Le Massacre des Amazones/Quelques Mères Gigognes/Camille Pert

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Chamuel, éditeur (p. 118-120).

Camille Pert fait de la tapisserie à l’aiguille. Elle se procure le canevas chez n’importe quel fournisseur et le couvre patiemment de points psychologiques et gris. Seulement, tout à la fin, elle dessine une flaque rouge. Elle a trouvé le sujet du Frère chez l’un ou l’autre de nos innombrables marchands d’incestes, a chipé l’idée et le titre de la Camarade à je ne sais quel vaudevilliste, et ses Florifères sont une édition revue et pédantisée des Mères stériles d’Henry de Fleurigny. Ses personnages masculins sont bien étranges. Un jeune médecin, repoussé par une femme, se venge comme une cuisinière renvoyée. Le mari de la camarade est ce qu’on peut imaginer de plus invraisemblable. Camille Pert a voulu faire un être médiocre et quelconque, et elle l’a affligé d’une manie raisonnante et systématique qui serait possible chez un imbécile, chez un fou ou chez un penseur. Supposez que Molière, aussi bête que Coquelin, ait voulu son Arnolphe tragique. Le bourgeois à la fois plat et paradoxal de Camille Pert pouvait être amusant, si l’inconsciente avait senti ce que sa création a de caricatural et n’avait pas prétendu nous donner de l’observation impartiale et de la vérité moyenne. Ce mari adresse, en effet, à sa pauvre petite femme, des reproches bien lisibles : il a fait un mariage d’inclination, mais il est furieux d’aimer plus qu’il ne se le proposa, et il ne pardonne point des joies trop grandes, en dehors de son programme. Le traître du même livre, — car, lorsque Camille Pert a ses trois cents pages de psychologie, un traître vient toujours dénouer l’histoire, d’un brusque geste mélodramatique, — est encore assez extraordinaire. C’est un homme à bonnes fortunes, mais un don Juan bourgeois et prudent qui ne prendra jamais la femme d’un ami, « car il n’y a pas de sensation d’amour qui vaille la somme d’ennuis qui pourrait en résulter ». Il a rencontré une seule fois l’amant de la camarade et il s’est irrité contre le timide gaffeur, comme un joueur habile qui voit un novice faire des fautes. Et, parce que l’esthétique de Camille Pert exige une éclaboussure de sang sur le mot « fin », voici que ce mondain souriant, superficiel et égoïste, agit comme un jaloux sauvage et, oubliant « la somme d’ennuis qui pourrait résulter » d’un meurtre, tue l’amant d’une femme qu’il n’aime point et dont il ne voulut point.

L’écriture de Camille Pert est aussi personnelle que ses sujets. Il y a, naturellement, dans ses minutieuses psychologies, beaucoup d’inconscientes parodies de Bourget. Parfois elle s’élance à de gros lyrismes lourds : on sent qu’elle vient de s’entraîner en lisant quelques pages de Zola. Un de ses personnages revient-il sur son passé, les innombrables : « Et c’était… et c’était… à présent c’était… c’était maintenant », trahissent encore le décalque du procédé naturaliste. Le plus souvent, ses phrases sans couleur, hachées de points de suspension, rampent aussi invertébrées qu’une tirade de Sardou, vraiment dignes de l’approbation de Francisque Sarcey.