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Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Coco

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 100).

COCO, s. m. — Le coco, dans son ensemble, est constitué par une sorte de carafe immense, à goulot en gueule de tromblon, dans laquelle il y a de la tisane de réglisse. Sur la bouche de la carafe est posé un citron qui a pour but d’empêcher la poussière de pénétrer dans la carafe, et qui, en même temps, est un agréable symbole pour vous annoncer qu’on a pressé un peu de jus de citron dans la tisane. Cette carafe est en beau devant sur le pieds-humides. Vous demandez du coco ; la marchande vous en remplit un verre qui tient un bon demi-pot. Elle prend une petite fiole couverte par une plaque de métal percée de petits trous, et, d’un mouvement vif, zag, zag ! elle seringue quelques gouttes d’anisette (c’est le nom que nous donnons à l’eau-de-vie anisée) dans le verre. Vous buvez : c’est absolument délicieux. Vous donnez un sou, et la marchande vous rend deux liards.

Voilà le coco de mon enfance, de ma jeunesse et même de mon âge mûr. Aujourd’hui, plus de coco. Les pieds-humides, qui jadis tenaient simplement du coco, de l’orgeat, du sirop de groseille, de l’eau-de-vie anisée, n’ont plus de coco, mais une immense variété d’horribles alcools propres à donner le delirium tremens à un bataillon de sapeurs. À mon dernier voyage à Lyon, il m’a fallu aller jusqu’en Bellecour avant de trouver du coco, mais sans la belle carafe, sans le seringage d’anisette et dans un verre à cul pointu. J’ai donné un sou et, malgré ma réclamation, le gueux de marchand a tout gardé !

On ne trouve plus même ce coco qu’en Bellecour, ou peut-être dans d’autres endroits où l’on mène jouer les enfants, parce que c’est la boisson que les bonnes leur font boire. J’ai demandé du coco à l’Exposition, où l’on aurait dû au moins le mettre dans la classe des arts rétrospectifs. J’ai gardé ma soif. Le pieds-humides n’est plus qu’une succursale des comptoirs.

Marchand de coco. Ils étaient jadis très nombreux. Un homme en chapeau de paille, sans habit, avec un corset de couleur, un tablier blanc, très propre, à bavette. Sur le dos, une fontaine, c’est-à-dire un réservoir d’étain rempli de coco, avec deux robinets, qui, au moyen d’un serpentin, arrivent par devant. Par l’un sort du coco, par l’autre de l’eau fraiche pour laver le verre. Deux verres à pied sont adroitement accrochés aux bretelles à l’aide desquelles l’homme porte sa fontaine. De même la petite fiole d’anisette. À la main une sonnette pour annoncer sa présence. Partout où il y avait foule, il y avait de nombreux marchands de coco. Petit métier et rude.

Un marchand de coco arrivait jadis en ville tous les matins par la porte des Étroits. Le gapian ouvrait les robinets, et constatait qu’il sortait bien par l’un du coco, par l’autre de l’eau claire. Mais il avait compté sans un double fond rempli d’alcool. Ce métier dura longtemps. Probablement une dénonciation anonyme prévint l’octroi.