Le Morcellement de l'espèce en botanique

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Le Morcellement de l'espèce en botanique
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 5 (p. 389-416).
LE
MORCELLEMENT DE L’ESPECE
EN BOTANIQUE

I. Alexis Jordan, De l’Origine des diverses variétés ou espèces d’arbres fruitiers, Paris 1873. — II. A. Jordan, Remarques sur le fait de l’existence en société à l’état sauvage des espèces végétales affinés, Lyon 1874 (communiqué au congrès scientifique de Lyon).

La question de l’espèce est celle qui de nos jours divise et passionne le plus les naturalistes. Au milieu des mille nuances d’opinion que comporte un problème aussi complexe, il est possible de distinguer trois tendances, trois théories dominantes : d’une part la théorie transformiste, qui ne voit dans les soi-disant espèces que des formes transitoires dérivées de types antérieurs par voie de modification brusque ou graduée, — d’autre part la théorie de l’immutabilité absolue des types, qui confond la race avec l’espèce, et prétend faire remonter à une création primordiale et unique l’origine de tous les êtres dont les caractères se conservent par voie de génération : entre ces hypothèses extrêmes se place comme système intermédiaire la théorie de la variabilité limitée, qui, se tenant volontiers sur le terrain des faits actuels, étudie sans parti-pris les modifications imprimées aux types dits spécifiques soit par l’action des milieux, soit par l’influence de leur tempérament individuel, soit par la combinaison des lois antagonistes de la variation, de l’hérédité et de l’atavisme : comme toutes les théories éclectiques, celle-ci réunit des esprits de tendance assez diverse : ici les doctrinaires attardés qui couvrent du grand nom de Cuvier leur conservatisme timide, là des libéraux prudens qui, convertis à moitié à la cause du transformisme, refusent d’en suivre dans leurs écarts et leurs audaces les sectateurs compromettans.

Sans entrer d’une manière incidente dans ce débat du transformisme, auquel se mêlent tous les grands noms de la science contemporaine et que d’éminens critiques ont su dégager des attaques de la passion et de l’ignorance[1], nous voudrions mettre en lumière une théorie, un nom, bien familiers aux botanistes et qui sous l’apparence d’un conservatisme absolu introduiraient dans la manière de concevoir l’espèce en botanique une révolution radicale. Le mot de jordanisme, par lequel nous désignerons, après d’autres, cette nouvelle doctrine, n’implique dans notre pensée aucune idée de dénigrement ni de blâme ; bien au contraire, nous croyons faire honneur à M. Alexis Jordan, de Lyon, en donnant son nom à tout un système dont il peut se dire le fondateur, et qu’il défend avec un talent d’observateur et d’écrivain digne de lui valoir le respect de ceux-là même qui contestent ses idées.

Enfermée dans les limites d’une science spéciale, étrangère par sa nature même au problème de l’origine de l’homme, qui devait soulever contre Darwin tant de passions extra-scientifiques, la théorie de M. Jordan n’a pas fait grand bruit dans le monde. On peut même dire que les botanistes qui l’ont adoptée, presque tous descripteurs d’espèces, n’en ont pris la plupart que l’application pratique, sans en accepter toujours l’idée-mère et surtout le sens mystique à demi voilé derrière la formule scientifique de l’auteur. Pour parler plus clairement, jordaniser en botanique, c’est multiplier les espèces et les noms d’espèces aux dépens des espèces linnéennes ; mais, pour M. Jordan lui-même et pour ses disciples initiés, c’est substituer à la notion vague d’espèce conçue par intuition, par la ressemblance générale des individus, la notion précise de l’espèce déterminée expérimentalement par voie de semis successifs, semis qui démontreraient le plus souvent la persistance absolue de caractères que presque tous les botanistes regardent comme accidentels et passagers. Enfin le substratum profond de ce système, le fondement caché sur lequel l’auteur l’appuie dans son cœur et sa pensée, c’est que tous les types organiques, même ceux que nous appelons des races, sont sortis d’un coup et de toutes pièces des mains de Dieu : d’où l’idée de création unique, de persistance des types primordiaux, c’est-à-dire juste l’antipode des idées d’évolution progressive, d’action continue des causes secondes, qui forment l’essence même du transformisme.

Appuyé sur des travaux sérieux, consciencieux et prolongés, un tel système est autre chose qu’une élucubration oiseuse. Il mérite à tous les égards qu’on le discute avec attention, qu’on tienne compte de ses argumens, qu’on l’apprécie avec équité. Le temps seul, juge suprême en ces matières controversées, consacrera de cette théorie, comme des autres, les parties vraiment viables ; mais la science dès à présent profite de ce qu’il y a d’évidemment utile et pratique dans un travail qui soumet au contrôle de l’expérimentation la valeur relative des caractères de plantes jusque-là souvent définies par quelques phrases simplement diagnostiques, c’est-à-dire ayant tout au plus la valeur d’un signalement de passeport. C’est par ce côté positif et digne d’éloges des travaux de M. Jordan qu’il nous paraît juste de commencer la discussion de son système. Pour cela, nous devons tracer un historique rapide des principales notions que les botanistes ont conçues de l’espèce.


I.

Les anciens, Théophraste en tête, n’ont eu sur l’espèce comme sur le genre que des idées vagues. Sans doute ils durent rapporter à la même espèce des individus qu’ils voyaient reliés les uns aux autres par le double lien de la ressemblance et de la filiation ; mais ils en restèrent sur ce point aux notions mal définies du vulgaire et des gens du monde. Pour les grands botanistes de la renaissance, ceux que Linné a si justement nommés patres, la connaissance des formes végétales fut une science très précise et très étendue ; mais l’idée ne leur vint pas de séparer nettement les formes principales permanentes constituant les vraies espèces des formes secondaires et souvent transitoires constituant les variétés. Richer de Belleval par exemple, l’illustre fondateur du jardin des plantes de Montpellier, sut, au commencement du XVIIe siècle, distinguer parmi les fritillaires d’Europe plusieurs espèces que Linné confondit plus tard sous le nom de fritillaria meleagris (fritillaire pintade) ; mais, si le vieil auteur devançait à cet égard les distinctions dues aux travaux de notre temps, il laissait le nom d’espèce aux fritillaires à fleurs doubles, qui n’étaient que des états monstrueux des espèces véritables. Tournefort lui-même, si versé qu’il fût dans la connaissance pratique des plantes, ne fit qu’entrevoir la distinction entre les espèces et les variétés. Linné, et c’est une de ses gloires, introduisit le premier l’ordre dans la manière de définir et de nommer les groupes d’individus appelés indifféremment espèces, et qu’il sépara nettement en espèces proprement dites et variétés, regardant à tort ces dernières comme le produit exclusif de la culture. D’ailleurs il ne sut pas distinguer les simples variétés, qui ne se conservent pas de graines, et les races, qui possèdent presqu’à l’égal de l’espèce, et sauf les accidens d’atavisme, la faculté de se perpétuer elles-mêmes par génération. Buffon, étudiant surtout les animaux domestiques, introduisit dans la science cette notion de la race[2]. Cuvier, de Candolle, reprirent en les précisant ces distinctions de l’espèce, de la race et de la variété, considérant la première comme le seul type primordial et permanent, la race comme une dérivation de l’espèce artificiellement conservée par les soins de l’homme, et la variété comme une modification de l’espèce à laquelle manque la fixité. Aux caractères de ressemblance et de filiation donnés par Cuvier comme attributs des espèces (races et variétés comprises), de Candolle ajoute comme un nouveau critérium la faculté de donner par fécondation des produits fertiles, tandis que les produits du croisement entre espèces seraient frappés de stérilité[3]. Devenues classiques dans la science, modifiées par l’adjonction des termes de variation, de sous-variation, pour les simples modifications individuelles, de sous-variété et de sous-race pour des subdivisions des termes correspondans, ces définitions ont fait longtemps et font encore partie du code de la botanique descriptive. On s’y est tenu dans la plupart des ouvrages, alors même qu’on en reconnaissait l’imperfection et qu’on avouait surtout combien il est difficile de marquer dans la pratique la distinction entre les divers groupes d’individus que représente chacun de ces termes.

Ce n’est pas tout en effet, dans une classification, que d’avoir préparé les cases dans lesquelles les êtres doivent entrer ; l’essentiel et le difficile, c’est de saisir les limites des soi-disant espèces, variétés, races, etc., en d’autres termes de caractériser chacun de ces groupes, de le définir et d’étendre ce travail de délimitation, tantôt, comme l’avait fait Linné, à la flore du monde entier, tantôt à des flores particulières et à des groupes de plantes traités en détail sous forme de monographies. Dans un tel travail, chaque botaniste a naturellement apporté les qualités et les défauts de son propre esprit, et comme, dans la définition de l’espèce, deux des termes, savoir la filiation et la fertilité des produits, sont des élémens biologiques sur lesquels la culture seulement pourrait fournir des renseignemens, il s’en est suivi que la plupart des espèces ont été fondées sur la ressemblance des individus, c’est-à-dire que l’arbitraire s’est librement exercé dans ces prétendues délimitations. De là tant de mauvaises espèces dont s’encombrent inutilement les catalogues, espèces fondées sur un échantillon desséché, souvent mutilé, incomplet, ne représentant, s’il s’agit d’un arbre ou d’un arbuste, qu’un brin de rameau, donnant de l’être entier l’idée que pourrait donner d’une statue la vue de la tête isolée du corps. Ces défauts dans la manière de définir et de décrire les plantes, tous les botanistes les avouent ; on cherche à les atténuer par l’étude sur le vif, et l’on peut dire qu’ils diminuent de jour en jour à mesure que les facilités d’étude et les meilleures méthodes d’observation tendent à se généraliser. Linné les exagéra au contraire, et fit positivement rétrograder la connaissance des formes végétales par des raisons multiples qu’il est juste de rappeler.

D’abord il habitait la Suède, une sorte d’ultima Thule par rapport aux autres régions de l’Europe. Ce séjour excentrique, sans l’isoler du monde des idées et des livres, lui ferma malheureusement le monde des plantes vivantes, à l’exception des flores relativement très pauvres du nord-ouest de notre continent. Débutant avec éclat dans la botanique par un voyage en Laponie, il prouva qu’il savait embrasser d’un coup d’œil tous les aspects de la nature vivante. La Flora lapponica, œuvre d’imagination et de verve juvénile en même temps que de science sérieuse, est comme la première floraison de ce sympathique génie. Ses premiers pas hors de la Suède furent ceux d’un athlète allant avec assurance à la conquête de la renommée. Jeune d’années, léger d’écus, riche d’espérances, l’amour dans le cœur, la tête brûlante d’idées, il traversa rapidement le nord-ouest de l’Allemagne et trouva sur le sol plat de la Hollande, dans les jardins du banquier Cliffort, une hospitalité généreuse en même temps que de vraies richesses en plantes exotiques vivantes et en livres de botanique. S’enfermant avec délices dans cette studieuse retraite, il en sortit avec deux œuvres de valeur très inégale : l’une, les Fundamenta botanica, mince opuscule qui renferme en quelques pages la préface admirable, le prélude de son œuvre de législateur botanique ; l’autre, l’Hortus cliffortianus, ouvrage de luxe où s’étalent tous ses défauts, la trop grande concision dans la caractéristique des espèces, une déplorable légèreté dans la détermination des plantes d’après des figures, enfin cette confiance en lui-même qui lui fait de bonne heure regarder comme mal fondées un grand nombre d’espèces légitimes des pères de la botanique, du dernier surtout et du plus grand peut-être, de notre illustre Tournefort, qu’il aurait pu continuer avec honneur, mais qu’il essaya trop souvent de supplanter. En dehors de ses voyages en Suède, de son court passage en Allemagne, de son séjour en Hollande, de rapides visites à Paris et en Angleterre, Linné ne connut rien de la végétation vivante de l’Europe. Les Alpes, les Pyrénées, les péninsules italienne et ibérique, le riche bassin de la Méditerranée, la Grèce, l’Orient, ce vaste théâtre des explorations des Rauwolf, des Clusius, des Lobel, des Barrelier, des Belleval, des Tournefort, tout cela resta lettre morte pour l’esprit essentiellement synthétique qui, dans un coin reculé de la Suède, voyait défiler sur le papier, sous forme de figures parfois grossières, les élémens de la végétation du globe entier.

Le jardin d’Upsal, si soigné qu’il fût, ne pouvait lui donner que de très maigres ressources pour l’étude sur le vif ; son herbier, si vanté et dont l’Angleterre s’enorgueillit comme d’une vénérable relique, est un témoignage de misère auprès des herbiers si riches de Tournefort et de Vaillant que conserve notre Muséum. À voir ces maigres brins de plantes, souvent dépourvus de tout certificat précis d’origine, on se demande comment le maître de tant de voyageurs célèbres, le correspondant admiré de tous les naturalistes de son temps, comment le descripteur, le parrain surtout de tant de plantes, a pu rester si pauvre en élémens matériels d’étude. Sans doute, comme plus tard Scheele sut avec des instrumens presque primitifs attacher son nom aux plus grandes découvertes de la chimie, Linné sut avec de pauvres matériaux élever d’imposans édifices ; mais la méthode de ces deux hommes illustres fut bien différente : Scheele, dans son obscure officine d’apothicaire, porta jusqu’au génie le don des recherches expérimentales ; Linné au contraire, nature brillante et primesautière, esprit plus étendu, plus compréhensif que profond, séduisit ses contemporains par le prestige d’une langue à la fois pittoresque et précise, s’imposa comme législateur en appliquant à tous les êtres son ingénieux système de nomenclature binaire et ces formules concises qui, sous le nom de diagnoses, permettaient de saisir dans une espèce la note caractéristique qui doit la distinguer de ses voisines. Ces formules, si commodes dans la pratique, eurent le tort d’accoutumer les esprits à la simple recherche des noms en les détournant de l’étude profonde et seule féconde des caractères que Linné lui-même appelait naturels, c’est-à-dire de l’ensemble des traits et de l’organisation de la plante. Par là, sans le vouloir et sans le savoir, Linné fit sûrement reculer la connaissance des espèces : il négligea d’ailleurs l’anatomie, la physiologie, la méthode expérimentale en général, et, supérieur à notre Buffon par son génie de classificateur, il lui céda le pas dans l’étude des grandes questions de généalogie des êtres dont notre siècle devait faire le pivot de l’histoire naturelle philosophique.

Une fois lancé dans des entreprises aussi vastes qu’un Systema naturæ, qu’un Genera, qu’un Species plantarum, Linné ne pouvait s’arrêter à l’étude des détails. La force même des choses, s’accordant avec la tendance naturelle de son esprit, le poussait à condenser en un petit nombre d’espèces les nombreuses formes que les anciens botanistes avaient décrites comme espèces différentes. Quelquefois ces réunions se sont trouvées justes, les vieux auteurs ayant souvent mis au même rang les espèces et les variétés ; plus souvent elles ont été fausses, et certaines espèces linnéennes, telles que myosotis scorpioïdes, ophrys insectifera, fragaria vesca, n’ont présenté sous le même nom qu’un assemblage forcé d’espèces parfaitement légitimes, déjà distinguées, en partie du moins, par des auteurs antérieurs et reprises à juste titre par des auteurs plus récens.

Hâtons-nous de le dire, ces méprises de Linné ne furent pas acceptées indifféremment comme vérités par tous ses disciples immédiats ou par les admirateurs et continuateurs de son œuvre. À côté des sectateurs serviles qui se contentaient d’appliquer tant bien que mal aux plantes de leur pays les noms linnéens avec leurs diagnoses étriquées, il y eut les travailleurs sérieux et indépendans qui consacrèrent aux plantes des descriptions détaillées et précises. Pendant que Jacquin, Swartz, Vahl, Roth, Ehrhart, perfectionnaient et corrigeaient en ce sens les procédés linnéens, l’esprit des Jussieu se reflétait dans les œuvres de Lamarck, Desfontaines et de Candolle, dirigeant les yeux de ces descripteurs non plus seulement sur les signes diagnostiques des plantes, mais sur l’ensemble de leurs traits, y compris certains caractères biologiques auxquels l’ancienne école s’attachait médiocrement. Dans notre siècle surtout, et toujours sous l’influence de la méthode naturelle, l’analyse des caractères des plantes est devenue plus pénétrante ; l’étude de leur évolution a révélé dans leurs organes végétatifs ou reproducteurs des diversités que l’on ne soupçonnait pas autrefois : c’est ainsi que les feuilles à demi caduques pendant l’hiver (caractère déjà noté par Clusius) et la maturation bisannuelle des glands ont fait distinguer le chêne-liège des Landes (quercus occidentalis, Gay) du véritable chêne-liège du Roussillon, de la Provence et de l’Algérie (quercus suber, Gay). Que de progrès dans cette voie accomplis dans l’espace d’un demi-siècle, et combien les botanistes de nos jours sont loin de l’époque où l’on se croyait très fort parce que, trouvant une ronce dans une haie, on la déterminait, sans souci de ses caractères, rubus fruticosus de Linné !

Ce progrès que nous venons de constater, M. Alexis Jordan ne l’ignore pas, et ne songe pas, je suppose, à le nier. Il en est lui-même un des auteurs, et nos flores lui devront assurément un grand nombre de notions précises sur des espèces excellentes qu’il a eu le mérite de mettre en lumière, en les retirant du chaos des espèces collectives de l’ancienne école linnéenne. Et pourtant ce progrès ne suffit pas à M. Jordan. Pour lui, c’est toujours l’école linnéenne continuée, c’est toujours la méthode qu’il appelle d’intuition appliquée à la distinction des espèces, — intuition, c’est-à-dire tact personnel, appréciation individuelle de la valeur des caractères, en définitive arbitraire, caprice, incertitude, absence de règle fixe et partant d’autorité scientifique. Pour formuler un tel reproche contre la presque totalité des botanistes, il faut que M. Jordan ait une règle bien sûre, une norme infaillible : cette règle, il croit l’avoir en effet ; il la pose, il la défend, il compte bien l’appliquer ou la faire appliquer à toutes les flores, dût l’œuvre entière de la botanique descriptive être reprise dans ses fondemens, dût telle plantule vulgaire que nous appelions en bloc draba ou erophila verna se scinder dans les flores de l’avenir en deux cents espèces ayant chacune son signalement et son nom. C’est le moment d’entrer dans le vif de la discussion de ce système : jusqu’ici nous n’avons vu qu’un progrès, voyons ce que serait la révolution,


II.

Toutes les formes végétales qui se perpétuent, semblables à elles-mêmes, par des semis successifs, sont et doivent se nommer des espèces ; telle est la formule inflexible dans laquelle M. Jordan enferme l’idée-mère de sa théorie. Toutes les espèces sont primordiales, immuables, irréductibles ; elles se propagent indéfiniment les unes à côté des autres, sans perdre leur autonomie, en donnant tout au plus des hybrides que leur stérilité laissera sans descendans : voilà d’autres points de doctrine qui se rattachent à la donnée principale. On le voit, l’idée de race, c’est-à-dire de variété, se propageant par génération avec une fixité relative de caractères, cette idée n’entre pas dans le système jordanien. Tout devient espèce, pourvu que la ressemblance se conserve par l’hérédité. Il y a là un premier point de fait à établir pour être fixé sur la valeur d’une espèce. Le semis devient le moyen expérimental d’apprécier cette valeur. Voyons donc ce qu’apprend le semis sur la fixité des formes chez les espèces réputées polymorphes.

La croyance ancienne et générale, même de nos jours, c’est que les formes qui constituent nos variétés ne se conservent pas régulièrement par le semis. On refuse surtout cette fixité aux variétés spontanées qui, sans la variabilité qu’on leur suppose, devraient être considérées comme des races. Or l’auteur d’un ouvrage estimé sur l’espèce, M. Godron, a pu se croire l’interprète d’une opinion bien établie, en affirmant « qu’il n’y a pas dans les végétaux sauvages, pas plus que chez les animaux, de races naturelles[4]. » C’est dire, en d’autres termes, que les variétés spontanées, telles que la nature nous les offre, restent soumises à tous les caprices de la variation et font retour vers le type dès que les causes qui les en avaient déviées cessent d’exercer leur influence. L’originalité de M. Jordan dans cette question est justement d’avoir su reconnaître et d’avoir prouvé que des formes jusqu’ici réputées de simples nuances dans l’espèce se conservent identiques à elles-mêmes pendant des séries de générations. Cette affirmation présentée avec une assurance tranchante a d’abord trouvé des incrédules : nous la croyons pour notre part excessive en tant que trop généralisée, et prenant trop la forme d’un axiome d’où l’auteur tire des conséquences très contestables ; mais la plus simple honnêteté scientifique, comme l’intérêt de la vérité, veulent qu’on vérifie l’exactitude de certains faits, alors même que ces faits dérangent l’équilibre toujours instable des idées du jour dans une science ouverte au progrès.

Le fait de la persistance par le semis de certaines formes qui semblaient n’avoir dans l’espèce que la valeur de simples nuances, ce fait est nettement établi par des expériences positives. En supposant qu’on tînt pour suspectes à cet égard, j’entends comme entachées de partialité inconsciente, les propres expériences de M. Jordan[5], le même doute ne saurait atteindre celles de MM. Verlot, à Grenoble, de M. Boreau à Angers, de M. Timbal-Lagrave à Toulouse ; ces botanistes appartiennent, il est vrai, à la tendance dite multiplicatrice des espèces, mais tous sont observateurs soigneux, descripteurs exacts, nullement inféodés aux idées théologiques qui sont la racine cachée des raisonnemens de M. Jordan. Encore moins soupçonnerait-on de connivence pour cette sorte d’aveuglement involontaire des esprits aussi fermes, aussi pénétrans, aussi imbus de la vraie méthode scientifique que le sont MM. Thuret et Bornet, d’Antibes. Se délassant de leurs profondes et délicates recherches sur les cryptogames par le soin et l’étude d’un magnifique jardin, ces deux savans ont su de bonne heure demander à la nature vivante ce que les herbiers et les livres ne donnent pas, des notions précises sur l’évolution, la manière d’être, les mœurs, si l’on peut ainsi dire, de chaque plante. Quand M. Bornet voudra publier ses recherches sur l’hybridation des cistes, la science comptera un chef-d’œuvre de plus sur ce sujet du croisement des plantes, illustré par les travaux de Kölreuter, de C.-F. Gaertner et de Naudin. Au lieu de condamner, au nom des principes, la méthode jordanienne, ces botanistes ont choisi la manière la plus équitable de la juger, c’est de soumettre les prétendues nouvelles espèces au critérium de la culture. L’expérience sur bien des points a confirmé les assertions de M. Jordan. « Sept ans de suite, nous écrit M. le docteur Bornet, nous avons semé quatorze espèces d’erophila. Elles n’ont présenté ni variations ni hybrides, quoique les pots fussent rangés les uns près des autres. Pendant quatre ans, j’ai ressemé cinq ou six des formes du papaver dubium que M. Jordan a décrites[6]. Les caractères, principalement ceux de la capsule, se sont montrés les mêmes dans toutes les générations. Toutefois, dans cette série d’expériences, il s’est produit un certain nombre d’hybrides spontanés[7]

Admettons comme positivement acquis les faits qui précèdent, et portons-les sans hésiter au crédit de M. Jordan. Donnons-lui tout le mérite d’avoir érigé en méthode expérimentale régulière ce moyen d’appréciation de la valeur des caractères des plantes que les botanistes n’ignoraient pas sans doute, mais dont ils ne faisaient usage que de loin en loin et sans y donner toute l’attention voulue[8]. Est-ce à dire qu’il faille suivre l’auteur dans les conclusions qu’il tire de ces prémisses ? Avant d’aller au bout de cette voie, avant même de s’y engager trop avant, les doutes surgissent, les objections se pressent, et l’esprit de saine critique, un moment ahuri par le ton dogmatique du chef d’école, se demande si des interprétations moins tranchantes ne sont pas mieux en rapport avec la nature des choses et avec le courant général des idées sur des sujets obscurs sans doute, mais où le travail et la méditation de tant de naturalistes illustres ont tracé de lumineux sillons.

Et d’abord faut-il laisser admettre en principe que toute forme demeurant fixe à travers un certain nombre de générations a par cela même le droit au titre d’espèce ? M. Jordan le veut ainsi, et, grâce à cette définition inflexible, il va jusqu’à prétendre que les soi-disant variétés des botanistes sont le plus souvent les vraies espèces, tandis que les prétendues espèces linnéennes devraient, dans bien des cas, être assimilées aux genres et aux sous-genres, c’est-à-dire à des groupes d’espèces plus vaguement délimités que ne doit l’être l’espèce elle-même. Nous reviendrons sur cette hypothèse de M. Jordan, qui serait un renversement complet des idées reçues sur l’espèce et le genre ; mais, avant d’aborder ces considérations théoriques, il faut voir si les variétés des botanistes et les races des jardiniers ou des agriculteurs sont aussi stables que le croit et que l’assure M. Jordan, si surtout elles sont assez équivalentes aux espèces pour que leur existence, dans les idées immutabilistes de M. Jordan, doive remonter à une création primitive et unique.

Il faut écarter d’abord du débat ces altérations toutes superficielles du type spécifique, qui, sous l’influence de causes extérieures, ne modifient que les dimensions des individus sans atteindre leurs caractères profonds : ce sont là de pures variations auxquelles on n’attache pas de nom spécial, parce qu’on les regarde comme essentiellement contingentes et passagères. M. Jordan lui-même ne les considère pas autrement en théorie, bien que l’école multiplicatrice en général, portée vers les distinctions subtiles, décrive souvent comme espèces ces variations insignifiantes. Écartons également les hybrides, produit du croisement entre espèces, les métis, produit du croisement entre races. M. Jordan admet l’existence de ces êtres comme déviations monstrueuses : c’est probablement aux hybrides que se rapporte le passage suivant de ses écrits : « On conçoit que les formes typiques (l’auteur entend par là l’essence, ou ce qu’il nomme dans sa langue empreinte de scolastique le fond substantiel de l’espèce), on conçoit que les formes typiques puissent se combiner les unes aux autres, de telle sorte que les plus simples deviennent les élémens d’autres plus complexes, qui les absorbent dans leur unité par leur énergie propre, manifestée par des lois spéciales de développement. » Ces hybrides, très souvent stériles ou d’une fécondité bornée, s’éteignent ou reviennent au type des ascendans par la loi de l’atavisme ; il en est un pourtant, le blé œgilops de Fabre, qui, fixé à l’état de type durant trente-quatre générations, dérange singulièrement l’hypothèse jordanienne sur l’existence primordiale de toutes les formes qui se maintiennent constantes par le semis. Les métis, souvent très fertiles, se confondent avec les races par leurs aptitudes physiologiques et ne s’en distinguent que par le caractère mixte de leurs traits. Un phénomène qui leur est commun avec les hybrides, c’est la disjonction qui s’opère parfois brusquement entre leurs organes, dont les uns reprennent les traits d’un ancêtre et les autres celui d’un autre ascendant (cas du cytisus Adami, des oranges bizarria, des belles-de-nuit multicolores, etc.). Abstraction faite de ces variations superficielles, de ces mélanges de types et des monstruosités proprement dites, il nous reste encore à soumettre à la théorie de M. Jordan les variétés sauvages, les variétés cultivées et les races, qui presque toujours appartiennent également à la culture.

La plupart des variétés spontanées n’ont été distinguées que par leurs caractères extérieurs, par le procédé d’intuition, et cela sans règle bien fixe, la diversité portant sur des organes très différens suivant les plantes, quelquefois sur un seul caractère, d’autres fois sur un ensemble de caractères diversement combinés. Tantôt c’est un simple changement dans le coloris des fleurs (variétés albiflores d’une foule de plantes à fleurs normalement bleues, rouges, violettes ou jaunes) ; lorsque ce phénomène se présente isolé, c’est à peine s’il mérite d’être noté autrement que comme variation accidentelle. D’autres fois c’est le feuillage, qui se montre atteint d’albinisme (panachure blanche ou jaune) ou d’une sorte de mélanisme (teinte noir-pourpre du feuillage qui se produit parfois spontanément chez le hêtre de nos bois) : ces déviations, plus fréquentes dans la culture, véritables altérations morbides de la chlorophylle, respectent les vrais caractères spécifiques et constituent à peine des variétés. Voici maintenant, dans le même bois, des milliers de pieds d’une pivoine appelée peregrina ; l’ensemble de leurs traits est identique ; même feuillage, mêmes fleurs, sauf que chez les uns les feuilles et les ovaires sont tout à fait glabres, chez les autres les feuilles sont pubescentes en dessous et les ovaires couverts de duvet. De Candolle a fait de ces deux formes des variétés ; mais il l’a fait sur la simple vue superficielle : l’école jordanienne en fera probablement des espèces, surtout si l’expérience des semis continués montre que ces formes glabre et velue se conservent par voie de génération. Autre cas qui prête au conflit entre l’ancienne école et la nouvelle : voici sur la plage de la Méditerranée un joli orchis que ses fleurs délicieusement odorantes ont fait appeler fragrans : gravissons les montagnes des Cévennes, nous croirons retrouver le même orchis, mais une odeur de punaise nous avertit que c’est l’orchis coriophora. Pour le botaniste de l’ancienne école, l’orchis fragrans de Pollini n’est qu’une variété de l’orchis coriophora (orchis punaise) de Linné ; mais le conflit des deux opinions persisterait alors même que les deux formes se reproduiraient de graines, car d’une part le caractère de l’odeur est reconnu pour tout à fait superficiel, et d’autre part l’école de l’espèce large admet dans les types sauvages l’existence de sous-espèces qui seraient l’équivalent spontané des races de plantes de la culture[9]. Sans multiplier les exemples du même genre, voici les concessions que nous ferons très volontiers à M. Jordan et à son école : oui, beaucoup de formes inscrites dans les livres avec des noms bien arrêtés de variétés ne sont que de purs accidens qui ne méritent qu’une mention générale ; oui, quand les variétés sauvages sont mieux tranchées, quand l’ensemble de leurs traits est modifié de manière à donner prise à une véritable diagnose, de deux choses l’une, ou nous avons affaire à deux espèces méconnues, ou tout au moins serait-il juste de donner à ces formes bien tranchées le titre de sous-espèces en laissant chaque botaniste libre de considérer ce titre tantôt comme un nom d’espèce, s’il est jordanien, tantôt comme sous-espèce, s’il se rattache à la tradition linnéenne.

Nous concéderons plus encore à M. Jordan, nous reconnaîtrons que sa méthode d’analyse et de démembrement des anciens types est plus avantageuse à la science que la méthode trop synthétique des condensateurs d’espèces. L’analyse en effet, pourvu qu’elle ne se perde pas en des subtilités insaisissables, fournit à la botanique descriptive, à la géographie des plantes, à toutes les branches de la science des êtres, des élémens en quelque sorte épurés et propres à être mis en œuvre pour les généralisations ; une synthèse qui se contente de mettre en bloc, sans discernement et sans choix, des matériaux souvent disparates n’aboutit qu’à la confusion en favorisant la paresse des esprits superficiels. À ce point de vue, il faut le dire, l’école transformiste, si distinguée à d’autres égards, en affaiblissant la croyance à la réalité de l’espèce[10], risque de compromettre la botanique descriptive. Il est en effet bien plus commode de nier l’espèce en général que de chercher des limites, fussent-elles approximatives, aux espèces en particulier ; mais aussi ces réunions in globo de formes distinctes ne peuvent rien dire de net à l’esprit. L’on se demande par exemple en quoi cela peut servir à la botanique sérieuse d’apprendre par telle flore que le ranunculus aquatilis existe dans une contrée ; c’est à peu près comme si, ayant à citer la Normandie, le Languedoc ou la Provence, on se contentait de dire la France. Bien renseigné serait le lecteur qui chercherait à s’instruire dans un tel livre ! Si l’on me décrit au contraire sous des noms distincts les formes, la plupart bien arrêtées, de l’ancien ranunculus aquatilis, je profiterai de ces renseignemens précis, sans trop m’inquiéter si ces formes doivent s’appeler des espèces ou des sous-espèces, ou de simples variétés.

Jusque-là donc, et dans ces limites, nous n’avons que des éloges à faire de l’école jordanienne : elle a secoué la torpeur des botanistes qui s’imaginaient faire œuvre de science en appliquant plus ou moins bien a leurs plantes les noms et les petites phrases toutes faites des anciennes flores. Dans les genres dits polymorphes, tels que rubus, rosa, sempervivum, etc., elle a introduit, à côté de bien des subtilités, des coupes d’espèces précises et nettes. Bien qu’elle n’ait pas toujours mis en pratique la méthode expérimentale des semis, qu’elle ait à tout moment confondu les variations avec les variétés, les variétés pures avec les hybrides, on peut dire qu’elle a classé en catégories distinctes les formes jusque-là laissées en désordre de la plupart des espèces dites collectives ; mais, cette part de l’éloge faite, et faite très largement, il sera bien permis de faire la part des réserves et des reproches. Et d’abord cette école, qui se dit nouvelle, l’est-elle autant qu’elle se le figure ? Sur quels principes fonde-t-elle son autonomie, son originalité ? Est-ce sur la base pratique du morcellement des anciennes espèces dites linnéennes ? Est-ce sur le dogme jordanien de la primordialité, de l’irréductibilité, de l’immutabilité absolue des formes essentielles (au sens scolastique du mot, ce que nous appellerions plus volontiers des types, des espèces) ? Serait-elle à la fois multiplicatrice, comme l’appelle M. Duval-Jouve, et jordanienne, comme la vox botanicorum l’a spontanément désignée ? Dans le premier cas, elle n’est rien moins que nouvelle ; ses ancêtres sont partout, ils abondent surtout au XVIe siècle et s’appellent Lobel, Clusius, Dodoens, les deux Bauhin, etc. Au XVIIe siècle, Richer de Belleval, Ray, Tournefort ; plus rares au XVIIIe siècle, où Roth, Ehrhart et Pourret représentent cette tendance, ils se multiplient de nouveau dans notre siècle, où Reichenbach et Weihe en Allemagne, Fries en Suède, Schleicher, Gaudin et Boissier en Suisse, Tenore, Gussone, Parlatore en Italie, Webb, Seringe et Spach en France, Dumortier en Belgique, Babington en Angleterre, sans se croire des novateurs, appliquaient l’esprit d’analyse au débrouillement des genres ou des espèces chaotiques. Si les chefs de file de la botanique descriptive, les Robert Brown, de Candolle, Jussieu, Kunth, Auguste de Saint-Hilaire, Hooker, Bentham, Koch, J. Gay, restaient en apparence étrangers à ce mouvement, c’est que, plus naturellement synthétiques par la généralité de leurs vues, ils jouaient le rôle de conservateurs libéraux fidèles à la tradition linnéenne, mais toujours prêts à introduire dans la distinction des espèces les procédés plus rigoureux d’une analyse perfectionnée. C’est cet esprit à la fois prudent et progressif qui doit régner chez les maîtres de la science. L’esprit d’analyse, la recherche des distinctions de détail, sont plus naturellement dévolus aux monographes, aux floristes, à ceux qui, moins préoccupés des questions d’ensemble, peuvent appliquer à l’étude des plantes d’un groupe restreint ou d’une région limitée des facultés d’observation souvent précieuses lorsqu’elles ne se perdent pas dans la minutie. Que l’école multiplicatrice soit donc plus modeste, qu’elle se reconnaisse des ancêtres, qu’elle respecte davantage dans ceux qu’elle appelle dédaigneusement des linnéens certaines facultés de pondération qui leur font mieux apprécier la valeur relative des caractères : la vérité, c’est qu’il n’y a pas deux écoles tranchées, l’une du passé, l’autre du présent, il n’y a pas même deux esprits irréconciliablement antagonistes, il y a sur ce coin du vaste champ intellectuel ce qui se trouve partout ailleurs dans l’activité humaine, des esprits attardés dans la routine, d’autres avides de nouveautés, puis entre deux les esprits modérés qui pèsent toutes choses, en adoptent ce qui leur en paraît bon, et laissent au temps le soin d’opérer dans les idées un triage définitif.

Ici se présente un contraste qui nous frappe entre ce qui se passe respectivement en entomologie et en botanique, à l’égard des subdivisions des anciens groupes. En entomologie, l’esprit d’analyse porte surtout sur les genres : on en est venu à cet égard à de véritables excès par l’émiettement des genres classiques d’insectes. En botanique, la fureur du morcellement s’est portée de préférence sur l’espèce. Cette différence tient peut-être à des raisons bien peu scientifiques. Les entomologistes en sont déjà à l’encombrement en fait d’espèces ; ils en trouvent de nouvelles tant qu’ils veulent, leur désir serait plutôt de les condenser que de les multiplier ; dès lors le goût inné de faire du neuf se tourne vers le remaniement des genres : on fonde des genres nouveaux sur des différences qui, chez les plantes, n’auraient qu’une valeur d’espèce. En botanique au contraire, dès qu’il s’agit de flores d’Europe anciennement étudiées, la veine des espèces nouvelles, au sens large ou linnéen, est presque tarie ; donc il faut faire du neuf avec le fonds vieux, et l’on se met à donner des noms d’espèce aux moindres nuances de formes, sans garder la juste proportion entre les types vraiment arrêtés et les variations indécises qui ne sont que des états individuels et passagers. On mérite alors ce nom de trichoscopes, de compteurs de poils, que les botanistes synthétiques lancent comme une injure aux pulvérisateurs d’espèces.

Le mot pulvérisation n’est pas trop fort, si l’on songe à quels excès de subdivision en est déjà l’école jordanienne exagérée, à l’égard de certains types vulgaires, tels que le draba verna. Écoutons là-dessus le maître lui-même. « J’ai signalé, dit M. Jordan, il y a déjà un grand nombre d’années, cinquante-trois espèces d’erophila toutes établies aux dépens du seul draba verna de Linné. Depuis, ma collection s’étant accrue par des acquisitions successives. ce n’est plus seulement cinquante-trois, c’est deux cents espèces environ d’erophila que je reproduis par semis chaque année. Toutes par exception se conservent parfaitement identiques sans hybridation, sans modification aucune, les individus d’une même forme n’offrant jamais d’autre différence que celle de la taille, suivant qu’ils sont plus ou moins nombreux dans un même espace de terrain ou que le sol en est plus ou moins fertile[11]. » C’est très bien, dirons-nous à M. Jordan : vos deux cents espèces sont permanentes ; mais sur quels caractères avez-vous établi leur autonomie ? Est-ce sur le fruit, sur les feuilles, sur l’inflorescence, sur tout cela combiné ? Par quel miracle de langage arriverez-vous à rendre comparatifs et différentiels les signalemens de ces deux cents formes, reposant sur des nuances subtiles ? Etes-vous sûr de reconnaître demain celles que vous aurez étudiées la veille ? Et pour des profanes comme nous de la vieille école, pour les novices dans la botanique, faudra-t-il renoncer à parler de l’erophila verna avant d’avoir sué toute une journée pour savoir quels de vos erophila trichoscopiques sont en question ? Certes nous ne refusons pas à M. Jordan le don de savoir saisir et noter des différences même légères ; mais, quand on sait qu’il a cru voir deux ou trois espèces dans les fragmens d’inflorescence pris sur le même pied d’asphodèle, on peut bien émettre un doute sur la valeur spécifique de ses deux cents espèces d’erophila.

Un des argumens que M. Jordan invoque surtout en faveur de l’autonomie de ses espèces, c’est qu’on les trouve croissant en société, mélangées les unes aux autres dans le même espace de terrain, et conservant néanmoins l’intégrité de leurs caractères distinctifs. Ces formes ne sont donc pas les résultats de l’action du sol ou du milieu ambiant, en d’autres termes ce ne sont ni des variétés dites locales (régionales, si l’on veut), ni des variations superficielles dues à des circonstances tout extérieures. L’auteur insiste même sur ce fait, que des espèces rarissimes, telles que l’alyssum pyrenaicum, crucifère fruticuleuse, connue sur un seul rocher inaccessible des Pyrénées orientales (à Font de Comps, près de Pradzes), lui a présenté deux formes distinctes qu’il a lieu de croire des espèces. Il cite des exemples analogues tendant à prouver que les espèces réputées les plus uniformes se résoudront en espèces multiples. Or que vaut cet argument de la persistance des formes affines (et pourtant distinctes) en mélange sur le même bloc de terrain ? Il prouve une chose que nous sommes prêts à concéder : c’est que la force qui donne à chaque individu sa forme propre est une force interne déjà renfermée en puissance dans l’embryon et qui persiste toujours, alors même qu’elle semble dominée par la pression des forces extérieures. Les déterministes les plus décidés eux-mêmes, tels que M. Claude Bernard, ceux qui, comme Lamarck et Darwin, ont fait la part très large à l’action modificatrice des milieux sur les formes extérieures des êtres, ceux-là même ont laissé à la plante une direction innée d’évolution qui sauve les individus des modifications trop brusques et ne subirait de déviation notable que par une série prolongée d’actions lentes et successives. Il n’est pas plus extraordinaire de voir deux formes de la même espèce de plante se développer l’une près de l’autre que de voir le blanc et le nègre coexister sur le même sol et sous le même climat, et cette coexistence n’implique pas mieux la diversité spécifique de ces deux types d’hommes que la coexistence des deux formes d’alyssum n’implique leur valeur comme espèces.

Tout ce qui précède s’applique aux plantes sauvages. En abordant maintenant les plantes soumises à la culture, nous examinons de plus près ce qui fait le fond du système de M. Alexis Jordan, savoir la théorie de l’espèce primordiale, immuable, réalisation d’une idée divine prise à l’origine des choses.

Le 14 décembre 1852, lorsque M. Jordan, connu seulement comme descripteur de plantes, lut devant l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, son mémoire sur l’Origine des variétés ou espèces d’arbres fruitiers, les temps étaient mûrs pour la reprise de la grande bataille sur l’espèce. M. Naudin venait de publier des considérations qui préludent à beaucoup d’égards à la théorie de Darwin. Dunal avait mis au jour les observations d’Esprit Fabre, concluant à la transmutation de l’œgilops, graminée sauvage, en froment. L’idée transformiste se réveillait, grosse de conséquences qui pouvaient échapper aux esprits superficiels, mais que d’autres, plus sagaces, savaient en tirer dans le sens de leurs sympathies ou de leurs implacables répulsions. M. Jordan fut au nombre de ces derniers, et son manifeste, — car le mémoire cité a cette portée, — fut non pas seulement l’exposé d’une théorie, mais la défense du dogme de l’immutabilité des espèces. « Indépendamment des botanistes attardés, il y a toute une école, vivant jusqu’ici dans les abstractions et les chimères, qui est impatiente de pouvoir enfin prendre pied sur le terrain de l’expérience. Les partisans de la philosophie de l’identité absolue sentent tous de quelle importance il serait pour eux que la variabilité de l’espèce fût démontrée par les faits, puisque leurs théories recevraient ainsi la consécration de l’expérience, qui leur a toujours manqué. Aussi voit-on tous les adorateurs du Grand-Tout, de ce dieu qui est à la fois nature et humanité, de si loin qu’on leur montre une petite brèche faite au principe de l’immutabilité des types spécifiques, accourir pour s’y précipiter avec leurs belles doctrines déployées et tous les nouveaux axiomes de logique et de morale qui en sont le cortège obligé, espérant pénétrer par là dans le sanctuaire de la science dont il leur a jusqu’à présent fermé l’entrée[12]… » Ainsi parle un croyant doublé d’un homme de science, mais du savant qui peut écrire les propositions suivantes : « L’observateur qui étudie les faits a besoin d’une lumière pour éclairer sa voie ; sans cela il marche comme un aveugle et à tâtons. Cette lumière ne lui viendra pas des faits purement matériels, puisqu’il en a besoin pour les connaître et les juger ; elle ne pourra lui venir que des sciences métaphysiques. Selon moi, l’observateur qui veut marcher d’un pas assuré dans la route qu’il doit parcourir doit prendre toujours la philosophie pour guide et la théologie pour boussole. » Toute l’œuvre se ressent de ce ferment d’esprit dogmatique qui lui donne une saveur étrange et corrompt, sans que l’auteur s’en rende compte, ses meilleures intentions de rester sur le terrain de l’expérience. Une confiance hautaine, un ton tranchant, une argumentation serrée, mais ardente, un secret mépris de l’adversaire, l’usage trop commode d’attribuer à des erreurs de fait ou d’observation les objections embarrassantes, tout cela perce dans cet écrit remarquable, où l’on sent qu’une foi profonde anime des convictions tout d’une pièce, fermes et tenaces au point qu’on retrouve entières après vingt ans même celles que les faits auraient dû modifier.

L’idée générale du mémoire en question est non-seulement que les espèces sont immuables, mais que les races elles-mêmes, ces formes relativement fixes des légumes, des fruits de nos cultures, ont une origine antédiluvienne dans le sens biblique du mot. Noé les aurait sauvées dans l’arche en même temps que les animaux domestiques. Doué de cette foi robuste qui méprise des montagnes d’objections, l’auteur n’a pas même l’air de soupçonner combien cette hypothèse renferme d’impossibilités matérielles et de contradictions logiques. Il fait sortir d’un coin de l’Asie tempérée non pas seulement tous nos fruits d’Europe, mais implicitement aussi tous ceux des autres régions même les plus chaudes du globe, puisque, le déluge étant universel, le même navire qui aurait sauvé les poires, le raisin, les pêches, aurait dû sauver également le mangostan de l’Inde, l’arbre à pain de la Polynésie, le maïs, le manioc et la pomme de terre de l’Amérique ; mais laissons cette partie du système, y insister serait chercher sur le terrain de la science un triomphe trop facile. Voyons plutôt quelle idée M. Jordan se fait des races, soit dans la période antéhistorique, soit dans la période actuelle.

Embarrassé par l’évidence de la création de races d’animaux qui s’est faite et se fait en quelque sorte sous nos yeux, M. Jordan commence à nier qu’il y ait assimilation possible entre les races domestiques animales et les races de végétaux des cultures. Il prétend que les premières, y compris les races humaines, « n’ont qu’une fixité relative et ne sont constituées que par des caractères d’une importance secondaire. » Il en conclut que ces races animales peuvent bien être nées par variation d’un petit nombre d’espèces primitives, tandis que, derrière chaque race végétale, il trouve un ancêtre sauvage spécial dont la race ne serait qu’une modification. Établir ainsi entre végétaux et animaux une différence radicale, c’est violer ouvertement toutes les lois de l’analogie et de la grande unité du règne organique et de la nature elle-même ; mais M. Jordan devait le faire pour éviter la conséquence de l’application de son système aux races humaines. Si chaque race en effet n’est qu’une espèce domestiquée, l’espèce humaine elle-même devient multiple, et M. Jordan, polygéniste à outrance en botanique, est logiquement forcé de l’être en zoologie, ou, si l’on veut, en anthropologie. Il croit échapper à ce danger en acceptant pleinement l’idée de race chez l’homme, tandis que toutes les fois qu’il parle de races de plantes, c’est avec l’idée formellement exprimée ou sous-entendue qu’il s’agit de véritables espèces.

Il est vrai que, sur le terrain de la botanique horticole, M. Jordan se sent assez à l’aise pour contester les assertions les plus nettes sur le caractère de race ou de variété attribué aux diverses formes de végétaux d’utilité ou d’ornement. Reprochant avec raison à la plupart des horticulteurs le peu de précision scientifique de leurs soi-disant expériences, il se sert de cette suspicion générale pour contester la valeur des assertions qui le gênent, tandis qu’il accueille avec complaisance les assertions favorables à ses vues. C’est ainsi qu’il jette des doutes sur telles expériences de Vibert, de Knight, de Sageret, démontrant l’apparition par voie de semis de variétés nouvelles parmi les variétés anciennes, et donne au contraire toute créance à Van Mons affirmant que toutes ses nouveautés en fait de poires sont sorties dès la seconde génération de sauvageons pris dans les bois et présentant déjà les caractères typiques de leurs descendans. Il faut dire que le poirier est parmi nos arbres fruitiers l’un des plus favorables à cette thèse, car c’est celui dont les variétés sont le moins fixes et retournent le plus au sauvageon lorsqu’on sème les variétés perfectionnées[13]. Mais qui pourrait raisonnablement soutenir que des races nouvelles ne se sont pas formées dans les temps modernes et surtout depuis un siècle parmi les pêches, les abricots, les oranges, arbres dont les types sauvages n’existent pas dans nos bois et chez lesquels les variétés deviennent souvent assez constantes par le semis pour que ce moyen de propagation leur soit appliqué de préférence à la greffe ? Pour ce qui est de nos vignes asiatico-européennes, la plupart passées à l’état de race, c’est-à-dire se maintenant de semis, on peut arguer de l’antiquité du plus grand nombre, déjà connues des Orientaux, des Grecs et des Romains, pour supposer que leurs types sauvages existaient jadis dans les bois : on peut ajouter que nos lambrusques ou vignes sauvages ne représentent pas un type uniforme, qu’on en trouve à fruit blanc comme à fruit noir, à saveur de muscat comme sans arôme déterminé, qu’il y a même un certain rapport général entre les vignes sauvages d’une région et les types les plus locaux de vignes cultivées ; mais d’une part rien ne prouve qu’une partie des vignes de bois ne soient pas des transfuges abâtardis de nos cultures, et d’autre part la fertilité des produits de croisement entre ces vignes y fait reconnaître plutôt des métis entre races que des hybrides entre espèces. D’ailleurs les vignes cultivées des États-Unis, dérivées en moins d’un siècle de quatre ou cinq types sauvages, sont là pour montrer combien l’art du pépiniériste était nécessaire pour donner naissance à plus de cent variétés, ou peut-être races, dont quelques-unes portent des traces d’hybridation, mais qui pour la plupart ont gardé vis-à-vis de leurs parens sauvages des bois les signes incontestables d’une filiation directe. Est-ce dans l’arche de Noé que M. Jordan placerait rétrospectivement le concord, le Norton’s Virginia seedling, le catawba, l’isabelle, et tant d’autres vignes qui portent dans leur nom le certificat de leur origine toute récente ?

Ainsi forcé par les prémisses de son système de chercher à toute forme végétale bien tranchée une origine primordiale antéhistorique, M. Jordan rencontre dans chaque fait de naissance constatée d’une de ces formes un nouvel argument contre ses idées ; mieux sera établie l’origine moderne, contemporaine, actuelle d’une race végétale, mieux on connaîtra les circonstances, les conditions de cette sorte de création faite sous nos yeux, plus sera grave l’atteinte portée à la généralité absolue de sa théorie. Or ce caractère scientifique, expérimental, se trouve au plus haut degré chez une forme végétale des plus étranges, née par une double hybridation d’une graminée sauvage, l’œgilops ovata, et de la graminée domestique par excellence, le froment de nos moissons. L’histoire de ce blé œgilops, comme l’a nommé M. Godron, forme peut-être le chapitre le plus curieux du livre à peine entr’ouvert de l’origine des êtres : elle vaut la peine d’arrêter quelques instans l’attention de tous ceux qui s’intéressent aux grandes questions de biologie générale.


III.

Les œgilops sont des graminées annuelles qui vivent socialement, c’est-à-dire par masses d’individus, dans les endroits secs et stériles de la région méditerranéenne[14]. Une taille plus basse, des épis plus courts, des grains peu nombreux dans chaque épillet et restant cachés dans les valves ventrues de glumes à fortes nervures terminées par plusieurs arêtes divergentes, tels sont les traits qui les font distinguer à première vue des diverses variétés de froment, à côté desquelles elles croissent souvent en bordure. Il faut bien pourtant qu’une certaine ressemblance générale rapproche ces deux types, Ægilops et Triticum, puisque le célèbre André Césalpin, esprit sagace et philosophique, donne à l’œgilops ovata le nom de triticum sylvestre, et que, chose plus curieuse, les Arabes de Syrie, au dire du docteur Gaillardot, appellent le même œgilops, oum el ghamme, mère du blé. En Sicile, où cette plante est commune, le paysans en mangent le grain rôti dans ses enveloppes mêmes, en mettant le feu aux barbes des épis mis en bouquets[15]. C’est justement de Sicile que le professeur Latapie, de Bordeaux, aurait rapporté un œgilops, dont les graines, semées pendant plusieurs années dans des pots qu’on ne perdait jamais de vue, ne tardèrent pas, écrit Bory de Saint-Vincent, à donner naissance à une plante plus élevée, d’un port tout différent, et qui, perdant ses caractères génériques, se transforma en blé.

Bien que cette idée de transmutation d’une graminée sauvage en froment fut renouvelée des Grecs, elle ne gagna pas grande faveur parmi les naturalistes modernes. Déjà réfutée par Lamarck en 1786, c’est-à-dire avant qu’il fût lui-même partisan de transmutations plus radicales, elle ne pouvait trouver un appui solide ni sur les assertions un peu superficielles de Bory de Saint-Vincent, ni sur les rêveries et les prétendues observations de Raspail, ni sur les expériences inédites d’un amateur, feu Timon David. La question entra dans une phase scientifique et précise lorsque parurent en 1853, sous les auspices du savant botaniste Félix Dunal, les observations d’un simple jardinier maraîcher qui, presque dépourvu de toute culture littéraire, avait trouvé dans un seul livre, la Flore française de A.-P. de Candolle, mais surtout dans une sagacité merveilleuse, dans une application d’esprit indomptable, les moyens de se faire botaniste, d’enrichir la flore de la France des plantes les plus rares qu’on y ait peut-être découvertes dans notre siècle et de débrouiller autant qu’on pouvait le faire avec une simple loupe les phénomènes cachés de la fécondation d’une cryptogame. Doué de cette sorte d’intuition qui fait Les inventeurs, Esprit Fabre, d’Agde, sans rien connaître des idées ou des travaux de ses devanciers, fut amené à produire par la voie expérimentale, au moyen de semis successifs, ce qu’il crut être une véritable métamorphose de l’œgilops en froment.

Le point de départ de ces semis fut une forme très singulière d’œgilops que le botaniste Requien, d’Avignon, découvrit dès 1824, et qu’une certaine ressemblance avec le froment lui fit baptiser œgilops triticoïdes. Retrouvant la même plante près d’Agde, Esprit Fabre fit le premier une remarque des plus curieuses et qui devait lui donner l’idée de considérer cette plante triticoïde comme un des termes de la transformation de l’œgilops ovata en blé. Il vit en effet cette forme à épi long et cylindrique naître d’une graine encore enfermée dans les glumes d’un épi d’œgilops qui, par d’autres graines également encloses dans ses glumes, donnait naissance à l’œgilops ovata. Il faut dire que l’épi de cet œgilops se détache tout d’une pièce de son pédoncule et, s’enfonçant dans le sol par sa base amincie en pointe dure, germe sous l’influence des pluies d’automne, pour fleurir dans le cours de l’été suivant. Ainsi deux formes très distinctes d’œgilops, l’une ovata, l’autre triticoïde, avaient pu naître de deux graines mûries sur le même épi avec lequel leur continuité n’était pas douteuse.

Cherchant avec acharnement chez l’œgilops triticoïde des graines que sa stérilité lui refuse presque toujours. Esprit Fabre finit par en trouver un très petit nombre, encore étaient-elles ridées et en apparence imparfaites. Il les sema néanmoins à l’automne de 1838 ; mûres en juillet 1839, les plantes de ce premier semis se rapprochèrent du blé dit touzelle par leur apparence générale, leur haute taille (70 à 80 centimètres), et la réduction à deux (presque à une) des arêtes de leurs glumes ; mais les épis demeurèrent cassans à leur base, comme chez les œgilops (on sait qu’ils tiennent au chaume dans les fromens), et les graines, très rares encore, ne dépassèrent pas cinq pour une de semée. Sept années de culture successive dans l’enceinte d’un jardin modifièrent graduellement, en la rapprochant de plus en plus du froment touzelle, les dimensions, les caractères, et surtout la fertilité de la plante en expérience. Bientôt ces caractères semblèrent fixés, et, sauf la désarticulation de l’épi, qui persista chez la plupart des pieds. Esprit Fabre put se faire l’illusion qu’il avait tiré de l’œgilops ovata, par le simple perfectionnement dû à la culture, un blé véritable, un vrai froment, qui, cultivé en plein champ pendant quatre années consécutives, avait conservé sa forme et donné des récoltes semblables à celles des autres blés du pays. Telle fut aussi la conclusion de notre vénéré maître Dunal. Il n’hésita pas à voir dans les œgilops les ancêtres sauvages des blés cultivés, et fit honneur au modeste jardinier d’Agde de la solution d’un problème que les anciens n’avaient fait que pressentir.

Et pourtant, si les observations de Fabre étaient d’une rigoureuse exactitude, l’interprétation n’en était pas moins erronée : c’est ce que démontrèrent bientôt des observations nouvelles de M. Godron. Frappé de ce fait, que les formes triticoïdes d’œgilops, toujours rares et disséminées, se rencontrent exclusivement au bord des champs cultivés en blé l’année précédente, constatant d’ailleurs leur stérilité presque absolue, M. Godron soupçonna là quelque influence d’hybridité. Ce soupçon devint certitude lorsque des fécondations artificielles de l’œgilops par le froment lui ont donné comme produit ce même œgilops triticoïdes[16], qui se révélait ainsi comme un hybride de premier sang et non comme une simple modification de l’œgilops, ainsi que l’avaient cru Esprit Fabre et Dunal, ou comme une véritable espèce, ainsi que l’avaient supposé ses premiers parrains ; mais ce résultat même laissait incomplète la solution du problème. Il fallait comprendre en effet comment la forme triticoïde, stérile comme tous les hybrides entre espèces, pouvait acquérir par la culture une taille, un port, des caractères, une fertilité, qui la rapprochaient singulièrement des fromens, en même temps que sa fixité relative par le semis, s’affermissant à chaque génération nouvelle, lui donnait toutes les apparences d’une véritable espèce.

Ici encore l’honneur de l’explication revient à M. Godron. Partant de l’idée que bien des hybrides végétaux, stériles par eux-mêmes à cause de l’imperfection de leurs étamines, conservent la faculté d’être fécondés par le pollen de l’un de leurs ascendans, M. Godron en 1857 féconda de nouveau la forme triticoïde de l’œgilops ovata par le pollen du même blé qui lui avait servi de père, et le produit obtenu en 1858 fut exactement le même prétendu blé que Fabre avait obtenu en 1839 des rares graines fertiles de son œgilops triticoïde spontané. Ainsi le blé œgilops de Fabre, comme M. Godron l’appelle, est un véritable quarteron, ayant dans sa constitution ¾ de l’influence paternelle (froment) et 1/4 seulement de l’influence maternelle (œgilops). Il n’est pas étonnant que ses caractères le rapprochent du blé plus encore que de l’œgilops, bien qu’on eût peut-être le droit de conclure avec M. Godron que les prétendus genres œgilops et triticum ne sont au fond que des nuances d’un même type générique. Quoi qu’il en soit de cette question subsidiaire, le fait important, capital, on peut le dire, c’est l’existence d’un tel hybride de second degré, qui depuis plus de trente ans s’est perpétué semblable à lui-même[17], prenant ainsi les caractères sinon d’une espèce, du moins d’une race à origine mixte, d’une race hybride que rien ne sépare des vraies espèces, sinon la possibilité éventuelle d’un retour brusque ou gradué vers l’un de ses parens primitifs. Cet accident d’atavisme et plus souvent encore l’extinction de l’hybride quarteron par stérilité malgré l’intervention répétée du pollen du blé, se sont produits après un petit nombre de générations, — cinq au plus, — toutes les fois que les fromens employés comme fécondateurs de l’œgilops ont été autres que le blé touzelle à barbes ou saissette d’Agde, primitivement intervenu dans les fécondations inconscientes de Fabre et dans les fécondations préméditées de M. Groenland et de M. Godron[18]. Ainsi donc jusqu’à présent, par une singulière anomalie, le blé œgilops de Fabre est le seul hybride connu dont la descendance, à peu près fixée dans ses traits et constante dans sa fertilité, puisse avec quelque raison être considérée comme une race hybride et presque comme l’équivalent d’une espèce.

On conçoit que cette dernière conclusion ne soit pas du goût de M. Jordan. Non-seulement ce botaniste l’a contestée, ce qui était parfaitement son droit, mais il a voulu, contre toute évidence, jeter des doutes, bien plus, opposer des négations peu fondées aux faits, aux expériences qui doivent fournir en tout cas une base à la discussion théorique de cet important sujet. Dès 1853, M. Jordan prit vivement à partie Esprit Fabre, en prétendant que l’œgilops triticoïdes ne naît pas du même épi que l’œgilops ovata. Or sur ce point de fait nous pûmes, grâce aux échantillons de Fabre conservés à la faculté des sciences de Montpellier, confirmer la parfaite exactitude de l’observation contestée. Avec une hauteur dédaigneuse qu’on regrette de trouver trop souvent dans sa polémique, M. Jordan prétendit aussi que les graines d’œgilops, semées par Fabre et qui formaient le point de départ des blés œgilops, étaient non pas celles de l’œgilops triticoïdes, mais bien celles de quelque froment exotique égaré on ne sait comment près d’Agde et que Fabre aurait semé par mégarde en croyant semer de l’œgilops. Là encore l’évidence vint donner raison au jardinier dédaigné contre le savant dédaigneux. En 1857, un botaniste éminent, feu J. Gay, reçut du docteur Théveneau un échantillon d’œgilops triticoïdes récolté près d’Agde et put en extraire une seule graine fertile, laquelle, confiée à M. Groenland, reproduisit exactement les phénomènes observés par Fabre, savoir la naissance du blé œgilops à fertilité croissante jusqu’à la troisième génération. Plus tard, ces résultats furent confirmés par les expériences de fécondation croisée de M. Godron, aboutissant toutes à la production de l’œgilops blé fertile. Eh bien ! malgré tant de démentis donnés à ses assertions, M. Jordan persiste encore à regarder comme douteuses ces dernières expériences[19]. Il continue à donner à l’œgilops blé de Fabre le nom d’œgilops speltœformis, à le considérer comme une espèce légitime, primordiale, aussi étrangère à l’œgilops ovata qu’au blé lui-même : en un mot, il met au-dessus de faits patens, indubitables, les déductions inflexibles d’une hypothèse a priori. C’est ainsi peut-être que procèdent les voyans, mais ce n’est pas assurément la méthode à laquelle les sciences doivent leurs progrès.

N’apportant dans ce débat aucune idée préconçue, nous exposons simplement les faits tels qu’ils sont, sans vouloir en tirer des argumens pour ou contre les deux théories rivales du transformisme et de l’immutabilité des espèces. Même avec la persistance absolue de caractères du blé œgilops, on n’aurait pas fait absolument du blé véritable, car le blé œgilops a le plus souvent l’épi cassant à son point d’attache sur le chaume, il ne répand pas ses graines à terre comme le fait le blé trop mûr, il se sème à peine de lui-même et demande l’intervention de l’homme pour se conserver, enfin on ne l’a pas comparé avec le prétendu blé sauvage, que notre naturaliste Olivier aurait trouvé vers 1787 dans les plaines incultes de la Perse, ni avec d’autres triticum signalés comme spontanés en d’autres parties de l’Asie. Aujourd’hui d’ailleurs que l’on connaît l’intervention du blé lui-même dans la production du blé œgilops, on ne saurait sans une pétition de principe chercher dans ce dernier l’origine du blé cultivé, puisque ce dernier aurait dû précéder son produit hybride.

Quoi qu’il en soit, et la question d’origine du blé mise à part, l’œgilops blé n’en reste pas moins un être des plus remarquables. Placé sur la limite indécise qui sépare l’espèce de la race, il semble ouvrir jour à des recherches pleines d’intérêt sur le rôle que l’hybridation a pu jouer dans la production des formes végétales soit dans la période actuelle, soit aux diverses phases de l’évolution du monde organique.

Il est temps de revenir au système de M. Jordan pris dans son ensemble, car la question des œgilops n’en est qu’un épisode important, mais accessoire. Il y a dans cette théorie deux points de vue, l’un pratique, l’autre doctrinal. Pratiquement, elle ne vise à rien moins qu’à remanier les espèces dites collectives ou linnéennes, à les fractionner en nuances nombreuses auxquelles on appliquerait le nom d’espèces, toutes les fois du moins que la ressemblance des individus se conserverait entière par le semis. Nous avons dit avec une impartialité complète le bon et le mauvais côté de cette pratique. S’il s’agit de mieux définir les formes, de débrouiller le vieux chaos des types indéterminés, tous les botanistes sérieux sont plus ou moins d’accord avec M. Jordan ; s’il s’agit de subtiliser à l’infini, de s’arrêter devant chaque pied de ronce ou chaque pied d’églantier et d’y voir le représentant d’une espèce, alors qu’il n’est souvent que la nuance individuelle d’un ensemble complexe d’hybrides revenant vers leurs ascendans, s’il fallait brouiller sans retour les catégories d’espèce, de sous-espèce, de race, de variété, de variation, d’hybride, de métis, toutes choses sans doute arbitraires, mais nécessaires au classement des idées, si l’on devait surtout révolutionner la nomenclature tout entière en appelant genre ou sous-genre les anciennes espèces classiques, alors le bon sens protesterait contre ces abus de l’analyse trichoscopique, qui feraient perdre dans la recherche de minuties sans valeur les facultés destinées à saisir les vraies proportions des choses. C’est une question de tact, de mesure, qui se dénouera d’elle-même par le libre jeu des tendances opposées, dont la résultante naturelle sera le progrès de la science. Quant au côté doctrinal de la théorie, c’est le dogme intransigeant de la primordialité, de l’immutabilité absolue des espèces. Ici la lutte est ouverte entre le dogme, qui ne se discute pas, et l’esprit moderne, qui veut tout discuter avant de rien croire. Que ce dogme s’appelle transformisme ou qu’il s’appelle immutabilité, son sort sera le même : le temps en prendra les parties vivantes pour les fondre dans cette synthèse toujours ancienne et toujours nouvelle où les vérités particulières ne sont que des élémens de vérités plus générales. En attendant, et dans les limites modestes de sa science favorite, M. Jordan a les qualités et les défauts d’un chef d’école chez qui l’ardeur et la foi altèrent, sans qu’il s’en doute, la sûreté du coup d’œil et du jugement. Tenons-lui grand compte de ses qualités, soyons indulgens pour ses défauts, et rappelons-nous cette belle parole d’un grand apôtre qui fut aussi un homme d’ardeur et de foi : « examinez toutes choses et retenez ce qui est bon. »


J.-E. PLANCHON.

  1. On pourra consulter surtout, comme un modèle d’exposition à la fois savante et claire, d’impartialité, de bonne foi et de courtoisie, l’étude de M. de Quatrefages sur Darwin et ses précurseurs français, dans la Revue du 15 décembre 1868, du 1er janvier, 1er et 15 mars, et 1er avril 1869.
  2. « Les races dans chaque espèce ne sont que des variétés constantes qui se perpétuent par la génération. » Buffon, Histoire naturelle, suppl., t. IX, p. 361.
  3. Voici cette définition classique de Cuvier : « l’espèce est la réunion des individus descendus l’un de l’autre ou de parens communs et de ceux qui leur ressemblent autant qu’ils se ressemblent entre eux, » Voici maintenant la définition donnée par de Candolle : « l’espèce est la collection de tous les individus qui se ressemblent plus entre eux qu’ils ne ressemblent à d’autres, qui peuvent, par une fécondation réciproque, produire des individus fertiles et qui se reproduisent par la génération, de telle sorte qu’on peut par analogie les supposer tous originairement sortis d’un seul individu.»
  4. Godron, De l’Espèce et des races dans les êtres organisés, Paris 1859.
  5. Voici ce que nous écrit au sujet des cultures de M. Jordan un botaniste très expert : « J’ai eu l’avantage de parcourir ces cultures, et pour moi cette immense collection de weeds (mauvaises herbes, comme diraient les gens du monde) est un spectacle des plus curieux et des plus instructifs qu’un botaniste puisse avoir sous les yeux. Lorsqu’on est en face de ce nombre prodigieux d’expériences poursuivies depuis plus de trente ans, on s’explique fort bien l’amertume et le dédain que M. Jordan apporte dans ses discussions. Expérimentalement, M. Jordan sait plus de choses que pas un botaniste, mais il a toujours répété la même expérience et n’a vu qu’un côté d’une question qui en a plusieurs. »
  6. Sous les noms de papaver modestum, vagum, depressum, Lecoquii, etc.
  7. M. César Sarato, soigneux botaniste de Nice, nous écrit aussi M. Bornet, a fait des semis de diverses plantes affines, et il a constaté que certaines espèces jordaniennes comprennent elles-mêmes des espèces d’ordre inférieur parfaitement fixes et reconnaissables pour un œil exercé. Il faudra attendre la publication de ces expériences encore inédites, mais dès à présent on peut bien dire que ces démembremens d’espèces déjà démembrées, alors même qu’elles ont pour elles la fixité relative et la ressemblance entre individus, ne peuvent entrer dans la botanique systématique générale au même titre que les espèces larges actuelles (collectives ou linnéennes, comme les appelle M. Jordan).
  8. Il y a trente ans, la vue d’un échantillon unique d’un hélianthème recueilli dans l’île de Man, en Écosse, me fit reconnaître dans cette plantule, jusque-là confondue avec notre grille-midi (helianthemum guttatum, L.), une espèce particulière (helianthemum Breweri, Planche) ; mais je n’aurais probablement pas ose regarder cette espèce comme autonome, si le même herbier qui en renfermait l’échantillon saurage n’en avait montré en même temps des exemplaires cultivés par M. Wilson et qui gardaient, avec des dimensions plus grandes, les caractères essentiels de l’espèce. On pourrait citer bien d’autres exemples du même genre à l’appui du secours que les expériences de culture donnent à la recherche de la valeur des espèces.
  9. Nous avons au Pic de Saint-Loup, près de Montpellier, une jolie petite linaire à fleurs jaunes (linaria supina, L.) que nos botanistes ont appelée la violette du Saint-Loup, parce que ses fleurs sentent délicieusement la violette. La même plante, sur la montagne de la Sérane et ailleurs, est absolument sans parfum. Quant à la forme du linaria supina qu’on trouve dans les sables de Fontainebleau, elle est, en apparence au moins, très différente de la nôtre et ne saurait manquer pour un jordanien de constituer une autre espèce.
  10. Nous avons déjà dit quel est pour nous le sens de cette réalité. Les individus en sont seuls l’expression concrète ; encore chacun d’eux ne représente-t-il pas l’espèce en entier. L’espèce est le type idéal dont la formule réunirait tous les caractères communs aux individus qui, dans le temps et dans l’espace, sont unis par le lien de la filiation et de la ressemblance, avec les modifications qu’apportent à cette ressemblance les divers états d’évolution, de sexualité, de génération alternante. Cette notion de l’espèce, pour rester pratique et applicable, doit supposer entre les individus une certaine ressemblance générale ; sans quoi, si l’on s’en tient à la filiation pure et simple, comme dans les théories transformistes, la notion même d’espèce disparaît, comme aussi celles de genre, de famille, etc. Il ne reste plus que l’idée d’un tronc ramifié, aux diverses branches duquel on cherche bien à donner des noms, mais qui ne représente en réalité qu’un schéma souvent arbitraire, un échafaudage artificiel. Aussi Darwin, tout en émettant des idées hardies en théorie, s’est-il tenu sur le terrain des idées courantes en nomenclature et parle-t-il des espèces, des variétés, des races, tout comme si ces choses existaient par elles-mêmes. En signalant ces contradictions entre les idées théoriques et le langage courant des sciences naturelles, nous ne prétendons pas condamner le transformisme ; nous montrons seulement qu’il n’a pas trouvé une langue appropriée à ses idées et qu’il la cherchera probablement longtemps.
  11. De l’Existence en société des espèces affines, p. 13.
  12. De l’Origine des diverses variétés ou espèces d’arbres fruitiers. C’est dans ce mémoire que M. Jordan a exposé doctrinalement ses idées sur l’espèce, qui sont d’une nature essentiellement métaphysique. Pour M. Jordan, les êtres véritables sont non pas ceux que nous voyons et touchons, mais bien les entités métaphysiques, les formes essentielles, qui sont les causes cachées, primordiales et immuables, des phénomènes accessibles aux sens. « Ce qui fait qu’un être existe, qu’il est soi et non un autre, ce qui le détermine, c’est sa forme : toute substance n’est donc autre qu’une forme essentielle, c’est-à-dire un type, une espèce… Toute forme est représentée et reproduite numériquement dans le monde à l’état d’individu et avec une certaine figure ; le monde n’offre donc à nos yeux que des individus chez lesquels la forme spécifique se trouve unie à la forme individuelle ou principe d’individualité qui les distingue entre eux et fait que l’un n’est pas l’autre. Le fond commun, identique chez tous ceux qui représentent une même forme spécifique, c’est l’espèce. » Le genre, selon M. Jordan, est une conception purement idéale qui n’exprime que des rapports d’espèces. — C’est le réalisme du moyen âge, borné cette fois à l’espèce au lieu d’être étendu à des catégories supérieures de genre, de classe, etc., et transporté sans hésitation dans les sciences d’observation, d’où l’esprit des Galilée, des Newton et des Lavoisier semblait l’avoir à jamais chassé. Pour nous, qui reconnaissons à tous les systèmes le droit de se produire et de se défendre, nous restons fidèles à l’esprit moderne en considérant les individus comme des êtres, et l’espèce, le genre, comme de pures conceptions de la pensée, ce qui n’exclut pas du reste l’idée d’un plan idéal et de types rationnels cachés sous les phénomènes, mais ce qui n’enferme pas d’avance la pensée du créateur dans les cadres inflexibles d’entités immutables. La loi de mutabilité des formes sensibles, le transformisme est aussi compatible avec un plan divin que l’est la loi de l’immutabilité.
  13. Voyez à cet égard les belles expériences de M. Decaisne.
  14. Nous ne parlons ici que de l’œgilops ovata, bien que d’autres espèces, notamment l’œgilops triaristata, aient donné par croisement avec des fromens (triticum) des formes dites triticoïdes, c’est-à-dire des hybrides de premier degré.
  15. Sestini, cité par de Theis, Glossaire de botanique.
  16. Cette expérience d’hybridation de l’œgilops par le blé fut faite par M. Godron en 1853, et les résultats ont été constatés l’année suivante. Je la répétai avec un succès égal en 185G. M. Groenland, opérant dans les cultures de MM. Vilmorin, obtint également plusieurs hybrides en fécondant divers œgilops par divers triticum (1855-1857). Vers le même temps, M. Regel en Allemagne, M. Henslow à Cambridge, constataient des faits du même genre.
  17. M. Durieu de Maisonneuve en cultive dans le jardin botanique de Bordeaux la trente-quatrième génération.
  18. Pour le détail de ces expériences, voyez Groenland, Bulletin de la Société botanique de France, t. VIII, 1861, et Godron, Histoire des Ægilops hybrides, Nancy 1870. Parmi les publications les plus importantes sur cette question, nous citerons : Des Ægilops du midi de la France et de leur transformation, par M. Esprit Fabre, avec une introduction par Félix Dunal ; Montpellier 1852. — Godron, De l’Ægilops triticoïdes et de ses différentes formes, Nancy 1856. — Jordan, Mémoire sur l’Ægilops triticoïdes et sur les questions d’hybridité et de variabilité spécifique, etc., Paris 1856. — Id., Nouveau mémoire sur la question relative aux Ægilops triticoïdes et speltœ-forms, 1857.
  19. J’ai vu en juillet 1808 quelques-uns des sujets mis en expérience par M. Godron, et je puis garantir le soin avec lequel ces expériences ont été faites, dans le jardin botanique de Nancy, sous les yeux de M. Godron, par un de mes élèves, M. Ingelrest, jardinier de cet établissement.