Le Jubilé, suivie de deux autres ouvrages/Le jugement dernier

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LE JUGEMENT


DERNIER,





ODE.


 « Quels biens vous ont produit vos sauvages vertus,
» Justes, vous avez dit : Dieu nous protège en père :
» Et par-tout opprimés, vous rampez abattus
» Sous les pieds du méchant dont l’audace prospère ?
» Implorez ce Dieu Défenseur ;
» En faveur de ses fils, qu’il arme sa vengeance,
» Est-il aveugle & sourd ? Est-il d’intelligence
» Avec l’impie & l’oppresseur ?




» Méchans, suspendez vos blasphèmes.
» Est-ce, pour le braver, qu’il vous donna la voix ?
» Il nous frappe, il est vrai ; mais, sans juger ses loix,
» Soumis, nous attendons qu’il vous frappe vous-mêmes.

 » Ce soleil, témoin de nos pleurs,
» Amène à pas pressés le jour de sa justice.
 » Dieu nous paîra de nos douleurs ;
» Dieu viendra nous venger des triomphes du vice.




 » Qu’il vienne donc ce Dieu, s’il a jamais été !
» Depuis que du malheur les vertus sont Sujettes,
» L’infortuné l’appelle & n’est point écouté.
» Il dort au fond du ciel sur ses foudres muettes.
 » Et c’est-là ce Dieu généreux !
» Et vous pouvez encore espérer qu’il s’éveille ?
» Allez, imitez-nous, & tandis qu’il sommeille,
 » Soyez coupables, mais heureux ».




Quel bruit s’est élevé ? La trompette sonnante
A retenti de tous côtés :
Et, sur son char de feu, la foudre dévorante
Parcourt les airs épouvantés.
Ces astres teints de sang & cette horrible guerre
Des vents, échappés de leurs fers,
Hélas ! annoncent-ils aux enfans de la terre
Le dernier jour de l’Univers.




L’Océan révolté loin de son lit s’élance,
Et de ses flots séditieux
Court, en grondant, battre les Cieux,
Tout prêts à le couvrir de leur ruine immense.
C’en est fait : L’Éternel, trop long-temps méprisé,
Sort de la nuit profonde
Où, loin des yeux de l’homme, il s’étoit reposé ;
Il a paru ; c’est lui ; son pied frappe le monde,
Et le monde est brisé.




Tremblez, humains ; voici de ce Juge suprême
Le redoutable tribunal.
Ici perdent leur prix l’or & le diadème.
Ici l’homme à l’homme est égal.
Ici la Vérité tient ce livre terrible
Où sont écrits vos attentats ;
Et la Religion, mère autrefois sensible,
S’arme d’un cœur d’airain contre ses fils ingrats.




Sortez de la nuit éternelle,
Rassemblez-vous, ames des morts,
Et, reprenant vos mêmes corps,
Paroissez devant Dieu, c’est Dieu qui vous appelle.

Arrachés de leur froid repos,
Les morts du sein de l’ombre avec terreur s’élancent,
Et près de l’Éternel, en désordre s’avancent,
Pâles, & secouant la cendre des tombeaux.




Ô Sion ! ô combien ton enceinte immortelle
Renferme en ce moment de Peuples éperdus !
Le Musulman, le Juif, le Chrétien, l’Infidèle,
Devant le même Dieu s’assemblent confondus.
Quel tumulte effrayant ! que de cris lamentables !
Ciel ! qui pourroit compter le nombre des coupables !
Ici, près de l’ingrat,
Se cachent l’imposteur, l’avare, l’homicide,
Et ce guerrier perfide
Qui vendit sa patrie en un jour de combat.




Ces Juges trafiquoient du sang de l’innocence
Avec ses fiers persécuteurs.
Sous le vain nom de Bienfaiteurs
Ces Grands semoient ensemble & les dons & l’offense.
Où fuir ? où vous cacher ? l’œil vengeur vous poursuit,
Vous, brigands jadis Rois, ici sans diadème ;

Les antres, les rochers, l’Univers est détruit ;
Tout est plein de l’Être suprême.




Coupables, approchez :
De la chaîne des ans les jours de la clémence
Sont enfin retranchés.
Insultez, insultez aux pleurs de l’innocence :
Son Dieu dort-il ? répondez-nous :
Vous pleurez ? vains regrets ! ces pleurs font notre joie.
À l’Ange de la mort Dieu vous a promis tous ;
Et l’Enfer demande sa proie.




Mais d’où vient que je nage en des flots de clarté ?
Ciel ! malgré moi, s’égarant sur ma Lyre,
Mes doigts harmonieux peignent la volupté !
Fuyez, pécheurs : respectez mon délire.
Je vois les Élus du Seigneur
Marcher d’un front, riant au fond du Sanctuaire.
Des enfans doivent-ils connoître la terreur,
Lorsqu’ils approchent de leur père ?




Quoi ! de tant de mortels qu’ont nourris tes bontés,
Ce petit nombre, ô Ciel ! rangea ses volontés
Sous le joug de tes Loix augustes !
Des vieillards ! des enfans ! quelques infortunés !
À peine mon regard voit, entre mille Justes,
S’élever deux fronts couronnés…




Que sont-ils devenus ces peuples de coupables
Dont Sion vit ses champs couverts ?
Le Tout-Puissant parloit : ses accents redoutables
Les ont plongés dans les Enfers.
Là tombent condamnés & la sœur & le frère,
Le père avec le fils, la fille avec la mère,
Les amis, les amans & la femme & l’époux,
Le roi près du flatteur, l’esclave avec le maître ;
Légion de méchans honteux de se connaître,
Et livrés pour jamais au céleste courroux.




Le Juste enfin remporte la victoire,
Et de ses longs combats, au sein de l’Éternel
Il se repose, environné de gloire.
Ses plaisirs sont au comble, & n’ont rien de mortel :

Il voit, il sent, il connoit, il respire
Le Dieu qu’il a servi, dont il aima l’empire ;
Il en est plein, il chante ses bienfaits.
L’Éternel a brisé son tonnerre inutile ;
Et d’aîles & de faulx dépouillé désormais,
Sur les mondes détruits le temps dort immobile.


FIN.