Le Jour paraît - Premier aveu - A la maison du cœur volant...

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Le Jour paraît - Premier aveu - A la maison du cœur volant...
Revue des Deux Mondes5e période, tome 39 (p. 189-195).
POÉSIES


LE JOUR PARAIT


Vierge, réveille-toi, le jour commence à poindre ;
Il faut quitter ta couche et venir me rejoindre.
Lisse tes cheveux blonds épars pendant la nuit ;
De suaves parfums embaume ton réduit !
J’aime ton front d’ivoire et ta lèvre rosée,
Et le doux velouté de ta voix cadencée,
J’aime le beau regard, enfant, de tes grands yeux
Si francs et si naïfs, miroir de camaïeux.
Que l’air pur du matin caresse ta peau fraîche
Comme un bouton d’avril, comme un duvet de pêche.
Semblable à la gazelle, au bord du clair ruisseau,
Légère, on te verra descendre le coteau.
Ton rire est un poème et depuis ton enfance
Il attire et retient par sa jeune innocence.
Viens sous la treille, ô vierge, et bois le jus vermeil
De ce raisin doré par les feux du soleil.
Viens dans le gai verger cueillir la pomme mûre
Qui fait craquer la branche en sa verte ramure ;
Prends le fruit et le miel, ma joie et mon bonheur,
Et donne le baiser que désire mon cœur.

PREMIER AVEU (lettre)


Lorsque au jardin vous descendîtes
En nuage d’argent, ce soir,
Je ne sais plus ce que vous dîtes,
Tant je fus troublé de vous voir.

Vos tulles blancs rasaient la terre ;
Ce vêtement presque irréel
Vous enveloppait de mystère
Ainsi qu’un fantôme du ciel.

Je restai cloué sur ma chaise.
« Mon sort vient de se transformer,
Dis-je ému de frayeur et d’aise ;
Ah ! c’en est fait, je vais l’aimer ! »

Vos cheveux tressés en couronne
Ont un reflet vénitien.
Ce bras, puis cette main mignonne,
Ce charmant et noble maintien,

Ces yeux qu’avive la malice,
Ce sourire fin et moqueur,
Oui, tout en vous, avec délice,
Emeut, charme et remplit mon cœur.

Pardon de n’avoir pas la force
De garder pour moi mon secret.
Faible sous ma rugueuse écorce,
Je ne sais point… être discret.

Loin de votre charme suprême
Je suis tremblant et malheureux ;
Mais de près je dirai : « Je t’aime, »
Dieu mieux qu’aucun autre amoureux.

A LA MAISON DU CŒUR VOLANT


O ma petite maisonnette,
Dis-moi l’histoire de tes murs :
Furent-ils indiscrets ou sûrs,
Lorsqu’ici l’on contait fleurette ?

As-tu vu des amans vainqueurs
Et des Cydalises galantes,
Aux attitudes nonchalantes,
Librement échanger leurs cœurs ?

J’aime tes tentures fanées,
Tes rideaux tendres et passés,
Et tous tes bibelots cassés,
Toutes tes grâces surannées.

Maintenant tes fauteuils râpés
Sont rangés à l’entour des tables ;
Ah ! qu’ils raconteraient de fables,
S’ils l’osaient, les vieux canapés !

Aujourd’hui c’est le grand silence
Et le règne du limaçon.
Sur l’antique orme le pinson
Doucement chante et se balance.

Depuis que l’homme t’a quitté,
Pavillon d’aubépines blanches,
Que d’odorantes avalanches,
Sur ce pauvre toit effrité !

Un charme m’arrête à ta porte
Sur le banc froid de marbre gris ;
Mon esprit d’un regret s’est pris.
…Je rêve au temps qui nous emporte.


SOUVENIRS DE SICILE


O Sicile embaumée et de gloire allaitée,
Sous ton ciel de saphir j’ai gravi bien des monts.
Antique Trinacrie, autrefois si chantée,
J’ai vu tes verts figuiers et tes jaunes citrons.

Je revois tes troupeaux et la bergère grecque
Au classique profil, à l’œil sombre ou pensif,
Et tes cloîtres normands où les fils de la Mecque,
De Sparte ou de Capri, se reposent sous l’if.

Reçois mon souvenir, chapelle Palatine,
Resplendissant bijou d’un merveilleux décor :
Oui, je rêve de toi, mosaïque opaline,
Harmonieuse et douce au fond du parvis d’or.

Je sens de ton Etna le soufre et la fumée,
Puis la neige argentant la montagne aux flancs bleus,
Et je monte et regarde en l’île parfumée
Le panache effrayant de feu roux sous les cieux.

Le cratère vomit l’étincelle et la pierre,
Eclairant le flot noir de tragiques lueurs ;
Et le temple couché comme un dieu dans sa bière
S’illumine parfois de sinistres fureurs.

Et la lave engloutit, hélas ! tout ce qui reste.
Mais le gouffre fécond a fait germer des fleurs
Et bourgeonner la vigne et la bruyère agreste,
……….
Je cueille des œillets où l’on versa des pleurs !


AU PATRE DE LA MONTAGNE


Rêves-tu de l’étoile ou rêves-tu de l’or ?
Ton cœur accepte-t-il joyeusement le sort ?
A quoi songes-tu, pâtre, en ta cabane haute ?
Le démon tentateur est-il parfois ton hôte ?

Dis-moi ? Veux-tu descendre au village lointain,
Voir la table du maître et t’asseoir au festin ?
Ou bien, plus bas encor, au fond de la vallée,
Te perdre dans la ville à tes yeux révélée,
Oubliant tes rochers calcinés, les bouleaux,
Tes torrens, tes sapins, tes pics et tes ormeaux ?
Quand meurt le crépuscule aux cieux, quand l’oiseau chante,
Quand le bœuf ruminant mâche un parfum de menthe,
As-tu la nostalgie en ce calme du soir
Des mille et mille feux qui brillent dans le noir,
Et du grand bruit que font tant de paroles vaines
Qui tombent au hasard de nos lèvres humaines ?
Veux-tu quitter ces monts et ces herbages frais,
Ces abîmes sans fond où plongent les forêts,
Perdre loin de ces lieux le repos de ton âme,
Pour rechercher l’ivresse et brûler à sa flamme ?
Reste sur tes sommets, pâtre, tout près du ciel,
Au nid des aigles. Prends à tes ruches leur miel ;
Bois le lait de ta chèvre et cueille la myrtille ;
Tisse tes vêtemens qu’une bergère file.
Qu’importe l’âpreté du climat, le pain dur ?
Sur les ailes du vent tu planes dans l’azur.
Dans la rue on étouffe. Ah ! bénis ta demeure.
Ta grande paix vaut mieux que nos plaisirs d’une heure


MOUETTE


Emporte mon message, ô ma sœur blanche et grise :
Dans ton plumage fin qui frissonne à la brise,
Sur ton petit cou chaud, au fond des lointains bleus,
Emporte-le bien haut sur l’Océan houleux.

Sache échapper au froid, au vent, à la tempête.
Va, ne t’arrête pas, ne tourne point la tête,
Alors que surgiront des abîmes amers
Les sirènes, chantant sur l’écume des mers.

Prends avec toi mon souffle et mon âme fidèle,
Poids léger dans l’air pur que tu fends de ton aile ;
Sur la grève déserte, au moins, ne les perds pas !
Songe qu’il les attend, l’absent aimé, là-bas.

Mouette au vol si sûr, discrète voyageuse,
Dis à mon fiancé que je suis tout heureuse
De n’être plus à moi, de me sentir son bien,
De lui tout envoyer et de n’avoir plus rien.


SOUS LES TILLEULS


Au loin, sous les tilleuls, j’allai me reposer
Pour laisser à loisir mes pensers dans un rêve,
Et j’étais si joyeux que je voulais parler,
Raconter à la source, au nuage qui crève
Et nous donne sa pluie en baisers rafraîchis,
Ce qui montait en moi de sève et de jeunesse.
À cette heure du soir les troncs étaient blanchis ;
L’air semblait imprégné d’une impalpable ivresse ;
Le soleil descendait en ardente langueur.
L’écharpe d’or tomba, l’atmosphère était dense,
Les branches s’unissaient sous la molle chaleur ;
Mon âme s’élançait palpitant d’espérance.
Bientôt l’ombre envahit les saules des tombeaux ;
Je les vis, imprécis, lentement disparaître,
Et je tendis ma lèvre au duvet des oiseaux.
O volupté de vivre et de sentir son être !


LOGIS VIDE


Ah ! tous mes oiselets du nid sont envolés.
Ils sont partis joyeux, allant à tire d’aile,
Mon logis est désert : mes yeux sont emperlés ;
Mon cœur me semble lourd et l’aurore moins belle.

Allez, mes chers petits, fêtez dans vos chansons
La beauté du soleil, la douceur de la vie.
Croyez à l’allégresse et filez de beaux sons ;
Mais ne m’oubliez pas, ô jeunesse ravie !

Sachez bien qu’autrefois, en mon temps de bonheur,
Je vous ai tout donné : le jour, l’amour, mon âme,
Je n’ai gardé pour moi que l’acre goût du pleur,
Ces larmes de la mère et non plus d’une femme.

UN MATIN DE NOVEMBRE


Le cercueil s’avançait dans le morne Paris,
Sur la neige d’hiver roulant vers Montparnasse.
Il était pauvre et seul. Pas d’enfans, pas d’amis.
Le corbillard geignait lugubre sur la glace.

Vers la dernière étape il allait lourdement,
Et nul n’accompagnait la vieille loque noire.
Bientôt il se couvrit de flocons, blanchissant
Le sombre drap usé qui sembla de la moire.

Les passans regardaient, à peine curieux.
Point de compassion, beaucoup d’indifférence.
« Il n’est pas regretté ; sans doute un ennuyeux,
Un méchant, inutile au moins, vague existence : »

Voilà ce que pensaient les rares promeneurs.
Mais, une jeune femme ayant en main des roses,
Des roses de Noël, pour les vendre aux flâneurs,
Lança sur le convoi ses belles gerbes roses ;

Et sur le char tomba cette aumône du cœur
Donnée au malheureux qui partait solitaire.
— « Reçois, mort inconnu, ce bouquet, d’une sœur,
Et le suprême adieu que t’adresse la terre. »


Duchesse DE ROHAN.