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Le Mariage aux lanternes

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Calmann Lévy (p. VI-24).
PERSONNAGES
GUILLOT, fermier M. Paul Geoffroy.
DENISE, sa cousine Mmes Mareschal.
FANCHETTE } veuve villageoise { Lise Tautin.
CATHERINE do Dalmont.


Une place de village. — À gauche la maison de Guillot ; à droite, l’entrée d’une grange devant laquelle se trouve un gros arbre dont le pied forme banc de gazon ; une petite table rustique devant la maison.



Scène PREMIÈRE

GUILLOT, DENISE.

Denise est debout auprès de l’arbre, elle est pensive. — Guillot entre par la gauche.

GUILLOT, brusquement.

Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là, plantée comme une image ?

DENISE.

Moi, mon cousin, je ne fais rien.

GUILLOT.

Je le vois bien !… à quoi que tu penses ?

DENISE.

Dame ! mon cousin…

GUILLOT.

À pas grand’chose de bon, bien sûr. Les poules ont-elles à manger seulement ? je parie que tu ne leur z’as pas encore donné leur grain d’aujourd’hui !

DENISE.

Non, mon cousin, mais…

GUILLOT.

Là ! qu’est-ce que je disais !… As-tu fini de tricoter la paire de bas que tu as commencée avant-z’hier ?

DENISE.

Oh ! pour ça non, mon cousin…

GUILLOT.

J’en étais sûr ! et il est déjà sept heures du matin ! — Mais quoi que t’as fait aujourd’hui, je vous le demande ?… À quoi que tu passes ton temps ? à dormir debout, à rêvasser comme une demoiselle !… ça n’peut pas marcher comme ça, d’abord !… avec ta mine triste à porter le diable en terre…

DENISE.

Oui, mon cousin…

RONDEAU.
GUILLOT.

Que dirait l’oncle Mathurin,
S’il te voyait l’air si chagrin ?
Toi qui jadis toujours rieuse,
Étais d’ici la plus joyeuse !
Allons, je veux te voir soudain
Riante, gaie, heureuse, enfin !

I
GUILLOT.
À quoi passes-tu la journée ?
Trouverai-je en rentrant la basse-cour gavée ?
DENISE.
Oui, mon cousin.
GUILLOT.
As-tu rentré dans l’écurie
Le foin ? As-tu mené les bœufs dans la prairie ?
DENISE.
Oui, mon cousin.
GUILLOT.
Et la soupe est-elle trempée ?
As-tu mis au grenier la luzerne coupée ?
DENISE.
Oui, mon cousin.
GUILLOT.
Trouverai-je enfin, je te prie,
Tout en ordre en rentrant dans notre métairie ?
DENISE.
Oui, mon cousin.
GUILLOT.
Alors, tu dois être contente ?
Pourquoi donc n’as-tu plus la mine souriante ?
Que dirait l’oncle Mathurin
S’il te voyait, etc., etc., etc.
II
GUILLOT.
Tu ne fais rien depuis deux heures
Eh bien !… en vérité, l’on dirait que tu pleures !
DENISE, s’essuyant les yeux.
Non, mon cousin.
GUILLOT.
Ne suis-je pas la bonté même ?
Et, pour toi, ma douceur n’est-elle pas extrême ?
DENISE.
Si, mon cousin.
GUILLOT.
Alors, tâche donc de me dire
Pourquoi jamais chez nous l’on ne te voit sourire ?
DENISE.
Dame, mon cousin.
GUILLOT.
Allons, j’entends que tout de suite
Tu sois gaie, et je veux te voir rire au plus vite,
DENISE, souriant.
Oui, mon cousin.
GUILLOT.
Je suis content, à la bonne heure !
Mais je me fâcherai désormais si l’on pleure.
Que dirait l’oncle Mathurin,
Etc., etc., etc.
GUILLOT.

Voyons, dépêche-toi… va donner la becquée aux poules et puis finis ta paire de bas, et puis repasse le linge de la lessive, et plus vite que ça, ou sinon…

DENISE, effrayée.

Oui, mon cousin…

Elle se sauve.


Scène II

GUILLOT, seul.

Quand Denise est partie, Guillot se met à rire en regardant le public — puis d’une voix très-douce.

J’ai l’air de croquemitaine, n’est-ce pas ? quand je parle à cette jeunesse… c’est exprès… c’est pour de rire ! Je tâche de l’échigner à force de la faire travailler… c’est bon pour les filles, ça… il n’y a rien qui les abrutit comme la fatigue ! et ça les empêche de penser à mal… et celle-là, je serais si désolé de la voir mal tourner !… car enfin c’est ma petite cousine, puisqu’elle est la nièce de mon oncle Mathurin ; c’est comme mon enfant, puisqu’elle est orpheline, et que son oncle, le mien, le père Mathurin, me l’a confiée quand il est parti pour Paris… Jusqu’à présent je n’en avais jamais eu que de la satisfaction, quand, il y a quinze jours, en passant du côté de la poste, je la vois qui mettait une lettre dans la boîte… Je me dis tout de suite : bien sûr, c’est à Grévin qu’elle écrit. Il a dansé neuf rondes avec elle, dimanche soir à l’assemblée, avant de retourner à son village… Bien sûr, c’est à Grévin qu’elle écrit !… aussi, je vous demande un peu pourquoi qu’on y a appris à écrire !… Est-ce qu’une fille devrait savoir de ces choses-là ? mais c’était une lubie de notre oncle Mathurin, il a tenu à ce que j’avions de l’instruction !… Enfin, v’là Denise qui rentre ; j’étais furieux… je lui fais des misères… elle se met à pleurer… moi, je ne sais pas résister à ses pleurs d’abord, mais n’importe, je prends mon courage à quatre mains, et je lui dis bravement : Mademoiselle, vous avez écrit à Grévin !… Elle me dit que non… je lui dis que si, et que j’ai vu la lettre ! Ah !… eh bien, croiriez-vous que je n’ai jamais pu faire avouer à cette obstinée-là qu’elle avait écrit à Grévin ?… Oh ! c’est menteur, ces petites filles !… Et puis, faut-il qu’elle soit godiche de se mettre à avoir des idées pour un gueux comme ça ?… car c’est un gueux, Grévin, savez-vous, un vrai gueux, un plat gueux, pas autre chose qu’un gueux ! Si, encore autre chose, un enjoleux. Et je ne veux pas qu’elle soit malheureuse, moi, parce qu’enfin c’est une brave fille, et c’est elle qu’a soigné ma pauvre mère dans sa dernière maladie, pendant que j’étais garçon de ferme, à cinq lieues d’ici ; et ces choses-là ça ne s’oublie pas ; aussi si jamais… je ne te dis que, ça… vois-tu, Denise… Voyons un peu si elle a fait ce que je lui ai dit.

Il rentre dans la grange.


Scène III

CATHERINE, FANCHETTE.

Elles entrent bras dessus, bras dessous, par le fond à gauche.

FANCHETTE.

Et alors donc, vous me disiez ?…

CATHERINE.

Je vous disais que je voudrais devenir une madame.

FANCHETTE.

Et moi donc ! si je pouvais trouver un riche parti, pour me dédommager un peu de feu mon époux !

CATHERINE.

Tu l’aimais bien, pourtant…

FANCHETTE.
Sans doute, mais ce n’était qu’un paysan. Crois-moi, ma chère, n’épouse jamais qu’un homme huppé.
CATHERINE.

Oh ! si un monsieur voulait de moi !…

FANCHETTE.

C’est pas les amoureux qui nous manquent.

CATHERINE.

Non… c’est l’argent qui manque aux amoureux.

FANCHETTE.

Ainsi, il y a ce grand dadais de Guillot…

CATHERINE.

Le neveu du père Mathurin ?

FANCHETTE.

Je suis sûre qu’il est amoureux de moi !

CATHERINE.

Tiens, franchement, je crois plutôt que c’est de moi…

FANCHETTE.

Pourtant, c’est bien à moi qu’il fait la cour !

CATHERINE.

À moi aussi, toujours ! À preuve que, l’autre matin, tandis que j’étions à l’abreuvoir, il m’a flanqué un grand coup de poing dans le dos, que j’ai manqué de dévaler dans l’eau… C’est ça, une marque d’amour !

FANCHETTE.

Eh bien ! et moi donc, l’autre soir, à la veillée, comme j’allais pour m’asseoir, il m’a retiré ma chaise et je suis tombée sur… le plancher, ah ! qu’est-ce que tu dis d’çà, toi. Oh ! après ça, va, je n’y tiens pas… si tu le veux, je te le cède.

CATHERINE.

Pas du tout, moi, je t’en fais cadeau.

FANCHETTE.

Qu’est-ce que j’en ferais ? Il n’a pas le sou !

CATHERINE.

C’est bien pour ça que je ne l’encourage point.

FANCHETTE.
Et puis, il est trop doux : on n’aurait pas de plaisir à le battre.
CATHERINE.

Le fait est qu’il ne ressemble guère à mon premier mari, qui, hélas ! me…

FANCHETTE.

Ah bah !… est-ce que ?…

I
CATHERINE.

Mon cher mari quelquefois s’emportait,
Il me battait, me battait, me battait. (Bis.)
Moi, je pleurais, je pleurais, je pleurais,
Et jour et nuit, hélas je soupirais…
Voyant mes pleurs couler,
Dans sa rage inhumaine,
Loin de me consoler
Il riait de ma peine,
Et plus je pleurais, plus il me battait ! (Bis.)

FANCHETTE, parlé.

Ah bien, chez nous, c’était tout le contraire !

II

Soir et matin, c’est moi qui m’emportais,
Je le battais, le battais, le battais.
Il suppliait, il tremblait, il jurait,
Et jour et nuit à mes pieds soupirait.
En vain pour m’apaiser
Il devenait plus tendre,
Je gardais le baiser
Qu’il eût voulu reprendre,
Et plus il criait, plus je le battais !


Scène IV

Les Mêmes, GUILLOT.
Il sort de la grange tenant un broc de vin.
GUILLOT.
Mais où diable peut-elle être, cette enragée-là ? je vous le demande… la v’là encore partie… C’est égal, il est bon le petit vin du père Mathurin, il se laisse boire.
CATHERINE.

Tiens ! quand on parle du soleil… Bonjour, Guillot.

GUILLOT.

Bonjour, Catherine ; bonjour, Fanchette.

FANCHETTE.

Qu’est-ce que vous avez donc, Guillot ? (Bas à Catherine.) Il a l’air plus bête que de coutume.

Elles rient.

GUILLOT, riant, à part.

C’est gai, les jeunesses !

CATHERINE.

C’est l’effet du vin.

GUILLOT.

Le vin ? Oh ! non, c’est l’inquiétude.

Il pose son broc sur la table.

FANCHETTE.

Et de quoi donc ?

GUILLOT.

Voilà plus de quinze jours que j’ai écrit à mon oncle Mathurin, et je ne vois pas arriver sa réponse…

Il passe entre les deux femmes.

FANCHETTE.

Dame ! vous ne lui écrivez jamais que pour lui demander quelque chose…

GUILLOT.

Oh ! ça… bien sûr que quand je lui écris, c’est pas pour lui faire des cadeaux !

CATHERINE.

Lui en avez-vous soutiré de l’argent, à ce pauvre homme !

GUILLOT.

Pauvre, lui ! (Riant bêtement.) Oh ! oh ! oh !

FANCHETTE, l’imitant en se moquant de lui.

Oh ! oh ! Rit-il bêtement, ce gaillard-là !

GUILLOT, à part.

C’est gai, les jeunesses !… (Haut.) Mais, mes pauvres chattes, mon oncle est plus riche, à lui tout seul, que tout le village réuni.

FANCHETTE.

Il n’a pas de biens au soleil.

GUILLOT.

C’est vrai… mais il a des écus, ce qui vaut mieux… et il faut croire que son sac n’a pas de fond… car ce qu’il y a de sûr, c’est que jusqu’à présent, il ne m’en a jamais refusé… Après ça, c’est tout naturel : il a de quoi, moi, je n’ai rien… mais c’est égal, cette fois, je ne sais pas s’il m’accordera…

CATHERINE.

Vous lui avez encore demandé quelque chose !

GUILLOT.

Toujours !… mais ce coup-ci, la demande est forte et je crains bien…

CATHERINE.

S’il pouvait vous donner de l’esprit, mon garçon, ça serait un fameux cadeau !…

GUILLOT.

Ah ! que vous êtes drôle, Catherine !

CATHERINE.

C’est pas comme vous, alors ; car vous ne l’êtes guère !

GUILLOT.

C’est gai, les jeunesses !…


Scène V

Les Mêmes, DENISE.
DENISE.

Mon cousin !… mon cousin !…

GUILLOT, durement.
Ah ! te voilà, toi !… d’où que tu viens encore ? qu’est-ce que tu veux ?… voyons, parleras-tu ?…
DENISE.

Comme je passais du côté de la poste…

GUILLOT.

Du côté de la poste !… tu y passes ben souvent, du côté de la poste ! qu’est-ce que tu y allais faire ?

DENISE.

Dame ! mon cousin…

GUILLOT.

Hum ! mauvaise herbe ! après, voyons ?

DENISE.

Eh ! bien, il y a l’homme qui m’a appelée pour me remettre une lettre…

GUILLOT.

De Grévin, je parie !…

DENISE.

Non, mon cousin…

GUILLOT.

Ah ! petite menteuse !… oùs qu’elle est cette lettre ?… je veux la voir !

DENISE.

La v’là, mon cousin, je vous l’apporte… elle est pour vous…

GUILLOT.

Pour moi ?… ah ! c’est différent !

FANCHETTE.

C’est de votre oncle, peut-être ?

GUILLOT, ému.

Oui, ça vient de Paris !

DENISE, à part.

De mon oncle Mathurin ! Oh ! mon Dieu ! il lui écrit à lui aussi… pourvu qu’il ne lui dise pas… Sauvons-nous.

Elle entre dans la grange.

Scène VI

Les Mêmes, moins DENISE.
TRIO.
FANCHETTE.
Eh bien, Guillot, quoi !… vous ne lisez pas ?
CATHERINE.
Mais d’où vient donc tant d’embarras ?
GUILLOT, à part.
Je n’ose !… Si dans cette lettre
Pour le consentement que j’osais me promettre,
J’allais rencontrer un refus !
FANCHETTE.
Assurez-vous-en donc, vous ne tremblerez plus.
GUILLOT.
C’est juste, ouvrons !
Il ouvre la lettre et lit :
« Mon cher neveu, »
Ah quelle chance !
Cela commence
Comme un aveu !
Lisant. « Mon cher neveu, dans ta lettre dernière,
» Tu me demandes… » — Dieu ! que vois-je là ?
CATHERINE.
Quoi donc ?
GUILLOT.
Ah ! c’est mon second père !
Il m’accorde encore cela !
FANCHETTE.
Mais quoi donc ?
GUILLOT.
Tenez, lisez !
Ou plutôt, non, écoutez !
Il lit.
« À tes désirs toujours docile,
» Je t’ai souvent donné de l’or.
» Ta demande serait désormais inutile,
» Et pour qu’à l’avenir tu me laisses tranquille,
» Je te donne en ce jour…
FANCHETTE, CATHERINE.
 » Je te donne en ce jour… Il vous donne ?
GUILLOT.
Un trésor. »
FANCHETTE.
Un trésor !
CATHERINE.
Un trésor ! Un trésor !
GUILLOT.
Je ne changerais pas mon sort,
Contre celui du seigneur du village,
Et ma femme, dans son ménage,
Sera, comme une reine, heureuse et plus encore.
CATHERINE.
Un trésor !
FANCHETTE.
Un trésor ! Un trésor !
ENSEMBLE.
FANCHETTE, CATHERINE.
Un trésor ! le voilà, ma foi,
En ce jour plus heureux qu’un roi !
Ah ! que ne suis-je la nièce
De ce donneur de trésor !
Peut-être que sa tendresse
Eût sur moi fait pleuvoir l’or !
Un trésor !
GUILLOT.
Quel trésor ! me voilà, ma foi,
En ce jour plus heureux qu’un roi !
Ah ! que je me sens de tendresse
Pour ce précieux trésor !
Je préfère ma richesse
À toutes les mines d’or !
Un trésor !
GUILLOT.

Ah ! le cher oncle !… un trésor à moi ! un vrai trésor ! c’est à ne pas y croire !

FANCHETTE.

Un trésor !… Vraiment ce garçon n’a pas l’air si bête qu’on le croirait d’abord.

CATHERINE.

Un trésor !… Quand on le considère, ce brave Guillot, il n’est vraiment pas si laid…

FANCHETTE.

Il a les yeux vifs.

CATHERINE.

Il a quelque chose dans le nez…

GUILLOT.

Mais, alors, je vais pouvoir me marier comme je l’entends.

FANCHETTE.

C’est ce que j’allais vous dire…

CATHERINE.

Quand on est riche, n’est-ce pas, on choisit.

GUILLOT.

C’est bien mon avis, et mon choix ne sera pas long.

FANCHETTE.

Si on aime une blonde, on prend une blonde…

CATHERINE.

Si on préfère les brunes, on prend une brune.

GUILLOT.

Vous ne me laissez pas finir ma lettre. Il faut pourtant bien que je sache où il est, ce trésor… (Lisant.) « Sous le gros arbre, devant ta porte, ce soir, quand sonnera l’angelus… (Voyant les deux femmes qui le guettent.) Eh bien, sont-elles curieuses, donc !… ah ! le cher trésor ! et maintenant je veux boire à la santé de l’oncle Mathurin, et vous aussi vous boirez, et vous aussi. Eh ! Denise, des verres !

FANCHETTE, à part.

Sous le gros arbre… on y sera !…

CATHERINE, à part.

Quand l’angelus sonnera… on y sera !…

GUILLOT, à part.

Ce soir, ici, avec ma bêche… (Haut.) Eh ben, Denise ! des verres !

DENISE, entrant.

Voilà, mon cousin !


Scène VII

Les Mêmes, DENISE.
Elle apporte trois gobelets.
FANCHETTE et CATHERINE.

Donne !… c’est moi qui verserai !

FANCHETTE.

C’est moi !

CATHERINE.

C’est moi !

GUILLOT.

Allons, allons, ne nous disputons pas ! (Tendant son verre à Denise.) Verse, Denise !

CHANSON À BOIRE.
I
Quand les moutons sont dans l’étable,
Quand les poules sont au perchoir,
Le dos au feu, le ventre à table,
Près d’un ami, j’aime à m’asseoir.
Si Dieu nous défendait de boire,
Aurait-il fait le vin si bon ?
Non !
Si l’eau nous pousse à l’humeur noire,
Le vin dissipe notre ennui !
Oui !
Allons donc !
Buvons donc !
Si Dieu nous défendait de boire,
Aurait-il fait le vin si bon ?
Non !
II
Quand j’ai soif, j’ai l’esprit morose ;
Je suis stupid’, gauche et poltron ;
Quand j’ai bu, je vois tout en rose,
Quand j’ai bu, je suis un luron !
Il prend la taille de Catherine et celle de Fanchette.
Si Dieu nous défendait de boire,
Etc., etc.
GUILLOT, un peu gris.

Eh bien ! qu’est-ce que vous dites de ma chanson ?… Et mon vin, comment le trouvez-vous ? Ah ! ah ! ah ! je crois que j’en ai trop bu ! faut que j’aille faire quelques courses dans le village… Adieu, Fanchette ! (Il l’embrasse.) je ne te dis que ça !… Adieu, Catherine ! (Il l’embrasse.) je ne te dis que ça !… Ah ! ah ! ah !…

Il sort.
DENISE.

Il s’en va sans m’embrasser !

Elle rentre tristement dans la maison.

Scène VIII

CATHERINE, FANCHETTE.
CATHERINE.

Ah ! vous vous laissez embrasser comme ça, vous !

FANCHETTE.

Ah ! c’est comme ça que vous vous défendez, vous !

CATHERINE.

Il paraît que vous en tenez pour Guillot, depuis qu’il est riche !

FANCHETTE.

On voit bien que son magot vous donne dans l’œil !

CATHERINE.

Parlez pour vous !

FANCHETTE.

Mais non !

CATHERINE.

Mais si !

FANCHETTE.

Mais non ! c’est-y pas vous qui me disiez tout à l’heure que vous voudriez être une madame !

CATHERINE.

Et vous donc qui demandiez un homme huppé !

FANCHETTE.

Comme si on ne lisait point dans votre jeu !

CATHERINE.

Comme si je ne devinais point que c’est le trésor qui vous tente !

FANCHETTE.

Vous trouviez Guillot si bête !

CATHERINE.

C’est vous !…

FANCHETTE.

C’est vous !

CATHERINE.

Mais non !

FANCHETTE.

Mais si !

CATHERINE.

Mais non !

TOUTES DEUX.

Ah ! ah !

DUETTO.
ENSEMBLE.
Ah ! la fine mouche !
La sainte-nitouche !
Quel air innocent !
Je me tiens à quatre
Pour ne pas la battre !
C’est irritant,
C’est déplaisant,
C’est agaçant !
CATHERINE.
Quand Guillot vous agace,
Vous lui tendez la face !
FANCHETTE.
S’il vous prend dans ses bras,
Vous n’le maltraitez pas !
CATHERINE.
Je vois bien que madame
Voudrait d’venir sa femme.
FANCHETTE.
Madame aurait l’esprit
De l’choisir pour mari !
REPRISE DE L’ENSEMBLE.
Ah ! la fine mouche !
La sainte-nitouche !
Quel air innocent !
Je me tiens à quatre
Pour ne pas la battre !
C’est irritant,
C’est déplaisant,
C’est agaçant !
CATHERINE.
Vous aurez beau dire,
Il faut, pour l’séduire,
De certains attraits
Qu’vous n’aurez jamais !
FANCHETTE.
Vous aurez beau faire,
Il faut pour lui plaire,
De certains appas,
Que vous n’avez pas !
CATHERINE.
Guillot n’est point bête,
La noce n’est point faite.
FANCHETTE.
Et s’il a d’bons yeux,
Il peut choisir mieux.
CATHERINE.
Guillot, quoi qu’on dise,
N’f’ra pas la sottise
D’vous donner dès d’main
Son cœur et sa main.
ENSEMBLE.
Elle enrage ! elle enrage !
Se montrant le poing.
N’ajoute plus un mot
Ou bien j’te dévisage !
Se jetant leurs sabots dans les jambes.
Tiens ! tiens ! V’là mon sabot !
Se prenant aux cheveux.
Quand on m’fâche,
Moi j’arrache
Les cheveux
Et les yeux !
Tiens ! tiens ! tiens !

Elles s’arrachent leurs cornettes et leurs fichus et les jettent en l’air ; le garde champêtre paraît au fond.


Scène IX

Les Mêmes, LE GARDE CHAMPÊTRE.
LE GARDE CHAMPÊTRE, s’interposant et recevant les coups des deux côtés.

Eh ben ! eh ben ! eh ben ! Deux femmes qui se disputent, ça ne s’est jamais vu dans la commune.

CATHERINE et FANCHETTE.

Le garde champêtre !

CATHERINE, très-vite.

Vous saurez, père Mathias…

FANCHETTE, id.

Faut que je vous dise…

CATHERINE.

Que Guillot…

FANCHETTE.

A reçu de son oncle Mathurin…

CATHERINE.

Une lettre qui lui apprend…

FANCHETTE.

Que sous le gros arbre qui est là…

CATHERINE.

Devant sa porte…

FANCHETTE.

Il trouvera ce soir

CATHERINE.

À l’heure de l’angelus…

LE GARDE CHAMPÊTRE.

Quoi ?

CATHERINE et FANCHETTE.

Chut ! on vient.

FANCHETTE.

Venez avec nous, je vous dirai le reste !

Elles entraînent le garde champêtre, et tous trois sortent par la droite au fond.

Scène X

DENISE, seule. — Elle tient une lettre à la main et lit.

« Je sais d’où vient ton chagrin, ma chère Denise… c’est un mari qu’il te faut, un bon mari… » (Soupirant.) un mari ! — « Je me charge de te l’envoyer. — Viens t’asseoir au pied du gros arbre qui est devant votre porte, et quand l’angelus du soir sonnera… » — L’oncle Mathurin se moque de moi ! — Ce n’est pas un mari que je demande… à moins que… mais non, c’est Fanchette ou Catherine qu’il aime ! moi, je vois bien que je lui déplais ! — (Regardant autour d’elle.) Voici la nuit et la cloche de l’angelus va sonner… j’ai bien envie de m’asseoir au pied de l’arbre pour voir si l’oncle Mathurin tiendra sa promesse !…

On entend sonner la cloche de l’angelus. — Nuit complète.
FINALE.
DENISE.
Voici l’angelus qui sonne ;
Le jour s’enfuit,
Voici la nuit…
Elle regarde autour d’elle.
Je ne vois encore personne,
Ne disons rien,
Écoutons bien.
Elle s’assied au pied de l’arbre.
GUILLOT, sortant du hangar avec une bêche et une lanterne.
Voici l’angelus qui sonne ;
Le jour s’enfuit,
Voici la nuit.
Dirigeant la lumière de sa lanterne vers le fond du théâtre.
Tout dort — je ne vois personne ;
Ne disons rien :
Tout ira bien !
Il remonte vers le fond.
FANCHETTE et CATHERINE, paraissant, l’une à droite et l’autre à gauche du théâtre, une lanterne à la main.
Voici l’angelus qui sonne ;
Le jour s’enfuit,
Voici la nuit…
Ne disons rien à personne,
Écoutons bien !
Tout ira bien !
DENISE, s’endormant peu à peu.
Ah ! comme je suis lasse !
GUILLOT, s’approchant de l’arbre.
Voici la bonne place !
CATHERINE et FANCHETTE, cachant leurs lanternes sous leurs tabliers et se retirant sous le feuillage.
C’est lui, gardons la place !
DENISE.
Malgré moi, je m’endors.
GUILLOT, posant sa lanterne à terre et commençant à bêcher derrière l’arbre.
C’est le nid aux trésors !
Denise s’est endormie.
Corbleu ! morbleu ! j’ai beau creuser la terre,
Je ne vois rien encor !
Il s’arrête et s’essuie le front.
CATHERINE et FANCHETTE.
Je ne vois rien encor ! Sachons nous taire !
GUILLOT.
Maudit trésor !
Où peut-il être ?
Cherchons encor,
Ici peut-être.
Il s’approche près du banc.
Que vois-je ? c’est Denise !
CATHERINE et FANCHETTE, à part.
Comment ! voilà Denise !
GUILLOT.
Elle dort !
CATHERINE et FANCHETTE.
Elle dort ! Elle dort !
GUILLOT.
Et près d’elle peut-être est caché le trésor !
Il va pour l’éveiller.
Mais la pauvre enfant repose.
La réveiller… hélas ! je n’ose !
DENISE, rêvant.
Guillot ! mon cher Guillot !
GUILLOT.
Elle me voit en rêve !
DENISE.
Mon bon Guillot !
GUILLOT, se penchant vers Denise.
Achève !
CATHERINE, à part.
Ah ! j’enrage !
FANCHETTE, à part.
Je crève !
GUILLOT, apercevant la lettre.
Mais quel est ce papier ?
CATHERINE et FANCHETTE.
Un papier ?
GUILLOT.
De Grévin !
C’est quelque billet doux, peut-être !… Ah ! le gredin ! Lisons vite !

Il tire doucement le papier des doigts de Denise et le parcourt à la lueur de sa lanterne.

CATHERINE et FANCHETTE, à part et se rapprochant.
Écoutons !
GUILLOT.
Ciel ! que viens-je de lire !
C’est un billet de l’oncle Mathurin !…

Lisant.

« L’époux que ton cœur désire,
» Quand l’angelus sonnera,
» À tes côtés apparaîtra ! »
On entend de nouveau la cloche de l’angelus.
CATHERINE et FANCHETTE.
Voici l’angelus qui sonne !
GUILLOT.
Voici l’angelus qui sonne !
DENISE, s’éveillant à demi.
Voici l’angelus qui sonne.
GUILLOT, lisant.

Parlé. « En te donnant à lui, mignonne,

» C’est un trésor que je lui donne. »

Un trésor ! — Je comprends !

DENISE, s’éveillant.

Hein ! plaît-il ? qui est là ? Est-ce vous, mon mari ?

GUILLOT.

Oui, Denise, c’est moi !

DENISE.

Guillot !

GUILLOT, se mettant à genoux devant Denise.

Guillot qui t’aime, ma petite Denise, et qui te demande de vouloir bien être sa femme.

CATHERINE et FANCHETTE.

Ah bah !

GUILLOT, se retournant.

Tiens ! Catherine et Fanchette ! Bonsoir, Fanchette ; bonsoir, Catherine, je vous présente ma femme.


Scène XI

Les Mêmes, LE GARDE CHAMPÊTRE, puis Les Paysans et Les Paysannes, avec des lanternes.
Le garde champêtre entre d’abord par la gauche, puis il appelle les paysans qui viennent de différents côtés.
CATHERINE et FANCHETTE.

Sa femme ! Et le trésor ?

GUILLOT.

Je le tiens.

CATHERINE.

Part à deux.

FANCHETTE.

Part à trois.

GUILLOT, riant.

Part à quatre, ah ! ah ! ah !

LE GARDE CHAMPÊTRE, s’approchant.

Part à cinq.

CATHERINE, parlé sur la musique.

Ah ! voilà le garde champêtre avec tout le village !

FANCHETTE.

Approchez ! approchez ! Guillot a trouvé un trésor !

TOUS.

Ah !

CATHERINE.

Il appartient à la commune ! Faut le forcer à le rendre !

FANCHETTE.

Ou bien à partager avec nous !

GUILLOT.

Partager ! — Allons donc ! (Montrant Denise.) Le v’là, mon trésor, et je le garde pour moi seul ! quant au magot, cherchez si vous voulez, je vous le cède ! (Aux paysans.) Merci, les amis, d’être venus éclairer nos fiançailles… (Tous les paysans lèvent leurs lanternes.) Ce mariage-là pourra s’appeler le mariage aux lanternes.

FINALE.
GUILLOT.
Messieurs, la pièce est terminée,
Nous vous quittons jusqu’à demain,
DENISE.
Mais, hélas ! notre destinée
Est encore dans votre main.
FANCHETTE.
Pour une pièce si légère,
Faut-il se fâcher tout de bon ?
Non.
CATHERINE.
Demain, nous ferons mieux, j’espère,
Applaudissez tous aujourd’hui,
Oui.
ENSEMBLE.
Allons donc ! allons donc !
Pour une pièce aussi légère
Faut-il se fâcher tout de bon ?
Non.


FIN