Le Messager de la Cour

La bibliothèque libre.
Anonyme
(p. 1-11).
LE
MESSAGER
DE LA COVR.





M. D. XXIV.



LE MESSAGER
de la Cour.



VOus eſtes par ma foy plaiſans de ne me pas voir ſi toſt arriué à l’hoſtellerye que vous n’ayez tous la gueule bée pour vous paiſtre de nouuelles : Mais au diable le mot que ie vous en diray que ie n’aye beu chopine, pour me rafraichir vn peu le goſier tant ie l’ay alteré & ſeché de pouſſiere. Au reſte vous me faictes tant d’interrogats à la fois, que ie ne ſçay auquel respondre le premier. Parlez donc ie vous prie l’vn apres l’autre ſi vous voulez que ie vous en conte. Or ça de par-Dieu, ie me trouue beaucoup mieux, ie n’ay plus la pepie. C’eſt bien raiſon que ie commence à ſatisfaire au Marguillier de la paroiſſe, comme le plus venerable. Il m’a demandé d’abord ce que l’on dit à la Cour d’vn oyſeau de proye qu’on mit en cage la ſemaine passée. Ie penſe qu’il entend parler d’vn Rominagrobis qui ieune garſon, s’eſt accouſtumé á ſauter de Cloiſtre en autre, & qui pourtant s’accommodera tant plus facilemēt à dire ſon Chappelet entre quatre murailles, auec le miſerere, iuſqu’à vitulos pour penitence & mortificatõ des maux qu’il a faicts, y ayant à ce qu’on dit beaucoup d’ordure en ſa fluſte. Quoy qu’il en ſoit ie n’ay iamais veu oyſon mieux farcy, que ce bon Seigneur eſt auiourd’huy chargé de fieures quartaines, & que ſi ſa teſte de ſitroüille eſt capable de groſſir à force d’eſtre arrouſee des maledictions qu’on luy donne, il peut bien commander de bonne heure de nouuelle forme de calotte. Car il ny a ny petit ny grand qui n’en die pis que pendre, & chacun entonné le Te Deum en reſioüyſſance du juſte chaſtimét qui eſt tombé ſur ſa reuerence. On benit la main ſalutaire qui luy a ſi accortement donné ce tour de peigne, luy rendāt auec vſure ce qu’il auoit charitablement procuré a d’autres. Bref, il n’y a homme deſpée ny hõme de plume à qui il n’ait baillé vn plat de ſon meſtier, & à qui il n’ait fait le partage de Corbery, tout d’un cofté & rien de l’autre, ſelon la tablature que luy en bailloit ce vieux ſinge, qui croiſſant de vertu en vertu, & pour s’ennoblir touſjours plus, s’eſt fait Eſcuyer retanchant à droitte & à gauche : Mais Dieu vueille qu’ils en portent tous deux la paſte au four, comme ils meritent. Helas ! quel miracle eſt ce, & quelle ſubtilité de ceruelle y a-il à amaſſer de largent, en tondant ſur tous & en ne baillant vn ſol à perſonne ? Certes le moindre clerc de village en feroit bien autãt ſans iettons, ny Arithmetique. Enfin vous prendriez plaiſir de voir maintenant ces pauvres Penſionnaires le vermillon aux ioües, de triſtes & chagrins qu’ils eſtoient auparauant en l’eſperance qu’ils ont, que la bourraſque eſt paſsée, & que le mauuais vent qui leur a ſoufflé en queuë, eſtant renfermé comme il eſt, ils auront meilleur temps à laduenir, ſur tout on leur fait croire la reſurrection de leurs Breuets. Or de ſçauoir encores quel ſera celuy qui ſuccedera à ce Reformateur de bibus : c’eſt choſe que ie ne vous puis pas dire au vray. I’appris neantmoins en partãt de Sainct Germain, qu’on auoit appellé à la garde de la beurſe, vn Conſeiller d'eſtat , dont i'ay oublié le nom, & me ſemble qu'il y a à la fin du Lac ou du Laic. Ie vis vn Recollé qui ſemiſt fort ſur ſes loüanges , & qui tout eſpanoüy de ioye, diſoit que les Capitai- nes eſtroppiez tireront ce qu'ils pourront de ſa faueur : mais que pour luy il s'aſſeu- roit bien que ſon conuent en vaudroit mieux. Il en parloit comme d'vn homme tout de Dieu & le deſscrit eſtre fild d'vn pe- re qui n'a iamais eu reputation d'eſtre lar- ron, quoy qu'il ayt eu moyen de gaſcon- ner en ſon temps.Les honneſtes gens ver- ront de ſon eau, & recognoisſtront com- me parmy ſon bon & conſciencieux meſ- nage, il ſçaura cõſeruer & mettre le cœur de ſes ſeruiteurs, que ce Rebatbatif luy deſroboit par ſa ſordidechicheté & aua- rice : Mais le voyant auiourd'huy en vn eſtat qui excitz plus ſes ennemis à commi- ſeration qu'à vengeance, les gens de bien le laiſſent là , & luy deſirent ſeulement qu'il eſprouue maintenant la difference qu'il y a entre ceux qui moderez en leur fortune , acquierent la biẽ-veillãce d'vn chacun, & ceux enyurez de leur bon- heur , ſe creuent les yeux, necognoiſſent perſonne, abuſent de leur authorité, & ſe chargent d’vne hayne publicque qui les accable en fin, & les rend la fable du monde.

Sur ce qu’il y en y de vous autres qui me demádent des nouuelles de ce beau vieillard, qu’on nomme le bien public, & veulent ſçauoir ſi ie ne l’ai point veu, comment il ſe porte, & s’il à des enfans : ie vous dirai que le bon homme ne bat quaſi que d’vne eſle, qu’il a fortpeu d’amis, & pour des enfans, comment en auroit-il, craature viuante ne l’ayant iamais voulu eſpoufer ? I’auois tant & tant oüi parler de luy à vn chacun, & meſmement aux Eſtats de Paris & en l’aſſemblée des notables à Roüen que ie luy cogneu ſans l’auoir iamais veu, le remarquant ſeulement à ſon manteau qui eſt de couleur de beau ſemblant : mais ie vis paſſer ſur le paué vn Fanfaron à qui par honneur les plus grands oſtoient le chapeau, & ſoudain qu’il apperceut ce bon vieillart, il luy ſauta au collet, & le cuida aſſommer à coups de nerf de bœuf, luy reprochant comment il oſoit paroiſtre là où il eſtoit. Voyant ce ſpectacle, ie m’enquis de mon hoſte qui eſtoit ce brauache, & ſe ſouſriant il me demanda ſi i’eſtois encores ſi badaut que ie ne cogneuſſe pas le Seignor intereſt particulier ſi aymé, & ſi reueré de tous, hors mis des Financiers. Et luy demandant ſi ce Rodomont eſtoit marié, il me dit qu’il auoit eſpouſé Madame la Paulette, dont il eſtoit deſia ſorti tout plein d’enfans pour l’adminiſtration de la iuſtice. Sur cela arriua de bonne fortune, que le Roy reuenant de la chaſſe, & voyant le monde aſſemblé deuant l’Egliſe, demanda ce que s’eſtoit. Le Curé priſt lors la parole, & dit c’eſt (SIRE) ce bon homme qu’on appelle le Bien Public, & lequel ie recommande tous les Dimanches à mon proſne, qui a eſté ſi outrageuſement battu & excédé par Móſieur l’intereſt particulier, qu’à peine il peuſt ouurir la bouche pour faire ſa plainte à voſtre Majeſté, eſtendu comme elle le voit ſur le carreau, & n’a les mains iointes que pour implorer voſtre miſericorde. A quoy ce Prince debonnaire teſmoigna deſtre touché de pieté, & conſolant ce bon homme luy dit gracieuſement courage mon pere, releuez vous ie vous veux aſſiſter & auoir ſoin de vous. Meſmement ſe tournant vers vn Seigneur de ſa ſuitte qui tenoit vn baſton noir à la main, ie ſçay (luy dit-il) que c’eſt de voſtre charge de chaſſer de ma Cour, toute ſorte de mauuais garnimens. Vous voiez l’audace de ce ruſtre l’intereſt parnculier. Ie ſçay qu’il ſe fourre dans toutes les meilleures maiſons, & qu’il les gaſte & infcte tellement, qu’il eſt ſeul cauſe que i’aye eſté tres-malheruy, & que i’aye eu la peine & le deſplaiſir de changer ſouuent de Miniſtres ; c’eſt pourquoy ie veux que vous l’en chaſſiez comme vn fourbe & comme vn tres-dangereux corrupteur. Cependant menez moy ce pauure homme à la Chancellerie, où il n’y a que trois pas d’icy. Il y trouuera vn perſonnage de ſes amis qui le recueilira l’ayant eſleué en dignité pour cét effect. Ce commandement donné, le Curé s’eſcria à haute voix ? ô Sire, vous ne pouuiez pas parler plus ſainctement. C’eſt la voix de Dieu & non d’vn homme. Car ſans l’amour que vous portez naturellement au bien public, tout voſtre labeur ne ſeroit qu’vne toille de Penelope ; où il y auroit touſjours à rabiller. Apres cela ie vis deux Archers enleuer le poure langoureux, & dirent qu’en iour de leur vie ils n’auoient porté vn corps ſi leger, & qui peſaſt moins que fait le bien public. Il eſt donc la où le Roy croit qu’il reprendra ſes forces, & ne craignant plus de rencontrer ſon ennemy l’intereſt particulier, il s’appriuoiſera chez tous les gráds de la Cour : nonobſtant l’aduis d’vn certain Empirique d’eſtat, qui perſuadoit qu’on l’enuoyaſt ſe promener aux eaux de Pougues & de la à celles de Spa pour ſa courte haleine.

D’ailleurs mon hoſte me dit qu’il y auoit encore en ce pais là, vne tres-mauuaiſe beſte qu’vne grande Roy ne auoit bonne enuie d’en faire auſſi chaſſer pour le mal qu’elle meſme en a autrefois receu. Luy demandant qui elle eſtoit, & de quel meſtier elle ſe meſloit, il me dit, qu’on la nommoit Madame des Intriques eſtans vne femelle ſi pleine d’artifice, qu’elle broüille toute la Cour, quand bon luy ſemble. Ceſte fine ruſée attache & embeſongne tellement les eſprits à forger toutes ſortes de cabales & de cauillatiós qu’ils ne s’eſtudient qu’à mettre mal les vns auec les autres, & à ſonger de ſe maintenir par la ruine de leurs propres compagnons, où de ceux à qui ils portent enuie au perpetuel deſtriment des affaires publiques & de la reputation de l’Eſtat.

Au ſurplus i’appris que le mariage d’Angleterre s’en va eſtre fait auec Madame & ne doutez pas qu’elle ne face ſonner la Meſſe en ce païs là a double carrilló. Voila mes amis ce qui ſe dit au lieu d’où ie viés. Si vous en voulez ſçauoir dauátage, il viédra icy coucher vn Courrier qui vous acheuera la legende. Car pour moy il eſt temps que i’aduance chemin, ſi ie veux arriuer de iour au giſte.


FIN