Le Livre des récompenses et des peines/Le Livre des Récompenses et des Peines avec des Notes

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Traduction par M. Abel Rémusat.
Renouard (p. 21-79).


LE LIVRE


DES RÉCOMPENSES


ET DES PEINES


MÉRITÉES PAR LES ACTIONS HUMAINES,


SUIVANT LA SUBLIME DOCTRINE.




La sublime doctrine dit : Le malheur et la félicité ne sont point indifféremment abordables (1). L’homme seul les attire sur sa tête. La récompense du bien et la punition du mal sont comme l’ombre qui suit le corps, et se proportionne à sa forme et à sa grandeur.

C’est pour cela qu’il y a dans le ciel et sur la terre des esprits qui président aux péchés, et qui se règlent sur la légèreté et la gravité des fautes des hommes pour leur retrancher des périodes de vie (2). Le nombre de ces périodes qui leur étaient assignées par le destin est diminué ; la pauvreté les consume ; mille infortunes se pressent sur leurs pas ; tous les autres hommes les haïssent ; les calamités et les supplices les poursuivent ; le bonheur et les heureuses influences les fuient ; les étoiles malignes leur versent des torrens de maux, et quand les périodes de leur vie sont épuisées, ils meurent.

Il y a au ciel trois ministres (3), et le Boisseau du nord, prince des Esprits (4). Les esprits, placés sur la tête même de l’homme, tiennent un registre exact de ses fautes, lui retranchent en conséquence, soit des périodes de cent jours, soit des espaces de douze ans (5).

Il y a aussi trois larves (6) qui habitent dans le corps même de l’homme. Chaque fois qu’on arrive au cinquante-septième jour du cycle de soixante, elles montent au conseil des magistrats célestes, et y rendent compte des fautes et des péchés de l’homme.

Le jour où la lune est privée de lumière, l’esprit du foyer (7) fait la même chose.

Quand un homme commet une faute, si elle est grave, on lui retranche douze années de sa vie ; si elle est légère, on lui ôte cent jours seulement.

On compte plusieurs centaines de ces péchés, tant graves que légers. Que celui qui désire obtenir une longue vie, s’étudie à les éviter scrupuleusement.

Suivre la raison, c’est avancer ; s’en écarter, c’est reculer.

On suit la raison, quand on ne foule point le sentier de la perversité.

Quand on ne s’aveugle pas sur ce qui est mal, et qu’on ne se repose pas sur le secret de sa maison.

Quand on fait des amas de vertus et des monceaux de mérites.

Lorsqu’on a un cœur compâtissant pour tous les êtres vivans (8).

Qu’on est sincère, pieux, bon ami, bon frère.

Qu’on se corrige soi-même, et qu’on s’efforce de convertir les autres.

Quand on est plein de tendresse pour les orphelins, et de commisération pour les veuves.

Quand on évite de faire du mal aux insectes, aux herbes et aux arbres.

Quand on sait être compâtissant pour le mal d’autrui, se réjouir de son bonheur, aider ses semblables dans leurs nécessités, les délivrer de leurs périls, voir le bien qui leur arrive comme obtenu par soi-même, et ressentir les pertes qu’ils éprouvent, comme si on les faisait soi-même.

Lorsqu’on ne montre point au grand jour les imperfections d’autrui, et qu’on ne se targue pas de ses propres perfections ; qu’on met obstacle au mal, et qu’on publie le bien.

Quand, dans les partages, on cède beaucoup aux autres, et qu’on se réserve peu à soi-même ; qu’on ne s’irrite point en recevant un affront, et qu’on éprouve une crainte salutaire en recevant une grâce.

Qu’on répand des bienfaits sans attendre de récompense, et qu’on donne sans regrets.

Alors on est révéré de tout le monde, protégé par la Raison céleste, accompagné par le bonheur et les richesses ; toute impureté s’éloigne d’un homme qui agit ainsi. Les esprits et les intelligences lui composent une garde ; ce qu’il entreprend s’achève : il peut prétendre à devenir esprit, ou du moins Immortel.

Pour devenir Immortel du ciel, il faut avoir effectué mille trois cents bonnes actions ; pour être Immortel de la terre, il faut en avoir fait trois cents (9).

Mais se mouvoir contre la justice, et marcher en tournant le dos à la Raison ; être puissant et habile pour le mal, cruel et malfaisant, dans les ténèbres ; nuire aux hommes vertueux, et être en secret irrévérent pour son prince et pour ses parens.

Ne point honorer ceux qui sont plus âgés que soi, et se révolter contre ceux qu’on devrait servir.

Abuser de la crédulité des simples, injurier ses compagnons, répandre de vains mensonges, et se plaire dans l’imposture.

Attaquer ceux qui reconnaissent les mêmes ancêtres que soi.

Être farouche, dur, et sans humanité ; se conduire avec cruauté et barbarie ; ne s’embarrasser ni du juste ni de l’injuste.

Être toujours en-deçà ou au-delà des convenances.

Maltraiter ses inférieurs, et usurper leurs mérites ; flatter ses supérieurs, et se jeter au-devant de leurs volontés.

Recevoir des grâces sans en être touché, et nourrir des ressentimens implacables.

Mépriser le peuple du ciel (10) ; troubler l’administration du royaume.

Accorder des récompenses à des hommes indignes ; envoyer les innocens au supplice ; faire périr les hommes pour s’emparer de leurs richesses ; renverser ceux qui sont en place pour s’emparer de leurs dignités.

Immoler ceux qui se soumettent, et punir de mort ceux qui se rendent à discrétion.

Humilier les hommes honnêtes et déplacer les sages ; déshonorer les orphelins et réduire les veuves aux dernières extrémités.

Transgresser les lois et recevoir le prix de ses prévarications ; faire le juste de l’injuste, et l’injuste du juste ; s’emparer d’une faute légère pour l’aggraver.

Redoubler de fureur à la vue des supplices.

Connaître ses vices et ne point songer à s’en corriger ; connaître la vertu, et ne point penser à la pratiquer.

Embarrasser les autres dans ses propres péchés.

S’opposer aux bons effets des arts libéraux et magiques ; être dur et injuste envers les sectateurs de la Raison et de la Vertu (11).

Tirer des flèches aux êtres qui volent dans les airs ; poursuivre ceux qui courent sur la terre ; détruire les trous des insectes ; effaroucher les oiseaux qui sont sur les arbres ; boucher les ouvertures où les oiseaux vont nicher ; renverser les nids déjà construits (12) ; blesser les femelles qui portent et casser les œufs.

Souhaiter des pertes aux autres et les empêcher de faire de bonnes actions ; compromettre leur salut pour sa propre tranquillité ; leur retrancher pour s’ajouter à soi-même ; changer le bien en mal ; ruiner le bien public pour son bien particulier ; usurper les bonnes actions d’autrui ; mettre au jour ses imperfections ; divulguer ses secrets ; s’efforcer de diminuer ses richesses, et de disperser la chair et les os (13) ; s’emparer de ce qui fait le bonheur des autres, et les aider à faire le mal.

Se plaire à en imposer et à épouvanter ; railler ou insulter, et vouloir toujours avoir le dessus en tout.

Disperser les épis naissans ou ceux qui sont déjà mûrs.

Brouiller les ménages ; être insolent dans l’opulence.

Si l’on obtient un pardon, n’être touché d’aucune honte ; endurer patiemment les bienfaits, et se décharger sur autrui de ses péchés.

Vendre le mal et faire épouser l’infortune ; dans le commerce, exagérer le mérite de ce qu’on veut vendre.

Garder dans son sein un cœur perfide ; rabaisser ce que les autres ont de bon, et défendre ce qu’on a soi-même d’imparfait.

En imposer et gêner par une vaine affectation de majesté ; s’abandonner à sa férocité ; se plaire dans le meurtre et au milieu des blessures.

Couper et tailler sans nécessité (14).

Immoler et préparer les victimes, sans avoir égard aux rites établis.

Jeter et perdre les cinq sortes de grains ; nuire et faire du mal aux animaux.

Briser la maison d’autrui ; prendre ce qui s’y trouve de précieux ; lâcher les courans d’eau, et jeter du feu pour incendier les maisons du peuple.

Troubler les lois pour ruiner les mérites des hommes. Disperser les meubles pour appauvrir les ménages. Souhaiter la chûte de ceux qu’on voit florissans et honorés, et la ruine de ceux qu’on voit riches et opulens.

Concevoir de mauvais désirs, en jetant les yeux sur les femmes qui appartiennent à autrui (15).

Souhaiter la mort de ceux à qui l’on doit, ou dont on retient le bien.

Quand on n’obtient pas ce qu’on demande, vomir des imprécations et concevoir des ressentimens.

Quand on voit quelqu’un éprouver un malheur, l’attribuer sur-le-champ à ses vices.

Se moquer des infirmités corporelles ; dissimuler les bonnes qualités qu’on aperçoit dans les autres.

Procurer le cochemar ; se servir de poisons pour faire mourir les arbres (16).

S’indigner contre les traditions des sages. Résister à son père et à ses frères, et exciter leur courroux.

Arracher par la violence ; aimer la rapine et se plaire dans le brigandage. Fonder sa richesse sur ses larcins. S’avancer par la flatterie et le mensonge.

Être inégal dans les récompenses qu’on accorde et dans les punitions qu’on décerne. S’abandonner sans mesure à la joie et au repos. Tourmenter et punir injustement ses subordonnés. Imprimer la terreur ; maudire le ciel et accuser les hommes. Insulter le vent et s’irriter contre la pluie.

Animer les querelles et susciter des procès. Porter le mensonge jusque dans la société de ses amis. Écouter les caquets des femmes, et agir contre les instructions de son père et de sa mère.

Oublier l’antiquité pour les nouveautés ; dire oui de bouche, et non du fond du cœur.

Être avide de biens mal acquis. Tromper ses supérieurs. Être artisan de calomnies et insulter les hommes paisibles. Corrompre la droiture. Blasphémer le nom des Esprits. Rejeter toute soumission, et prendre pour règle l’esprit de contradiction.

Quitter ses proches parens pour ceux qui sont plus éloignés. Rendre le ciel et la terre témoins des plus viles pensées, et mettre sous les yeux des Esprits des actions infâmes.

Faire des largesses et s’en repentir ensuite ; emprunter et ne pas rendre. Avoir des prétentions au-dessus de son état, et entreprendre au-delà de ses moyens.

S’adonner sans mesure aux plaisirs (17).

Avoir le poison dans le cœur, et le visage plein de bienveillance.

Souiller les alimens et affamer les hommes. Les embarrasser par de fausses doctrines (18). Employer une aune trop courte, de fausses mesures, une balance trop légère, un petit boisseau.

Mêler la vérité de mensonges ; recueillir le lucre de la prostitution.

Subjuguer les bons, et les humilier.

Monter fièrement à cheval sur le dos des simples.

Désirer avidement sans jamais être satisfait (19). Faire des imprécations et adresser aux esprits des prières impératives.

S’énivrer, se révolter ensuite, et donner lieu à des troubles. Souffrir de la division et des querelles entre sa chair et ses os[1]. Homme, être sans droiture et sans bonté ; femme, sans douceur et sans complaisance.

Vivre mal avec sa femme ; ne point respecter son père.

Aimer à se vanter, et être continuellement dévoré d’envie.

Ne pas agir vertueusement envers son épouse et ses fils ; manquer au devoir envers ses oncles et ses tantes ; se conduire d’une manière légère et despectueuse vis-à-vis des âmes de ses aïeux défunts ; résister aux ordres de ses supérieurs (20).

N’apporter aucune utilité en agissant. Avoir un cœur double ; se maudire soi et les autres. Haïr et aimer par intérêt.

Fouler aux pieds les puits, et sauter par dessus le foyer (21) ; enjamber sur les alimens ou sur les hommes.

Faire du mal aux enfans, et maltraiter les nouveaux-nés.

Mettre du mystère et du mal à tout.

Chanter ou danser le jour de la conjonction, ou le dernier jour de l’an (22).

Pousser de grands cris et se mettre en colère dans la nouvelle lune ou le matin (23).

Cracher, se moucher, ou rendre son urine du côté du nord (24). Soupirer, chanter ou pleurer en face du foyer. Allumer des parfums au feu du foyer. Souiller le bois avec lequel on prépare les alimens. Se lever et marcher nu la nuit. Ordonner des supplices dans les huit époques principales de l’année (25). Cracher contre les étoiles tombantes. Montrer au doigt les trois clartés célestes. Fixer long-temps le soleil ou la lune (26).

Mettre au printemps le feu dans les herbes des montagnes, et aller y chasser. Proférer des injures du côté du nord ; sans motif tuer les tortues ou frapper les serpens (27).

Voilà autant d’actions qui, ainsi que d’autres semblables, méritent d’être punies suivant leur gravité ou leur légèreté. Celui qui préside à la vie, retranche à l’homme qui s’en rend coupable des espaces de douze ans, ou de cent jours seulement. Le nombre qui lui en avait été assigné étant épuisé, la mort vient. Et après la mort, s’il y a encore un surplus de châtiment à recevoir, le malheur tombe sur ses fils et ses petits-fils.

Quand on prend injustement le bien d’autrui, on court risque de voir sa femme séduite, ses domestiques trompés. La mort vient pour récompense. Ou si la mort ne vient pas, on voit sa maison ravagée par des inondations ou des incendies ; ses meubles enlevés par des voleurs ; on est accablé de maladies, et tous ces maux sont la juste récompense du tort qu’on a fait.

Celui qui tue un homme injustement ressemble à des soldats qui se frappent à coups d’épée.

Celui qui prend les richesses d’autrui, est comme un homme qui veut se nourrir avec de la chair corrompue, ou se désaltérer avec du vin empoisonné. La mort le frappe au moment où il se croit rassasié.

Si le cœur a une bonne pensée, quoiqu’elle ne soit pas mise à exécution, les esprits l’ont saisie, et la font suivre de leurs heureuses influences. S’il en a une mauvaise, les mêmes esprits la font suivre de leurs malignes influences.

Si l’on a fait une mauvaise action, qu’on se corrige et qu’on se repente, qu’on quitte la mauvaise voie et qu’on pratique la vertu ; on ne manquera pas d’obtenir le bonheur. C’est ce qu’on appelle le retour du mal au bien.

Aussi l’homme véritablement heureux dit le bien, voit le bien, fait le bien. En un jour il réunit trois sortes de biens. En trois ans le Ciel lui envoie infailliblement le bonheur. Le méchant dit le mal, voit le mal, fait le mal. En un jour il amasse trois sortes de maux, et en trois ans, le Ciel ne manque jamais de lui envoyer le malheur.

Comment peut-on donc ne pas pratiquer la vertu ?


FIN.


NOTES.




(1) Il y a dans le texte Wou men, Sans porte, et dans le commentaire, Chi mou yeou ting-ti men lou, il n’y a pas de chemin ou de porte déterminés pour y arriver. En d’autres termes, la prudence humaine ne peut conduire au bonheur sans les bonnes œuvres.

(2) Souan, proprement nombre, calcul, signifie ici un espace de cent jours. C’est une acception particulière aux Tao-sse ; on ne la trouve pas dans les dictionnaires classiques.

(3) San taï, trois ministres ou conseillers établis par le Chang-ti, ou suprême seigneur, pour être conseillers du ciel, Thian tsao. Ce sont les noms de trois constellations formées d’étoiles de notre Grande Ourse. Chang taï, ou le grand conseiller, répond ι, ϰ de la Grande Ourse ; Tchoung taï, ou le second conseiller, à λ, μ ; et Hia taï, ou le troisième conseiller, à ν, ξ de la même constellation. Suivant un traité d’astrologie qui fait partie du San-thsaï thou hoeï, « il y a au ciel trois constellations qui se nomment les trois ministres, et qui président à la publication des décrets et ordonnances. On les appelle aussi San neng, les trois pouvoirs. Elles sont voisines à l’ouest de la constellation Wen-tchhang, (littérature). La première, formée de deux étoiles, préside à la vie et à la longévité ; la seconde, qui est aussi composée de deux étoiles, et qui est en face de Hian-youan, (constellation formée de seize étoiles dans le Lion, le petit Lion, et le Linx), se nomme second conseiller ; elle préside au milieu et à ce qui concerne la famille impériale. Les deux étoiles qui touchent à l’orient, le Thaï-weï, ou palais de la Grande Subtilité, se nomment troisième conseiller. Elles président aux revenus ou appointemens, et gouvernent les mouvemens des troupes qui soumettent les rebelles. On nomme aussi ces trois constellations Thian kiaï, les degrés célestes, et chacune est divisée en deux étoiles. Le Thaï kiaï, ou degré suprême, est composé d’une étoile supérieure, qui représente l’empereur, et d’une en bas, qui figure l’impératrice. Le Tchoung kiaï, ou degré du milieu, offre en haut les grands vassaux et les trois princes (San-koung), et en bas, les cours souveraines et les grands mandarins. Le degré inférieur, Hia kiaï, représente par son étoile supérieure les lettrés ; et par l’autre le peuple. Leur influence met en harmonie les deux principes et dispose convenablement toutes choses. Les changemens qu’elles éprouvent font deviner ce qui regarde les princes et leurs sujets. Si elles brillent d’un vif éclat, le prince et le peuple vivent en bonne harmonie, les lois sont exécutées et la paix n’est point troublée. Si elles éprouvent quelque dérangement dans leur marche, il y a des désordres ; s’il y paraît une comète, le mal est très-grave. Si le Chang taï est agité, l’empereur a de grands sujets de chagrin. Si c’est le Tchoung taï, la famille impériale est troublée. Si c’est le Hia taï, cela indique une levée de troupes. Il y en a qui disent que la mort des princes se manifeste dans le san-koung, c’est-à-dire, dans l’étoile supérieure du second conseiller.[2] »

J’ai rapporté cet échantillon de l’astrologie chinoise, comme se rattachant par son sujet au texte du livre des Récompenses et des Peines. On peut juger en même temps par-là si nos missionnaires ont eu un juste motif de se refuser absolument, comme ils l’ont toujours fait, à prendre aucune part à la composition de la partie astrologique du calendrier qui se rédige tous les ans dans le tribunal des mathématiques.

(4) Le Pe teou, ou Boisseau du nord, est ce que nous appelons le Chariot, ou les étoiles du septentrion. Comme il est souvent question de cette constellation dans les livres et la mythologie des Tao-sse, je transcrirai encore ce qui en est dit dans le traité d’astrologie déjà cité. « Le Boisseau du nord est voisin de l’enceinte du violet subtil (espace autour du pôle arctique), et situé au nord du grand subtil ; c’est le gond des sept planètes, et la source fondamentale des deux principes. Il décrit une révolution au-dessus du monde pour visiter les quatre parties, déterminer les quatre saisons, modérer les cinq élémens, arranger, fixer, mesurer, coordonner les lois de l’univers. Il est composé de quatre étoiles nommées Khoueï ou capitales, qui forment le Siouan-ki, ou la sphère, et de trois étoiles dites cho, ou le manche du boisseau, qui forment le Iu-heng, ou le tube à observer les astres[3]. Le ciel étant comparé à un empereur, le Boisseau du nord figure son char, et sa révolution en représente le mouvement. On nomme aussi la première des quatre étoiles Khoueï, gond du ciel ; la 2e., Siouan, pierre précieuse ; la 3e. Ki, instrument ; la 4e. Khiouan, poids ; la 5e., Iu-heng, tube à observer les astres ; la 6e., Kaï-yang, naissance du premier principe lumineux, et la 7e., Yao kouang, lumière agitée. Ces étoiles, depuis la 1re jusqu’à la 4e., se nomment Khoueï, et depuis la 5e. jusqu’à la 7e., Cho. Le gond figure le ciel ; la pierre précieuse, la terre ; l’instrument, l’homme ; le poids, le temps ; le tube à observer les astres, c’est le son ; la naissance du principe d’action, c’est la loi ; et enfin la lumière agitée, c’est l’étoile. »

« Le célèbre astronome Chi-chi dit : la première étoile s’appelle droite ; elle préside à la vertu masculine, et à la figure de l’empereur. La seconde, Fa sing, ou étoile de la règle, préside au féminin, aux supplices, et à la dignité d’impératrice. La 3e., Kin sing, l’étoile d’or, préside à l’infortune et à la prospérité. La 4e., Fa sing, étoile du combat, préside à la raison céleste. La 5e., Cha sing, étoile du meurtre, préside au milieu et à la peine capitale. La 6e., Weï sing, l’étoile des périls, régit les greniers impériaux, et les cinq sortes de grains. La 7e. enfin, Pou sing, étoile des cours souveraines, ou Ing sing, étoile correspondante, préside aux troupes. »

« On dit aussi que la première des sept étoiles préside au ciel ; la seconde, au globe terrestre ; la 3e., au feu ; la 4e., à l’eau ; la 5e., à la terre élémentaire ; la 6e., au bois, et la 7e. au métal. D’autres appliquent leurs influences à sept principales dynasties, qui se partageaient l’empire sous la fin des Tcheou, dans l’ordre suivant : 1, Thsin ; 2, Thsou ; 3, Liang ; 4, ’Ou ; 5, Tchao ; 6, Yan ; 7, Tsi[4]. »

Suivant le commentaire déjà cité, le Boisseau du nord est le conseiller suprême du pôle du nord, Tseu ki tou tsao. Il préside à la vie et à la mort de l’homme ; à la longueur et à la brièveté de la vie. Les esprits sont sur notre tête même ; ils ne s’en écartent pas d’un pouce, ni d’un pas.

(5) Ki, espace de douze ans de la vie humaine. C’est encore une acception particulière aux Tao-sse ; dans l’usage ordinaire, ce mot signifie période. Cependant on le trouve avec le même sens qu’il a ici dans le Chou-king, chapitre Pi-ming. Voyez le Khang-hi tseu tian, au mot Ki.

(6) En chinois San chi. Chi signifie proprement un homme couché, puis la représentation d’un esprit dans un sacrifice, celle d’un parent mort à qui l’on fait des cérémonies funèbres. C’est de ce dernier usage qu’est pris le nom qu’on donne ici aux trois esprits qui habitent en nous ; c’est pourquoi j’ai cru pouvoir le rendre par Larve. Le Khang-hi tseu-tian désigne assez inexactement les trois chi, quand il dit : Yeou san chi, chin ming ; san chi, nom d’un esprit. Tseu tian, au mot Chi.

Le commentaire place les trois Chi dans les trois cavités du corps humain, que les anatomistes chinois appellent San tsiao, c’est-à-dire, dans la tête, la poitrine et l’abdomen. Il donne le nom particulier de chacun des trois Chi : le premier s’appelle Pheng-kiu ; le second Pheng-tchi, et le troisième Pheng-khiao. J’ignore si ces noms ont trait à quelque qualité qu’on leur attribue ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils ont tous trois une partie commune, la syllabe pheng, qui signifie le son du tambour[5], et la clef du pied qu’on retrouve dans trois caractères finaux : kiu veut dire s’asseoir d’une manière contraire à la politesse ; thi signifie tomber, obstacle, et khiao, marcher sur la pointe des pieds. Mais il est difficile de former un sens raisonnable avec ces caractères ; malheureusement le dictionnaire de Khang-hi, et même le Tching-tseu-thoung, sont très-imparfaits sur tout ce qui concerne les deux sectes des Tao-sse et de Bouddha ; il est même impossible avec leur secours seul d’entendre un ouvrage mythologique quelconque, s’il n’est accompagné d’un commentaire.

Celui que nous suivons ici ajoute sur les trois chi les réflexions suivantes : « Ainsi, non-seulement autour de nous, au-dessus de nous et le plus près possible, mais au-dedans de nous-mêmes, nous avons des esprits qui nous observent et nous examinent. À chaque jour, Keng-chin (53e. du cycle de 60), ils montent à la cour du Ciel, et y rendent compte de ce qui s’est passé pendant les soixante jours précédens, des mauvaises pensées qui se sont élevées dans le cœur de l’homme, et des mauvaises actions qu’il a commises, et cela, jour par jour, sans aucune dissimulation, et dans la plus exacte vérité. Voilà pourquoi le Taï-hio nous avertit de corriger notre cœur et de purifier notre intention, et le Tchoung-young, de veiller à notre for intérieur. Ainsi les hommes qui vivent dans le siècle doivent, ce jour Keng-chin, jeûner, se purifier et reconnaître leurs fautes. »

On doit remarquer ici l’adresse avec laquelle les Tao-sse cherchent à rattacher leur doctrine à celle des Lettrés, en citant, dès que l’occasion le permet, les livres de Confucius ou de ses disciples. C’est un soin que les sectaires de la Chine ont toujours, tant pour flatter la secte dominante, que pour persuader au peuple qu’ils ne s’écartent en rien de la doctrine des anciens sur les points de morale ou de politique.

(7) Le Tsao, ou esprit du foyer, est l’un des cinq sse, c’est-à-dire, suivant le chapitre Youeï ling du Li-ki, un des esprits auxquels on fait les cinq sacrifices domestiques. Au printemps, dit ce livre classique, on sacrifie à la porte, hou ; en été, au foyer, tsao ; dans l’automne, à la grande porte, men ; en hiver, au perron, hang ; au milieu de l’année, à la cour, ou plutôt à l’esprit qui y réside. Le Tsao, dit notre glose, préside à toute la maison d’un homme, et a le plus grand pouvoir sur son bonheur. Selon Hoaï-nan-tseu, Yan-ti, le roi de la flamme, communément nommé Chin-noung, créa un magistral pour le feu ; après sa mort, il devint l’esprit du foyer. Le Tha seng phian de Tchouang-tseu dit que l’esprit du foyer a ses cheveux réunis en nœud sur la tête, ce qui est en Chine la mode des femmes, et les Gloses ajoutent que quand cet esprit se fait voir, il a une robe d’écarlate et l’air d’une belle femme. Il est raconté dans l’histoire des Heou-han, qu’un certain Yen-tseu était occupé, le dernier jour de l’an, à souffler le feu, quand l’esprit du foyer lui apparut ; Yen-tseu lui sacrifia un bélier jaune. Enfin, dans les mélanges sur les cinq élémens, Tsa hing chou, on dit que l’esprit du foyer a pour nom propre Tchen, et pour titre d’honneur Tseu-kouo, Tseu tian. Les Mandchous le nomment Dchoun ni edchen.

(8) « Celui qui veut amasser des mérites, dit ici notre commentateur, et faire une provision de vertus, doit non-seulement aimer les hommes, mais aimer aussi les choses animées, les oiseaux, les poissons, les insectes, les vers, en un mot tout ce qui vole, qui marche, qui se meut ou qui croît ; car tous ces êtres ont quelque chose qui leur est commun, et que l’homme ne peut contrarier sans devenir méchant ; c’est l’amour de la vie et la crainte de la mort. Qu’importe en cela la différence de la grandeur ou de la forme ? » Je mets en note le texte chinois de cette belle pensée : faute de caractères chinois je la transcris en lettres latines ; mais il sera aisé à ceux qui entendent la langue de le restituer[6].

Suivant sa coutume, le glossateur rapporte ici quelques historiettes pour prouver l’importance qu’on doit mettre à cet amour universel, qui s’étend même aux plus vils animaux. Il y avait dans la ville de Tchang-tcheou un homme appelé Young-tcheou. Tous les matins, au lever de l’aurore, il allait avec un balai sur les bords de la rivière ; il faisait rentrer les limaçons dans leurs trous, et chassait les poissons au fond de l’eau, de peur que les pêcheurs ne vinssent les prendre. Souvent la faim ne l’empêchait pas de faire ainsi plusieurs li. Par la suite, son petit-fils vit en songe un esprit qui lui dit : Ton aïeul a pris soin de conserver tous les êtres vivans. C’est un très-grand mérite, et tu en recevras la récompense : tu entreras dans le collége des Han-lin de première classe. Non-seulement cette promesse fut effectuée, mais ce même petit-fils devint grand historien de la dynastie des Han.

Deux habitans de la ville de Hoeï-ki, l’un nommé Thao-chi-liang, et l’autre Tchhang-tchi-thing, passaient ensemble devant le temple de la grande bonté (Ta chen sse). Ils virent devant la boutique d’un traiteur un grand nombre de ces petites anguilles qui se trouvent dans la vase et qu’on nomme Chen-iu ; il y en avait plusieurs milliers. Thao[7] eut envie de les acheter pour leur sauver la vie. Il s’adressa à son compagnon et lui dit : Je n’ai point assez d’argent pour faire seul cette bonne œuvre. Voulez-vous, mon frère, vous charger de quêter pour y engager quelques autres personnes ? Cette quête eut lieu sur-le-champ ; mais Tchhang ne fut pas assez prompt. Thao tira le premier son argent, et mit une once, ou un tael. Les autres apportèrent ensuite les huit onces qu’il fallait encore. On acheta les poissons et on alla les mettre dans les fosses autour de la ville. L’automne suivant, Thao vit en songe un esprit qui lui dit : Tu ne devais pas encore espérer d’avancement ; mais à cause du mérite que tu as eu en délivrant les poissons d’une mort certaine, tu obtiendras, dans ton prochain examen, un grade supérieur au tien. Thao se mit à rire et dit : À la vérité c’est moi qui en ai eu l’idée ; mais je me suis fait aider par Tchhang-tchi-thing, et d’autres encore sont venus nous fournir les moyens de la mettre à exécution. Pourquoi le mérite en retomberait-il sur moi seul. Quelques jours après pourtant le gouverneur de Nan-king l’examina et lui donna de gros appointemens. Tchhang eut aussi de l’avancement.

Un certain Fan, du pays de Tchin-kiang-kiun, avait sa femme attaquée d’une maladie de langueur, et presque à l’article de la mort. Un Tao-sse lui avait conseillé un remède : il fallait prendre une centaine de moineaux, les nourrir pendant trois ou sept jours avec du riz préparé, leur ôter ensuite la cervelle et l’avaler. Fan alla bien vite acheter les oiseaux et les nourrit comme on l’avait prescrit pendant quelques jours. Mais l’ordre d’un de ses supérieurs l’obligea de s’absenter. Pendant qu’il était hors de chez lui, sa femme regarda les oiseaux et dit en soupirant : Faut-il que pour moi seule on ôte la vie à cent êtres vivans ! Non, j’aime mieux mourir que d’être la cause du mal qu’on veut leur faire. En disant ces mots, elle ouvrit la cage, et les fit tous envoler. Quand Fan revint et qu’il eut appris ce que sa femme avait fait, il se mit en colère et lui fit beaucoup de reproches ; mais elle n’eut pas lieu de se repentir de sa bonne action ; car peu de temps après elle recouvra tout-à-fait la santé ; elle eut même un fils, et celui-ci vint au monde avec les deux mains marquetées de taches noires, comme le plumage d’un moineau.

Sous la dynastie des Han, Yang-phao avait sauvé la vie à un oiseau jaune, qui pour récompense lui apporta dans son bec une pierre précieuse d’une beauté parfaite. Bien plus, un de ses descendans à la 4e. génération devint 3e. Koung, c’est-à-dire prince de l’empire. Sous les Soung, un nommé Kiao attachait ensemble de petits roseaux pour aider les fourmis à passer un ruisseau : il obtint le grade de premier docteur de l’empire, grade qui est conféré par l’empereur lui-même à celui qui a obtenu le premier rang dans le grand examen. Sous les Youan, un habitant de Thaï-hou, nommé Tchhin-wen-phao était toujours occupé de bonnes œuvres, et particulièrement de délivrer les animaux. Il dut à cette habitude son salut dans une maladie contagieuse qui ravagea son pays.

On peut voir par-là, continue le commentateur, que le cœur bon et compâtissant qui aime les êtres vivans, est toujours récompensé. Sou-tseu a dit : Laissez toujours quelques alimens pour la nourriture des rats ; n’allumez pas de lampe, par pitié pour les papillons. On lit dans les livres sacrés de Fo, que celui qui ne tue point les êtres vivans, obtient en récompense une longue vie. On y lit encore : L’homme qui a chez lui des enfans qui prennent des mouches, des papillons ou des oiseaux pour s’amuser, doit leur défendre ces amusemens, qui non-seulement blessent des êtres vivans, mais allument dans leur cœur le goût du meurtre, et font que, devenus grands, ils méconnaissent les devoirs de l’humanité et de la justice. Il est dit aussi : en se promenant, en marchant, on doit toujours faire attention aux animaux de toute espèce qui se trouvent à terre, afin d’éviter de leur faire mal, et de tâcher de leur conserver la vie. On y lit encore : Autour de la flamme d’une chandelle, il y a de petits animaux déliés et imperceptibles qui lèchent la lumière et s’en nourrissent. Si un homme vient à souffler dessus, ils suivent le mouvement de l’air et sont tués par la flamme. C’est pour cette raison que ceux qui se consacrent à l’observation des préceptes de Fo s’abstiennent avec soin de souffler une chandelle allumée. Enfin il y a dans l’eau, suivant les mêmes livres, de petits animaux que l’œil de l’homme ne peut apercevoir. Il est nécessaire de la filtrer, pour pouvoir la boire. Ainsi tous les saints, dans tous les pays et dans toutes les sectes, ont eu la même attention pour la vie des plus petits insectes ; à plus forte raison pour les grands animaux qui volent ou qui marchent. »

Voilà l’article entier du commentaire sur ce sujet capital de la morale des Tao-sse. Je me suis laissé entraîner à le traduire jusqu’au bout, tant pour montrer la méthode du commentateur, que pour faire voir jusqu’où poussent la sollicitude pour les animaux, des sectaires qui, dans le livre qu’on vient de lire, n’ont pas une seule fois parlé d’aumône envers les hommes.

(9) Sian est, suivant la composition du caractère, un ermite qui vit dans les montagnes. La mythologie des Tao-sse donne à ces ermites l’immortalité. Il y en a de deux espèces : ceux du ciel, qui peuvent monter au ciel et voler dans les airs, et ceux de la terre, qui peuvent retarder les années, mettre un frein au temps, et jouir d’une vie éternelle. Ce sont les expressions du commentateur.

« Il est dit dans le Tao-king que si un homme a une seule vertu, cent esprits seront occupés à l’amplifier. S’il en a dix, celui qui préside à la vie lui tiendra en réserve des espaces de cent jours ; s’il en a cent, la fleur d’orient (le soleil) transportera son nom et sa gloire dans les contrées lointaines ; s’il en a mille, son bonheur ira jusqu’à la septième génération ; s’il en a dix mille, il peut tout ; il s’élève en l’air en plein jour. »

(10) Le peuple du Ciel : au sujet de cette expression d’une touchante simplicité, je transcrirai un passage du livre de Mencius où elle se trouve expliquée : « Le Roi de Thsi désira quelques instructions sur le véritable art de régner. Autrefois, répondit le philosophe, du temps que Wen-wang régnait dans la ville de Ki, on n’exigeait des laboureurs qu’un neuvième des produits de la terre ; les magistratures étaient héréditaires ; on examinait les marchandises aux douanes et dans les marchés, mais on n’y exigeait pas de droits. Les lacs poissonneux et les ponts étaient accessibles à tout le monde. On n’enveloppait pas la postérité des coupables dans leur punition. — Ceux qui sont vieux et sans épouse s’appellent Kioung ; les femmes âgées qui n’ont point de maris se nomment Koua ; ceux qui sont vieux sans enfans se nomment To ; ceux qui sont jeunes et privés de leurs pères se nomment Kou. Ces quatre sortes de malheureux sont le pauvre peuple de l’empire. Ils n’ont personne à qui ils puissent adresser leurs plaintes. Aussi Wen-wang, qui répandait sur tout le monde les bienfaits d’un gouvernement pieux, mettait au premier rang les quatre sortes de malheureux. Une ode dit : Oui, vous pouvez exiger des tributs, mais des riches seulement ; soyez rempli de compassion pour ces êtres souffrans et délaissés. Le Roi de Thsi s’écria : Ô la belle parole ! Mencius reprit aussitôt : Si votre Majesté la trouve si belle, pourquoi ne la met-elle pas en pratique ? » Meng-tseu, Liang-hoeï-wang, seconde partie ; Tchang, cinquième.

(11) Les arts magiques ou occultes sont la médecine, l’art de tirer les sorts, l’astrologie et la physiognomonie. On distingue aussi ceux qui cultivent les sciences en neuf classes, qu’on appelle les neuf Lieou. En voici les noms :

1. Jou kia lieou, les Lettrés.

2. Tao-kia lieou, les Tao-sse.

3. Yen-yang kia lieou, les sectateurs des deux principes.

4. Fa kia lieou, les gens de loi.

5. Me kia lieou, les philanthropes.

6. Tsoung-houng-kia lieou, ceux qui se conduisent à tort et à travers, ou per fas et nefas.

7. Tsa-kia lieou, ceux qui ont des occupations mélangées.

8. Noung kia-lieou, les laboureurs.

9. Siao choue kia lieou, ceux qui font des compositions peu relevées.

Le Khang-hi Tseu-tian, le Tching-tseu thoung, et les autres ouvrages que j’ai sous la main ne donnent pas d’autres éclaircissemens sur les neuf lieou, pour lesquels il faut voir le Wen hian thoung khao, k. 209 et suivans, jusqu’au deux cent vingt-neuvième.

Les sectateurs de la raison et de la vertu sont les Tao-sse. Ils se donnent ce beau titre, parce qu’ils reconnaissent, pour premier principe de toutes choses, un être indéfinissable qu’ils appellent Tao, Raison. Le livre le plus respecté dans leur secte est le Tao te king, ou le livre de la raison et de la vertu, ouvrage composé par Lao tseu.

(12) « Si l’on bouche ces trous qui sont dans la terre et où les fourmis vivent en société, ou ceux qui sont dans les maisons et où logent différentes sortes d’insectes, n’est-ce pas, dit le commentaire, comme si l’on tuait les insectes eux-mêmes ? Et si l’on détruit les nids que les oiseaux ont construits sur les arbres ou sur les toits, où veut-on que ces pauvres animaux aillent goûter le repos et pondre leurs œufs ? (Kiao tha ho tchhou ’an chin seng iou ; mot à mot, doce eos quonam loco reponant corpus ovaque pariant). Tout cela est la marque d’un cœur sans pitié et dépourvu d’amour pour les êtres vivans. »

Il y avait autrefois un mendiant[8] qui prédit à un Cha-mi qu’il mourrait dans sept jours ; il lui ordonna en conséquence de s’en retourner chez lui. Celui-ci vit en route une fourmillière qu’un courant d’eau était prêt d’inonder ; en toute hâte il se dépouilla de ses habits, et les mit à terre pour arrêter l’eau. Il réussit à l’empêcher d’entrer dans la fourmillière, et sauva par-là la vie à cent mille fourmis ; huit jours après il vint revoir le mendiant. Celui-ci, effrayé et interdit de voir sa prédiction en défaut, lui demanda ce qu’il avait pu faire ; le Cha-mi lui raconta comment il avait empêché un filet d’eau d’inonder une fourmillière. Alors le mendiant lui annonça que la durée de sa vie avait été prolongée par cette bonne action. — C’en est une aussi, et c’est la marque d’un bon cœur que de conserver les nids d’hirondelles qui sont dans une maison. »

Un homme avait eu toute sa vie la plus grande aversion pour les mouches ; chaque fois qu’il en voyait une sortir d’un trou, si le trou était élevé, il prenait vite une échelle pour aller le boucher. Il lui naquit deux fils, mais tous deux manquaient de celle des ouvertures naturelles que les Chinois appellent la Voie du riz[9]. On voulut y remédier avec un stylet rougi au feu ; mais les deux enfans moururent. Voilà, ajoute très-naïvement le commentateur, la récompense d’avoir bouché les trous des mouches.

Un petit garçon de Sou-tcheou n’avait d’autre plaisir que de monter sur les arbres pour dénicher des petits oiseaux. Un jour il fut prévenu par un grand serpent qui était entré dans le nid et avait dévoré les petits ; en l’apercevant, l’enfant, saisi de terreur, resta la bouche béante. Le serpent y entra : le petit garçon tomba du haut de l’arbre et se tua. Voilà, dit encore notre auteur, une récompense digne des dénicheurs d’oiseaux.

(13) Kou-jou, la chair et les os : cette expression désigne les parens qui doivent être le plus attachés les uns aux autres, le père et le fils, le frère aîné et le cadet, le mari et la femme. L’histoire rapportée dans le commentaire est en quelque sorte le canevas d’un petit roman, auquel il ne manque que des développemens et un style un peu moins simple pour être assez intéressant ; mais on sait que les Chinois recherchent peu les ornemens dans leurs romans, et qu’ils ne s’attachent pas même à laisser le lecteur dans l’attente du dénouement, qui est presque toujours indiqué d’avance.

« Un habitant de la province de Chen-si, nommé Youan-koung, avait vu sa famille dispersée par des brigands qui avaient ravagé le pays ; son fils lui avait été enlevé ; lui-même était allé se réfugier dans la province de Nan-king. Quelque temps après son arrivée, il lui prit désir d’épouser une femme du second ordre, afin d’avoir un fils. Comme il était occupé d’en chercher une, il y avait un homme qui vendait sa femme ; Koung l’acheta pour trente onces d’argent. Arrivée chez son nouveau maître, cette femme tournait le dos à la lampe pour cacher sa douleur, et versait des larmes amères ; Koung lui en demanda la raison : Hélas ! dit-elle, la plus affreuse pauvreté et une extrême disette désolaient notre maison, et nous l’ont rendue insupportable ; à la fin, mon mari a résolu de me vendre pour pouvoir vivre ; mais je ne puis oublier les bontés qu’il a eues pour moi, et toute la journée je pense aux bienfaits dont il m’a comblée ; un jour, peut-être, ma douleur se calmera, et je pourrai m’habituer à servir un autre homme ; mais permettez-moi de me livrer à mon chagrin. Koung en eut compassion et ne voulut pas être cause de son malheur ; dès le lendemain matin il la reconduisit à son mari, et non-seulement il ne voulut pas reprendre le prix qu’il avait payé, mais il leur fit encore présent de cent taels pour les aider à vivre. Le mari et la femme se jetèrent à ses pieds en versant des larmes de reconnaissance ; et en acceptant ses dons, ils résolurent de lui chercher une jeune fille qui pût lui rendre le fils qu’il avait perdu. En passant par Yang-tcheou ils virent plusieurs hommes qui menaient un jeune garçon pour le vendre ; en le voyant, le mari dit en lui-même : nous n’avons pas encore trouvé de jeune fille comme nous en cherchons une, pourquoi n’achèterions-nous pas ce jeune homme pour en faire présent à notre bienfaiteur ? Il s’informa donc du prix qu’on en voulait avoir : on lui répondit qu’on le vendrait à un tael par chaque année de son âge ; il avait douze ans, cela fit douze taels que le mari paya ; ensuite ils allèrent conduire le jeune homme à Youan-koung. Celui-ci le regarda attentivement et reconnut son fils ; le père et le fils s’embrassèrent tendrement en pleurant, et leurs larmes furent bientôt suivies des transports de joie les plus vifs. Telle fut la récompense qu’il reçut pour n’avoir pas voulu désunir la chair et les os.

(14) Couper ou déchirer des étoffes sans nécessité est une mauvaise action à la Chine. « Un morceau de soie d’un pouce demande la vie entière de mille vers à soie ; il en faut mille avec dix mille brins pour faire un morceau d’étoffe. » Telle est la raison que donnent les anciens pour engager les hommes à ne pas perdre les tissus de soie.

(15) Il y a dans le chinois se mei ; mot à mot, belles voluptés. « Si un homme aperçoit une femme, dit le commentateur, il s’élève dans son cœur une pensée ; cette pensée une fois produite engendre des desseins déshonnêtes qui jettent l’homme dans le chemin de la méchanceté ; ses devoirs sont pervertis, il déshonore ses aïeux, il interrompt les lois de la morale céleste ; il blesse les mœurs et brave les usages ; enfin, il n’est rien dont il ne devienne capable. C’est pourquoi les lois de l’empire sont de la plus grande sévérité sur ces matières, car elles ont pour principe que l’adultère est la source de tous les maux. Il est dit aussi : Celui qui corrompt la femme d’un autre voit en récompense sa postérité détruite ; celui qui corrompt la fille d’un autre voit en récompense ses fils et ses petits-fils livrés à la débauche et à la corruption : il meurt, et sa maison est exterminée. »

Un certain Li-teng était à 18 ans second bachelier de sa province ; on croyait qu’il ne lui serait pas difficile d’obtenir le grade de premier docteur[10]. Dix ans après pourtant il n’avait pu prendre aucun degré ; il alla consulter un devin et lui demanda ce qui lui arriverait jusqu’à sa mort. Le devin était un homme du premier mérite ; il se rendit à la cour céleste, et comme les portes n’étaient pas encore ouvertes, il s’arrêta auprès des juges incorruptibles qui se tenaient en dehors, et il leur parla de l’affaire de Li-teng, et leur demanda ce qu’ils en pensaient. L’un des magistrats lui répondit : Le souverain seigneur avait marqué la naissance de Li-teng avec le sceau de pierre de iu. À l’âge de 18 ans il devait être second bachelier ; à 19, second docteur ; à 53 ans il aurait été ministre de la droite. Mais par malheur, dans le temps qu’il était second bachelier, il aperçut à la dérobée une fille de la maison voisine de la sienne : il lui prit un violent désir de la posséder ; n’ayant pu s’arranger avec son père, il le fit jeter dans une prison. Par suite de cette action, il fut abaissé de deux points, et son nom se trouva n’être plus que le 29e. Il continua comme il avait commencé, et s’empara injustement de la maison de son frère aîné ; il fut alors abaissé de trois points, et son nom fut le 38e. Se trouvant à Tchang-’an (Si-’an-fou), au milieu de la foule, il aperçut une belle femme, et il réussit à la séduire ; puis craignant que le mari de cette femme ne vînt à l’apprendre, il sut le faire tomber dans un piège et succomber sous une fausse accusation. En conséquence, il s’est vu privé de ses revenus et de son emploi. À présent même il vient d’enlever une demoiselle de qualité. Infatigable à faire le mal, il consume la vie qui lui avait été assignée ; comment peut-il espérer de monter en grade ? Le devin revint et rendit compte de tout ce qui lui avait été dit à Teng ; celui-ci fut couvert de confusion ; il versa des larmes de repentir, et la douleur le consumant, il mourut. »

« Il y avait à Nan-king un jeune étudiant qui subissait ses examens, et dont la figure était agréable et distinguée. Dans la maison qui faisait face à la sienne, habitait momentanément un magistrat en tournée avec sa fille ; il la vit et s’abandonna à la passion qu’elle lui inspira. Son examen fini, il reçut par une esclave une invitation de venir visiter la jeune dame. Mais faisant réflexion au risque qu’il allait courir, il craignit de se laisser entraîner à quelque mauvaise action, et résolut de ne pas aller au rendez-vous. Un autre étudiant qui demeurait avec lui eut par hasard connaissance de tout. Il eut la fantaisie d’aller remplir les engagemens de son compagnon. L’obscurité de la nuit empêcha l’esclave confidente de s’apercevoir du changement de personne. Elle le fit entrer auprès de sa maîtresse ; mais comme ils reposaient ensemble, le père de la demoiselle revint et entra tout à coup dans la chambre de sa fille. Il aperçut le jeune homme, et entrant en fureur, il les tua tous les deux. Le lendemain, quand on proclama les noms des candidats admis, le second étudiant ne parut pas ; l’autre, qui avait obtenu un degré assez élevé, dit à ce sujet à ses amis : Si j’étais allé à ce fatal rendez-vous, au lieu d’être porté sur la liste des licenciés, je serais en ce moment couché sur la liste des esprits impurs. » C’est que, dans la doctrine des Tao-sse, les âmes des méchans sont, après leur mort, condamnées à remplir les fonctions de mauvais génies ; ils sont même classés, distribués en différens ordres, chacun suivant le genre de ses attributions, et l’on en tient des listes fort exactes[11].

Malgré la sévérité des lois et les perpétuelles déclamations des moralistes et des sectaires, la corruption des mœurs est aussi grande à la Chine qu’en toute autre contrée. À la vérité, la plupart des écrivains poussent la modestie des expressions jusqu’à l’affectation la plus ridicule. Mais il y a aussi un bon nombre d’ouvrages où règne le cynisme le plus révoltant. Nous avons ici un recueil de contes qui peut être mis, sous ce rapport, à côté de Pétrone et de Martial. Je dois convenir pourtant que le lien conjugal n’y est presque jamais un objet de sarcasmes et de dérision. On pourrait en tirer une conséquence favorable aux mœurs nationales, s’il en était de même dans le Kin-p’hing meï, roman célèbre, qu’on dit au-dessus, ou pour mieux dire au-dessous de tout ce que Rome corrompue et l’Europe moderne ont produit de plus licencieux. Je ne connais que de réputation cet ouvrage, qui, quoique flétri par les cours souveraines de Péking[12], n’a pas laissé de trouver un traducteur dans la personne d’un des frères du célèbre empereur Ching-tsou, et dont la version que ce prince en a faite en mandchou passe pour un chef-d’œuvre d’élégance et de correction.

(16) J’ai recouru avec empressement au commentaire pour cet article, qui me semblait supposer quelques connaissances en chimie et en physiologie végétale. Mais je n’y ai trouvé que ce qui suit : « Le méchant éprouve un sentiment d’envie, et cherche à détruire les arbres qui ne sont pas à lui. Il emploie une eau empoisonnée pour les dessécher et les faire mourir. Un ancien a dit : Les arbres ont une vie très-longue, et ils servent de demeure à un grand nombre d’esprits. En les coupant, on cause beaucoup de malheurs ; à plus forte raison si on les fait mourir en les empoisonnant. On blesse le nœud de communication entre le ciel et la terre ; on ruine la propriété d’un homme paisible. Comment tout cela ne serait-il pas un péché ? Wang-chang-tsin, habitant de Wen-thsiouan, avait derrière sa maison un arbre très-élevé qui avait déjà vécu plus de mille ans. Comme il n’en tirait aucun profit, il résolut de l’abattre ; mais il n’en put venir à bout, parce qu’il y avait un charme sur l’arbre. Il fit venir un magicien pour rompre le charme, et pendant la nuit il enfonça dans l’arbre des clous empoisonnés. L’arbre mourut en effet ; mais Wang-chang-tsin ne lui survécut guère. »

(17) Il ne s’agit pas ici du déréglement des mœurs, mais de l’abus des plaisirs légitimes. « Quoiqu’il y ait, dit le commentaire, une loi commune au mari et à la femme, cette loi elle-même est restreinte par certaines règles. Suivant le livre de Nieï seng phian, il faut s’abstenir, dans la lune qui répond au 1er. et au 7e. caractère du cycle de 12 ; dans le demi-mois appelé grand chaud, et dans celui qu’on nomme petit froid ; quand le soleil ou la lune sont couverts de nuages ou éclipsés ; dans les temps de grands vents, de grands brouillards, de grands tonnerres, de pluies excessives ; le jour de sa naissance, le jour Keng-chin, ou 53e. du cycle, le jour Kia-tseu ou 1er. du cycle, le jour Ping-ting[13], le 1er. jour de chaque saison, aux deux équinoxes, aux deux solstices, le jour de la conjonction, celui de la pleine lune, au premier et au dernier quartier, le 15e. et le 28e. jour de chaque mois, le 3, le 14 et le 16 de la première lune, le 2d. de la 2de. lune, le 9e. de la 3e. lune, le 4 et le 8 de la 4e. lune ; le 5, le 15 et le 25 de la 5e. ; le 7 de la 6e., qu’on nomme le jour des neuf poisons ; le 10 de la 10e. lune, le 25 de la 11e. lune ; enfin, le 7 et le 20 de la 12e. lune. Voilà les jours la règle prescrit de s’abstenir. Celui qui n’observe point cette abstinence ne sait ce que c’est que l’art de se conserver : il appelle sur lui une mort prématurée. »

(18) Mot à mot : Doctrine gauche. « Ce sont celles qui ne rentrent pas dans les trois vraies religions, et dans les neuf sectes[14]. » Il est sans doute curieux et presque sans exemple de voir des sectaires stipuler pour leurs rivaux, et avancer en principe que trois religions qui n’ont presque aucun point de contact et dont les dogmes diffèrent autant que les cérémonies, sont vraies toutes trois, et qu’on peut suivre indifféremment l’une ou l’autre. C’est que, suivant les Chinois, toutes les religions ont le même but, et tous les cultes le même objet. San kiao i kiao, les trois religions n’en font qu’une, dit un de leurs proverbes. Mais une chose qui contraste avec cette indifférence, c’est l’esprit de haine et d’intolérance avec lequel ils accueillent les prédicateurs de lois qui sont nouvelles pour eux. On en jugera par la suite de l’article où le commentateur explique ce qu’on doit entendre par les fausses lois.

« Tchang-kio, sous la dynastie des Han[15], et Lieou-fou-thoung, sur la fin de celle des Youan[16], se livrèrent à la magie et rassemblèrent de grandes troupes de sectateurs qui causèrent des troubles violens. Ils furent détruits par la suite ; mais dans des temps plus rapprochés de nous, nous avons vu la secte des Samanéens, qui veut anéantir toutes les actions humaines[17] ; celle de l’auguste ciel, Hoang-thian ; celle du nénuphar blanc[18] ; celle du seigneur du ciel (le christianisme), et plusieurs autres. Pour attirer des prosélites à ces sectes, on fait croire aux gens de distinction qu’ils deviendront Dieux ou génies tutélaires ; les autres obtiendront par la suite des magistratures ou des emplois. On abuse ainsi de la crédulité des hommes, on séduit des personnes des deux sexes, on en forme des rassemblemens, d’où résultent les plus grands désordres. On leur prend leurs biens, on commet des adultères, des vols ; on renverse de fond en comble toutes les lois de la morale, et il en résulte de terribles calamités. Aussi du temps des anciens rois, si un homme avait une doctrine gauche, on le faisait mourir (tchu). Plus récemment, on a fait défense aux magiciens de se servir de leurs pratiques mystérieuses et d’employer des paroles secrètes. Dans les montagnes qui sont auprès de Thsing tchhing, ville de la province du Sse-tchhouan, vivait un Tao-sse qui opérait des miracles magiques. Il attirait à lui des jeunes gens de familles riches ; on se rassemblait dans un monastère qu’il avait, loin de toute habitation. Là on brûlait des parfums. Lui seul se tenait assis sous un dais et ordonnait les cérémonies. On conjurait une nymphe des montagnes de venir avec ses compagnes, immortelles comme elle. Elles se rendaient à l’invitation ; on buvait, on mangeait, on se couchait et on dormait comme de simples mortels[19]. Le Tao-sse osa même venir dans la ville, et par un prestige qui trompa beaucoup de monde, y faire paraître une ville d’or. La populace était dans le plus grand enthousiasme. Le roi de Chou ayant appris tous ces désordres, ordonna d’arrêter le Tao-sse. Pendant un mois, on ne put le trouver, parce qu’usant d’un nouveau sortilège, il avait arrosé la terre autour de lui avec du sang de chien ; mais toutes ses ressources ne purent le sauver ; il fut enfin saisi et coupé en morceaux. L’ordonnance qui parut à ce sujet était conçue en ces termes : Être pieux envers ses parens, bon frère, droit et fidèle, pur dans ses actions, observateur scrupuleux des lois et attentif à toutes ses pensées, voilà ce qui constitue une bonne doctrine. Toutes les fois qu’on s’applique à la magie, on ne cherche qu’à séduire les hommes. Hélas ! celui qui par de fausses doctrines trompe la multitude, n’est-il pas digne de dix mille morts ? Les malheureux abusés laissent sortir de leurs maisons leurs femmes et leurs filles ; elles vont dans les temples brûler des parfums ; elles suivent les avis d’un docteur pervers, qui cherche à les faire tomber dans la débauche, et elles finissent par s’abandonner à d’horribles désordres. Un chef de famille qui permet de semblables attentats croit-il être exempt de reproches ? »

(19) On cite ici les belles paroles de Lao-tseu : Il n’y a pas de plus grand péché que les désirs désordonnés ; il n’y a pas de plus grand malheur que de n’être jamais satisfait :

Tsouï mou ta iu to yo ;
Kouo mou ta iu pou tchi tsou.

(20) Les supérieurs qu’on entend ici sont : le prince, par rapport aux sujets ; le père, par rapport au fils ; le général, par rapport au soldat ; le magistrat, par rapport au peuple ; et enfin le maître, par rapport aux domestiques.

(21) « L’eau et le feu servent à la nourriture des êtres vivans. Il y a des esprits qui président aux puits et au foyer. Si vous les franchissez en sautant, non-seulement vous insultez et vous souillez la demeure des esprits, mais vous marquez un mépris coupable pour ce qui fait la base de la vie de l’homme. Comment ne serait-ce pas un péché ? »

C’est par des motifs analogues qu’il est défendu d’allumer des parfums au feu du foyer, et de souiller le bois qui doit servir à préparer des alimens. Quant au premier point, on en donne une raison fort ridicule : c’est que la flamme et les cendres du foyer étant vulgairement appelées Fou loung souï (absconditi draconis urina), il serait très-choquant d’y allumer des parfums qu’on veut brûler en l’honneur des autres Esprits. Pour le second, on fait observer que le bois souillé peut, en brûlant, exhaler des vapeurs qui iront se fixer sur les alimens qu’on prépare ; ce qui, outre le danger qui peut en résulter pour les personnes qui s’en nourriront, a encore l’inconvénient d’irriter l’Esprit du foyer.

(22) La, le dernier jour de l’an, est aussi le nom d’un sacrifice que les Lettrés font après le solstice d’hiver ; mais chez les Tao-sse, les cinq la sont cinq sacrifices qui leur sont particuliers : le premier est celui du Ciel, il se fait le premier jour de la première lune ; le second est celui de la terre, le cinq de la cinquième lune ; le troisième est celui de la raison et de la vertu, le sept de la septième lune ; le quatrième est celui de l’année, le premier de la dixième lune ; et le dernier celui des rois et des princes, le huit de la douzième lune. Ces jours-là, tous les Esprits sont au Ciel. C’est ce que dit le commentaire.

Le Tseu tian nomme le quatrième la, sacrifice du peuple et de l’année, et le fixe au douze de la dixième lune.

(23) Le mois commence par la nouvelle lune, et le jour par le matin. Il est indigne d’un homme raisonnable de commencer le mois ou la journée par des actes indécens, tels que sont ceux dont il s’agit en cet endroit.

(24) « Le côté du nord est celui où est le Boisseau du nord, prince des étoiles. Le pôle du nord est le gond du Ciel, où se réunissent les Intelligences des trois mondes et des dix parties. C’est-là ce qui le rend si respectable. »

On peut remarquer, dans ce passage, un exemple de ces emprunts que les Tao-sse ne cessent de faire aux autres sectes. Les trois mondes sont une conception des Bouddhistes, qui, dans leur métaphysique inextricable, distinguent le monde des désirs, le monde des formes, et le monde sans formes. Je vais, puisque l’occasion s’en présente, placer ici la définition que donnent leurs livres sacrés. Cet échantillon de la doctrine indienne formera un contraste assez marqué avec ce que nous avons vu jusqu’à présent chez les Tao-sse.

« San kiaï, les trois mondes, extrait du livre intitulé Hoa yan koung mou, c’est-à-dire, la pupille de l’œil de la fleur de majesté[20]. »

« Kiaï (monde), signifie proprement limite, séparation. Les trois mondes sont séparés et distingués les uns des autres ; ils n’ont aucune communication ; c’est pourquoi on les nomme Kiaï. »

« Le premier est le monde des désirs. Il y a quatre sortes de désirs : ceux des affections morales, ceux des objets extérieurs, celui des alimens, celui des plaisirs charnels. Dans l’échelle des mondes superposés[21], le monde ou l’empire des désirs s’étend, en bas jusqu’à l’enfer nommé A-pi, et en haut jusqu’au sixième étage terrestre, où est le Dieu qui convertit[22]. Les hommes et les femmes s’y multiplient par des désirs déshonnêtes ; c’est pour cette raison qu’on l’appelle le monde des désirs. »

« [Le mot sanskrit A-pi signifie sans intervalle. Le sixième degré, où s’opère la conversion en divinité, est le lieu où l’on éprouve une joie ineffable par le changement de sa nature.] »

« Le second est le monde des formes. Par forme, on entend la substance manifestée par la couleur. Dans ce monde, il n’entre rien de ces formes impures et souillées du monde des désirs, mais bien des formes pures et sans aucune tache. Il commence avec les Brahmas de la première extase, et finit à l’esprit A-kia-ni-tcha. Il renferme en tout dix-huit Esprits, parmi lesquels il ne se trouve aucun corps féminin, et par conséquent aucune souillure et aucun désir. Arrivé à ce monde par l’effet de la conversion, on conserve encore une substance corporelle ; et c’est pour cela qu’on l’appelle le monde des formes. »

« [Le mot sanskrit A-kia-ni-tcha[23] signifie borne qui s’oppose enfin à la substance corporelle[24]. Les dix-huit Esprits que contient ce monde sont : 1. Les Brahmas ; 2. les assesseurs des Brahmas ; 3. le grand Brahma ; 4. l’Esprit de la petite lumière ; 5. celui de la lumière sans bornes ; 6. l’Esprit à la voix lumineuse ; 7. l’Esprit de la petite pureté ; 8. celui de la pureté sans bornes ; 9. l’Esprit toute pureté ; 10. l’Esprit sans nuages ; 11. l’Esprit de la vie heureuse ; 12. l’Esprit vaste ; 13. l’Esprit sans pensée ; 14. l’Esprit sans tristesse ; 15. l’Esprit sans chaleur ; 16. l’Esprit bien voyant ; 17. l’Esprit bien manifesté ; 18. l’Esprit borne de toutes formes[25].] »

« Le troisième est le monde sans formes ; il n’y a là que des intelligences, et aucune substance corporelle. Il s’étend depuis l’espace vide, jusqu’au lieu où tout est pensée. Il y a en tout quatre Esprits, qui ne reçoivent que des idées et n’agissent que par l’intelligence. Ce sont quatre êtres intelligens, sans aucune apparence ou substance. C’est pourquoi le monde où ils habitent se nomme monde sans formes. »

« [Ces quatre Esprits sont : l’Esprit espace vide sans bornes ; l’Esprit intelligence sans bornes ; l’Esprit tout être, et l’Esprit tout pensée[26].] »

Voilà ce qu’on trouve sur les trois mondes dans la grande Somme de la théologie Bouddhique, intitulée San tsang fa sou[27]. Le lecteur peut croire qu’il n’eût tenu qu’à moi de rendre cet extrait moins inintelligible, si j’avais voulu risquer de substituer mes idées à celles de l’auteur, et l’interprétation au texte. Mais c’est une chose qu’on ne saurait faire avec sécurité que quand on a bien saisi l’ensemble d’une doctrine. C’est ce que j’espère pratiquer sur la philosophie bouddhique, quand j’aurai terminé la traduction de la Somme dont il s’agit. Il me paraîtrait téméraire de l’essayer auparavant, avec des rêveurs comme les Bouddhistes, qui, entassant abstractions sur abstractions, prennent pour point de départ dans leurs méditations l’incompréhensible et l’infini, et repaissent une imagination désordonnée, de chimères qui feraient le tourment de la nôtre.

(25) « Celui qui se lève la nuit et marche nu dans l’obscurité, rencontre les esprits qui vont et viennent, et c’est un grand péché de se montrer à eux dans cet état. Un homme se plaisait en été à rester nu au sortir du bain, et prenant une guitare, il chantait de toutes ses forces ; mais un jour, ayant par hasard levé la tête, il aperçut sur le rebord du toit de sa maison un nuage d’où sortait le dieu de la guerre ; il était accompagné de deux hommes qui tenaient un drapeau et une épée flamboyante. Le chanteur fut frappé de terreur ; il reprit ses habits et son bonnet en toute hâte, et se mit à brûler des parfums. Quand il fut resté quelque temps occupé à ce devoir, il cessa de voir les dieux qui l’avaient épouvanté. »

Une jeune fille de Pheng-tchhing, d’une famille distinguée, était affligée de vapeurs ; elle pleurait et soupirait sans motif ; elle se levait nue et courait comme une furieuse. Les médecins qu’on avait consultés n’avaient pu la guérir. On fit venir un magicien, qui pratiqua les cérémonies d’usage, et conjura un Esprit. Au moment où l’Esprit arrivait, la jeune fille commença à revenir à elle, et prononça ces paroles : Regardez en compassion votre humble servante ; elle a eu le malheur de se lever au milieu de la nuit et de marcher sans vêtemens ; un tel péché a sans doute été porté devant les respectables Esprits du ciel, et elle a mérité de mourir pour les avoir choqués par cette action, si vous n’avez pas la bonté de lui pardonner. En finissant ces mots, elle tomba par terre ; mais sa maladie fut complettement guérie. Les hommes du siècle voient par-là qu’il n’est point permis de pécher en disant : la nuit est noire, personne ne le saura. »

(26) Les huit époques principales de l’année, Pa tsieï, sont le commencement de chaque saison, les deux équinoxes et les deux solstices. À ces époques, les deux principes dont tout est formé renouvellent leur combinaison, et le sang de l’homme en reçoit une influence particulière. Voilà pourquoi il n’est pas permis alors de le verser sans une cause grave.

(27) Toutes ces actions sont également indécentes et irrévérentes. « Une étoile tombante est, ou une étoile qui change de demeure dans le ciel, et passe d’un degré dans un autre, ou une étoile prête à tomber sur la terre ; c’est quelquefois une calamité dont le souverain seigneur tient l’image suspendue pour effrayer et avertir les hommes. Il faut donc craindre, en les voyant, et rentrer dans le chemin de la vertu. L’arc-en-ciel est une émanation formée du superflu du Boisseau du nord (la grande Ourse). Les trois clartés sont le soleil, la lune et les étoiles, chargés par le Ciel d’éclairer l’univers. Le soleil et la lune sont l’image d’un roi et d’une reine qui versent la lumière sur les quatre mers. Autrefois, sous la dynastie des Tsin, il y eut une grande sécheresse ; un gouverneur nommé Thseng-koung fit, avec la plus grande dévotion, les prières usitées en pareil cas. Il vit en songe un esprit qui lui dit : Demain, un vieillard, portant sous son bras un parasol, entrera dans la ville par la porte occidentale ; pressez-le de faire les prières pour obtenir la pluie : l’effet répondra certainement à sa demande ; tout son pouvoir ne réside que dans son parasol. Le jour suivant, le gouverneur envoya au lieu indiqué des hommes pour attendre le vieillard ; celui-ci ne manqua pas d’arriver : Thseng-koung le reçut avec la plus grande distinction, et le supplia avec instance de se charger des prières qu’il fallait faire. Le vieillard interdit et troublé se refusa d’abord à ces politesses ; mais Thseng-koung lui ayant fait part du songe qu’il avait eu, le vieillard ne put résister davantage. Il se rendit en diligence au lieu où se font les sacrifices ; il y brûla des parfums et adressa des prières au ciel ; puis il annonça que pendant trois jours entiers il ne pleuvrait pas ; mais qu’ensuite il faudrait allumer un grand feu et y entasser des broussailles. En effet, au bout de trois jours le ciel se couvrit tout à coup, et il tomba une pluie si abondante, que la rivière crût de la profondeur d’une coudée. Le gouverneur alla lui faire ses remercîmens : il lui demanda ensuite quelle vertu miraculeuse se trouvait dans son parasol ; le vieillard lui répondit : Je ne suis qu’un homme sans aucune connaissance, et de la dernière classe du peuple, et j’ai déjà vécu quatre-vingt ans ; mais toute ma vie j’ai eu une vénération particulière pour les trois clartés du ciel et de la terre. C’est par un motif d’honnêteté que je porte toujours un parasol ; je m’en couvre pour ne jamais offenser ou souiller les trois clartés[28]. »

(28) Les tortues et les serpens sont sous l’influence directe du pôle septentrional et du dieu de la guerre, et on ne les tue pas impunément. Il arriva à Yo-tcheou qu’un homme du peuple ayant desséché un étang, y prit une grande quantité de poissons et beaucoup de tortues ; il sépara la chair de ces dernières et alla porter les écailles à Kiang-ling, pour les vendre, ce qui lui rapporta beaucoup d’argent. Mais il se trouva peu de temps après frappé d’un ulcère qui lui dévora tout le corps, en lui causant des douleurs intolérables ; on le plongea dans un bain tiède, mais il y prit insensiblement la forme d’une tortue, et en moins d’un an sa chair tomba en pourriture, et il mourut.

Au temps des cinq dynasties, il y avait à Loung-chan plusieurs esclaves qui faisaient des terrasses autour d’une plantation d’arbres à thé ; ils aperçurent un serpent blanc, grand comme une poutre. Ils prirent tous leurs bèches et se réunirent pour le tuer : un seul d’entr’eux, nommé Iu, fit ce qu’il put pour les en empêcher. Le lendemain matin on vit descendre de la montagne voisine une jeune fille vêtue d’une robe blanche et portant une corbeille de champignons ; les esclaves coururent aussitôt pour les lui arracher : le seul Iu n’y alla pas. Quand ses compagnons revinrent, ils firent cuire les champignons ; mais Iu éprouva tout à coup un violent mal de tête, et alla se coucher. Il vit en songe la jeune fille qui lui dit : Les champignons qu’on m’a pris sont vénéneux ; comme vous n’avez point participé au mal que m’ont fait vos compagnons, je vous avertis de n’en pas manger. Iu se réveilla en sursaut et tout effrayé. Tous ceux qui avaient mangé des champignons furent, au bout de dix jours, attaqués d’un vomissement de sang et en moururent ; le seul Iu échappa à cette maladie. Ainsi, quoiqu’on soit en général obligé à la même humanité envers tous les êtres vivans, on doit encore plus de ménagemens aux tortues et aux serpens, qu’il ne faut jamais faire mourir.

(29) À la fin des deux éditions que j’ai sous les yeux, on trouve quelques réflexions des éditeurs, ajoutées comme un résumé de la doctrine qu’il contient. Je vais les transcrire ici :

« Il y a dix choses à faire pour amasser des vertus ; 1.o être bon vis-à-vis d’autrui ; 2.o tenir son cœur dans l’amour et le respect ; 3.o ajouter aux bonnes qualités des autres ; 4.o les exciter à la vertu ; 5.o les délivrer de leurs dangers et les assister dans leurs nécessités ; 6.o faire aux autres de grands avantages[29] ; 7.o abandonner ses richesses pour faire des heureux ; 8.o garder et observer les lois ; 9.o honorer ses anciens et ses supérieurs ; 10.o avoir compassion de tous les êtres vivans. »

« Il faut trois pensées pour se corriger de ses vices : une pensée de honte, une pensée de crainte, et une pensée de courage. »

« L’éloge du premier principe, considéré comme un homme véritable, dit : Le livre des Récompenses et des Peines est une instruction suspendue[30], un enseignement toujours prêt. Si on le lit de cœur et de bouche, il éteint les péchés et enlève les souillures ; si on le pratique sans relâche, le bonheur viendra sans interruption ; si on s’y attache avec force, on jouira de richesses et d’honneurs éternels, on sera partout loué et célébré ; on aura une gloire infinie, et une vie éternelle. »

On lit à la dernière ligne cette date :

La 4e. année Khian-loung, dans la lune du milieu de l’été.

Gravé respectueusement par le frère Tchin-wang-tou, de Kao-yang, dans la province de Tchhe-kiang.


Je ne terminerai pas ces notes sans revenir encore sur l’auteur auquel on doit le Livre des Récompenses et des Peines. On a vu, dans une des préfaces rapportées plus haut, qu’un certain Wang-siang, de la ville de ’O-meï-hian, avait conçu le projet de cet ouvrage, et avait été rendu à la vie pour le mettre à exécution. En écartant le merveilleux de ce récit, rien ne s’opposerait à ce qu’on regardât Wang-siang comme auteur de l’opuscule en question. Mais ce n’est pas là l’avis des éditeurs auxquels on doit le commentaire en six volumes, dont j’ai parlé dans l’avertissement. Ils remarquent qu’un ouvrage de ce genre n’appartient réellement à personne ; que c’est un extrait ou un recueil des meilleures pensées morales qui se trouvent dans les annales, comme le Lun-iu est un extrait des King, ou livres classiques. En conséquence ils ne nomment point l’auteur, et se contentent de mettre sur chaque frontispice les mots chouï yun tchou tseu, yan, ouvrage composé par différens philosophes anonymes[31]. Ils placent ensuite au premier rang parmi les commentateurs et rédacteurs le docteur Ling-pi-tseu, de cette même ville de ’O-meï-hian, où d’autres racontent que Wang-siang vécut et ressuscita, et Ho-khoung-tseu, de la ville de Sse-ming. Ils mettent immédiatement après l’anonyme de Wa-yun, auteur du commentaire en vers. Viennent enfin les noms de quatre personnages moins célèbres qui ont donné des soins à la présente édition, le premier en rassemblant les différentes parties des trois commentaires, le second en les rédigeant et leur donnant la forme qu’ils devaient avoir, le troisième en revoyant l’ouvrage, et le quatrième en gravant respectueusement les planches qui ont servi à l’imprimer.

Outre Ling-pi et Ho-khoung, qui sont les deux auteurs le plus fréquemment cités dans le commentaire, on y invoque souvent aussi l’autorité de Lou-men, de Iu-khi, de Tsiao-chan, de Tseu-khieou, de Thian-souï, de Fan-tchhouan, et de quelques autres écrivains, tous honorés du titre de Tseu (philosophe), et qui paraissent être classiques parmi des Tao-sse.



FIN DES NOTES.
  1. Voyez la note 13.
  2. Louï chou san thsaï thou hoeï, K. 1er., p. 12.
  3. Pe teou, Boisseau du nord ; Khoueï, formé du signe de génie, uni au caractère de boisseau ; cho, manche d’un boisseau. Tous ces mots offrent la même idée ; mais il est, je crois, impossible de retrouver la tradition des fables qui leur ont donné naissance.
  4. Livre cité p. 17 et suivantes. Les pronostics tirés des différens aspects de ces sept étoiles sont trop puérils et trop éloignés de notre sujet pour que je m’arrête à les énumérer.
  5. On peut lire le même caractère phang, et alors il signifie multitude, abondance, aller sans s’arrêter, chemin ; prononcé peng, il signifie le bruit de plusieurs chars. Il a encore dans le dictionnaire de Khang-hi quelques autres prononciations et acceptions, mais elles n’ont aucun rapport à l’objet qui nous occupe.
  6. Fan khin, iu, tchhoung, i, i-thsieï feï, tseou, toung, tchi-tchi louï, tou kiao tso we, souï tse si weï, tou chi i pan sing ming : than seng, pha sse. Pou kho jin sin cha haï, etc.
  7. C’est l’usage dans les narrations de rapporter d’abord le nom entier d’un personnage, et d’adopter dans la suite de l’histoire une partie de ce nom pour le désigner. On choisit ordinairement la première syllabe qui forme le nom de famille.
  8. Pi-khieou, mot sanskrit introduit en chinois par les Bouddhistes ; c’est le même mot que l’anglais Beggar. Ces personnages, qui mendient par un esprit d’humilité et de dévotion, sont très-honorés à la Chine et dans l’Inde.
  9. Kou-tao.
  10. Voyez la note 8.
  11. Voyez les Mémoires concernant les Chinois, t. XV, p. 233 et suivantes.
  12. Mémoires des missionnaires de Péking, t. VIII, p. 254.
  13. Ceci est sans doute une faute ; il n’y a pas, dans le cycle de 60, de jour ainsi nommé ; Ping et ting sont deux caractères du cycle dénaire. On pourrait entendre le 3e. et le 4e. jour de chaque décade.
  14. Voyez plus haut la note 11.
  15. Voyez Histoire générale de la Chine, T. III, p. 508.
  16. Voyez le même ouvrage, T. IX, p. 593.
  17. Il y a dans le texte Wou ’wei kiao, la secte sans action. Voici l’article du Tseu-tian qui prouve qu’il s’agit des Samanéens : « Cha-men veut dire qui agit avec attention. Suivant le livre en 42 chapitres, qui contient les paroles de Fo : Ceux qui renoncent à leurs proches, qui quittent leurs maisons pour aller demeurer dans des monastères, qui connaissent à fond la nature de la pensée, et qui expliquent la loi où il n’y a point d’action, se nomment Cha-men. Tseu-tian, au mot Cha.

    On voit que le Nirwana, ou l’extinction de la pensée, but ordinaire des méditations des Bouddhistes, est la même chose que notre auteur désigne par l’expression de Wou ’weï. Comme il a admis peu auparavant la doctrine des Bouddhistes au nombre des trois vraies religions, il entend sans doute parler ici d’une secte de cette religion, qui fait du Nirwana sa seule occupation.

  18. Autre secte célèbre des Bouddhistes ; elle est en horreur à la Chine, où on la considère plutôt comme une association secrète et politique que comme une religion. Ceux qui la suivent ne reconnaissent, dit-on, aucune autorité humaine, et se croient tous appelés au gouvernement de l’État. Les ennemis de la religion chrétienne ne manquaient jamais, pour la décrier plus sûrement, de l’assimiler à la secte du Nénuphar blanc, qui a causé beaucoup de révoltes dans différentes provinces. Il paraît que les troubles actuels, qui semblent menacer l’empire d’une grande révolution, ont été fomentés par ces sectaires. Voyez Hist. de l’Édit de l’Emp. de la Chine, p. 151. Hist. génér. de la Chine, t. XI, p. 378 et suivantes.
  19. Ien, chi, thsin, tchhou, iu seng jin wou i.

    L’expression chinoise a quelque chose de piquant. Wou i, sans aucune différence, signifie aussi que tout cela se passait sans qu’il y eût aucun miracle.

  20. C’est le nom qu’on donne à la grande collection des livres sacrés de Bouddhah. Une partie seulement de la fleur de majesté a été révélée ; le reste, au nombre de plusieurs millions de volumes, est encore dans le Ciel.
  21. On sait que presque tous les Hindous placent les uns au-dessous des autres plusieurs enfers, plusieurs terres, plusieurs cieux ou paradis. On peut voir à ce sujet Georgi, Alphabetum Tibetanum, p. 182, et passim. — Bergmann, Nomadische Streifereien unter den Kalmüken T. III. — Pallas, Sammlungen historischer Nachrichten über die Mongolischen Vœlkerschaften, T. II.
  22. Ce dieu s’appelle en Sanskrit Paranirmatavachavartita, ce qui, suivant la traduction Mandchou qu’en donne un vocabulaire polyglotte que j’ai sous les yeux, signifie, mot à mot : esprit puissant chargé de faire changer autrui, Weri be kôbouliboure toosenga abka ; c’est le 6e. et dernier esprit du monde des désirs. Les cinq premiers ont, dans le même vocabulaire, les noms sanskrits suivans : 1. Tchatourmahârâdjâkâyikâ, le grand roi des quatre esprits ; 2. Trayastrimchâ, les 33 esprits ; 3. Yâma, l’esprit sans soldats ; 4. Touchitâ, le joyeux ; 5. Nirmânaratirâ, celui qui se plaît dans le changement.
  23. Le vocabulaire déjà cité donne ces mots plus exactement, Aghanischtâ, et le rend par dernière borne de la forme, Sse kieou king thian. Les Mongols ont transcrit ce nom en l’altérant un peu : Aganistan. Les Tibétains l’appellent Og-min, et les Mandchous Oudchoulakha dergi Abka, l’esprit suprême conducteur.
  24. Je traduis littéralement les mots tchi ’aï kieou king.
  25. Je vais donner ici les noms sanskrits de ces dix-huit dieux, avec les différences de signification que je trouve dans le vocabulaire polyglotte ; ils y sont partagés en classes, suivant le degré d’extase nécessaire pour en avoir connaissance.
    1re. extase.

    Brahmaparipatyâ, troupe des Brahmas.

    Brahmapourohita, ministres de Brahma.

    Mahâbrahâma, le grand Brahma.

    2e. extase.

    Parîrtâbha, petite clarté.

    Apramânâbha, clarté sans bornes.

    Abhâsouarâ, voix lumineuse.

    3e. extase.

    Parîrtachoubha, petite pureté.

    Apramanachoubha, pureté sans bornes.

    Choûbhakritasno, pureté universelle.

    Au lieu de pureté, le Mandchou et le Mongol mettent ici richesse, opulence.

    4e. extase.

    Anabhraka, sans nuages.

    Poûnyaprapabâ, né riche et heureux.

    Prihatatyoupala, vaste effet.

    Aprihâ, sans pensées.

    Atapa, sans chagrin.

    Pouhrichâ, bon à voir.

    Pouadarchana, bien manifesté.

    Aghanischtâ, borne des formes.

    Mahâchouarivasannra, grand esprit puissant, existant par lui-même.

    Il y a, comme on voit, quelque différence dans les deux listes : le 15e, de la première, l’esprit sans chaleur, manque dans la seconde, et y est remplacé par le grand esprit existant de lui-même, qui termine le nombre des dix-huit esprits du monde des formes. Comme les deux ouvrages que je consulte sont également authentiques, j’ignore de quel côté se trouve l’erreur.

  26. Voici les noms sanskrits de ces quatre Esprits, qui paraissent désigner énigmatiquement l’espace, l’intelligence, l’être et la pensée :

    1. Akâchânantyayatanam.

    2. Bidjñânânamtyâyatanam.

    3. Akimtchabyâyatanam.

    4. Neebasamdjñânâsamdjñâyatanam.

    Le nom de ce dernier est rendu dans le vocabulaire par ces mots : esprit dans lequel, sans pensées, tout est pensée.

  27. Kiouan IIe., p. 15. L’ouvrage entier forme dix gros volumes et 50 Kiouan. Le texte est comme dans le morceau que je viens de traduire, entrecoupé par des notes pour expliquer les mots sanskrits et les passages difficiles.
  28. Si fortè in itinere mihi lotium reddendum fuerit, umbellâ corpus meum contego, ne tria lumina spurcitiâ offendam atque contaminem. Telle est mot à mot la ridicule raison fournie par le vieillard.
  29. Hing kian taï li ; mot à mot, erigere magnum lucrum.
  30. On l’imprime en très-petit caractères sur des feuilles volantes destinées à être suspendues dans une chambre. L’édition où se trouvent ces réflexions est une feuille de cette espèce.
  31. Mot-à-mot : aquarum et nubium complures doctores.