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Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Chrétien

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 96).
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CHRÉTIEN, s. m. — Homme. Je passais de bon matin sur le pont Seguin. Plusieurs personnes entouraient de larges taches de sang. On pérorait : savoir si c’était un crime, ou un animal qu’on aurait tué. Je te dis que c’est du sang de chrétien, criait un brave homme ; M. Ferrand t’y dira comme moi ! Comp. Molière : « Il faut parler chrétien, si vous voulez qu’on vous entende ! » — Tradition du moyen âge, où l’idée d’homme se confondait avec celle de chrétien. Les non baptisés étaient mis au rang des bêtes.

Un ami me fait observer que, tout du long de l’ouvrage, j’ai parlé de M. Chrétien sans dire qui il était. Se pourrait-il qu’un seul de mes lecteurs ignorât que M. Chrétien était un honnête homme, qui a rendu à la société des services beaucoup plus réels que tels ou tels de nos grands politiciens, M. Rochefort ou M. Clémenceau par exemple, en la débarrassant de quelques criminels par trop exagérés. Il habitait aux Charpennes, avec sa dame et ses deux demoiselles, une petite maison calme, isolée, poétique, à gauche de la route. La croyance populaire a de tout temps attribué aux bourreaux quelques vertus médicatrices, mais M. Chrétien était un grand médecin et je crois bien que la canuserie tout entière a défilé dans son cabinet. On eut le bon goût, s’il m’en souvient, de ne jamais le poursuivre pour exercice illégal de la médecine. Après sa mort, les canuts se précipitèrent dans le Raspail. Il n’y avait pas un ménage où l’on n’eût le Manuel, l’eau sédative, le camphre, etc. À telles enseignes qu’un de mes amis, à force de respirer la cigarette de camphre (du camphre dans un tuyau de plume), s’attira une maladie d’entrailles dont il est mort. Telle fut du moins l’opinion du médecin qui le soigna, et dont je n’ai pas à prendre la responsabilité.