre espèce de saumon. a. m.
  2. Fassenachs, dit le texte, pour indiquer les gens des basses terres. a. m.
  3. Rois d’Écosse venus de l’Irlande. a. m.