Le Laurier noir/IV/Élégie à Pierre Jourdan

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Société de la Revue Le Feu (p. 89-91).

ÉLÉGIE À PIERRE JOURDAN


Nymphes de l’amitié, déesses du courage,
En l’honneur de l’enfant qui, dans ce paysage,
Déploya sa pensée et nourrit son amour,
Cueillez les jeunes buis et pavoisez le tour
Des fontaines d’azur, ces limpides couronnes.
Que Saint-Sauveur s’anime et Jean de Malte sonne !
Roses et carillons pour la mort du guerrier.

Pierre Jourdan, c’est le printemps que vous aimiez ;
Par le ciel déchiré s’engouffre la lumière.
L’arbre crie et déjà le soleil en poussière

Met, sur les routes d’or, des voiles aux cyprès.
Jamais d’un cœur plus sûr, d’un esprit plus secret,
Je ne me suis penché contre Sainte-Victoire.
La montagne latine est un bouquet de gloire
Que, ce soir, je respire avec avidité.
Est-ce le pur flambeau de votre éternité
Qui jette tant d’éclats sur ces mouvants espaces ?
Ô mon ami, mes pas tremblent sur votre trace.
L’homme était un archange et je vous reconnais.
Les amandiers ont des fleurs blanches ; les genêts
Entre les pins et les peupliers se balancent.
Quand Dieu n’avait créé l’héroïque distance,
Je savais vous parler ; maintenant je ne puis.
Voici le parc désert dont vous coupiez les buis
Comme vont les cueillir, en mémoire attentive,
Ces muses que j’appelle et dont l’âme plaintive
Se blottit, parfumée, dans la robe du vent.
Pourquoi tant de clarté sur tant de dénuement,
Jeune dieu séparé, malgré tout, de ma terre ?
Ce mélange d’ardeur et d’ombre funéraire
Épouvante à la fois ma croyance et mon cœur.
Pourquoi cette guirlande au front de ma douleur ?
Pourquoi la nuit n’est-elle entière sur nous-mêmes ?
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on prend, tout ce qu’on aime
Avec la mort n’est donc pas mort ?… Pierre Jourdan,
Je vous revois au seuil de votre éloignement.
Le vaisseau, dont la coque était la destinée,

Haletait dans le port ; la Méditerranée,
Frémissante et sacrée ouvrait votre tombeau.
Vous ne reviendrez pas dans la Cité des eaux
Et du silence où ce printemps ose renaître
Et, malgré les tourments qui divisent mon être,
Je tarirai mes pleurs, sachant que vous voulez
Que ce ciel reste pur sur nos cœurs désolés.