Le Laurier Sanglant/1

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Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. i-iv).

AVANT-PROPOS




Sous ce titre : Le Laurier sanglant, je réunis plusieurs poèmes écrits les uns en 1870, les autres en 1914, 1915 et 1916, à quarante-quatre ans de distance, au cours des deux guerres que les Français de ma génération ont eu la douleur de voir fondre sur leur pays.

En 1870, j’ai pris une bien modeste part à la défense de Paris comme simple soldat au 8e bataillon des mobiles de la Seine. Entre deux marches, sous la tente ou dans les cantonnements, j’ai griffonné quelques vers. Ces petites poésies malhabiles et naïves de la vingtième année parurent en un mince volume intitulé : Tablettes d’un Mobile. Ce fut mon premier livre. Comme je devais m’y attendre, il passa inaperçu. Certains critiques, pourtant, rendirent hommage à la sincérité de l’œuvre. J’avais regardé, j’avais éprouvé des émotions nouvelles ; et je m’étais efforcé, en toute franchise, de peindre ce que j’avais vu, d’exprimer ce que j’avais ressenti.

En 1914, au déclin d’une vie littéraire déjà longue ; ayant, à mon grand regret, passé l’âge de prendre les armes, j’ai dû me résigner à faire campagne comme… bibliothécaire pour les blessés à l’Hôpital de Saint-Jean-de-Luz. Pendant un long séjour en ce pays, j’ai écrit des vers sur la guerre actuelle, la « seconde guerre », cent fois plus terrible que la première, celle de la défaite, mais cent fois plus belle aussi, car — nous n’avons plus le droit d’en douter, — elle sera celle de la victoire.


Bien qu’en ces heures tragiques où l’action domine tout, les « littératures » ne comptent guère, il m’a semblé qu’il serait peut-être intéressant de lire dans un même volume les vers d’un même poète, composés à des époques si différentes de sa vie, et inspirés par des événements analogues.

J’ai donc extrait quelques pièces des Tablettes d’un Mobile, dont l’édition est épuisée, et sans les vouloir presque retoucher, avec leurs naïvetés, leurs maladresses, leurs négligences de pensée et de forme, je les ai placées en tête de ces pages.

Ces extraits pourront éveiller un moment, chez mes lecteurs, la curiosité rétrospective qui sommeille au fond des âmes éclairées. Ceux de mon âge se souviendront ; les plus jeunes — et ce sont de beaucoup les plus nombreux, — verront que jadis, dans les temps lointains déjà, leurs pères ont rempli dignement leur devoir et, combattant sans espoir de vaincre, ont pu du moins leur transmettre l’héritage d’honneur qu’ils tenaient de leurs aïeux.


Si indigne qu’il soit d’elle, je dépose en toute humilité, en toute vénération, en toute ferveur, ce Laurier sanglant — n’est-ce pas le titre qui convient aux glorieuses hécatombes d’aujourd’hui ? — sur l'autel de la Patrie.

J’eus l'honneur de la servir dans ma jeunesse ; maintenant, je ne puis que la chérir davantage et demander à Dieu de la faire triompher, avant qu'il soit longtemps, d’une épreuve unique dans l’histoire de l’Humanité.

Elle mérite ce triomphe par la justice éclatante de sa cause, par son prodigieux effort, par ses dévouements, par sa ténacité, par toutes les souffrances que depuis tant et tant de jours, elle a si héroïquement, si magnifiquement supportées.

JACQUES NORMAND


Saint-Jean-de-Luz (Basses-Pyrénées), juin 1916.



Soldat de la Mobile de Paris en 1870 ; bibliothécaire dans un hôpital de blessés en 1914, M. Jacques Normand publie quelques poèmes écrits au cours des deux guerres que les Français de son âge ont vu fondre sur leur pays.

On retrouve dans Le Laurier Sanglant toutes les qualités bien connues de l’auteur. Beaucoup de ces poésies sont déjà classées comme « pièces à dire ».

Ce volume, dont la réelle originalité est de réunir les vers d’un même poête, composés à quarante-quatre ans de distance, est vendu au profit de la si intéressante Société : Les Amis des Soldats Aveugles, dont le siège est : 130, Avenue Daumesnil, Paris. (Calmann-Lévy, éditeurs.)