Le Palais de Schifania à Ferrare

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Le Palais de Schifania à Ferrare
Revue des Deux Mondes3e période, tome 58 (p. 613-641).
LE
PALAIS DE SCHIFANOIA
A FERRARE

C’est dans une des rues les plus désertes d’une ville où les rues solitaires abondent aujourd’hui, non loin de l’église de Santa-Maria-in-Vado et tout près du monastère des religieuses de San-Vito, que se trouve le palais de Schifanoia, jadis si animé, maintenant silencieux et délabré. Le marquis Albert d’Este, frère de Nicolas II et père de Nicolas III, le fit construire en 1391. Comptant y trouver un délassement à ses soucis, il lui donna le nom significatif de Schifanoia (Esquive-ennui). Ce palais ne se composait alors que d’un rez-de-chaussée. Le premier étage fut ajouté par Borso, fils et successeur de Nicolas III, un des princes de la maison d’Este qui se sont le plus heureusement employés à mettre Ferrare en état de rivaliser sans trop de désavantage, dans le domaine des lettres et des arts, avec les brillantes cités dont se glorifiait l’Italie.

C’est aussi Borso qui fît exécuter la belle porte en marbre d’Istrie par laquelle on entre dans le palais. Cette porte, que le temps a revêtue d’une chaude couleur de feuille morte, a pour ornement des piliers couverts d’arabesques, des pilastres cannelés, surmontés d’élégans chapiteaux, et une corniche décorée de palmettes. Peut-être les sculptures des piliers ont-elles été faites d’après quelque dessin de Cosimo Tura ou de Francesco Cossa. A coup sûr, elles ont pour auteur un artiste émérite, car le style en est plein de saveur et de grâce. Les dauphins, les lévriers, les cors de chasse, les vases, les feuillages, les fruits, les guirlandes de perles, sont traités avec un goût exquis. De beaux enfans nus, groupés ou isolés, apparaissent çà et là : un d’entre eux, vu de dos, joue du luth. Notons enfin deux magnifiques chimères, d’un relief extrêmement mince, qui ont une certaine affinité avec les créations familières à l’école de Mantegna.

Que la porte du palais de Schifanoia soit contemporaine de Borso, c’est ce qu’atteste la licorne qui la surmonte, car la licorne était l’emblème particulier de ce prince. L’écusson ducal que l’on y aperçoit confirme d’ailleurs la signification qu’implique la présence de l’animal héraldique. On remarque en effet dans cet écusson, outre l’aigle blanche de la maison d’Este et les trois fleurs de lis concédées par Charles VII, roi de France, au marquis Nicolas III, l’aigle notre à deux têtes que l’empereur Frédéric III avait permis à Borso d’y introduire, en 1452, quand il lui eut conféré le titre de duc de Modène et de Reggio. Mais on n’y constate pas encore les clés pontificales, surmontées de la tiare, qui y figurèrent après que Sixte IV, en 1472, eut confirmé à Hercule Ier, frère et successeur de Borso, l’investiture du duché de Ferrare, accordée au précédent souverain de cette province.

Sous le règne de Nicolas III, fils du marquis Albert, à l’époque où le pape Eugène IV, dans l’espoir de mettre fin au schisme de l’église grecque, rassembla à Ferrare (1438) un concile qui fut ensuite transféré à Florence, le palais de Schifanoia commença à recevoir la consécration des souvenirs historiques en servant de demeure à Démétrius, despote de Morée, tandis que le frère de ce prince, Jean Paléologue, empereur de Constantinople, était logé dans le Palais du Paradis[1], autre création d’Albert. Il nous rappelle aussi tout à la fois la générosité et les rigueurs du duc Hercule Ier. A peine Hercule avait-il succédé à son frère Borso, qu’il donna le palais de Schifanoia à Albert, un autre de ses frères (1471). Mais, dès 1474, il prenait ombrage de la popularité d’Albert, et, sous prétexte que celui-ci avait refusé d’aller à la rencontre d’un certain ambassadeur, il confisquait ses biens et l’exilait à Naples (1476). Rentré en possession de la belle résidence de Schifanoia, il s’attacha à l’embellir et y séjourna lui-même. C’est là que naquit son fils Alphonse, troisième duc de Ferrare. Il y hébergea plus d’une fois des personnages de distinction, notamment les trois oncles du petit duc Jean Galeas Sforza exilés par Bone, sa mère et sa tutrice, pour avoir excité des troubles à Milan (1477); puis l’ambassadeur chargé de demander en faveur de Jean-François Gonzague la main d’Isabelle d’Este[2] ; et, un peu plus tard, le marquis de Mantoue lui-même, ainsi que le fils de ce dernier, qui allait chercher sa propre femme, fille de Sigismond Malatesta. Dans ces diverses circonstances, des fêtes somptueuses eurent lieu à Schifanoia, où la décoration des chambres et des salons offrait tout ce qui peut charmer les yeux, où la recherche de l’exquis était poussée jusqu’à ses dernières limites. Ici s’étalaient les riches étoffes, les cuirs dorés, les tapisseries de haute lice; là brillaient d’un doux éclat, dans les fresques des maîtres illustres, les compositions historiques qui rappelaient un passé récent, ou les allégories dont on admirait la subtilité. De toute cette magnificence il n’y a plus que des débris, des reliques, mais ces débris ne sont pas sans éloquence, et ces reliques ne laissent pas d’être instructives.

Deux des salles du premier étage possèdent encore des ornementations d’un goût à la fois somptueux et délicat. Dans l’une d’elles, le plafond de bois présente des caissons carrés. On y voit des rosaces or, blanc et rouge, avec des encadremens en saillie, couverts d’arabesques dorées. Le plafond de la pièce voisine a aussi des caissons, mais de formes diverses. Sur le vert foncé de ces caissons se détachent des dessins or et rouge, joints aux emblèmes de la maison d’Este. Le long des murs sont assises dans des niches les statues en stuc des Vertus théologales et cardinales. Enfin, sur une large frise, de nombreux enfans, également modelés en stuc, jouent de divers instrumens ou supportent des armoiries. Sous la direction de l’architecte Pietro Benvenuti, surnommé Pietro dagli Ordini pour avoir pris part à la construction du campanile de la cathédrale, Domenico Paris de Padoue, gendre de Baroncelli, surnommé Baroncelli dal Cavallo, exécuta, en 1467, les stucs et les boiseries de cette salle, tandis que Bongiovaimi di Geminiano Benzoni se chargeait des peintures.

Mais, si gracieuses que soient ces décorations, ce n’est pourtant pas là ce qui a valu au palais de Schifanoia sa célébrité. Il la doit aux fresques du vaste salon qui précède la salle des stucs. Ces fresques occupent une place importante dans l’histoire de l’art et ont exercé la sagacité des érudits, sans cesser d’être, sous plus d’un rapport, une énigme presque insoluble. Nous voudrions, en les interrogeant à notre tour, contribuer, s’il est possible, à élucider un peu les problèmes qu’elles soulèvent, ou tout au moins les faire connaître davantage et provoquer des travaux décisifs. Par la variété des sujets traités, elles sont d’ailleurs de nature à intéresser en même temps celui qui s’attache avant tout à scruter les documens des temps ancien?, celui qui étudie dans les différentes étapes de la civilisation l’état des idées, les croyances, les aspirations de l’esprit, celui qui se plaît à étudier la marche de l’art, à constater les tendances diverses des diverses écoles, celui enfin que préoccupent spécialement les manifestations du beau ou les efforts pour le réaliser. L’annaliste, le moraliste et le philosophe, l’historien de l’art, et le simple observateur, que ne laissent indifférent ni les aspects multiples de la figure humaine ni les harmonieuses combinaisons des couleurs, peuvent donc y trouver également leur compte.


I.

Pendant près de deux siècles, ces peintures sont restées comme ensevelies sous le badigeon que leur infligea la barbarie d’une époque dont le goût perverti et exclusif ne tolérait pas les œuvres portant un caractère encore un peu primitif. En 1706, Girolamo Baruffaldi, alors qu’il écrivait la vie des artistes ferrarais, put encore les examiner et en juger, quoiqu’elles fussent très détériorées. En 1773, au temps de Scalabrini, elles n’existaient déjà plus. Entre 1830 et 1836, on en découvrit quelques fragmens, auxquels on emprunta, en 1838, des modèles de costumes pour la représentation d’une chasse à la cour de Borso. Mais c’est seulement en 1840 qu’a été rendu à la lumière, grâce au Bolonais Alessandro Compagnoni, tout ce que l’on voit aujourd’hui, A vrai dire, la décoration du grand salon de Schifanoia n’existe plus dans son entier. La muraille occidentale et la muraille méridionale menaçant ruine en 1493, il fallut les reconstruire, ce qui entraîna la perte des peintures qui les recouvraient. Sur les nouveaux murs, un artiste aujourd’hui inconnu en exécuta d’autres par des procédés peu solides, car, lorsqu’on essaya de les dégager de l’enduit sous lequel elles avaient disparu en même temps que les fresques des murailles orientale et septentrionale, la couleur tomba en grande partie avec le badigeon et l’on dut renoncer à poursuivre la tentative. Du reste, les cavaliers que l’on distingue vaguement à l’angle de la muraille méridionale auprès de la muraille orientale ne sont pas de nature à faire beaucoup regretter l’insuccès du grattage.


II.

La principale salle du palais de Schifanoia est longue de 24 mètres, large de 11, haute de 7m,50. On y entre par une étroite porte pratiquée, au débouché de l’escalier, dans un des petits côtés, dans la muraille occidentale.

L’ensemble des fresques était réparti jadis en douze grands compartimens. Il y en avait trois sur le mur oriental, quatre sur le mur septentrional, trois sur le mur occidental et deux sur le mur méridional aux côtés d’une énorme cheminée dont on voit encore l’emplacement. Il n’existe plus aujourd’hui que les peintures de la muraille orientale et de la muraille septentrionale. Entre les divers compartimens se trouvent des pilastres peints en grisaille. Ceux de la muraille orientale sont cannelés, ceux de la muraille septentrionale ornés d’arabesques rappelant les détails sculptés sur la porte extérieure du palais.

Représenter les douze Mois de l’année en figurant les signes du zodiaque, ainsi qu’en évoquant sur des chars de triomphe les divinités qui, dans le paganisme, présidaient à chaque mois, et retracer les actes les plus saillans de Borso, sans omettre, sur les plans secondaires, les travaux qui se font successivement dans la campagne, telle fut la tâche assignée au peintre. Il a divisé chaque compartiment en trois zones superposées. Dans la zone supérieure il a placé le dieu ou la déesse qu’il avait à glorifier et ne s’est pas interdit les scènes épisodiques, plus intéressantes pour nous que le sujet principal. La zone centrale est consacrée à un des signes du zodiaque, entouré de personnages allégoriques, le tout sur un fond bleu. A la zone inférieure est réservée l’histoire du premier duc de Ferrare, autour duquel sont groupés les hommes les plus distingués de sa cour. La dimension des figures est à peu près de demi-nature.

Nous n’entreprendrons pas de décrire en détail chacune des fresques[3]. Il suffira ici d’insister sur les plus belles ou les plus curieuses. Parmi les figures allégoriques représentées auprès des signes du zodiaque, il y en a deux qui sont très supérieures aux autres et sur lesquelles nous tenons à attirer l’attention. La première, correspondant au mois d’avril, est celle d’un homme presque entièrement nu, que porte le Taureau. Une draperie blanche s’enroule autour de sa tête, flotte sur son cou, se gonfle sous le souffle du vent et retombe sur le dos de l’animal, où la retient la main gauche du cavalier. De la main droite, cet étrange personnage porte une grande clé, la clé du mois d’avril, c’est-à-dire celle du printemps. Son corps ne manque pas d’élégance et a une grâce un peu âpre que rehausse la puissance du modelé. Le relief a même quelque chose de sculptural qui rappelle la célèbre école de Padoue. C’est par des qualités analogues que se recommande la seconde figure dont nous voulons parler. Elle se trouve à côté du signe de la Vierge, dans le compartiment consacré au mois d’août, et nous apparaît sous les dehors d’une vieille femme à genoux qui met toute la ferveur de son âme à remercier le ciel de l’abondance des récoltes. Un rosaire est suspendu à son poignet gauche. Elle est vêtue d’une robe rouge et d’un manteau vert foncé ; un voile blanc lui sert de coiffure. Ses mains jointes sont remarquablement traitées. L’exécution de toute la figure au surplus témoigne d’une réelle habileté chez le peintre; mais ce qui l’emporte sur les mérites techniques, c’est l’intensité de l’expression. En regardant prier cette femme, on oublie ses traits anguleux et secs pour ne songer qu’aux sentimens qui les transfigurent.

L’intérêt croît encore quand on examine les sujets dans lesquels figure Borso. Ils sont malheureusement en très mauvais état. Les deux premiers cependant, un peu moins détériorés que les autres, permettent d’apprécier le genre d’attrait qu’ils exerçaient sur les contemporains du prince et qu’ils exercent sur le spectateur d’aujourd’hui. L’exécution d’ailleurs en est plus magistrale et révèle la main d’un artiste plus distingué.

Dans le premier, Borso, vêtu d’un riche costume broché d’or, se tient devant un édifice sur lequel on lit le mot Justitia. Entouré de ses courtisans et de ses ministres, il reçoit une supplique d’un malheureux qui plie le genou devant lui. Une femme, précédée d’un enfant, a aussi entre les mains un papier qu’elle va bientôt remettre au souverain de Ferrare. Vers l’extrémité de la fresque, à droite, on distingue deux personnages à calottes rouges dont les têtes, très bien conservées, sont fort belles. — Tout près de là, Borso à cheval part pour la chasse. Il est suivi d’un grand nombre de cavaliers. Un chien regarde des canards dans une mare où il met ses pattes de devant. Enfin, un homme, accroupi sur des briques, fait descendre un cheval dans la même mare, tandis que, derrière lui, un cavalier entreprend de mener vers l’eau son propre cheval qui regimbe.

Dans la fresque du second compartiment, Borso, toujours entouré des personnages dont il faisait sa société habituelle, tend une pièce de monnaie à un homme, qui n’est autre probablement que le bouffon Scoccola, auquel les magistrats, le 26 mai 1466, accordèrent le titre de citoyen de Ferrare, pour complaire au souverain. — En regardant vers la gauche, on voit Borso revenant de la chasse sur un cheval blanc. Il porte un vêtement jaune à ramages noirs. Sur le devant de la composition, un homme assis, dont les jambes se trouvent en dehors de la fresque, caresse un faucon posé sur une de ses mains recouverte d’un gant. Ce qui frappe le plus dans ces peintures, c’est la beauté des portraits, c’est l’intelligence avec laquelle sont rendus tant de types différens. La ressemblance morale semble aussi incontestable que la ressemblance physique. Aussi comme on est tenté d’interroger tous ces personnages pour savoir ce qu’ils ont été! L’un, avec sa courte barbe blanche et ses traits amaigris, a un air d’austérité qui eût convenu à quelque grave magistrat. Un autre, moins âgé et plus vigoureux, a la physionomie énergique d’un ministre capable de faire vaillamment face aux coups imprévus de la politique, tandis qu’un troisième, aux traits calmes et purs, a l’air d’être habitué à considérer les choses humaines en véritable sage. Filippo Lippi, Masaccio, Domenico Ghirlandajo, n’eussent pas désavoué de tels portraits, et Benozzo Gozzoli aurait presque reconnu sa propre manière dans l’élégant fauconnier aux chausses blanches, aux cheveux frisés, qui regarde tomber un oiseau blessé à mort. Certains profils font aussi penser à ceux que présentent les médailles du temps. Comment, par exemple, ne pas se rappeler le portrait de Lorenzo Vecchietti par le médailleur à l’Espérance, quand on considère attentivement le premier personnage du groupe de gauche dans la fresque consacrée à Borso et à son bouffon? Ce personnage, plus jeune et plus gracieux que Vecchietti, a aussi une très abondante chevelure qui frise naturellement. Il est coiffé d’un béret rouge. Son vêtement blanc, aux plis réguliers, est serré à la taille par une ceinture noir et or et laisse voir autour du cou ainsi que sur les bras un vêtement de dessous vert ; la chausse de sa jambe gauche est blanche également, tandis que celle de la jambe droite est rouge. Ce riche costume fait admirablement valoir la fière prestance de celui qui le porte, et dont, malheureusement, on ignore le nom.

Même incertitude regrettable à l’égard du personnage chauve, à la physionomie sympathique, vers lequel Borso se tourne tout en recevant une supplique. Quelques érudits ont pensé à Paolo Costabili, qui fit partie du conseil secret et qui mourut dans un âge avancé, le 2 septembre 1469. D’autres ont porté leurs conjectures sur Lodovico Casella, secrétaire d’état et conseiller du prince. Casella, a donné aux lettres et renommé pour son éloquence, s’était rendu cher au peuple, dans l’exercice de diverses fonctions publiques, par sa droiture, son désintéressement, sa libéralité, sa douceur. Ce fut un deuil général quand la mort le frappa (16 avril 1469). Le jour de ses funérailles, les tribunaux ne siégèrent point et les boutiques restèrent fermées. Les recteurs de l’Université et Borso lui-même, avec les princes de la maison d’Este et avec toute la cour, accompagnèrent ses restes à l’église de Saint-Dominique, où son éloge funèbre fut prononcé par le poète Lodovico Carbone, que recommandent surtout auprès de nous les admirables médailles exécutées en son honneur par Sperandio. Ne laissant pas d’enfant, Casella légua la plus grande partie de ses biens à l’hôpital de Sainte-Anne, que devait rendre célèbre le séjour du Tasse. Est-ce bien Casella qui revit dans la fresque du palais de Schifanoia ? Rien ne le prouve, mais cette hypothèse a quelque chose de séduisant et n’a rien d’invraisemblable, car les traits du voisin de Borso sont en parfait accord avec le noble caractère de ce personnage.

On sait au contraire à quoi s’en tenir sur celui qui, dans le premier compartiment, est placé au premier plan à la droite de Borso, et que l’on retrouve à côté du prince dans toutes les fresques suivantes. D’après la tradition, cet homme est Teofilo Calcagnini, le favori du souverain de Ferrare. Teofilo était un des quarante-quatre enfans de Francesco Calcagnini, qui, après avoir étudié avec Vittorino da Feltro, devint secrétaire du marquis de Mantoue Jean-François, et finit par se fixer à Ferrare, où Lionel et Borso lui confièrent des charges honorifiques et lucratives. La faveur du fils dépassa de beaucoup celle du père. En 1465, pendant la nuit de Noël, dans la cathédrale, Borso le fit chevalier de l’éperon d’or et maître de chambre. Aux titres s’ajoutèrent bientôt des donations considérables jusque sur les territoires d’Adria, de Ravenne, de Modène, de Reggio et dans la Romagne. Frédéric III, de son côté, le 1er février 1469, lui décerna le titre de comte du sacré palais et lui accorda le droit de nommer des notaires et de légitimer les bâtards, droit transmissible à ses descendans mâles. Borso ne pouvait se passer de Calcagnini, dont le dévoûment lui avait inspiré une amitié toute particulière. Celui-ci l’accompagna notamment en 1467 à Venise et en 1471 à Rome, où, à l’issue des cérémonies du jour de Pâques solennellement célébrées par Paul II, le marquis de Ferrare fut proclamé duc de Ferrare. Il eut aussi l’honneur d’être en correspondance avec Bembo. On est d’autant plus heureux de rencontrer son portrait sur les murs du palais de Schifanoia qu’il n’en existe ailleurs aucun autre.

Il n’en est pas de même pour Borso. Les portraits de ce prince furent nombreux et l’on peut vérifier sans peine l’exactitude de ceux qui se trouvent dans les fresques dont nous nous occupons. Quatre médailles signées et deux médailles anonymes reproduisent les traits du successeur de Lionel[4]. Celle d’Amadio da Milano n’est point datée, mais comme elle représente un homme d’environ trente ans[5], on peut supposer qu’elle fut exécutée entre 1443 et 1445. Celles de Jacopo Lixignolo, d’Antonio Marescotti et de Petrecini, portant la date de 1460, nous montrent Borso à l’âge de quarante-sept ans. Quant aux deux médailles anonymes qui ne portent aucune date, mais dont l’une (la plus grande) est probablement aussi de 1460 puisqu’il en existe une répétition du temps avec cette date, elles n’ajoutent rien de significatif aux indications fournies par les médailles signées. Il en faut dire autant des deux beaux dessins contenus dans le recueil Vallardi, au musée du Louvre, dessins qui représentent Borso encore jeune[6]. Entre le profil de bronze et les figures peintes sur les murs du palais de Schifanoia, la ressemblance est frappante. Seulement, dans les fresques, Borso est plus âgé ; il peut avoir de cinquante-quatre à cinquante-huit ans. Son visage s’est épaissi et son double menton s’est encore accentué. Le bonnet descend assez bas sur le front et est orné à gauche d’un bijou. De longs cheveux retombent jusque sur la nuque. Les yeux sont intelligens et dénotent une bonhomie mêlée de finesse. Quant aux lèvres, elles sont singulièrement minces. Ce qu’il y a de moins bien, c’est la bouche, trop large. De plus, entre le nez et la lèvre, la distance est trop grande. Si le type de Borso est loin d’être irréprochable, l’expression du moins n’a rien que de sympathique.

Quelque intéressantes que soient les fresques dont le premier duc de Ferrare est le héros, il en est quelques-unes de plus attrayantes encore dans la zone supérieure de plusieurs compartimens, surtout dans celle des mois de mars et d’avril.

Que de grâce et d’originalité, en effet, a la composition qui représente des femmes brodant à la main ou lissant au métier! Toutes s’occupent consciencieusement. Malgré le calme de leurs visages, on sent en elles l’ardeur au travail. Elles apportent à leur tâche d’autant plus d’attention, qu’autour d’elles se tiennent, en assez grand nombre, des spectatrices venues pour les voir à l’ouvrage ou pour admirer les broderies et les étoffes sortant de leurs mains. Grande est la différence entre l’aspect des ouvrières et celui des visiteuses. Chez les premières, qu’elles soient jeunes ou qu’elles aient déjà atteint la maturité, l’humilité de la condition se trahit non-seulement par la simplicité de l’ajustement et de la coiffure, mais par la vulgarité des traits. Chez les secondes, au contraire, l’aisance des attitudes, la recherche dans l’arrangement des cheveux, le luxe des vêtemens, la distinction des types dénotent une noble extraction. Considérez, par exemple, les trois figures à gauche. Combien a d’élégance la courbe du cou de celle qui se présente de profil perdu ! Quelle exquise pureté dans le visage des autres ! Ce n’est évidemment pas pour cette classe de la société que furent promulguées les ordonnances de 1453, de 1456 et de 1460 qui interdisaient les draps rouges ou violets, les étoffes de soie, d’or et d’argent. Ne nous en plaignons pas. Quelle jolie réunion de costumes nous vaut cette indulgence ! Que de charme l’élégance de la mise ajoute à ces figures représentées dans toute l’expansion de la jeunesse ! Ce qui contribue singulièrement au plaisir que l’on éprouve à regarder cette scène à demi familière, à demi solennelle, c’est la fraîcheur du coloris. Il a conservé sa douce et pénétrante harmonie. Tout y caresse le regard comme dans un parterre où un habile jardinier aurait rassemblé une grande variété de fleurs se faisant valoir les unes les autres.

Un fait cependant doit être noté. La hauteur donnée aux fronts est un peu exagérée. C’est que la mode d’alors exigeait qu’on les découvrît le plus possible. On se relevait les cheveux jusqu’à la racine; parfois même on n’hésitait pas à en raser une partie. La trace de ces habitudes se retrouve notamment dans le consciencieux portrait de Battista Sforza, femme de Frédéric duc d’Urbin, portrait exécuté par Piero della Francesca et conservé au musée des Offices, dans les médailles de Nicolas III d’Este, de Lionel, de Léon-Baptiste Alberti.

Les sujets représentés aux côtés de Vénus dans le compartiment voisin ont également conservé le charme de leur couleur originelle et sont peut-être pi as attachans encore. Ils représentent des groupes d’amoureux s’embrassant ou causant sous le regard de leurs amis, parmi les arbustes aux feuillages légers qui marient leurs nuances printanières à celles que présentent les étoffes des vêtemens. Plusieurs jeunes filles tiennent des instrumens de musique. Le groupe à droite, où un jeune homme pose ses deux mains sur les épaules de deux musiciennes est séduisant entre tous par la candeur, par la placidité, par la satisfaction intime que reflètent les visages.

Non loin de ces compositions qui semblent avoir été peintes pour le plaisir des yeux, il en est une dont les détails sont de nature à piquer la curiosité. Elle nous fait assister à des fêtes qui étaient fort en honneur à Ferrare, sous la famille d’Este, et qui passionnaient le peuple aussi bien que la cour. On y voit une course de femmes, une course d’hommes, une course d’ânes et de chevaux montés par de jeunes garçons. Un de ceux-ci, penché en avant, indique bien par son attitude la rapidité de sa monture et sa propre ardeur. Peut-être conduit-il un cheval mantouan, car les chevaux élevés sur le territoire de Mantoue étaient renommés dans toute l’Europe pour leur vitesse[7]. À ces courses assistent le duc de Ferrare et les personnages de son intimité, placés plus haut devant une ligne de monumens et de palais qui sont pourvus de portiques et auxquels fait suite, à droite, la façade d’une petite église consacrée à saint Sébastien. C’est à gauche, sous la principale arcade de ces portiques, dont l’ouverture laisse voir au loin une porte crénelée et un édifice à mâchicoulis, que Borso se tient à cheval. Quelques-uns des spectateurs sont, à son exemple, restés sur leurs chevaux. D’autres sont assis ou debout, tandis que des pages et des palefreniers, à droite, gardent et surveillent leurs montures. Quelques-uns de ces chevaux se présentent de face, à peu près comme ceux de Saint-Marc à Venise, auxquels ils font penser. Ce ne sont pas seulement les hommes qui jouissent de cette fête animée : un certain nombre de nobles dames en prennent commodément leur part derrière des balcons tendus de riches tapis ou d’étoffes précieuses.

Les courses dont on a voulu donner ici une idée et perpétuer le souvenir avaient régulièrement lieu le 23 avril, jour de la fête patronale de Saint-George, dans la Grande rue et dans la rue des Sablons, en présence du souverain et de toute la noblesse[8]. Mais on en faisait également à l’occasion des événemens mémorables, en signe d’allégresse publique. Ainsi, quand Albert, marquis de Ferrare, revint de Rome, où il s’était rendu en pèlerin[9] avec une suite nombreuse pendant le jubilé de l’année 1391, et où il avait obtenu de Boniface IX, entre autres faveurs, une importante bulle relative à la transmission des immeubles séculiers soumis à des droits ecclésiastiques et l’autorisation de fonder une université jouissant des mêmes privilèges que celles de Bologne et de Paris, il y eut, parmi les réjouissances multiples que l’on organisa, deux courses d’hommes, une course de femmes, une course d’ânes et trois courses de chevaux. Le 26 mai 1471, Borso aussi, après le voyage à Rome qui lui valut le titre de duc de Ferrare, assista à une course de chevaux, et ce fut sa dernière distraction, car le soir même il fut pris de la maladie dont il mourut. Tous ces souvenirs reviennent à la pensée quand on regarde la fresque du palais de Schifanoia ; avec elle, on revit dans le brillant passé de Ferrare.


IV.

A quelle époque les fresques de la grande salle du palais de Schifanoia ont-elles été exécutées ? Est-ce du vivant de Borso ou est-ce seulement sous le règne d’Hercule Ier qu’elles furent commencées ?

Pour en faire honneur à Hercule Ier exclusivement, on a allégué plusieurs raisons qui n’étaient pas dénuées de vraisemblance. Il est impossible, disait-on, que le peintre ait pu se mettre à l’œuvre avant la fin de 1471, époque où Borso n’existait déjà plus[10], car l’état du palais ne le permettait pas. On lit, en effet, dans la chronique de frà Paolo da Legnano, à l’année 1471 : « Un repas eut lieu au rez-de-chaussée, parce que l’étage supérieur n’était pas encore terminé. » — Ce n’est même probablement pas Borso, ajoutait-on, qui a commandé les peintures consacrées en partie à sa propre glorification : son caractère n’autorise guère une pareille hypothèse. Il est tout naturel, au contraire, de supposer qu’Hercule ait voulu faire représenter les actes mémorables de Borso pour manifester sa reconnaissance envers son frère, qui, tenant à lui assurer la possession du trône, n’avait pas consenti à se marier et avait, peu avant sa mort, éloigné de Ferrare un prétendant redoutable, Nicolas, fils de Lionel.

Ces raisons, si puissantes qu’elles paraissent à première vue, n’ont rien, selon nous, de décisif. Quand frà Paolo da Legnano dit qu’en 1471 le second étage n’était pas encore terminé, il ne parle évidemment pas de la partie du palais qui attire aujourd’hui les visiteurs, ou bien il fait simplement allusion aux travaux qui avaient pour but d’orner les pièces déjà achevées. Grâce aux recherches de L.-N. Cittadella, on sait, comme nous l’avons déjà constaté, que la décoration de la salle des stucs, y compris le plafond, fut exécutée en 1467. Si l’état du palais n’a pas mis obstacle à ces travaux, pourquoi aurait-il entravé l’exécution des peintures dans le salon voisin ? Quant à la nature des sujets où apparaît Borso, elle n’avait rien de compromettant pour la modestie du prince. Accueillir des suppliques, recevoir des ambassadeurs, se livrer au plaisir de la chasse, assister à des courses, ce sont là des actes où il n’entre pas beaucoup d’ostentation. Comment d’ailleurs un souverain, et un souverain italien, se serait-il refusé, contrairement aux usages de son temps, à la louange, flatteuse entre toutes, des artistes en renom? Borso, du reste, n’éprouvait pas les scrupules de modestie qu’on lui attribue. N’avait-il pas souffert en 1454 qu’on lui élevât une statue devant le palais della Ragione[11]? — Une autre remarque, faite par Aventi, tend à contredire ceux qui nient l’intervention de Borso dans la commande des fresques dont il s’agit. Nulle part le duc Hercule re figure à côté de son frère. Si les compositions n’avaient pas été arrêtas du vivant de Borso, nul doute que le peintre n’y eût introduit l’effigie du prince régnant, de celui par ordre duquel il travaillait. — Ajoutons que la simplicité même des scènes dans lesquelles figure Borso confirme notre opinion. Si Hercule avait été pour quelque chose dans le choix des sujets, si son but eût été de glorifier la mémoire de son frère, n’aurait-il pas préféré des épisodes plus marquans? Comment n’aurait-il pas songé aux pompeuses cérémonies, aux fêtes splendides qui eurent lieu d’abord dans sa capitale, quand Frédéric III créa Borso duc de Modène et de Reggio, ensuite à Rome lorsque Paul II ajouta à ce titre celui de duc de Ferrare? Tout concourt donc à prouver que Borso ordonna lui-même et vit commencer l’exécution des peintures que réclamaient naturellement les murs de son palais favori.

On est en droit de penser que la tâche entreprise dura longtemps. L’étendue des surfaces à peindre était considérable. Plus d’une circonstance imprévue se mit d’ailleurs à la traverse. Peut-être les travaux furent-ils suspendus dès 1471, quand Hercule, aussitôt après son avènement, eut donné le palais de Schifanoia à son frère Albert, et auront-ils été repris seulement en 1476, époque où le duc rentra en possession de ce palais par la confiscation des biens d’Albert, exilé à Naples. On peut également supposer une interruption ou tout au moins un ralentissement entre 1481 et 1484, alors que la guerre contre Venise, guerre compliquée par les inondations, la famine et la peste, menaça si gravement l’indépendance de Ferrare, Ce qui est certain, c’est que les fresques étaient terminées depuis assez longtemps quand il fallut, en 1493, démolir dans le grand salon du palais, comme nous l’avons mentionné, les parois occidentale et méridionale qui menaçaient ruine. Pour refaire les peintures sur les murs reconstruits, on dut, en effet, recourir à de nouveaux artistes, les anciens étant morts ou étant occupés ailleurs. C’est ce que prouvent ces peintures elles-mêmes, exécutées par un procédé différent. Quand on essaya de les dégager, ainsi que nous l’avons déjà dit, du badigeon qui les recouvrait, on les vit tomber avec la chaux, tandis que les fresques voisines demeuraient intactes et ressuscitaient à la lumière dans l’état où les avaient trouvées les hommes qui croyaient les avoir vouées à un éternel oubli.


V.

S’il est difficile de savoir à quoi s’en tenir sur l’origine précise des fresques peintes dans le palais de Schifanoia, il est encore plus malaisé de savoir à qui l’on doit attribuer le choix des sujets.

Que le programme à réaliser par le peintre ait été imaginé et formulé par quelque lettré de l’époque, c’est ce qui n’est pas douteux. Évidemment le souverain de Ferrare eut recours à un de ces érudits raffinés qui se passionnaient pour les réminiscences mythologiques, pour les spéculations quintessenciées de l’astronomie, pour les allégories ressemblant à des rébus. Mais à qui s’adressa-t-il? Personne ne s’est soucié de nous l’apprendre. En l’absence de tout document, on serait tenté de songer à Lilio Gregorio Giraldi, auteur d’un traité ayant pour titre : de Annis et Mensibus, mais la date de sa naissance (1478 ou 1479) s’y oppose absolument. Force est donc de rester dans l’ignorance sur ce point.

Sait-on du moins qui a exécuté les sujets fournis par le lettré anonyme? Sur cette question, la lumière est loin d’être complètement faite. Toutefois, en consultant la tradition et en examinant les fresques avec soin, on peut parvenir à entrevoir çà et là les indices de la vérité.

Une chose d’abord est certaine, c’est que, s’il y a unité de plan, il y a diversité de style. On ne saurait douter que plusieurs artistes aient coopéré à l’ensemble que l’on a sous les yeux. Comment croire, par exemple, que l’artiste qui a peint les tisseuses soit aussi l’auteur de la scène où Borso, au-dessous du Bélier, accueille la requête d’un de ses plus humbles sujets, que l’homme tenant la clé du printemps et que les figures placées auprès de la Balance soient l’œuvre d’une même main ? Non loin de certaines têtes peintes avec talent et réellement belles, il y en a de faibles et même d’assez laides. C’est que des maîtres de mérite très inégal et de tendances très différentes ont travaillé dans le voisinage les uns des autres et que, d’ailleurs, il leur est arrivé de céder le pinceau à des aides, à des élèves plus ou moins habiles.

Pendant longtemps, on a mis au compte de Cosimo Tura toutes les fresques du palais de Schifanoia. Justice a déjà été faite de cette assertion. Elle contenait cependant une part de vérité. Cosimo Tura, en effet, n’est certainement pas étranger à ces fresques, auxquelles ont sans aucun doute travaillé les peintres formés à son école, et il en a peut-être eu quelque temps la direction générale. Il jouissait auprès de Borso d’une faveur telle qu’il fut le peintre attitré de la cour, et son crédit se maintint sous Hercule Ier. Tito Strozzi, dont il fit le portrait, et Lodovico Bigo Pittorio, un autre de ses contemporains, le louèrent dans leurs vers, tandis que le père de Raphaël, Giovanni Santi, dans un poème écrit après 1468, le rangea parmi les plus grands artistes qui aient vécu hors de la Toscane. Dans une série d’actes trouvés par L.-N. Cittadella et espacés entre les années 1480 et 1491, les qualifications les plus flatteuses lui sont prodiguées : on le traite de « peintre noble et remarquable ; » on l’appelle « le peintre le plus éminent de l’époque. » Y avait-il lieu de nommer un arbitre pour estimer une peinture, c’est à lui que l’on s’adressait. Sa renommée ne se confinait pas dans sa ville natale, qu’il ne quitta pourtant jamais, et Jean Galéas, sur la recommandation de Borso, lui envoyait des élèves à former. C’est qu’il occupait une place à part dans l’école ferraraise et que, après lui avoir fait quitter l’ornière de la banalité, il lui avait imprimé un essor puissant et original, et l’avait définitivement engagée dans une voie où son caractère propre et ses aptitudes spéciales allaient désormais se développer brillamment[12]. Tura est dans cette école, comme l’a remarqué M. Morelli[13], ce qu’est, toute proportion gardée entre les mérites respectifs, Mantegna dans l’école de Padoue, Bartolommeo Vivarini dans l’école vénitienne, Foppa dans_ l’école lombarde, Piero della Francesca dans l’école ombrienne, Andréa del Castagno et Antonio Pollaiuolo dans l’école florentine.

Ses œuvres indiquent qu’il se pénétra des traditions du Squarcione[14], vivifiées par le génie de Mantegna[15]. Le voisinage de Venise ne fut probablement pas non plus sans profit pour lui, et c’est peut-être en souvenir de ses bons rapports avec les artistes vénitiens qu’il prit dans son premier testament, le 14 janvier 1471, une disposition en faveur des pauvres de cette ville. On peut lui reprocher souvent de la sécheresse, de la raideur, la recherche de l’expression aux dépens de la beauté et un naturalisme poussé parfois à l’excès. Mais quelle dignité et quelle profondeur de sentiment il a su donner à quelques-unes de ses figures ! Comment rester indifférent en face du plus grand des Saint Jérôme conservés à la pinacothèque de Ferrare? Quelle religieuse admiration inspire l’ange de l’Annonciation dans le chœur de la cathédrale ! Ici, par exception, les lignes ont même une véritable pureté; la physionomie n’est pas moins sereine qu’austère. Que de grâce aussi dans les menus détails, dans les accessoires! Que de majesté dans les monumens qui abritent les personnages! Malheureusement, les créations de Tura sont très inégales. Ainsi, à côté de l’ange si parfait que nous venons de mentionner, la Vierge a un visage anguleux et tout à fait ingrat. Les mêmes observations s’appliqueraient à la Vierge avec deux saints et deux saintes du musée de Berlin et à la Vierge avec six anges de la Galerie nationale de Londres.

Quand la grande salle du palais de Schifanoia fut prête à recevoir des peintures, il y avait longtemps que Cosimo Tura[16] était au service de Borso, car il apparaît pour la première fois sur les registres de dépense des souverains de Ferrare en 1452. Il avait déjà peint pour Vincenzo de’ Lardi (1458) une crèche destinée à la cathédrale et maintenant perdue, pour la famille Sacrati, à San-Domenico, une chapelle qui a été détruite, au siècle dernier, quand on reconstruisit cette église, et il avait représenté sur les vantaux de l’orgue de la cathédrale l’Annonciation et le Saint George qui sont suspendus aujourd’hui aux parois latérales du chœur. De si brillans états de service désignaient naturellement Tura au choix du prince lorsqu’il fut question d’achever la décoration de son palais.

Quel fut son rôle dans l’exécution des fresques précédemment décrites? Quelques personnes, ne reconnaissant nulle part une empreinte assez accentuée de ses qualités et de ses défauts, l’excluent de toute participation directe. Ce qui, selon nous, rappelle le mieux sa manière, et ce que nous croyons pouvoir lui attribuer, c’est l’homme demi-nu qui tient la clé du printemps[17], c’est la femme âgée[18] qui adresse au ciel de si ferventes prières pour le remercier de l’abondance des moissons. Ces figures, que nous avons déjà signalées, semblent l’une et l’autre provenir de la même main : elles ont le relief un peu tranchant des œuvres du Squarcione et de Mantegna, dont Tura s’est souvent inspiré, et ne sont pas sans quelque analogie avec le Saint George de la cathédrale.

Tout autre est le style des deux premiers sujets dans lesquels apparaît Borso et où il y a de si intéressans portraits. On pense généralement qu’ils sont de Lorenzo Costa[19]. Les tendances propres à l’ancienne école de Ferrare s’y combinent avec des élémens étrangers qui font songer à l’école florentine. Or, après avoir reçu à Ferrare les enseignemens soit de Cosimo Tura, soit de Francesco Cessa, Lorenzo Costa se rendit en Toscane, au dire de Vasari, et y étudia les œuvres de Filippo Lippi et de Benozzo Gozzoli. S’il ne put, étant né en 1460, connaître Lippi, mort en 1469, peut-être entra-t-il en relations directes avec Benozzo, mort seulement en 1478, et apprit-il de lui l’art de reproduire d’après nature la figure humaine avec cette élégance ingénue qui nous charme tant au Campo-Santo de Pise, dans la chapelle du palais Riccardi, dans l’église de Saint-Augustin, à San-Gimignano, et dans celle de Montefalco, près de Foligno. Revenu à Ferrare, Costa, malgré sa jeunesse, fut très apprécié de ses compatriotes. Il fit pour la cour, pour les églises, pour les palais particuliers, des tableaux et des portraits tenus en grande estime. C’est à lui qu’Hercule Ier confia le soin de peindre le portrait de son fils Alphonse, encore petit enfant. On peut donc admettre qu’il fut appelé à concourir à l’exécution des fresques du palais de Schifanoia et à y représenter les personnages dont on désirait conserver les traits à la postérité[20]. Les dates ne s’y opposent pas, puisqu’il ne se fixa à Bologne que vers 1483. A la vérité, il n’avait que vingt-trois ans. Mais pourquoi se refuserait-on à croire que, pendant son séjour dans la capitale des Bentivoglio, il revint de temps en temps à Ferrare pour répondre à de pressantes sollicitations? C’est la seule façon d’expliquer le grand nombre de ses productions mentionnées par Vasari comme exécutées dans sa patrie.

Le nom d’un troisième peintre se présente tout naturellement à l’esprit quand on regarde la zone supérieure des trois premiers mois. C’est celui de Piero della Francesca[21]. En présence des groupes qui se trouvent aux côtés de Minerve, de Vénus et d’Apollon, groupes où les figures sont mieux disposées, où les attitudes sont plus naturelles et plus gracieuses, où l’exécution est plus libre que dans les autres compositions, on ne peut s’empêcher de songer à lui, ou du moins à quelque artiste pénétré de ses principes et de son style. Il est manifeste que certaines physionomies, certaines coiffures, certains ajustemens font songer aux fresques exécutées à Arezzo dans l’église de Saint-François par Piero della Francesca. Il suffit de se rappeler les deux femmes derrière la reine de Saba en prière, celles qui l’accompagnent dans son entrevue avec Salomon, l’impératrice Hélène et ses suivantes devant la croix de Jésus retrouvée. Les analogies que nous constatons n’ont rien de surprenant. Ne sait-on pas, par le témoignage de Vasari, que Piero della Francesca, appelé à Ferrare par Borso, y séjourna longtemps, qu’il exerça sur plusieurs artistes de cette ville une influence considérable et qu’il exécuta lui-même, au rez-de-chaussée du palais de Schifanoia, des peintures qui furent détruites quand Hercule Ier modifia l’aménagement intérieur de l’édifice? Peut-être les compositions placées au-dessus du Bélier, du Taureau et des Gémeaux ont-elles été peintes sous ses yeux. Il pouvait se trouver encore à Ferrare pendant les dernières années du règne de Borso et même pendant les premières du règne d’Hercule, car si vers la fin de sa vie il devint, pour une cause ou pour une autre, incapable de pratiquer son art, ou a la preuve qu’il l’exerçait encore en 1478.

D’après MM. Crowe et Cavalcaselle, l’influence de Piero della Francesca, à Ferrare, s’exerça principalement sur Francesco Cessa. C’est à ce peintre qu’ils attribuent les trois premières compositions de la zone supérieure, lui donnant Galasso pour collaborateur dans celles qui se rapportent au mois d’avril et au mois de mai. Dans la zone intermédiaire, les Gémeaux seraient également de Cossa. Ces différens tableaux semblent, en effet, appartenir au même maître; seulement, quelques parties trahissent le concours d’une main moins habile. Quant à nous, nous avouons ne pas saisir les rapports qui rattacheraient aussi directement Cossa à Piero della Francesca. Les figures qui entourent la Madonna del Baracano (1472), la Vierge entre saint Jean et saint Petronio à la Pinacothèque de Bologne (1474), les douze apôtres dans la chapelle des Marsilii, à San-Petronio, et le vitrail rond qui, à San-Giovanni in Monte, représente au-dessus de la grande porte saint Jean écrivant l’Apocalypse, sont les seules œuvres authentiques qui subsistent de lui, et elles rappelleraient plutôt Tura que l’auteur des fresques d’Arezzo. Contemporain de Tura, il mit à profit, comme lui, les enseignemens de l’école ouverte à Padoue par le Squarcione vers 1430 et les exemples de Mantegna. La préoccupation du beau ne règne guère plus chez lui que chez Tura; mais son pinceau a plus de souplesse, la structure de ses figures plus d’exactitude ; ses draperies ont plus de naturel. S’il tira parti des progrès réalisés par Piero della Francesca sous le rapport de la perspective, il ne s’appropria pas sa manière et resta purement ferrarais. Dès 1470, il était fixé à Bologne, où l’avaient attiré les Bentivoglio. Avant son départ, il eût pu travailler dans le palais de Schifanoia, car nous croyons avoir démontré que les peintures de ce palais furent commencées entre 1467 et 1470. Toutefois, son style n’apparaît nulle part avec assez d’éclat pour qu’on le nomme sans hésitation devant tel ou tel sujet. En tout cas, nous croyons qu’il n’est pour rien dans les quatre tableaux que lui attribuent MM. Crowe et Cavalcaselle.

Il serait plus surprenant que Galasso Galassi fût resté étranger à l’exécution des fresques du palais fondé par le marquis Albert et agrandi par Borso, car il fut un des peintres attitrés de celui-ci. Dès 1450, on trouve son nom sur les registres de dépense de la maison d’Este. En 1453, il travaillait dans le palais de Belriguardo. Né vers 1423, il mourut en 1473, après avoir passé une partie de sa vie à Bologne. En 1455, il fit le portrait du cardinal Bessarion et peignit pour lui une Assomption dans l’église de Santa-Maria-in-Monte, hors de Bologne. A la Pinacothèque de Ferrare, il est représenté par un Christ attaché sur une croix que soutient le Père éternel, et par une Mise au tombeau. Dans le premier de ces tableaux, si le Père éternel est assez beau, le Christ est tout à fait grimaçant. Dans le second, la figure principale, avec ses cheveux d’un jaune roux, n’a rien d’un Dieu, et les saintes femmes qui l’entourent, laides à l’envi, ont des attitudes gauches et forcées; mais on ne peut regarder sans sympathie le moine ascétique et l’austère évêque qui s’associent de toute leur âme à la douleur des amis de Jésus. Assurément, Galasso est plus archaïque et plus âpre que Cosimo Tura. Ce qui, toutefois, rachète ses imperfections et ses tendances par trop réalistes, c’est l’intensité de l’expression et l’absence de banalité. Reconnaît-on l’auteur des deux tableaux de la Pinacothèque dans les peintures du palais de Schifanoia? MM. Crowe et Cavalcaselle pensent, comme nous l’avons déjà dit, qu’il a coopéré à l’exécution des sujets qui se trouvent dans la zone supérieure au-dessus du Taureau (avril) et des Gémeaux (mai). Ils lui attribuent aussi, toujours dans la même zone, les compositions placées au-dessus du Cancer (juin) et du Lion (juillet), dans la zone intermédiaire le signe du Cancer (juin) et peut-être le signe du Lion (juillet), et dans la zone inférieure le sujet peint au-dessous du Cancer (juin). Ces attributions ne s’imposent pas à l’observateur, mais elles ne sont pas invraisemblables.

A la liste des peintres qui travaillèrent dans la grande salle du palais de Schifanoia, peut-être conviendrait-il d’ajouter Dominique, fils de Jacques Valerio. N’est-il pas vraisemblable que Tura ait eu recours à la collaboration de l’homme auquel il légua, par son testament de 1471, ses dessins et tous les objets contenus dans son atelier ?

Dominique, au surplus, ne dut pas être le seul artiste appelé à prêter son concours aux maîtres qui avaient entrepris de décorer le palais de Schifanoia. À côté de ceux-ci auraient pu intervenir aussi, vu leur âge, Antonio Aleotti d’Argenta, Stefano de Ferrare, Benedetto Coda, Michèle Ongaro, Bonaccioli, Baldassare d’Este, Ercole Grandi, fils d’Antonio Roberti. Mais on ne saurait rien affirmera leur égard. La plupart d’entre eux ne nous sont d’ailleurs connus que de nom. Quant à Domenico Panetti, qui étudia successivement la manière de Tura et celle de Costa, on doit certainement l’éliminer, quoiqu’à l’exemple de Tura il n’ait jamais quitté Ferrare. Nulle part on ne retrouve sa manière, si facile à distinguer quand on a visité la Pinacothèque de Ferrare et l’église de la Consolation.


VI.

Si les fresques du palais de Schifanoia, malgré l’obscurité qui enveloppe les artistes qui les ont faites, jettent une vive lumière sur l’état de l’art ferrarais vers la fin du XVe siècle, elles sont également, à divers autres points de vue, intéressantes à consulter.

Veut-on, par exemple, se faire une idée exacte de Borso, le prince le plus sympathique de la maison d’Este, les sujets contenus dans la zone inférieure de chaque compartiment fourniront quelques renseignemens précieux, car les principaux traits de son caractère s’y accusent avec netteté.

Ce qui le distingue avant tout, c’est le sentiment des devoirs du prince envers ses sujets, même les plus humbles, c’est le zèle pour la justice. En nous le montrant occupé à faire droit aux demandes ou aux réclamations de son peuple, la fresque du premier compartiment ne fait que rappeler ce que les habitans de Ferrare avaient vu maintes fois, ce que l’histoire n’a pas omis d’enregistrer. Quoiqu’il n’ait pas été beaucoup plus qu’un autre à l’abri des conspirations (il y en eut une en 1460 et une autre en 1461), Borso ne mettait aucune barrière entre lui et ses sujets, se croyant assez protégé par les services rendus à la chose publique et par la sagesse de son gouvernement[22]. Après s’être levé au point du jour et avoir récité avec un prêtre l’office divin, ainsi que l’office de la Vierge, il descendait de son palais, situé en face de la cathédrale, et se promenait dans la ville jusqu’à l’église de San Crispino avec ses conseillers, ses secrétaires, ses chanceliers, écoutant tous ceux qui voulaient lui parler, accueillant toutes les demandes légitimes, rendant sommairement la justice, lorsque les cas étaient simples, ou renvoyant les plaignans devant les tribunaux, auxquels il recommandait la célérité. Selon lui les lois obligeaient les grands aussi bien que les petits. Il l’apprend un jour à un de ses ministres qui avait négligé de payer certains objets livrés à sa propre maison. Le créancier ayant réclamé au prince même son paiement, Borso fait citer et condamner le débiteur devant les juges, puis reproche au ministre coupable le déshonneur auquel il a exposé son prince et lui enjoint plus d’exactitude à l’avenir. Dans une autre occasion, il montra avec éclat que les intérêts du peuple ne le laissaient pas indifférent. Giovanni Romei, à qui il avait affermé la perception des douanes, s’étant permis de criantes extorsions, il ne se contenta pas de lui enlever cette perception, il lui infligea un affront public, aux applaudissemens de tous les citoyens (1458)[23].

Ce qui frappe également lorsqu’on examine Borso dans les fresques du palais de Schifanoia, c’est son goût pour le luxe. Malgré ses édits somptuaires, il aimait les étoffés aux riches tissus, aux brillantes couleurs, non-seulement pour lui-même, mais pour les gens de son entourage, qui tous ici apparaissent avec des costumes recherchés. Il portait ordinairement, même à la campagne, des vêtemens en brocart d’or. Autour de son cou brillait presque toujours un collier qui avait coûté 70,000 ducats. On ne peut guère, sans avoir lu les chroniques du temps, se faire une idée de la magnificence qu’il déploya lorsqu’il fut solennellement proclamé duc de Modène et de Reggio et comte de Rovigo par l’empereur Frédéric III, venu à Ferrare (1452)[24]. En se rendant à Rome, où il allait recevoir de Paul II le titre de duc de Ferrare (1471), il s’entoura d’un appareil encore plus éclatant. Les cent cinquante mules qui portaient ses équipages étalent couvertes de velours cramoisi brodé d’or, ou de drap blanc, rouge et vert. Ses chambellans étaient vêtus de drap d’or, ses écuyers de brocart d’argent. Si le luxe de Borso satisfaisait une inclination personnelle, il répondait aussi à un calcul politique. Il imposait au peuple, qui partout se laisse éblouir ou séduire par le faste, et donnait une haute idée de la puissance du prince à tous les états italiens, entre les chefs desquels il y avait assaut d’ostentation.

Cette ostentation se manifestait aussi par le nombre et la beauté des chevaux. Dans les écuries de Philippe-Marie Visconti, on ne comptait pas moins de cinq cents chevaux, dont quelques-uns avaient coûté jusqu’à 1,000 ducats d’or. François Gonzague possédait des jumens d’Espagne et d’Irlande. L’Afrique, la Thrace et la Cilicie lui en avaient également fourni. Pour s’en procurer, il cultivait avec soin l’amitié des grands sultans. A voir les nombreux chevaux qui marchent ou galopent dans les paysages que présentent les fresques du palais de Schifanoia, on est en droit de supposer que le duc de Ferrare et les seigneurs de sa cour n’hésitaient pas non plus à s’imposer de lourds sacrifices pour peupler leurs propres écuries. Cette supposition est confirmée par des faits. Lorsque Frédéric III vint à Ferrare, en 1452, Borso lui donna cinquante chevaux de choix. Borso, de son côté, reçut en présent douze chevaux du roi de Tunis. Or celui-ci savait évidemment que, par ce genre de cadeau, il flatterait un des goûts du souverain de Ferrare, auquel il tenait à témoigner son estime et sa sympathie.

Au goût des chevaux s’associait chez Borso la passion de la chasse. Voilà probablement pourquoi les peintres du palais de Schifanoia n’ont pas craint de montrer plusieurs fois dans la même salle le duc à la poursuite des quadrupèdes et des volatiles. Du reste, la chasse n’était pas simplement son passe-temps favori; c’était aussi pour lui un moyen de fêter ses hôtes de distinction. Il mettait à leur disposition ses chevaux, ses équipages, ses chiens, ses éperviers, ses faucons, et, à la tête des gentilshommes de son entourage, il parcourait avec eux les giboyeuses campagnes de ses états. C’est ainsi qu’en 1462 il associa Lodovico, marquis de Mantoue, à une série d’expéditions contre les lièvres et les perdreaux, tout en se faisant accompagner d’une centaine de cavaliers revêtus d’élégans costumes. L’amour de la chasse était assez vif chez Borso pour que ce prince eût fait figurer, dans le pompeux cortège qu’il emmena à Rome en 1471, quatre-vingts valets conduisant chacun quatre chiens, et sa passion était si notoire que Paul II ne négligea pas de la satisfaire. Tous les historiens célèbrent la chasse à laquelle le pape convia son illustre visiteur, tant elle eut d’éclat. Pigna et Bellini prétendent même que le souverain pontife en fît perpétuer le souvenir par l’exécution d’une médaille; mais la pièce dont ils parlent, à en juger par son style, date seulement de la fin du XVIe siècle. Sur l’un des côtés se trouve l’effigie du pape, entourée de ces mots : Paulus II. Venetus. Pont, Max., tandis qu’on voit sur l’autre le souverain pontife à cheval et un rabatteur à la lisière d’une forêt, près de laquelle courent des sangliers, des lièvres et des cerfs, avec cette inscription : Solum in feras pius bellatur pastor. Ces quelques détails ne suffisent-ils pas pour justifier les peintres du palais de Schifanoia d’avoir plusieurs fois montré Borso se livrant à son délassement de prédilection ?


VII.

Les fresques du palais de Schifanoia nous renseignent aussi sur l’état des esprits dans le monde des savans et dans la société de ce qu’on eût appelé au XVIIe siècle les « honnêtes gens. »

Chez les érudits, les poètes, les humanistes règne un enthousiasme sans bornes pour l’antiquité. Ils en combinent les souvenirs avec les croyances chrétiennes et avec les aspirations modernes sans y apporter toujours une parfaite justesse de discernement et de goût, sans s’effaroucher non plus des fables un peu lestes[25]. En évoquant dans la grande salle du palais de Borso, à côté des scènes qui ont trait aux professions manuelles ou libérales le plus en faveur à Ferrare et non loin d’une cérémonie nuptiale ou d’une procession de moines, les trois Grâces, les Muses, Pégase, Argus, Atys, l’enlèvement de Proserpine, la forge de Vulcain et les infortunes conjugales de ce dieu, le lettré qui indiqua les compositions à peindre n’a fait que suivre des tendances très générales et obéir à un engoûment universel. Le voisinage de Minerve, de Vénus, de Mars, d’Apollon, de Mercure, de Jupiter, de Cérès, de Cybèle justifie jusqu’à un certain point les épisodes que nous venons de mentionner, sans empêcher qu’on trouve un peu forcée la juxtaposition de sujets si étrangers les uns aux autres et si disparates. Mais le moindre prétexte à la représentation des divinités de l’Olympe et à celle des figures nues était alors avidement saisi, tant les récits mythologiques et les monumens de l’art antique exerçaient de séduction sur les esprits. Les divinités, il est vrai, ont dans les fresques du palais de Schifanoia l’apparence de personnages du XVe siècle, non-seulement par leur expression, mais par leur costume, et les figures nues laissent encore beaucoup à désirer. Il y avait là, du moins, un effort méritoire dans une voie nouvelle, et la gaucherie même ou l’invraisemblance n’est qu’un signe du temps précieux à constater.

Après les réminiscences mythologiques, ce qui charmait le plus un lettré du XVe siècle, ce qui sollicitait partout le pinceau du peintre, c’était l’allégorie. Ce goût remonte à Dante et à Giotto. Simone di Martino, Ambrogio Lorenzetti, Sandro Botticelli, d’autres encore, n’avaient pas peu contribué à le répandre. Malheureusement, la subtilité des humanistes et des artistes dégénérait souvent en obscurité, et leurs allégories déconcertent en général les conjectures des érudits les plus perspicaces. Dans les figures qui entourent ici les signes du zodiaque, on a cru reconnaître le Printemps, l’Activité, la Paresse, la Félicité maternelle, la Débauche, l’Enseignement de la musique ou de la poésie, la Prudence, le Commerce malheureux, le Vol, le Pouvoir, la Modération dans le commandement, l’Avidité des ambitieux, le Calcul, la Pureté, le Libertinage ; mais, pour plus d’une de ces figures, le champ reste ouvert aux hypothèses. Il faut avouer que de pareilles personnifications n’étaient pas faciles à caractériser nettement. L’indécision de la main a suivi l’indécision de la pensée, et l’on peut dire que, dans les fresques du palais de Schifanoia, la partie allégorique, à quelques exceptions près, est la moins réussie, la moins conforme aux exigences esthétiques de la beauté.

Parmi les sciences à la mode au XVe siècle, il faut ranger l’astronomie, telle que l’avait conçue Ptolémée. Elle occupait une grande place dans la pensée, dans les spéculations des hommes d’étude, et les gens même qui ne l’approfondissaient pas aimaient à en entendre parler ou à voir fixée sur les murs par le dessin et la couleur l’image des constellations auxquelles bon nombre d’entre eux attribuaient une influence sur la vie humaine. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si l’on a songé, pour la décoration du palais de Borso, aux signes du zodiaque et aux planètes. Leur intervention, au surplus, était toute naturelle puisqu’il s’agissait de représenter les mois, et les exemples ne manquaient pas ailleurs. Un siècle auparavant, Guariento, imitateur de Giotto, avait peint dans le chœur de l’église des Eremitani, à Padoue, Saturne, Jupiter, Mars, Vénus et Mercure. À Sienne, en 1414, Taddeo Bartoli avait introduit dans le palais public l’image de Mars et de Jupiter, et vers 1420 un nouveau cycle astrologique avait été figuré sur les murs du Palazzo della Ragione, à Padoue. Les artistes qui travaillèrent dans l’habitation princière de Schifanoia devaient avoir eux-mêmes des imitateurs plus illustres et mieux inspirés. À Pérouse, en effet, dans le Cambio, Pérugin figura aussi les planètes, et Raphaël à Rome, dans la chapelle Chigi, à Sainte-Marie du Peuple, montra, en commentant une partie du système astronomique de Dante, comment on pouvait tirer parti des souvenirs de l’antiquité au profit du christianisme et satisfaire à toutes les exigences de la raison et du goût.

De l’examen des cieux à celui des questions qui se rattachent à Dieu et à l’âme humaine le passage était inévitable. Or c’est la religion qui donne une réponse à ces questions. Malgré le progrès des idées païennes et le relâchement des mœurs, le catholicisme occupait dans l’esprit et le cœur des individus, comme dans les rouages de la société, une place considérable, et les divers ordres religieux, en dépit de quelques abus, n’avaient perdu leur prestige ni auprès du peuple ni auprès des princes eux-mêmes. C’est à Borso que sont dues l’introduction des chartreux à Ferrare et la fondation de leur monastère, un des monumens qui excitent le plus l’admiration du voyageur. Il en posa la première pierre le 21 avril 1452, et, lorsque l’église et le couvent furent achevés (1461), il les fit offrir au prieur de la Grande-Chartreuse de Grenoble. Dans les fresques du palais de Schifanoia, les moines n’ont pas été oubliés, mais ce n’est pas un monastère de chartreux qu’on a représenté, car les moines qui se dirigent vers leur couvent avec leurs besaces appartiennent à un ordre mendiant. Non loin de là, comme nous l’avons indiqué, d’autres moines s’associent aux intentions de Borso en faveur de la croisade prêchée par Pie II ; ils marchent à la tête de ceux qui doivent combattre contre les infidèles et s’efforcent d’enflammer leur courage au moyen d’une musique à la fois martiale et religieuse.


VIII.

M. Bürckhard fait remarquer avec justesse qu’à l’époque de la renaissance en Italie, on commence à étudier et à décrire la vie réelle, la vie ordinaire, mais il ajoute que, si les tableaux de genre apparaissent dans la littérature, ils sont encore absens de la peinture. Cette dernière observation n’est pas d’une exactitude absolue ; elle est contredite par les fresques du palais de Schifanoia, qui, à la vérité, constituent une exception dans l’ensemble des productions de l’art au XVe siècle. Elles présentent, en effet, des scènes familières, empruntées, les unes à la vie de chaque jour, à celle qui est commune à toutes les classes de la société, les autres à l’exercice de professions plus ou moins relevées. Ici, des jeunes gens et des jeunes femmes s’abandonnent naïvement aux effusions de leur tendresse mutuelle ; là des mains féminines exécutent des broderies à l’aiguille ou font manœuvrer des métiers à tisser. Plus loin, les regards rencontrent des boutiques où l’on vend des chaussures et d’autres objets usuels. Ailleurs des commerçans, des jurisconsultes, des poètes s’entretiennent de leurs occupations habituelles. Les soldats à pied et à cheval semblent, de leur côté, en parcourant les rues de la ville, veiller à la sécurité publique, tandis que les courses de femmes, d’hommes, d’ânes et de chevaux rappellent les divertissemens les plus goûtés. Voilà des sujets tout nouveaux dans le domaine de la peinture, des sujets qui ne sont inspirés ni par le sentiment religieux, ni par l’intérêt qui s’attache à l’histoire du passé, ni par le désir de transmettre à la postérité le souvenir des événemens récemment accomplis. Ce sont, en un mot, de vrais tableaux de genre, les premiers peut-être qui aient été peints en Italie[26]. Mais on sent qu’ils sont dus à des artistes auxquels le grand style était familier, car les personnages, tout en restant très naturels et très vrais, ont dans leur physionomie et dans leurs attitudes une certaine élévation native qu’aurait difficilement rendue une main habituée à se mesurer seulement avec la réalité. Éviter ce qui est trop vulgaire ou trop puéril, sans chercher cependant à s’élever au-delà de ce que comporte le sujet, tel est le but que se sont proposé et qu’ont atteint d’emblée les auteurs de ces intéressantes compositions, frayant ainsi la route à suivre aux artistes futurs.

Les détails champêtres dans les fresques du palais de Schifanoia, détails devenus malheureusement peu distincts, révèlent en outre un sentiment qui ne s’était pas encore aussi ouvertement manifesté. Jusqu’alors les peintres, tout en montrant pour la nature une sympathie réelle, ne lui avaient accordé qu’une place sans grande importance et n’avaient vu en elle qu’un élément pittoresque, propre à charmer de loin les yeux. Ici, on l’a regardée de plus près, comme intimement associée à la vie de l’homme dont elle récompense les labeurs, et l’on n’a pas craint de demander au spectateur une notable partie de son attention en faveur des travaux rustiques et de ceux qui les accomplissent. Évidemment l’artiste était certain d’être agréable à son haut protecteur lorsqu’il représentait la taille de la vigne, la vendange, le labourage, les semailles. Il n’a pas douté non plus que chacun s’intéresserait à ces villageois qui fauchent les foins ou qui lient des gerbes, placées ensuite sur une charrette, à ces femmes qui lavent du linge dans un ruisseau, à ces hommes qui conduisent des bœufs le long d’un champ ou qui déchargent une voiture pleine de blé, à ces bergers qui jouent de la flûte en gardant leurs troupeaux, et même à ces chevaux qui foulent le grain. C’est que les Ferrarais étaient un peuple pratique, quoiqu’ils ne fussent point inaccessibles à l’idéal. Sans doute ils savaient apprécier la parure printanière du sol et le riant aspect des moissons ; mais la vue des champs ne flattait pas moins leurs regards par la promesse d’un accroissement de bien-être et de richesse. Les souverains de ce peuple n’étaient pas non plus sans calculer ce qui leur en reviendrait, soit par les impôts, soit par les dons volontaires en usage à certaines époques déterminées, soit par les monopoles qu’ils s’étaient attribués, notamment sur les fruits et sur les légumes. Ces tendances d’esprit n’avaient rien de surprenant. Aux environs de Ferrare, la campagne ne fait guère songer qu’à l’utile. Ce ne sont de toutes parts que plaines uniformes, coupées de fossés remplis d’eau, sans accidens de terrains. Pour trouver des paysages attrayans, il faut gagner les monts Euganéens, qui forment entre Ferrare et Padoue comme un vaste îlot de hauteurs pittoresques, au milieu desquelles s’élève la ville qui fut le berceau de la maison d’Este.


Après tout ce qui vient d’être dit, il serait difficile de ne pas reconnaître l’importance des fresques qui ornent la grande salle du palais de Schifanoia. Malgré le triste état où les a réduites la barbarie des hommes bien plus que l’action destructive du temps, elles ont une éloquence à part et occupent une place spéciale parmi les monumens de l’art à la fin du XVe siècle. À côté des anciennes habitudes d’esprit, on y sent l’éveil de l’esprit moderne. Les traditions propres à l’ancienne école ferraraise s’y combinent jusqu’à un certain point avec les principes des écoles voisines : Piero della Francesca, venu de l’Ombrie, et Lorenzo Costa, pénétré de la manière des artistes florentins, s’y trouvent plus ou moins directement associés à Cosimo Tura ou à ses élèves.

Ce qu’il y a de moins attrayant dans ces peintures, ce sont les allégories morales ou astronomiques et les sujets mythologiques. L’art ferrarais d’alors était trop réaliste, trop peu épris de la beauté idéale, pour donner aux figures allégoriques le charme et la grâce qui doivent les mettre au-dessus des simples créatures, et il n’avait pu consulter assez de statues et de bas-reliefs antiques pour faire revivre à son tour les divinités de l’Olympe dans leur sereine et majestueuse beauté. Ses tentatives n’en sont pas moins curieuses à observer, car elles révèlent combien les aspirations de l’école ferraraise diffèrent de celles qui distinguent les autres écoles italiennes et en particulier l’école florentine.

Les causes qui expliquent son infériorité sous ce rapport assurèrent, au contraire, son succès quand elle traita des sujets conformes à ses aptitudes particulières. Tandis que l’on ne peut éprouver en général qu’une très médiocre sympathie pour ses allégories, ses dieux et ses déesses, on regarde sans se lasser les épisodes de la vie du prince, qui contiennent tant de beaux portraits, et les scènes dont la vie ordinaire à la ville et à la campagne a fourni les données. L’art s’y montre plein d’une sève généreuse. Rien n’y trahit la contrainte et l’effort. On s’aperçoit que le peintre n’a eu qu’à suivre la pente de ses inclinations et de ses habitudes. L’intérêt qu’il prenait à ses personnages s’est même étendu à leurs costumes. Les fresques du palais de Schifanoia nous montrent ceux que portaient toutes les classes de la société ferraraise, depuis le duc et ses courtisans jusqu’aux fauconniers et aux gens de la campagne, depuis les dames d’un rang élevé jusqu’aux humbles ouvrières, depuis les magistrats et les poètes jusqu’aux marchands et aux artisans. Tous ces ajustemens, soit par leur forme, soit par leurs couleurs et leurs ornemens, exercent une sorte de séduction, quoiqu’ils n’aient pas l’éclat incomparable des étoffes vénitiennes. Quant aux coiffures des femmes, elles ont été traitées aussi avec un soin qui témoigne de l’importance qu’y attachait celui qui les a composées, en exécutant, sous les yeux de Borso et d’Hercule Ier, les premiers tableaux de genre que l’on connaisse.

Si, après avoir considéré ces fresques comme œuvre d’art, on les observe enfin comme documens historiques, on y trouve, ainsi que nous croyons l’avoir prouvé, matière à des constatations qui ne sont pas sans portée sur la cour des ducs de Ferrare, sur l’état des esprits et sur l’ensemble de la civilisation du XVe siècle. N’en est-ce point assez pour justifier les paroles par lesquelles nous avons recommandé, au début de ce travail, les fresques du palais de Schifanoia aux voyageurs, aux artistes, aux historiens et même aux moralistes ?


GUSTAVE GRUYER.

  1. C’est là que sont installées l’université et la bibliothèque. Le Palais du Paradis devait son nom aux peintures dans lesquelles Antonio Alberti, dit-on, avait représenté la gloire des bienheureux. Ces peintures n’existent plus.
  2. Elle n’avait alors que sept ans. Le mariage fut célébré en 1490. C’est cette princesse que Lorenzo Costa a glorifiée dans un tableau fameux qui se trouve au Louvre.
  3. En voici l’indication sommaire, que nous ne croyons pouvoir omettre malgré sa sécheresse, car elle doit servir de base aux considérations qu’amènera la suite de cette étude :
    Mars. — Zone supérieure. Au centre, Minerve assise sur un char traîné par deux licornes; à gauche, groupe de lettrés, de magistrats, de jurisconsultes; à droite femmes brodant et tissant. — Zone intermédiaire. Au centre, le Bélier, surmonté du Printemps ou de la Sagesse; à gauche, la Paresse; à droite, l’Activité. — Zone inférieure. Borso rendant la justice; Borso partant pour la chasse; taille de la vigne.
    Avril. — Zone supérieure. Vénus assise sur un char que traînent des cygnes et ayant devant elle Mercure à genoux et enchaîné; à gauche, groupes d’amoureux; à droite, autres groupes d’amoureux; au-dessus de ceux-ci, les trois Grâces. — Zone intermédiaire. Le Taureau, monté par un homme qui tient la clé du printemps; à gauche, la Félicité maternelle; à droite, la Débauche. — Zone inférieure. Borso tendant une pièce de monnaie au bouffon Scoccola; Borso revenant de la chasse; course de femmes, d’hommes, d’ânes et de chevaux.
    Mai. — Zone supérieure. Apollon debout sur un char dont l’Aurore conduit les chevaux; à gauche, groupe de poètes; à droite, enfans nus, groupés deux par deux; au-dessus de ceux-ci, les neuf Muses. — Zone intermédiaire. Les Gémeaux; au-dessus d’eux un homme à genoux écoute un homme jouant de la flûte; à gauche, un homme enseigne à un jeune homme agenouillé les règles de la poésie ou de la musique; à droite, un homme, avec un arc et trois flèches, montre des fleurs et des fruits dans un pli de son manteau. — Zone inférieure. Les travaux des champs au mois de mai.
    Juin. — Zone supérieure. Mercure debout sur un char traîné par des aigles ; à gauche, groupe de commerçans s’entretenant de leurs affaires ; au-dessus, trois bergers faisant de la musique; à droite, boutiques de cordonnerie et de mercerie; au-dessus. Argus décapité. — Zone intermédiaire. Le signe du Cancer, surmonté de la Justice jugeant une âme humaine; à gauche, le Malheur dans le commerce; à droite, le Vol. — Zone inférieure, Borso revenant de la chasse; Borso recevant un cadeau; travaux des champs au mois de juin dans le voisinage de Ferrare et du Pô, soldats à pied et à cheval.
    Juillet. — Zone supérieure. Jupiter et Cybèle assis dos à dos sur un char traîné par deux lions; à gauche, un mariage, peut-être celui de Bianca, sœur de Borso, avec Galeotto Pic de la Mirandole; au-dessus, un couvent et plusieurs moines; à droite, moines faisant une musique guerrière et précédant des cavaliers armés qui se préparent à aller combattre les Turcs en Orient; au-dessus d’eux, Atys étendu à terre. — Zone intermédiaire. Le Lion, surmonté d’un homme symbolisant le Pouvoir; à gauche, la Modération dans le commandement; à droite, l’Avidité des ambitieux insatiables. — Zone inférieure. Au centre, Borso reçoit un papier que lui présente un paysan; à gauche, Borso regarde des paysans qui travaillent dans les champs; à droite, Borso à cheval sous une arcade avec quatre autres cavaliers.
    Août. — Zone supérieure. Cérès debout sur un char traîné par deux dragons ; à gauche, des paysans labourent et sèment; à droite, rentrée des grains; au-dessus, Enlèvement de Proserpine. — Zone intermédiaire. La Vierge; au-dessus d’elle, un homme symbolisant le Calcul; à gauche, la Providence; à droite, une femme à genoux remerciant le ciel de l’abondance des récoltes. — Zone inférieure. Un envoyé de Bologne remet un message à Borso; Borso s’avance à cheval vers un palais, peut-être vers celui de Belriguardo; paysans faisant fouler des gerbes par des chevaux.
    Septembre. — Zone supérieure. La Sensualité assise sur un char traîné par quatre singes; à gauche, la forge de Vulcain; à droite, Mars et Vénus couchés dans un lit et s’embrassant ; Amours sur un rocher et parmi les nuages. — Zone intermédiaire. La Balance, surmontée d’une femme à genoux; à gauche, la Pureté; à droite, le Libertinage. — Zone inférieure. Borso accueille un patricien de Venise, peut-être Paolo Morosini, envoyé pour s’entendre avec lui sur la question des confins de la Polésine de Royigo; départ de Borso pour la chasse; les vendanges.
  4. Voyez M. Heiss, les Médailleurs travaillant à Ferrare au XVe siècle.
  5. Borso naquit le 24 août 1413.
  6. On peut voir aussi l’effigie de Borso, toujours coiffé d’un béret, sur le ducat d’or qu’il fit frapper après être devenu duc de Modène et de Reggio. C’est la première monnaie ferraraise où l’on ait représenté un seigneur de la maison d’Este. Au revers apparaît le Christ sortant de son sépulcre et donnant sa bénédiction (M. Chabouillet, Notice sur un ducat d’or inédit de Borso, marquis d’Este, Paris, 1874.) — Un manuscrit des Tavole astronomiche de Bianchini, à la bibliothèque de Ferrare, contient une miniature où l’on voit Borso présentant l’auteur à l’empereur Frédéric III ; c’est là également un précieux portrait, très authentique.
  7. On y élevait encore des chevaux destinés à toute espèce de service. Voulait-on faire un cadeau princier, on donnait un cheval mantouan. (Bürckhardt, die Cullur der Renaissance, p. 231, dans l’édition de 1869.)
  8. Il y avait aussi du temps de Borso des spectacles qui semblaient être des réminiscences de la Rome païenne. Le duc de Ferrare faisait combattre entre eux des lions, des taureaux, des ours et des sangliers.
  9. Dans une niche adossée à la façade de la cathédrale une statue exécutée en 1393 le représente dans ce costume.
  10. Borso mourut le 20 juillet, selon Maresti, le 19 août, selon Pigna et Frizzi.
  11. Il était représenté assis entre quatre génies ailés. Ce monument était dû à Niccolo et Giovanni Baroncelli de Florence, ainsi qu’à Domenico di Paris de Padoue, gendre de Niccolò Baroncelli. En 1472, on le transporta en face de la cathédrale, auprès de l’arcade qui conduisait à la cour ducale, et, en 1796, il fut, comme la statue équestre de Nicolas III, à laquelle il faisait pendant, mis en pièce par la fureur populaire. On voit encore la colonne qui supportait les cinq figures de bronze.
  12. Francesco Cossa ne fut pas étranger non plus à cette transformation et à ces progrès.
  13. Die Werke italienischer Meister in den Galérien von München, Dresden und Berlin, p. 123.
  14. Né en 1394, mort en 1474.
  15. Né en 1431, mort en 1506.
  16. L. N. Cittadella a prouvé que Cosimo Tura, appelé aussi Cosmè, naquit entre 1420 et 1430, et mourut entre le mois de décembre 1494 et le mois de mars 1498. (Ricordi e Documenti intorno alla vita di Cosimo Tura detto Cosmè. Ferrara, 1866.)
  17. Dans la zone intermédiaire du compartiment consacré au mois d’avril.
  18. Dans la zone intermédiaire du compartiment consacré au mois d’août.
  19. Né en 1460, il mourut en 1535.
  20. Selon MM. Crowe et Cavalcaselle, c’est à Cosimo Tura ou à Costa que l’on devrait attribuer la zone inférieure des mois de mai, de juillet, d’août et de septembre. Dans la zone intermédiaire, le signe du Bélier (en mars), le signe du Taureau (en avril), le signe de la Vierge (en août), et celui de la Balance (en septembre) auraient également pour auteur Tura ou Costa. Dans la même zone, le signe du Lion (en juillet) serait de Galasso ou de Tura. La zone supérieure du mois d’août au-dessus de la Vierge) et celle du mois de septembre (au-dessus de la Balance), seraient de Tura.
  21. Piero naquit à Borgo San Sepolcro vers 1416 et mourut en 1492 — (Vasari, édit. Milanesi, II, 501, note.)
  22. Il fit exécuter d’importans travaux pour l’écoulement des eaux par des ingénieurs de Florence, de Milan, de Venise, de Mantoue. En outre, il sut procurer à ses états les douceurs de la paix, tandis que le reste de l’Italie était en proie à tous les maux de la guerre.
  23. Les peintres n’ont pas été seuls à célébrer l’amour de Borso pour l’observation des lois et pour l’équité. Sur le revers d’une médaille anonyme de Borso, on voit la Justice assise, tenant de la main gauche des balances et de la main droite un glaive menaçant. Devant elle se trouvent des oiseaux de proie, dont l’un déchire un agneau ; ils symbolisent les crimes qu’elle se charge de punir. (Voyez la reproduction de cette médaille dans les Médailleurs travaillant à la cour de Ferrare au XVe siècle, par M. Heiss.)
  24. Il marchese era vestito di broccato d’oro con adornamenti di giois di gran prezzo : tra le quali però tre erano preziosissime, due nella beretta, et una alla spalla sinistra. (Pigna, Historia de’ principi di Este, p. 683.)
  25. Comme dans la zone supérieure des mois de juillet et de septembre. Que penser du choix des sujets qui y sont représentés ? Dénote-t-il chez l’auteur de ces fresques et chez ses contemporains une certaine candeur de sentiment qui leur voilait le danger des compositions trop libres et les empêchait de se scandaliser aisément ? Trahit-il au contraire le goût des détails scabreux et une imagination corrompue ? Il y a chez les hommes du XVe siècle un singulier mélange d’idées qui autorise à la fois les deux suppositions, une naïve inconscience du mal et une réelle corruption. Dans leur enthousiasme pour l’antiquité retrouvée, ils acceptaient sans distinction tout ce qu’elle leur offrait, ses fables plus que légères aussi bien que ses mythes spiritualistes.
  26. Dans cette voie, les sculpteurs avaient devancé les peintres. Parmi les bas-reliefs du campanile de Giotto à Florence, on en remarque qui représentent des hommes occupés à confectionner des poteries, à tisser, à labourer. Devant la cathédrale de Pérouse, autour de la vasque inférieure de la fontaine, sont figurés les travaux qui se font dans chacun des mois de l’année, à la ville et à la campagne.