Le Livre des ballades/Pour le plaisir d’une jeune fillette

La bibliothèque libre.


Du temps que Marot estoit

au Palais à Paris

Muſiciens à la voix argentine,
Doreſnavant comme un homme eſperdu
Je chanteray plus hault qu’une buccine ;
« Hélas ! ſi j’ay mon joly temps perdu. »
Puis que je n’ay ce que j’ay pretendu,
C’eſt ma chanſon, pour moy elle eſt bien deue :
Or je voys veoir ſi la guerre eſt perdue,
Ou s’elle picque ainſi qu’un heriſſon.
Adieu vous dy, mon maiſtre Jehan Griffon ;
Adieu Palais & la porte Barbette,
Où j’ay chanté mainte belle chanſon
Pour le plaiſir d’une jeune fillette.

Celle qui c’eſt en jeuneſſe eſt bien fine,
Où j’ay eſté aſſez mal entendu,
Mais ſi pour elle encore je chemine,
Parmy les pieds je puiſſe eſtre pendu ;
C’eſt trop chanté, ſifflé attendu

Devant ſa porte, en paſſant par la rue,
Et mieux vouldroit tirer à la charrue
Qu’avoir tel peine, ou ſervir un maſſon.
Bref, ſi jamais j’en tremble de friſſon.
Je fuis content qu’on m’appelle Caillette ;
C’eſt trop ſouffert de peine & marriffon
Pour le plaifir d’une jeune fillette.

Je quicte tout, je donne, je reſigne
Le don d’aymer, qui eſt ſi cher vendu.
Je ne dy pas que je me determine
De vaincre Amour, cela m’eſt deffendu,
Car nul ne peult contre ſon arc tendu.
Mais de ſouffrir choſe ſi mal congrue,
Par mon ſerment, je ne ſuis plus ſi grue.
On m’a aprins tout par cueur ma leçon :
Je crains le guet, c’eſt un maulvais garſon
Et puis de nuyct trouver une charrette,
Vous vous caſſez le nez comme un glaçon
Pour le plaiſir d’une jeune fillette,


ENVOY.


Prince d’amour regnant deſſoubz la nue,
Livre la moy en un lict toute nue,

Pour me payer de mes maux la façon
Ou la m’envoye à l’ombre d’un buiſſon :
Car s’elle eſtoit avecques moi ſeulette
Tu ne veis onc mieux planter le creſſon
Pour le plaiſir d’une jeune fillette.


Clément Marot.