Le Lai de l’Abeille

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Le Lai de l’Abeille



 
De fleur en fleur,
De tige en tige,
Ma folle humeur
Plane et voltige.
Sur son lit d’or,
Las de la veille,
Le riche encor
Ivre sommeille,

Qu’au jour naissant,
Courant, chassant
A l’aventure,
J’ai respiré,
J’ai savouré
L’air épuré
De la nature.

Sots papillons,
Hideux reptiles,
Guêpes stériles
Bruyants frelons,
Souillez la rose
Qui, sans pudeur,
A votre ardeur
Livre sa fleur
A peine éclose !
Aux vains attraits
Dont elle est fière
Moi je préfère
Des bois secrets

L’humble fleurette
Qui croît seulette
Sur le front nu
Du roc fendu
Par la tempête.

L’homme à sa loi
Point ne m’enchaîne !
Ma ruche, à moi,
C’est un vieux chêne,
Dont les rameaux,
Chargés d’oiseaux
De tout plumage,
Sur le torrent
Vont balançant
Leur verte image,
Et dont le tronc,
A la bergère
Offrant un pont,
Se courbe au long
Sur une eau claire.


Là, dans mon creux,
Comme un ermite,
Libre, j’habite
Loin des fâcheux.
Cherchant l’ombrage
De mes forêts,
Sur le rivage,
La biche en nage
Vient boire au frais.
Moineaux, fredonnent,
Mouches bourdonnent ;
Le vent gémit,
Le jonc frémit.
Tandis qu’à l’ombre
Des bois déserts,
Lassant les airs
De coups sans nombre,
Le bûcheron,
Depuis l’aurore,
Y mêle encore
L’écho sonore
De sa chanson.


Sur une rose,
Comme un zéphyr
S’arrête, et pose
Sans la flétrir ;
Avec délice
Je sais puiser
Dans le calice
Où je me glisse,
Sans l’épuiser.
La fleur nouvelle
Dont j’ai joui
Reste encor belle
Lorsque j’ai fui.
Sage ouvrière,
Je sais extraire
Un suc divin
De mainte plante
En qui fermente
D’un noir venin
La sève ardente ;
Car tout m’est bon,
Lis ou chardon,

Absinthe ou rose :
Tout par mon art
Se décompose
En doux nectar.
Aux fleurs sans nombre
Donnant l’éveil,
J’en trouve à l’ombre
Comme au soleil ;
Dans les campagnes
Ou les montagnes ;
Près des hameaux
Ou des châteaux ;
Dans les fougères
Des parcs royaux,
Ou sous les pierres
Des cimetières
Et des tombeaux.

Rien ne m’entrave
Dans l’univers.
Joyeuse et brave,

Je fends les airs,
Sans voir dans l’herbe
Le noir aspic,
Ou l’œil superbe
Du basilic.
Sans crainte j’entre
Au fond de l’antre
Noir et profond,
Où sur le ventre
Le fier lion
Sommeille au long.
Sous son œil même,
Tout à loisir,
Je vais choisir
La fleur que j’aime,
Mes doux concerts
Bercent la rage
Du roi sauvage
De ces déserts ;
Mais s’il s’irrite,
Un vif élan
Me soustrait vite

A la poursuite
Du vieux tyran.

Si d’aventure
Un pèlerin
Qui de la faim
Sent la torture,
En mon chemin
S’offre soudain,
Bonne sylphide,
Mon vol rapide
Lui sert de guide
Vers l’arbre creux.
Où, dans ma cache,
J’offre à ses yeux
Un miel sans tache.
Ce miel divin
Calme sa faim :
Ma source claire
Le désaltère ;
Au pied du tronc,

Dans la rivière,
Lavant son front.
Noir de poussière,
Sur le gazon
Il fait un rêve,
S’éveille, achève
Son oraison,
Prend son bâton,
Et gai se lève.

Mais si des bons
Mes humbles dons
Sont le partage,
Prompte à sévir,
Je sais punir
Dès qu’on m’outrage.
Gare à mon dard !
Il sort, il part :
De veine en veine,
Son aiguillon
Verse un poison

Brûlant de haine.
En vain souvent,
Dans ma furie,
En le perdant,
Je perds la vie ;
Des oppresseurs
Du moins les pleurs
M’ont soulagée,
Et si je meurs,
Je meurs vengée !