Le Livre rouge de la Commune, extrait du Journal officiel/Avertissement

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AVERTISSEMENT





Il paraît que les bons esprits, même en ces temps troublés, ont encore parfois quelque chance de se rencontrer.

L’idée m’était venue de relever dans le Journal officiel de la Commune le nom de tous ceux qui s’y trouvent portés, à un titre quelconque, d’indiquer la nature des emplois successifs que la feuille officielle leur attribue, et de donner à la suite de chaque inscription nominative la date du numéro du journal où cette inscription figurait. J’avais montré ce petit travail de patience à mon éditeur et ami M. Dentu, le libraire si connu du Palais-Royal, et il avait bien voulu le trouver assez ingénieux pour désirer le publier en volume. Enfin le travail, entièrement terminé, était déjà entre les mains de l’imprimeur, lorsque le Journal de Paris, feuille politique si excellemment dirigée par M. Édouard Hervé, annonça et publia sous le titre : Le Livre d’or de la Commune, un travail de M. Henri Duguiès[1], rédacteur du Messager de Paris, lequel travail était identiquement semblable à celui dont je venais de commencer l’impression.

J’adressai aussitôt la lettre suivante à M. Édouard Hervé :


À monsieur le Rédacteur en chef du
Journal de Paris.


« Lundi soir, 26 juin.


« Mon cher monsieur,

« Vous avez commencé dans le numéro du Journal de Paris qui porte la date de demain mardi, 27 juin, et sous le titre : Le Livre d’or de la Commune, la publication d’un travail de M. Henri Duguiès, relatif aux membres, fonctionnaires et employés de la Commune.

« Or, de mon côté, j’ai fait également un travail sur ce même sujet, et qui est absolument identique à celui de votre collaborateur. Ce travail, qui doit paraître en un volume chez Dentu, éditeur au Palais-Royal, sous le titre de : Les fonctionnaires de la Commune, liste alphabétique, extraite du Journal officiel de la Commune[2], est en ce moment en cours d’impression chez M. Jouaust, 338, rue Saint-Honoré.

« Comme je tiens, d’une part, à ne point passer pour un plagiaire, et, d’autre part, à continuer ma publication, je vous prie de vouloir bien insérer cette lettre dans le plus prochain numéro de votre journal, lettre dont la publication doit prévenir, par avance, à cause de l’extrême ressemblance qui existe entre mon travail et celui de M. Duguiès, toute accusation pouvant m’être préjudiciable.

« Recevez, etc.

« Georges d’Heylli. »


Je prévenais en même temps mon confrère M. Henri Duguiès de cette rencontre inattendue, et M. Duguiès me répondait aussitôt qu’il s’était borné à rédiger son travail en vue des lecteurs du Journal de Paris, et qu’il n’avait aucune intention de le publier en dehors du journal même.

La publication de M. Duguiès ayant eu un grand retentissement, je devais au lecteur, sous les yeux duquel a pu déjà sans doute passer l’intéressante nomenclature du Journal de Paris, cette courte mais indispensable explication.

J’ai rejeté aux appendices de ce volume quelques réclamations de divers personnages figurant au Journal officiel de la Commune et tout naturellement cités par M. Duguiès et par moi dans la liste des fonctionnaires qu’elle avait choisis. Mais je ne saurais assez insister sur ce point que le Journal officiel de la Commune fourmille de fautes grossières, surtout en ce qui concerne les noms propres. Le même nom y est parfois répété avec une orthographe différente, et j’ai dû souvent laisser en quelque sorte au hasard le soin de choisir lui-même celle de ces orthographes variées qu’il lui convenait d’amener sous ma plume. C’est ainsi que Bergeret est appelé dans un numéro Barberet, et que dans un autre le chef d’orchestre Hainl a été bel et bien dénommé Haydn. Après tout, MM. les communeux ont peut-être cru de bonne foi qu’ils avaient affaire à Haydn lui-même !

Je dois encore signaler au lecteur l’observation suivante : tous les fonctionnaires de la Commune ne figurent pas, tant s’en faut, à son Journal officiel. J’y ai vainement cherché, par exemple, le nom du directeur communeux de l’Imprimerie nationale, le citoyen Debock (Louis-Guillaume) ; celui d’Alavoine (André), délégué à cette même Imprimerie nationale, n’y figure pas davantage. Rien n’était plus irrégulier ni plus fantaisiste que la manière de procéder des directeurs communards de la feuille de M. Wittersheim. Les décrets les plus importants ont bien souvent été omis dans l’Officiel, où, en revanche, on trouve trop d’inutiles remplissages, qui témoignent suffisamment de l’ignorance et de l’ineptie des rédacteurs réquisitionnés par les Longuet, les Vésinier et autres préposés à la direction du principal organe de la Commune. Il faut lire à ce sujet l’intéressante étude littéraire et politique publiée par notre confrère M. Ch. Livet[3] au journal le Moniteur universel.

Quant aux réclamations qui pourraient m’être transmises, je dois prévenir les intéressés que je ne dénonce personne dans ce petit livre ; j’ai voulu faire un travail sérieux, et je n’ai point cité un seul nom — et cela scrupuleusement — qui ne figurât au seul Journal officiel, avec les qualités qu’il lui donne.

Je reconnais et je constate parfaitement que beaucoup des noms cités dans le Journal officiel de la Commune y ont figuré malgré ceux qui les portent ; que, surtout pour les médecins, les artistes et les membres du jury d’accusation, — ces derniers désignés par le sort et qui d’ailleurs ne siégèrent jamais, — les fonctions dont les affuble l’organe de la Commune furent purement illusoires.

Toutefois, bien que dégageant, certes ! leur responsabilité des sottises et des excès de la Commune, comme leur nom se trouve au Journal officiel, j’ai dû le reproduire ici, le principal mérite de cette nomenclature étant, avant tout, d’être à la fois exacte et complète[4].

La présente publication ne peut donc être désagréable que pour ceux qui se sentent vraiment coupables et compromis dans l’odieuse insurrection du 18 mars, et j’avoue que, pour ceux-là, je ne saurais être bien vivement touché par l’espèce de remords tardif qui pourrait les pousser à se séparer aujourd’hui de leurs ex-collègues en démagogie.

D’ailleurs, ce petit livre ne rend ni plus officielle ni plus publique la part qu’ils ont pu prendre au mouvement insurrectionnel. Le Journal officiel de la Commune n’est pas un document si rare qu’on pourrait le supposer par les prix vraiment insensés que la spéculation lui a fait atteindre dans les premiers jours qui ont suivi la chute de la Commune. D’abord, il a été en partie reproduit dans diverses publications ; je sais, en outre, que sa réimpression intégrale en un volume in-8o est actuellement en préparation ; le premier venu peut le consulter dans les bibliothèques publiques ; enfin, au moment où j’écris ces lignes, l’administration du Journal officiel va mettre en vente, à un prix relativement minime, un peu plus de deux mille collections de cette feuille « terrible » et jusqu’alors restée par force sous le séquestre.

Je ne me plaindrai point si quelque personne citée dans mon travail croit devoir user de la voie de la presse pour publier une réclamation justificative ; mais, en ce qui me concerne, et après les explications que j’ai ci-dessus données et les insertions de diverses lettres déjà parues au Journal de Paris, au Figaro, au Journal de Genève et ailleurs, et qu’on trouvera à la fin de ce volume, je crois avoir tout fait, ce me semble, pour éviter d’être accusé de partialité et de mauvaise foi.


Georges d’Heylli.


20 juillet 1871.


  1. M. Henri Duguiès a eu, comme tant d’autres, des aventures sous la Commune. M. Édouard Hervé a donné, dans le Journal de Paris, le récit très-circonstancié d’une de ces aventures, récit que nous reproduisons aux Appendices de cette brochure, à titre de document utile à conserver.
  2. Ce titre a été, depuis, modifié sur la demande de mon éditeur.
  3. Travail édité depuis, en un volume, chez le libraire L. Beauvais, 21, quai Voltaire, à Paris.
  4. Au sujet des artistes, des médecins et des membres du jury d’accusation, voir l’appendice Fédération des artistes, à la fin de ce volume.