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Le Mystère de Quiberon/10

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Dujarric et Cie, Éditeurs (p. 128-142).



CHAPITRE IX

Puisaye à Londres poursuit et achève les préparatifs de l’expédition. — Importance des secours fournis par l’Angleterre. — Fabrique d’assignats. — Composition des corps expéditionnaires. — Pouvoirs de commandant en chef donnés à Puisaye par le Régent de France. — Lettres de service à lui remises par le ministère anglais. — Commission donnée à d’Hervilly. — Conflit entre les deux commandants ; raisons de ce conflit. — Mort de Louis XVII annoncée ; croyance générale à son évasion. — Notes de police. — Mme Royale ne prend pas le deuil de son frère. — Sa lettre datée d’Huningue. — Dépêches contradictoires de l’agence royaliste de Paris. — Sens réel de ces dépêches. — Avis de la mort de Louis XVII reçu pendant la traversée ; accepté par les uns, rejeté comme faux par les autres.

Puisaye s’était tenu jusqu’à la fin, en dehors de toutes les négociations. Il n’avait pas quitté l’Angleterre, où il surveillait et hâtait les préparatifs de l’expédition que lui avait promise le cabinet de Saint-James. À aucun moment ils ne furent interrompus ; on y travailla avec une activité incessante pendant tout l’hiver de 94 et le printemps de 95. Dans les ports anglais de la Manche, on enrôlait des émigrés, des réfugiés, des soldats et des marins prisonniers de guerre ou déserteurs, on poussait l’armement d’un convoi de transports et d’une escadre d’escorte.

Tout cela se faisait assez publiquement. Le Comité de salut public ne pouvait l’ignorer. Il avait d’ailleurs obtenu des détails assez précis de Prigent, acheté par Boursault[1] et d’un officier royaliste, Du Reste, qui avait fait des révélations à Bruc et lui avait annoncé qu’au printemps « on jouerait le grand coup ».

Au commencement de juin 1795, les approvisionnements accumulés à Southampton et à Portsmouth étaient embarqués et les flottes de transport et d’escorte étaient prêtes à prendre la mer.

Le matériel fourni par le gouvernement anglais était énorme ; quatre-vingt mille fusils, cent cinquante mille paires de souliers, des effets d’habillement et d’équipement pour soixante mille hommes, des magasins de toute espèce, des provisions de bouche à profusion, des munitions de guerre en abondance, un trésor considérable en or, sans compter une masse d’assignats, dont une partie se composait d’assignats faux, que l’ancien intendant des finances, Calonne, faisait fabriquer à Londres, sous la direction de son frère, l’abbé de Calonne[2]. Tous ces magasins étaient destinés à pourvoir les armées royalistes du continent, car ils étaient tout à fait hors de proportion avec la force du corps expéditionnaire.

Il se composait de deux divisions.

La première, commandée, sous Puisaye, par d’Hervilly, maréchal général des logis, comprenait cinq régiments, dont l’effectif avait été prévu à 1.600 hommes, mais qui ne comptait guère plus du tiers de ce chiffre. Le recrutement en avait été pénible, et n’avait été complété qu’avec des éléments médiocres. Le régiment d’Hervilly, le plus nombreux, de 1.200 hommes, était formé de cinq ou six cents réfugiés toulonnais et d’autant de transfuges républicains, tirés des prisons anglaises. Le régiment du Dresnay avait été rempli exclusivement par sept cents Bretons échappés à la première réquisition et sortant aussi des prisons d’Angleterre. Le régiment d’Hector, ou Royal-Marine, comprenait trois cents officiers de marine et trois ou quatre cents matelots prisonniers. Le régiment de La Châtre, ou Loyal-Émigrant, était formé d’anciens officiers et d’anciens magistrats et de volontaires ; il n’était guère que de quatre cents hommes. Enfin il y avait un régiment d’artillerie de six cents canonniers toulonnais, commandé par M. de Rotalier, sous le nom de Royal-Artillerie. La division ne représentait donc qu’une force de 3.500 à 3.600 combattants. Comme services auxiliaires, on y avait adjoint dix-huit ingénieurs, quatre-vingts gentilshommes officiers, pour former les cadres supérieurs des contingents chouans, des commissaires des guerres, des intendants, des trésoriers, un corps de médecins et de chirurgiens. L’évêque de Dol, Mgr de Hercé, dirigeait l’aumônerie, avec son frère pour vicaire général et cinquante prêtres.

Une seconde division devait se réunir à Plymouth, sous le commandement du comte Charles de Sombreuil. Elle comptait aussi cinq régiments, ceux de Béon et de Damas, jusque-là soldés par la Hollande et ceux de Rohan, de Salm et de Périgord, déjà à la solde de l’Angleterre.

Dans le plan général, ces deux divisions formaient le noyau d’un premier corps d’armée, qui devait se compléter par les contingents de la Chouannerie.

Un second corps devait le suivre, commandé par le comte d’Artois, ayant sous ses ordres le major général Graham, avec 4.000 hommes de troupes anglaises, pour rallier les contingents royalistes de la Vendée et du Poitou.

Puisaye tenait du Régent de France les pouvoirs de commandant en chef de l’armée catholique et royale de Bretagne.

Quant aux troupes embarquées, le commandement lui en était attribué « après le débarquement », par des lettres de service, signées du Ministre de la Guerre, Windham. Ces lettres de service étaient contenues dans un pli cacheté, qui ne devait être ouvert qu’en pleine mer, et que l’amirauté anglaise lui remit le 8 juin, après s’être définitivement entendue avec lui sur la direction à donner à l’expédition, ce qui restait un secret pour tout le monde.

Mais de son côté, d’Hervilly avait une commission, d’après laquelle les troupes à la solde anglaise se trouvaient sous ses ordres exclusivement. « Dans le cas où l’on ne débarquerait pas en Bretagne », objecta le premier. Le second, qui d’ailleurs croyait que l’on allait en Vendée, répliqua : « Dans tous les cas, car aucun cas n’est spécifié. » Ainsi éclata entre les deux chefs des catholiques royalistes, une rivalité qui allait rendre irréalisable le plan de Puisaye[3].

La prétention de d’Hervilly ne se comprend pas, tant elle est déraisonnable. Le sens et la raison des termes employés étaient évidemment que, Puisaye n’étant pas général anglais, les troupes à la solde anglaise passaient sous ses ordres au moment où elles devenaient auxiliaires de son armée. La tentative de les soustraire à son commandement eut certainement pour cause la nouvelle, qui parvint à ce moment, d’un événement qui venait de se produire à Paris.

Cet événement, qui normalement, ne devait avoir aucune influence fâcheuse sur les dispositions du gouvernement anglais, ni sur celles des royalistes de France, fut, par le fait, le signal et la cause de la division qui entraîna l’avortement de l’entreprise.

Le 8 juin, l’enfant prisonnier était mort au Temple.

La nouvelle en avait été immédiatement portée au Comité de salut public, par les gardiens de la prison, qui avaient reçu l’ordre de la tenir secrète jusqu’au lendemain. Et le 9 juin (21 prairial), Sevestre avait annoncé, au nom du Comité, à la Convention, la mort du fils de Louis Capet. Cette notification était faite dans des termes singuliers, avec des détails et des affirmations absolument contraires à la vérité. Quatre jours après, le 26 prairial, le Moniteur avait annoncé, en quelques lignes, que le corps du fils de Louis Capet avait été inhumé au cimetière Sainte-Marguerite.

Cet enfant était-il réellement le fils de Louis XVI, le jeune roi Louis XVII, au nom duquel se battaient les royalistes ? Ou était-ce un enfant substitué à la place du jeune Roi sauvé ?

La question aujourd’hui ne fait plus de doute pour qui a pris la peine d’étudier sans parti pris les faits. Mais, ainsi qu’il a été dit plus haut, elle ne sera pas discutée ici.

Ce qui est incontestable, et ce qu’il n’est pas possible de passer sous silence, parce que là se trouve l’explication de toute l’affaire de Quiberon, c’est que l’opinion fut très généralement répandue que l’héritier de la monarchie était sauvé.

Par anticipation aux preuves qu’on en trouvera en maintes pages de ce récit, on peut retenir celles-ci :

Les notes de police conservées aux Archives nationales constatent que, dans les cafés, dans les lieux publics, la nouvelle de la mort fut accueillie avec une incrédulité marquée et qu’on ne doutait pas de l’évasion.

Dans les jours qui suivirent et pendant les six mois que la sœur du jeune Roi, Madame Royale passa encore dans la prison du Temple, elle ne porta pas le deuil de son frère, qui était son Roi, et ce ne fut pas que le gouvernement y eut mis le moindre obstacle, car il existe un arrêté du Comité de salut public ordonnant qu’on lui procure les vêtements et les objets « qu’elle demandera[4] ». Les vêtements qu’elle demanda furent des toilettes assez élégantes, des robes de nankin, de soie verte, des déshabillés de nuances claires, dont « elle se parait », suivant le récit de son fidèle Gomin, pour se montrer aux fervents de la royauté qui se disputaient les fenêtres de la rue de la Corderie et de la Rotonde du Temple, afin de contempler la fille de Louis XVI et lui adresser leurs hommages. Ni ces fidèles royalistes, ni les personnes privilégiées, comme Mme de Tourzel, Mme de Mackau, Mme de Soucy et autres, admises à la visiter au Temple, ne se montraient scandalisées ou seulement étonnées de ce qui, dans le cas de la mort du Roi, eût été un manquement révoltant à toutes les bienséances. Enfin la description de ces toilettes de fantaisie était religieusement envoyée à tous les journaux royalistes de province et textuellement reproduite dans un almanach de 1796, intitulé : « Adieux de Marie-Thérèse-Charlotte », qui était dans les mains de tous les gens « bien pensants ». Et cela ne choquait personne[5].

Quand, le 24 décembre suivant, Madame Royale fut arrivée à Huningue pour être, le lendemain, remise au prince de Gavres, envoyé de l’empereur d’Autriche, en vertu du décret du Directoire, ordonnant qu’elle serait échangée contre les citoyens Camus, Quinette et autres députés ou agents de la République, elle voulut, avant de franchir la frontière, adresser à son oncle un salut d’hommage qui fut en même temps un salut d’adieu et de pardon pour la France qui l’avait faite orpheline et exilée. Dans la lettre qu’elle confia à François Hue, et qui a été publiée partout, se trouvent ces mots : « Oui mon oncle, c’est celle dont ils ont fait périr le père, la mère et la tante, qui, à genoux, vous demande et leur grâce et la paix. » L’absence de toute mention de son frère au nombre des victimes de sa famille, frappées par la Révolution, indique certes qu’elle le croyait vivant.

Enfin ce deuil, qu’elle n’avait pas porté au Temple, elle ne le prit pas en arrivant à Vienne, d’où il faut conclure qu’à la cour d’Autriche, on ne croyait pas non plus à la mort de Louis XVII. Il est vrai que, quelques semaines plus tard, vers la fin de janvier 96, elle se décida à prendre des vêtements noirs. Ce fut sans doute en raison d’observations ou d’injonctions de son très cher oncle, poussé par le besoin de faire cesser un démenti trop flagrant à sa prétention d’être Louis XVIII. Mais ce changement tardif ne fait qu’accentuer la signification de ce qui s’était passé jusque-là[6]. Tout concourt à établir — ce qui suffit ici, — que, tout au moins pendant une période assez longue, la croyance à l’évasion fut presque universelle[7].

Le secret recommandé par le gouvernement sur l’événement du 8 juin avait-il été assez strictement observé pour qu’aucun bruit n’en parvînt le jour même aux agences qu’entretenait à Paris le comte de Provence, il est impossible de le croire, quand on sait quelles intelligences elles surent toujours garder dans les milieux dirigeants et dans les bureaux et quand on sait d’ailleurs qu’à côté d’elles, d’autres groupes royalistes, parmi lesquels elles avaient certainement quelques affidés, poursuivaient des projets d’évasion.

Elles en furent, tout au plus tard, informées le 9, comme tout le monde ; et il faut constater qu’à l’instant où la nouvelle de la mort leur fut donnée, ce fut l’inquiétude de l’évasion qui les saisit d’abord et qui fut l’objet de leurs préoccupations les plus pressantes.

Il y a ici une coïncidence de dates qui équivaut à une démonstration.

Déjà le 30 mai, dès qu’on sut que la santé de l’enfant prisonnier était irrémédiablement perdue et qu’un dénouement quelconque allait incessamment se produire, intéressant les projets ambitieux du Régent, l’alarme avait été sonnée dans le camp des affidés. L’abbé Brothier[sic][8] en perdait la tête, il écrivait :


« Si Monsieur le comte d’Artois veut aller par Puisaye, il est perdu. Puisaye sera fusillé aussitôt qu’il mettra le pied en Bretagne. »


Le 9 juin, le lendemain même de la mort, qu’il feint d’ignorer, il envoie au comte d’Artois lui-même cette dépêche :


« Votre Altesse fera sagement de ne pas se livrer à Puisaye. Nous savons, de source certaine et par Charette lui-même, que la Vendée et la Bretagne ne veulent plus se soumettre à son autorité. Une descente avec lui ferait tout échouer. De tous les côtés il nous revient que ce n’est par pour le Roi votre neveu que travaillent les Anglais, mais pour le duc d’York, qui a promis de prendre Puisaye pour premier ministre. Ce fait est avéré ; il y a même à Paris de vieux débris de la Constituante et quelques membres de la Convention qui, à défaut du duc d’Orléans, s’empareraient de ce prince comme d’un en-cas à opposer à l’auguste famille de nos Rois. »


S’il était besoin de démontrer que l’honnête agent ne croyait pas un mot de ce qu’il écrivait, on en trouverait la preuve dans les contradictions de sa propre correspondance ; les dépêches adressées au même moment aux Comités de Bretagne attribuent à Puisaye le projet de faire roi le comte d’Artois.

On ne peut même admettre qu’il ait songé à faire accepter comme sérieuses par ses correspondants, les suppositions qu’il émettait. Il n’espérait certainement pas persuader au comte de Provence que Puisaye serait fusillé en débarquant en Bretagne ; il lui insinuait gentiment que ce serait chose bonne si on pouvait le faire fusiller[9]. Il n’espérait pas persuader au comte d’Artois que Puisaye travaillait pour le duc d’York ; il lui suggérait un prétexte à mettre en avant pour motiver et expliquer le retrait de sa confiance. Il n’espérait pas persuader aux Comités de Bretagne que Puisaye voulait conquérir la couronne pour le comte d’Artois ; il leur indiquait le thème à exploiter contre lui auprès des loyales populations de l’Ouest.

Tous ces avis, sous leurs formes diverses, avaient pour but unique d’avertir les initiés que les circonstances rendaient urgent de ruiner l’influence de Puisaye et d’entraver par tous les moyens, son action, parce qu’il était à craindre qu’il ne travaillât pour un autre roi que Louis XVIII.

Ils arrivèrent trop tard pour empêcher le départ de l’expédition ; elle était en mer.

Ce fut pendant la traversée que la nouvelle de la mort annoncée à la Convention fut apportée à l’armée expéditionnaire. Elle y fut accueillie sans aucun doute avec la même incrédulité qu’elle avait rencontrée partout et qui est constatée par un témoin non suspect. Villeneuve-Laroche-Barnaud, qui fit partie de la seconde division, sous les ordres de Sombreuil, et qui, à cette époque du 8 juin, se trouvait encore avec son régiment, en Hanovre, raconte ceci dans ses Mémoires :

« Le 22 du mois de juin 1795, nous fûmes mis à bord des bâtiments qui nous étaient destinés, et nous descendîmes l’Elbe jusqu’à son embouchure, où nous trouvâmes une frégate anglaise qui nous prit sous son escorte nous arrivâmes devant Spithead le 2 juillet et nous jetâmes l’ancre pour laisser au comte de Sombreuil le temps de nous rejoindre par terre…

» Le troisième jour, une salve d’artillerie de la frégate qui nous escortait, nous fit présumer que cette frégate recevait à son bord le comte de Sombreuil et que nous ne tarderions pas à remettre à la voile. En effet, notre général était de retour de Londres avec ses instructions et l’ordre du départ. Une heure après, un signal de la même frégate appela auprès de lui tous les principaux officiers embarqués sur les bâtiments du convoi et il eut avec eux une longue conférence dans laquelle il leur fit part des nouvelles dont le détail suit :

» La mort du jeune roi Louis XVII fut la première de ces nouvelles ; nous en avions bien entendu parler avant notre départ du pays de Hanovre ; mais nous nous étions plu à la révoquer en doute jusqu’à ce qu’elle fut annoncée officiellement. Maintenant il n’était plus possible d’en douter[10] »


Le narrateur aurait dû écrire : il n’était plus permis d’en douter : car tout cela veut dire en bon français que la nouvelle de la mort de Louis XVII était parvenue en Hanovre avant le 22 juin, — la nouvelle officielle du Moniteur évidemment, — mais qu’en Hanovre, comme en France, comme partout, la nouvelle de l’évasion était arrivée aussitôt, et que c’était à cette dernière qu’on avait donné créance. Mais les instructions données à Sombreuil par le Comité de Londres et par l’ambassadeur du comte de Provence, furent conformes à la version prescrite par celui-ci ; et en conséquence, il apporta à Spithead la nouvelle officielle de la mort, officielle, cette fois, de la part du Régent qui s’était proclamé roi[11].

On se rend, dès lors, très bien compte de ce qui se passa sur la flotte déjà en route. La nouvelle de la mort y arriva, accompagnée de la nouvelle de l’évasion, mais en même temps des instructions officielles du Comité de M. de Provence. Seulement il se produisit ceci : que tout le monde ne fut pas d’avis, comme M. de Villeneuve-Laroche, qu’il n’était plus possible de douter, et qu’une scission se déclara entre ceux qui voulaient croire à la mort et servir Louis XVIII et ceux qui voulaient croire à l’évasion et rester fidèles à Louis XVII.

Au point où l’on en est du récit, cette assertion peut encore paraître hasardée ; la suite des faits démontrera qu’elle est évidemment juste, et que telle fut certainement la cause du conflit entre Puisaye et d’Hervilly.


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  1. Puisaye, suivant un parti pris systématique d’indulgence, dicté sans doute par des considérations personnelles, défend Prigent, comme on le verra atténuer les torts de Cormatin. Le double jeu attribué à Prigent ne paraît pouvoir être mis en doute.
  2. Puisaye, dans ses Mémoires, expose avec détails, les motifs et les dispositions de cette émission d’assignats. Les motifs sont assez bien résumés dans le préambule suivant :
    « De par le Roi, — extrait du Conseil militaire de l’armée catholique et royale de Bretagne, du 20 novembre 1794 : — Le Conseil militaire de l’Armée Catholique et Royale de Bretagne, autorisé par Mgr comte d’Artois, lieutenant général du Royaume, en vertu des pouvoirs à lui confiés par Monsieur, Régent de France ; pénétré de la nécessité de pourvoir, d’une manière efficace et invariable aux frais immenses qu’exigent l’équipement, armement, habillement, subsistance, solde, etc., des hommes qui se réunissent en foule sous les drapeaux de la Religion et du Roi, et voulant assurer, tant à ceux qui feront triompher une si belle cause, qu’aux pères, mères, femmes et enfants de ceux qu’une mort glorieuse, ou des blessures empêcheraient de subvenir à leurs besoins, des moyens de subsister indépendants de tous les événements qui pourraient survenir ; — Considérant que la création d’un papier-monnaie légitimement émis, et dont le remboursement soit assuré, est le plus sûr moyen d’y parvenir ; — Qu’au Souverain légitime seul, appartient de mettre une telle monnaie en circulation ; que durant la minorité du Roi, l’exercice de la souveraineté est entre les mains des Princes français, dont il a reçu l’autorisation ; — Que, néanmoins, dans la crise terrible qui existe en France, la confiance des peuples étant trompée ou forcée, un papier-monnaie qui ne porterait pas tous les signes apparents d’une ressemblance parfaite avec celui que les rebelles répandent avec tant de profusion pour soudoyer des crimes, envahir des propriétés et prolonger la durée de leur usurpation, n’atteindrait pas le but qu’il se propose et exposerait les fidèles sujets du roi, qui s’empresseraient de le recevoir, à de nouvelles vexations, à de nouveaux supplices, Arrête… » (Voir le texte entier, Append. n° 9.)
  3. Chassin. — Le général Hoche à Quiberon, p. 63. — M. Chassin, lui aussi, laisse échapper l’aveu que l’échec du plan de Puisaye eut pour véritable cause, la rivalité des chefs royalistes.
  4. Il faut noter ici, qu’après la mort de Louis XVI, exécuté en vertu d’un jugement, la Convention, sur la demande de la reine, avait fait donner, pour elle, pour ses enfants et pour sa belle-sœur, des vêtements de deuil. Un des griefs que Madame Royale formule dans ses mémoires, contre Simon, est d’avoir obligé le dauphin à quitter le deuil de son père.
  5. Voir « Une officine royale de falsifications ». Paris, Dujarric et Cie, éditeurs.
  6. Chose bien remarquable : cette prise de deuil coïncide avec un bruit singulier qui se répandit, d’une abdication du comte de Provence et du comte d’Artois, au profit du duc d’Angoulême, désigné pour épouser Madame Royale (v. Append. n° 10). Il est impossible de traiter ici avec les développements qui seraient nécessaires, la question des intrigues auxquelles fut mêlée, avec ou sans son aveu, Madame Royale.
  7. À cette même époque, fut frappée à Berlin, par le graveur de la cour, Loos, une médaille dont la signification est très claire, en raison surtout de ce qu’elle formait, pour ainsi dire le dernier chapitre d’une histoire numismatique, commencée l’année précédente. Le même Loos avait alors frappé une première médaille, portant, à l’avers, les effigies réunies de Louis XVII et de sa sœur, Madame Royale, et représentant, au revers, une draperie tendue, avec ces mots gravés au-dessous : « Quand sera-t-elle levée ? » C’était assez indiquer qu’un mystère se préparait au Temple. — La seconde médaille, frappée en 1795, porte, à l’avers, l’effigie de Louis XVII, avec cette légende : « Louis, second fils de Louis XVI, né le 27 mars 1785 », et au revers, la même draperie, mais relevée et qui découvre un cercueil, sur le bord duquel s’appuie un ange, qui, de la main droite, grave sur une tablette le dernier trait de ces mots : « Redevenu libre le 8 juin 1795 » ; le pied gauche de l’ange repousse une torche funéraire, jetée à terre comme inutile ; et sur la paroi du cercueil est posé un livre ouvert sur les pages duquel on lit, inscrits suivant l’ordre des dates, les noms des membres de la famille royale décédés : « Louis (le premier dauphin), Louis XVI, Antoinette, Élisabeth. » Cette médaille existe au Musée Carnavalet.
  8. Il n’est pas sans intérêt de noter que les principaux agents du comte de Provence, l’abbé Brothier[sic], Lemaître, entre autres, avaient mérité sa confiance, en fabriquant pour lui des libelles calomnieux contre Marie-Antoinette.
  9. L’avis était bien adressé là où il pouvait plaire. Le favori du comte de Provence, M. d’Avaray, écrivait de son côté : « Le comte Joseph de Puisaye est un drôle à qui il faut casser le col. » D’Avaray à d’Antraigues, 27 août 1795. (Papiers de Puisaye, vol. LXXXV, f° 221. British Museum, cité par Pingaud, Un agent secret, p. 118.)
  10. Mém. sur l’expédition de Quiberon, par L. G. de Villeneuve-Laroche-Barnaud, 2e éd., p. 99-100. — La déclaration qui termine ce récit n’empêche pas le même auteur d’écrire un peu plus loin :
    « … il n’eut pour gardes que les bourreaux de sa famille ; pour témoins de son dernier soupir que ses propres assassins ; pour tombeau… Mais où est-il son tombeau ?  »
    On pourrait s’étonner d’une pareille contradiction, si les auteurs qui ne veulent admettre aucun doute sur la question de la mort de Louis XVII au Temple ne nous avaient pas habitués à toutes les incohérences.
  11. C’est sans doute à cette nouvelle officielle apportée par Sombreuil, que fait allusion la circulaire du comité de Vannes, en date du 19 juillet (que l’on verra citée plus loin), qui la présente comme une reconnaissance de Louis XVIII par le roi d’Angleterre. Il y a, d’ailleurs, une concordance frappante de date et une similitude remarquable de texte entre cette circulaire et une seconde sommation, qui fut adressée le 18 juillet, au commandant de Belle-Isle (on la trouvera également plus loin). L’une et l’autre furent lancées immédiatement après l’arrivée de Sombreuil à Quiberon. Jusqu’à quel point pouvait-on se croire autorisé à parler de reconnaissance par le roi d’Angleterre, c’est une question qui reste à examiner. Mais le fait qui vient d’être signalé, confirme bien ce qui est dit ici relativement à l’accueil d’incrédulité fait d’abord à la nouvelle de la mort, reçue pendant la traversée et prouve bien que, jusqu’au 18 juillet tout au moins, le roi reconnu par les royalistes était Louis XVII. — Voici encore un document qui complète la preuve que la créance à l’évasion fut d’abord générale et ne céda peu à peu que devant les manœuvres du comte de Provence. Le duc de Berry, qui depuis fut détrompé, écrivait au comte de Fouquet, de Mulheim, le 31 juillet 1795 :
    « …Je suis fâché de tous les bruits que ces coquins font courir, mais les lettres du Roi à M. le Prince de Condé, à l’Archevêque et à M. Mounier les feront taire… » (Une correspondance pendant l’émigration, Sommervogel, p. 30.)