Le Lit de mort

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Le lit de mort[1]


Cessez de me flatter d’une espérance vaine ;
Cessez, ô mes amis, de me cacher vos pleurs.
La sentence est portée ; oui, ma mort est certaine,
Et je ne vivrai plus bientôt que dans vos cœurs.

Pour la dernière fois, j’ai vu briller l’aurore ;
Pour la dernière fois, ce beau soleil m’a lui,
Votre ami, succombant au mal qui le dévore,
Sur le déclin du jour va s’éteindre avec lui.

Mais demain, quand, paré d’une splendeur nouvelle,
Le soleil triomphant rentrera dans les cieux,
Votre ami dormira dans la nuit éternelle,
Et l’éclat du matin n’ouvrira plus ses yeux.

Déjà tout s’obscurcit, tout s’efface à ma vue.
Tout m’échappe, entraîné par d’invisibles mains,
Et seule s’offre à moi cette route inconnue
Dont le terme se cache au regard des humains.

Eh bien, ces noirs sentiers, ces régions obscures,
Cette nuit du trépas n’étonnent point mon cœur.
Vers le Dieu qui m’attend je lève des mains pures
Ennemi du méchant, il est mon protecteur.


Pourquoi vous retracer à ma triste mémoire,
Doux rêves dont mon cœur en vain fut occupé ?
Et mes rêves d’amour et mes rêves de gloire.
Tout fuit : toi seule, ô mort, ne m’auras pas trompé.

  1. Extrait des Épîtres et Élégies (1819). Malade et se sachant condamné, le poète écrivit ces vers touchants, comme un adieu qu’il pensait définitif.