Le Journal de Françoise, Vol 1 No 4/Notre projet de colonisation

La bibliothèque libre.

Notre projet de Colonisation

À Mademoiseille Laure Conan.
(Suite)

Immédiatement après le retour d’Europe de S. G. Mgr l’Archevêque, la permission accordée, au directeur de l’œuvre, s’il veut bien faire cette grâce, de se rendre à son poste et l’exécution de quelques formalités d’ordre religieux et administratif, nous ouvrirons des listes de souscriptions. Avec votre concours bienveillant, Mesdames ! — Et si nous recueillons la somme suffisante et j’y compte absolument, on se mettra aussitôt au travail.

L’établissement comprendra trois mille cinq cents acres ; trente lots de cent acres seront tirés au sort et inscrits au nom de chacun des colons ; il en sera de même pour la location des habitations, car, ainsi que cela existe en France, et, généralement en Europe, toutes seront construites à proximité les unes des autres et constitueront une « commune ». Chaque maisonnette sera entourée d’un verger, d’un potager, d’un jardinet de fleurs, des écuries, remises et hangars, le tout couvrant une superficie d’environ quatre acres. L’école, plus tard, sera bâtie au milieu de la commune. Les terres en culture sur lesquelles se trouveront les granges destinées à recevoir les céréales, s’étendront autour de ce noyau d’habitations. Enfin, les terres boisées où l’on se procurera le matériel de chauffage borneront les terres en culture. Il n’y aura aucun inconvénient, en hiver, alors que les loisirs sont assez nombreux, d’aller chercher le bois à une certaine distance. Dans ces conditions, la vie sociale sera plus agréable ; le Canadien-français, vous le savez, aime la société et n’est pas bien seul ; il sera plus facile à chacun de se rendre à l’atelier commun dont je dirai un mot plus loin, où tous travailleront l’hiver ; enfin, l’école sera fréquentée plus assidûment. Trois ou quatre communes, plus tard, constitueront une paroisse.

Après la construction d’une série et d’une habitation très spacieuse, le premier terrain défriché sera celui d’une vaste ferme expérimentale avoisinant cette dernière et dont le revenu appartiendra à la « Maison. »

Chaque défricheur aura sa propriété bien délimitée où il pourra travailler seul, dès qu’il y en aura suffisamment en valeur, mais le défrichement se fera en commun. Personne ne l’ignore, un défricheur travaillant isolément a beaucoup de difficultés. Les lourds troncs d’arbres à entasser, les souches à extraire du sol, etc, etc, tout cela demande l’effort réuni de beaucoup de bras ; l’expérience a prouvé que dix colons travaillant en commun, défrichent trois fois plus rapidement dix lots de terre contigus que s’ils travaillaient, isolément, chacun pour soi.

L’abbé directeur s’occupera de l’économat, de la comptabilité, des études des jeunes gens, de leur direction intellectuelle et matérielle ; les deux autres prêtres, quittant après la messe basse, la robe sacerdotale, revêtiront la blouse du défricheur, se mettront à la tête des équipes de travailleurs et encourageront de leur parole et de leur exemple. On avisera pour les longs mois de l’hiver à fonder quelque industrie dont l’atelier serait dans la grande salle commune de l’habitation : fabrication de pelles, de brosses, de balais, de charrettes, ou d’autres choses (M. Gaston de Montigny dans son excellent livre « L’Étoffe du Pays » en a indiqué une grande variété.)

Les charpentiers et menuisiers travailleront constamment à l’édification des habitations des colons, qui devront être à la fois confortables, coquettes et badigeonnées en couleurs claires et gaies. Aux jours de pluie, alors que le défrichement et le travail sur les fermes seront impossibles, les défricheurs, adroits de leurs mains, comme tous les Canadiens, prêteront leur aide aux menuisiers et charpentiers et s’initieront aux secrets des métiers de ceux-ci, qui, à leur tour, au temps des premières semailles sur la cendre, « à la herse, » apprendront comment on devient cultivateur. Et nos hommes finiront par ressembler aux pionniers si débrouillards de l’Ouest américain, capables de ferrer un cheval, de bâtir une maison, de réparer une voiture ou un harnais, etc, etc.

Edmond de Nevers.
(à suivre.)