Des livres vaguement classés,
Des « illustrés » de toute sorte,
Voilà ce qu’à nos chers blessés
N’ayant, pour les désennuyer,
Que la seule littérature,
Je m’efforce de varier
Je vais, des romans-feuilletons,
Aux petits récits bien honnêtes ;
Quelquefois, pour hausser le ton,
Ils sont d’ailleurs, ces braves gens,
De goût facile et d’âme bonne,
Prenant, sans désirs exigeants,
Tout ce que je leur donne.
Et puis, lorsque j’ai terminé
Le « tour des cigarettes »,
On fait, à cœur déboutonné,
Je demande, en m’apitoyant,
Des nouvelles de la blessure ;
Si le moral est… vacillant
De mon mieux je l’assure.
Je leur parle de leur pays,
De leur famille, de leurs mioches ;
Et l’on tombe à bras raccourcis
Je saute des graves propos
À quelque plaisant badinage,
Y mêlant toujours ces deux mots :
« Patience et courage ! »
Je prédis les beaux lendemains ;
Je sème la verte espérance ;
Je sens battre, en serrant leurs mains,
Le vrai pouls de la France !
⁂
Ainsi doucement j’accomplis
Ma besogne simple et modeste ;
Je vais, viens, effleurant les lits
D’un pied qui n’est plus leste.
Certes, j’étais moins lent jadis,
La marche m’était plus facile
En mil-huit-cent-soixante-dix
Humble petit « mobile ! »
Au lieu de porter des bouquins,
— Timide et pacifique rôle —
Je narguais les humbles pékins,
Car j’ignorais que la douleur
De toute joie est sœur jumelle ;
Et ma jeunesse, à peine en fleur,
Mais le temps, ce maudit vieillard,
Change les poèmes en proses,
Et démolit, plus ou moins tard,
Les êtres et les choses :
Nos pas sont plus lourds et plus lents
Sous le poids furtif des années ;
Les cheveux noirs deviennent blancs ;
Lassés d’avoir tant vu, les yeux
Brillent d’un éclat plus précaire ;
Et le moblot devenu vieux
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