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Le Mystère de Quiberon/17

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Dujarric et Cie, Éditeurs (p. 241-255).



CHAPITRE XVI

Ordre de bataille pour l’attaque de la presqu’île. — Marche retardée par une tempête violente. — Gaieté de Hoche en face de ce contre-temps. — Attaque des retranchements par la colonne de Hoche et retraite inexplicable de cette colonne. — Aile gauche républicaine maltraitée par le feu de l’escadre. — Reddition du fort Penthièvre par la trahison de la garnison. — Prise à revers des retranchements. — Jonction et marche en avant des deux ailes républicaines. — Absence singulière du centre. — Retraite des royalistes. — Commandement remis à Sombreuil et embarquement de Puisaye. — Appréciation de la conduite de Puisaye.

Hoche avait formé trois colonnes.

Celle du centre, en avant de laquelle marchaient sept ou huit cents grenadiers, était composée de toute la division Lemoine, avec l’artillerie et un escadron des hussards de la mort. Cette colonne devait attaquer de front les retranchements qui barraient l’entrée de la presqu’île.

L’aile gauche avait une avant-garde de huit cents hommes d’élite, sous les ordres du général Humbert, auquel on avait donné pour guides les deux sergents-majors déserteurs Litté et Mauvage. La brigade du général Botta en formait le corps principal. Elle devait passer sous le camp retranché, en défilant sur un relai de basse mer et se porter sur Kerhostin, en arrière du camp.

Ces deux colonnes se tenaient assez rapprochées pour que Hoche ait pu se porter alternativement de l’une à l’autre pendant la marche.

La brigade Valletaux formait l’aile droite, précédée de trois cents hommes choisis, sous les ordres de l’adjudant général Ménage, à qui le rôle le plus important était confié. Guidé par le transfuge Gougeon, il devait suivre le pied de la falaise, à l’ouest, du côté de la Grande-Mer et s’emparer du fort par surprise.

Au moment où l’on se mettait en marche, un orage survint, d’une violence extrême. Sous des rafales de vent, des torrents de pluie, dans le tumulte du tonnerre et des vagues, au milieu d’une obscurité complète, traversée par les lueurs aveuglantes de la foudre, les rangs, les bataillons se heurtaient, se confondaient ; il fallut suspendre la marche. À l’inconvénient du « trop beau temps », avait succédé un inconvénient plus réel et plus grave.

L’attitude de Hoche, à ce moment encore, a étonné tous ceux qui en ont été témoins. Rouget de Lisle raconte à quel point il en fut frappé.


« Tallien, Blad et le général marchaient à la tête des troupes. Lorsqu’ils parvinrent aux avant-postes, l’orage était dans toute sa force. Hoche ne pouvait remédier au désordre que lorsque le temps serait un peu calmé. Tous les trois se retirèrent dans la tente d’Humbert, qui se trouva sur leur passage, la seule qu’il y eût au camp ; je m’y réfugiai avec eux. Peu de choses dans ma vie m’ont surpris autant que ce qui se passa dans cette petite réunion. Rien de plus enjoué, de plus frivole, de moins analogue à la circonstance que la conversation qui s’y tint et dont Hoche fit les frais en grande partie. Au bout d’une heure, quoiqu’il plût encore à verse, il se lève brusquement, comme par inspiration et sort en s’écriant : « C’est assez de folies ; il est temps de faire le général[1]. »


Le désordre put être réparé et le mouvement repris. La marche se faisait dans le plus profond silence.

Le centre qui suivait la ligne la plus directe et la plus facile arriva assez promptement aux retranchements. Son approche n’avait pas été signalée. Le premier peloton de l’avant-garde républicaine, à qui l’on avait fait revêtir des capotes et des chapeaux pris sur les émigrés tués au combat du 16, et qui par les transfuges, avait le mot d’ordre, se heurta à une patrouille royaliste commandée par M. de La Peyrouse, qui crut avoir affaire à un détachement du régiment d’Hervilly et ne donna pas l’alarme. On aborde tout à fait par surprise le camp retranché. « Un détachement de Loyal-Émigrant, six cents insurgés et de braves canonniers toulonnais en formaient la garnison. Tous se précipitent aux palissades. La canonnade, la mousqueterie ont bientôt mis en fuite le corps du général Hoche qui s’était trop avancé[2]. Mais les royalistes ne pouvaient voir les assaillants, tant la nuit était sombre ; ils supposaient que c’était une alerte comme les tirailleurs républicains en avaient donnée plusieurs jours auparavant. Les deux canonnières dont l’attention fut attirée par ce qui se passait, éclairèrent un peu la scène en lançant des pots à feu, à la lueur desquels on aperçut les colonnes de gauche. Les Anglais tirent à mitraille sur la plus proche, celle de Humbert, la coupent et la dispersent, sans cependant lui tuer beaucoup de monde. Quelques boulets lancés sur la brigade Botta, y mettent le désordre et blessent à mort le général. Ainsi tout le corps d’opération de Hoche se trouve un instant en fuite, dispersé, éparpillé, à l’exception de la colonne de droite, qui escaladait le fort à ce moment-là[3]. »

Cette prise du fort s’était effectuée sans grandes difficultés. Un récit, qui a tous les caractères de la plus grande sincérité, en a été laissé par un capitaine du bataillon de la Gironde, qui fut un des acteurs de ce coup de main :


« L’adjudant général Ménage, à la tête de la colonne, nous fit suivre les bords de la mer. Nous marchions à pied sec et dans le plus profond silence, sur une grève ferme et solide, entrecoupée de quelques petites flaques d’eau et de sables mouvants où l’on enfonçait un peu mais sans danger. La mer était basse. Elle commençait à monter quand nous arrivâmes sous le fort. Elle laissait peu d’espace libre au pied du rocher. Je crois bien que les derniers rangs de la colonne pouvaient avoir les pieds mouillés par le flot ; mais il est faux qu’ils eussent de l’eau jusqu’à la ceinture, comme je l’ai lu dans plus d’un livre ; tout au plus si quelques-uns en avaient par hasard à mi-jambes. Nous avions marché du nord au sud à peu près. Nous fîmes halte et front vis-à-vis le fort. On commanda l’assaut. Chacun de nous se disposa à obéir de son mieux. Moitié à tâtons, moitié à la lueur des éclairs, on découvrait quelques aspérités des rochers, dont on s’aidait pour s’élever de quelques pieds au-dessus du sol. On se poussait, on se soutenait les uns les autres. Les soldats qui n’étaient pas dans le secret de la réception qui nous attendait, étaient surpris de ne pas entendre le terrible qui-vive des sentinelles. Ils le furent bien davantage d’entendre ces sentinelles leur dire : Camarades, donnez-nous la main ; ce qui fut fait, et nous montâmes en quelques minutes. Ainsi se termina cet assaut, qui, d’abord nous avait semblé très difficile et périlleux par l’idée de rencontrer une résistance opiniâtre dans la défense qu’aurait dû faire la garnison. Dans ce moment critique, il ne fut pas même tiré un coup de fusil. Quelques hommes, une douzaine peut-être, tombèrent sur les rochers et se blessèrent. Je ne crois pas qu’il y en ait eu plus de deux de tués. Quant aux royalistes, sur le point où j’étais, ils ne firent pas la moindre résistance. On m’a dit depuis qu’un officier avait voulu en faire et qu’il fut tué. Les autres, surpris dans leur corps de garde, furent égorgés tant par nos soldats que par les leurs, qui nous avaient aidé à escalader[4]. »


La facile réussite de cette entreprise est due incontestablement à un grave défaut de vigilance, qu’on a beaucoup reproché à Puisaye, et dont, malgré les difficultés de son commandement, il ne paraît pas devoir être déchargé. Vauban, son ami, raconte qu’étant allé au commencement de cette nuit, visiter les postes avancés, occupés par des troupes bretonnes, et ayant, à son retour par les forts, constaté que les consignes n’étaient pas observées (on n’était même pas venu le reconnaître), il s’était rendu chez Puisaye pour lui signaler « les inconvénients de se garder aussi mal, surtout par une nuit si favorable pour une surprise », celui-ci lui avait répondu en riant, « qu’il n’était ni alarmé, ni alarmiste ». Une si placide quiétude en présence d’avis positifs, est tellement extraordinaire, qu’elle serait insuffisamment expliquée, — il faut l’avouer, — par ce qu’on sait de ses préoccupations ; elle donnerait vraiment à penser qu’il se croyait en droit de compter qu’il ne serait pas attaqué.

Malgré les preuves réitérées qu’on avait eues du mauvais esprit qui se propageait dans le régiment d’Hervilly, on lui avait laissé principalement la garde du fort. Cette nuit-là, la garnison se composait de cinq compagnies de ce régiment avec un détachement du régiment de Périgord, qui, n’étant pas de garde, comme l’avaient calculé les traîtres, fut surpris et massacré presque entièrement sans avoir pu se mettre en défense. Un seul officier, M. de Folmont, fut tué, l’épée à la main, sur l’esplanade.

Ménage, maître de la place et renforcé des cinq compagnies de transfuges, fait ouvrir la barrière et abattre le pont-levis qui séparait le fort du camp retranché, dans lequel il se jette rapidement, rejoint par de nouveaux transfuges. Les canonniers toulonnais pris à revers, sont massacrés sur leurs pièces, encore braquées dans la direction de la falaise, vers le nord. Les troupes du camp retranché, mises en désordre par cette irruption inattendue, se défendent pendant quelque temps avec courage, mais sont bientôt obligées de se retirer vers Kerhostin.

Valletaux, qui marchait sur les pas de son avantgarde, arrive alors avec sa brigade aux palissades, dont la colonne de Hoche, après une assez faible attaque, s’était précipitamment éloignée et se trouvait déjà très distante. L’entrée lui en est ouverte par Ménage. Il fait aussitôt pousser dans la presqu’île une reconnaissance, qui rencontre, en avant de Kerhostin, le reste du régiment d’Hervilly, commandé par son lieutenant-colonel, M. d’Attilly. La compagnie de grenadiers, à la suite du comte de Grammont, attaque bravement les républicains et se fait tuer. Les autres compagnies se tournent contre leurs officiers et les massacrent aux cris de Vive la République. Le marquis de Contades, à la tête de quelques centaines d’hommes, émigrés et chouans, accourt, parvient à se faire jour, pénètre dans le camp et attaque vivement à la baïonnette les assaillants. Mais le général Humbert, qui, par la plage de l’Est, vient de déboucher dans la presqu’île, rallie l’avant-garde de Valletaux et se jette sur les derrières de Contades, qui se dérobe difficilement, non sans avoir perdu beaucoup de monde. Le village de Kerhostin ne peut plus être défendu ; il tombe au pouvoir des républicains, avec le parc d’artillerie, de Portivy, dont M. de Rotalier, faute de chevaux, a pu seulement sauver quelques canons et caissons.

Pendant ce temps, Hoche, avec le centre, était en pleine retraite. Ce mouvement rétrograde n’est mentionné que d’une façon sommaire et presque évasive par la plupart des historiens, retenus, — dirait-on, — par la difficulté de l’expliquer[5].

Il restera inexplicable en effet, si l’on se refuse à admettre les dessous mystérieux de cette affaire.

Toutes les relations sont d’accord sur ce point que la prise du fort s’est effectuée sans aucune résistance et même sans aucun incident qui l’ait retardée. Hoche n’a donc eu aucune raison de « croire la surprise manquée[6] » puisqu’il est bien certain qu’aucun avis dans ce sens n’a pu lui parvenir de la part de ses lieutenants, et que même le temps strictement nécessaire pour l’opération n’était pas écoulé. Dans ces circonstances, il faut constater d’abord que l’attaque des retranchements par la colonne du centre a été ordonnée beaucoup trop tôt, et d’autre part, il est constant que les pertes subies par cette colonne du centre n’étaient pas assez graves pour justifier cette retraite précipitée de toute une division, qui laissait les deux ailes isolées et exposées aux plus graves dangers si un incident quelconque eût donné l’éveil aux royalistes sur leur marche[7].

Aussitôt que la possession du fort fut acquise, Ménage en avait fait porter l’avis à son général en chef par le transfuge Gougeon. Hoche alors ne peut plus hésiter. Il fait faire de nouveau volte-face à ses troupes et se porte lui-même au fort Penthièvre avec les représentants Blad et Tallien, qui confèrent à Ménage le grade de général de brigade.

À partir de ce moment, le Rubicon est franchi, les tergiversations cessent et la suite des opérations est conduite comme on devait l’attendre des talents de Hoche. Il faut cependant remarquer que la marche du corps principal, qui aurait être aussi rapide que possible, fut réglée avec une extrême lenteur.

Quelques chefs royalistes, avec quinze cents hommes qu’ils avaient pu rallier des régiments engagés et avec les restes de l’artillerie, s’étaient postés un peu en arrière de Kerhostin, pour couvrir le quartier général de Kerdavid : ces braves troupes n’étaient pas découragées et demandaient à reprendre le fort, qui, à la vérité, était beaucoup plus abordable du côté de la presqu’île que du côté de la falaise. Mais il était déjà occupé par une garnison de trois bataillons, qui avaient eu le temps de tourner les batteries dans la direction du Sud. En outre, le terrain perdu, qu’il eût fallu reconquérir était maintenant défendu par plus de six mille hommes. La défensive même devenait très difficile.

L’avant-garde de Humbert est arrêtée par une charge vigoureuse des royalistes. Mais la colonne de Valletaux, parvenue un peu en avant sur une hauteur assez rapprochée, prend ceux-ci en écharpe par une canonnade très vive, qui rompt leurs rangs et les décime. Trois ou quatre cents hommes seulement peuvent être ramenés en assez bon ordre dans la direction de Kerdavid. Leurs officiers espéraient encore « que successivement il arriverait d’autres troupes et que l’on établirait une ligne de défense pour disputer le terrain, seule et dernière ressource ; mais il n’en arriva point ».

La division de Sombreuil, qui restait seule intacte, ne pouvait être d’un grand secours. Elle était cantonnée dans les villages du fond de la presqu’île, Saint-Julien, Kermorvan, Port-Haliguen et n’avait malheureusement reçu qu’une partie de ses munitions[8].

Les colonnes républicaines s’avancent en gardant leur ordre de marche. Humbert, avec l’aile gauche, suit les chemins assez difficiles qui bordent la côte orientale, où se trouvent les ports et les principaux villages. L’aile droite, toujours conduite par Valletaux, a l’ordre de longer la côte occidentale, pour balayer les détachements qu’elle rencontrera et surtout pour dépasser, s’il est possible la gauche des royalistes et occuper le moulin de Kerniscop, d’où l’on domine la presqu’île entière et les deux mers. Le centre est toujours en arrière.

Il n’y a plus que des engagements partiels. Partout où ils peuvent trouver un point d’appui ou le couvert de maisons et de murs, les royalistes s’embusquent et défendent le passage, plutôt pour retarder que pour arrêter la marche des républicains et pour gagner quelques heures, en vue de favoriser le sauvetage des blessés et de tout ce qui pourra être soustrait au désastre. Le mouvement des troupes républicaines, du reste, réglé par la marche du centre aux ordres du général en chef, ne paraissait se faire qu’avec une lenteur calculée : les écrivains du parti vaincu l’ont eux-mêmes constaté et ont « supposé au général Hoche l’intention, bien conforme à son caractère généreux et compatissant, de donner aux royalistes le temps de se rembarquer ». Libre à chacun d’apprécier si des motifs de générosité naturelle suffisent à expliquer cette intention, qui, dans les circonstances, n’était peut-être pas évidemment conforme aux intérêts de la République.

Dès l’avis reçu du fort occupé et des retranchements forcés, Puisaye avait jugé la situation désespérée et avait envoyé à l’amiral Warren le pilote Rohu, officier chouan, pour lui faire part du péril et lui demander des secours ; peu après, il avait fait partir derrière lui son aide de camp, le marquis de La Jaille, porteur d’un second message plus pressant.

Lui-même s’était rendu au galop à Saint-Julien, y avait établi Sombreuil dans une position assez forte auprès du moulin, en lui prescrivant d’y tenir le plus longtemps possible ; puis, décidé à se rendre à bord de l’amiral anglais, il avait remis le commandement à Sombreuil. Avant de le quitter, exactement informé ou justement conscient de la nécessité qui allait s’imposer au général ennemi et aux représentants, de faire montre de sévérité rigoureuse, il avait laissé cette dernière recommandation : « Par-dessus tout, gardez-vous de croire qu’on puisse traiter avec l’ennemi. Quelque capitulation que vous offrissent ces gens-là, vous et vos officiers n’en seriez pas moins massacrés. »

Puis il avait gagné le Port-Haliguen, où un canot était toujours tenu à sa disposition et s’était fait transporter à bord de La Pomone, auprès de l’amiral Warren.

Ce départ a donné lieu à des reproches, à des accusations d’une violence extrême de la part de Sombreuil et des compagnons de son malheur. Ils l’ont taxé de lâche abandon, presque de trahison. La plupart des écrivains royalistes, sous l’impression de l’anathème prononcé devant la mort par les victimes de la catastrophe ; quelques-uns par la complaisance à servir les rancunes et les calculs des princes, ont reproduit et commenté ces récriminations, et par ce concert presque unanime, leur ont donné force de créance. Quelques autres, et notamment plusieurs historiens du parti adverse, se sont montrés moins sévères[9], sans aller jusqu’à la justification complète, peut-être faute d’avoir saisi tous les éléments d’appréciation. Pour se former une opinion équitable sur ce point, il faut, en tenant compte de ce qu’on sait de la situation politique de Puisaye vis-à-vis du parti royaliste et d’une fraction du parti républicain, fixer son attention sur la situation militaire dans la presqu’île, au moment où il s’embarquait, et la diriger ensuite sur les faits immédiatement subséquents.

Les motifs de sa résolution paraîtront sans doute alors très justement résumés dans ces quelques lignes de Vauban :


« M. le comte de Puisaye, ne voyant que des troupes dispersées, surprises, qui ne croyaient pas à son autorité dans le moment où il en fallait une active et absolue, crut que s’il ne pouvait pas sauver la presqu’île, il devait au moins sauver sa correspondance avec l’Angleterre avec nos princes, et surtout le secret et la destinée des affaires de Bretagne.

» M. le comte de Sombreuil était l’officier supérieur breveté par le roi d’Angleterre. Il avait la confiance des troupes, une réputation militaire, et commandait la meilleure division de l’armée. M. le comte de Puisaye alla le trouver, lui dit ses motifs, lui exposa les circonstances, l’invita à rallier les autres troupes à sa position ou à telle autre qu’il croirait meilleure et lui laissa le commandement. Il se rendit ensuite à bord de M. l’amiral Warren, qui se dépêcha d’envoyer des chaloupes pour emporter ce que la défense et la retraite de M. le comte de Sombreuil pourraient sauver. »


Quant à l’intérêt qui lui faisait un devoir de prendre lui-même soin de ses papiers, Michelet le constate dans des termes qui font supposer qu’il était mieux instruit qu’il n’a voulu le paraître.


« Pensant, — dit-il, — qu’en lui, en ses papiers, était tout le salut de la Bretagne royaliste, qu’il devait à tout prix se réserver, ne pas tomber vivant aux mains de ceux qui l’auraient fait parler, lui eussent arraché ses secrets, il sauva tout, ne perdit que l’honneur… »


Était-il juste qu’il perdît l’honneur ? Car enfin, à considérer les choses d’un œil impartial, on ne voit pas bien qu’il eût une autre conduite à tenir.

Au point où l’on en était, il ne s’agissait plus que de protéger une retraite, ce qu’il est certainement du devoir d’un général en chef d’assurer par des dispositions convenables, mais ce qu’il lui serait à peine permis de faire en combattant en personne, son rôle étant de diriger la mise en sûreté de tout ce qui peut être sauvé. Ici, le lieu de sûreté était la mer ; et de la mer seulement il pouvait envoyer des secours ; — peut-on raisonnablement lui faire un crime de s’y être transporté, ce qu’on ne songerait sans doute pas à blâmer si le centre de ralliement eût été une place forte ou un camp retranché ?


  1. Rouget de Lisle.
  2. La défense hâtive et forcément désordonnée d’un poste surpris dans l’obscurité ne pouvait raisonnablement obliger à la retraite le centre de Hoche très supérieur en nombre, alors que son aile gauche, plus vigoureusement attaquée, poursuivait résolument sa marche.
  3. Chasle de La Touche, p. 83.
    On va voir que le corps le plus exposé au feu, l’aile gauche, poursuivit sa marche en avant. Le centre seul, commandé par Hoche, rétrograda aux premiers coups de fusil et poussa très loin sa retraite ; il ne reparut que lorsque les royalistes étaient déjà acculés au fond de la presqu’île. Et il ne faut pas perdre de vue que Tallien et Blad étaient avec Hoche.
  4. Ce récit d’un capitaine du bataillon de la Gironde, donné textuellement pas Chasle de La Touche, p. 85, ressemble fort peu aux narrations pompeuses de Rouget de Lisle, de Moreau de Jonnès et autres. Il a pour lui de se rapprocher beaucoup des relations émanant du parti adverse, ce qui constitue bien déjà une garantie de sincérité ; il a, de plus, de ne pas être en contradiction avec le témoignage physique que présente l’état des lieux. La grève sur laquelle marchait la colonne est unie, comme une allée de jardin ; on n’y pouvait rencontrer ni récifs, ni rochers, et il n’y avait aucun prétexte à ramper comme des crabes. La fureur de la mer, à marée basse, ne pouvait en rien gêner la marche, le tumulte des vagues était plutôt favorable à la surprise. Le rocher qui porte le fort est élevé de sept à huit mètres tout au plus, à peine la hauteur d’un second étage. L’escalade eut été périlleuse contre une défense énergique, comme le constate le capitaine ; mais effectuée avec l’aide de la garnison, elle ferait sourire les alpinistes de la force de Tartarin ou de M. Perrichon.
    N’est-il pas triste de voir un homme de la valeur de Hoche recourir à ces procédés de réclame emphatique et mensongère dont la Convention avait fait un de ses moyens de gouvernement, et travestir la réalité des faits par des rapports comme celui-ci : « Représentants d’un peuple qui idolâtre la valeur, voyez Ménage braver, à la tête de cent cinquante grenadiers, les flots d’une mer orageuse, le feu de cinquante bouches à feu, gravir un rocher inaccessible, pour servir sa patrie et s’emparer du fort Penthièvre… » (Lettre au Comité de salut public, 23 thermidor an III.)
  5. Le fait de la retraite ordonnée par Hoche est pourtant avoué par Moreau de Jonnès, p. 221, et par Rouget de Lisle, p. 77.
  6. C’est M. Chassin qui avance ce prétexte pour essayer d’expliquer la retraite de Hoche. À tous les points de vue, il est absolument insoutenable.
  7. Comment ne pas établir un rapprochement entre cette retraite extraordinaire de Hoche et l’extraordinaire quiétude de Puisaye ?
  8. Du moins on l’a affirmé, Puisaye le nie. Hoche aussi déclare que toutes les gibernes des morts et des prisonniers étaient pleines ; mais les raisons qu’il donne à l’appui de cette affirmation, sont sans aucune valeur. — V. append. n° 16.
  9. Notamment parmi les contemporains, Rouget de Lisle, et parmi les écrivains modernes, Michelet.