Le Parlement anglais en 1835/01

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I. La chambre des communes
I. La chambre des communes


LE
PARLEMENT ANGLAIS
EN 1835.

i.
La Chambre des Communes.[1]

Les chambres où se rassemble le parlement anglais n’ont pas l’aspect théâtral des salles de spectacles politiques que vous avez bâties en France pour les représentations de votre gouvernement représentatif.

Entrons à la chambre des communes. Là point d’amphithéâtre pour les dames ; point de loges pour les pairs, ni pour le corps diplomatique. Une étroite galerie seulement est réservée aux journalistes, une autre, plus spacieuse, ouverte au public. D’ailleurs, aucun luxe de marbres, de statues et de dorures. C’est véritablement une chambre, — une vaste chambre, plus longue que large, sans ornemens, et toute nue.

Supposez que notre regard plane sur elle de la tribune publique.

Vis-à-vis de nous, au fond, est une manière de guérite, surmontée des armes royales. Là, sur un fauteuil de cuir vert, siége le speaker en robe noire, en mitaines grises, gravement coiffé d’une immense perruque, dont les ailes abaissées lui tombent jusqu’à la ceinture.

À ses pieds est un étroit bureau où se tient le chef des greffiers, appuyant sur ses deux mains une large face qui sourit imperturbablement sous le fer à cheval de sa petite perruque à rouleaux.

Les banquettes où siégent les membres sont rangées carrément en étages, à droite, à gauche, et en face du speaker.

Il n’y a pas plus de chaire pour les orateurs que pour le président. On se tient où l’on veut, assis ou debout, le chapeau sur la tête. Chacun parle de la place où il est. On se découvre cependant pour parler. Ce n’est pas à l’assemblée, c’est au speaker qu’on est censé s’adresser ; aussi se tourne-t-on vers lui et dit-on sir, et non pas gentlemen.

J’aime chez les représentans du peuple ces allures sans façon et toutes bourgeoises. Cela montre bien que ces communes se réunissent pour faire les affaires du pays, et non pour jouer la comédie.

C’est à trois heures que le speaker entre dans la salle, précédé du chef des huissiers, la masse sur l’épaule, suivi du sergent d’armes, l’épée au côté, en habit noir à la française. Une fois au fauteuil, le speaker compte les membres présens. S’il y en a quarante, la séance est ouverte, quand le chapelain a récité les prières, que chacun écoute debout et découvert, regardant le dossier de sa banquette.

D’ordinaire, les premières heures ne s’emploient qu’en des travaux de médiocre importance. On discute des bills concernant les localités ou les intérêts privés. Les bancs commencent à se peupler de huit à neuf heures du soir. La chambre n’est guère en bon nombre avant minuit. C’est de minuit à deux heures du matin que se traitent en général les grandes questions qui aboutissent à un vote sérieux.

Les Anglais sont ainsi. Ils se défient outre mesure de la légèreté de leur esprit. Ils estimeraient dangereux de s’embarquer dans les affaires graves, si leur dîner ne les avait lestés suffisamment. Il faut qu’en buvant leur vin et leur grog, ils aient eu le loisir de méditer et de mûrir leurs opinions et leur éloquence.

Quand il n’était encore que M. Brougham (c’était son bon temps), lord Brougham ne venait jamais aux communes sans avoir vidé deux ou trois pleins flacons de porto. C’était au fond de son verre qu’il puisait alors le calme, la sagesse et la discrétion. Mais depuis qu’il est de la chambre des pairs, qui expédie toute la besogne de cinq à six heures, lord Brougham en est réduit à parler à jeun. C’est pourquoi maintenant il est toujours ivre. La sobriété de son estomac fait l’intempérance de sa langue et de son cerveau.

C’est ce prolongement continuel des séances dans la nuit qui empêche la chambre des communes de siéger les samedis. L’empiétement sur le dimanche serait autrement un sacrilége législatif inévitable, et le parlement, il faut en convenir, aurait mauvaise grâce à déroger lui seul aux lois puritaines qu’il maintient si rigoureusement, et qui prescrivent, durant les vingt-quatre heures du saint jour, une oisiveté si absolue et si universelle.

Deux mots de statistique personnelle à présent.

La chambre complète compte quatre cent soixante-et-onze membres pour l’Angleterre, vingt-neuf pour le pays de Galles, cinquante-trois pour l’Écosse, cent cinq pour l’Irlande, en tout six cent cinquante-huit. Dans les grandes occasions, bien peu d’entre eux manquent à leur poste. Six cent vingt-deux ont voté au commencement de cette session lorsqu’il s’est agi de l’élection du speaker actuel. M. Abercromby, l’élu de l’opposition, l’emporta seulement de huit voix sur sir Charles Manners Sutton, le candidat du ministère d’alors.

Vous voyez que la chambre est partagée en deux moitiés presque égales. D’un côté, le ministère et les réformistes ; de l’autre, les conservateurs, l’opposition d’aujourd’hui.

Chacune de ces grandes divisions se pourrait subdiviser peut-être. Si vous y teniez, on vous montrerait, parmi les réformistes, des whigs, des réformateurs-radicaux, des radicaux purs et des repealers[2] ; parmi les conservateurs, de vieux tories et des demi-conservateurs.

À quoi bon ? Ce ne serait pas chose facile que de démêler ces nuances diverses et incertaines. D’ailleurs, chaque jour, elles s’effacent pour se fondre en deux seules couleurs distinctes.

Existe-t-il des whigs d’abord ? Les whigs sont-ils un parti ? Mais non. Il y a quelques grands seigneurs, il y a quelques ministres-lords dont les ancêtres étaient whigs. Ils ne le sont plus eux-mêmes. Pour continuer d’être les chefs d’un vrai parti politique, ils ont dû se convertir au radicalisme, et se faire les interprètes et les avocats des exigences populaires. Qu’en est-il résulté ? Les whigs et les radicaux se sont absorbés les uns dans les autres. À voir tant de concessions libérales obtenues par l’Angleterre, les catholiques irlandais ont fait comme les radicaux purs ; ils ont ajourné leurs prétentions extrêmes ; ils ont cessé de demander le rappel de l’union. Sous les ordres d’O’Connel, ils marchent derrière les troupes ministérielles, et les soutiennent de façon à empêcher de reculer, quoi qu’il arrive.

Dans le camp de l’opposition, la fusion est pareille. Sir Robert Peel a mis à tous les tories le même uniforme de conservateurs. Il n’est pas jusqu’au petit bataillon irrésolu de lord Stanley qui n’ait pris récemment avec son chef la nouvelle livrée des défenseurs de l’église et du trône. Le tiers-parti n’a pas mieux réussi de ce côté de la Manche que du vôtre.

Donc la question est simple et nettement posée. C’est la grande querelle à vider entre la vieille société et la société nouvelle, la même qui a commencé chez vous en 89 ; seulement, si le trône est sage, toute la guerre pourra s’achever ici sur le terrain parlementaire.

Le champ de bataille actuel au moins est devant vous. Vous avez l’armée des réformistes et celle des conservateurs en présence, ne reconnaissant chacune qu’un mot d’ordre, qu’une bannière ; la première, plus forte, plus hardie, mais ayant un état-major trop nombreux peut-être, et une arrière-garde plus pressée d’arriver que le corps principal ; la seconde, plus compacte, plus disciplinée, plus obéissante à son unique général.

Toutefois, si grand que soit des deux côtés l’acharnement, vous ne verrez guère dans leurs hostilités les parties belligérantes se départir de leurs habitudes de loyauté chevaleresque.

Il y a une sorte de droit des gens parlementaire à l’usage de la chambre.

L’opposition ne profitera jamais de l’absence d’un ministre pour interpeller ses collègues touchant des questions en dehors de leurs départemens.

Un ministre n’introduira jamais non plus un bill à l’improviste ; la courtoisie est grande sous ce rapport de part et d’autre. Les cartels sont échangés en règle : ce sera tel jour, à telle heure. Si quelqu’un déclare être empêché de venir au moment indiqué, on précipite ou l’on diffère la motion selon sa convenance.

S’agit-il d’un vote important où l’on prévoit une majorité douteuse, quelque urgente affaire qui l’appelle, nul ne désertera son poste à moins d’avoir trouvé parmi ses adversaires un membre également désireux de s’absenter. On convient alors de s’abstenir ensemble, et ce double engagement est sacré.

En vient-on aux mains, la mêlée est épaisse souvent, mais on ne s’y porte que des coups généreux et par devant.

Pourtant le bruit des interruptions approbatives ou mécontentes étonne et terrifie une oreille étrangère, surtout peu accoutumée aux discordances de la prononciation anglaise. C’est un bruit saisissant, inoui, d’autant plus étrange, que d’abord vous ne savez d’où il sort. Ils sont là six cents hommes assis qui poussent des cris de joie ou de colère sauvages, et leurs corps demeurent immobiles ; leurs traits gardent le calme et le flegme ordinaires. Ces tumultes ont quelque chose de fantastique.

Hear ! hear ! — est le signe de satisfaction et d’encouragement. — Écoutez l’orateur ! sa parole pénètre et touche le vif de la question ; nous l’écoutons, écoutez-le.

Spoke ! spoke ! — témoigne l’impatience, l’ennui, la lassitude. — « Vous abusez ; vous en avez assez dit ; vous avez parlé ! » Le reproche est dur et impératif. Il est rarement encouru.

Order ! order ! — est la provocation de rappel à l’ordre ; c’est une sommation au speaker d’avertir et de réprimander celui qui a passé les bornes, car au speaker seul appartient le droit de prononcer la peine.

Le speaker résume en lui la toute-puissance de la chambre dont il est le délégué. Son autorité est souveraine au dedans comme au dehors. Sa charge en fait un très haut seigneur. Il a son palais de présidence ; il tient des levers royaux où l’on n’est admis qu’en costume de cour. Chose singulière ! ces hommes des communes qui entrent dans leur salle bottés, éperonnés, la cravache en main, le chapeau en tête, trouvent porte close chez leur président, s’ils n’ont pas les manchettes et l’habit à la française. Cette rigueur est déraisonnable. M. Hume a pourtant été mal venu récemment à s’élever contre elle. Le bon sens de ses objections a passé pour de la folie radicale. C’est que, chez les Anglais, les vieilles coutumes d’étiquette sont plus enracinées encore que les abus. Ils auront, soyez-en certains, réformé l’église, l’aristocratie, et peut-être la royauté, avant les perruques grotesques de leur magistrature. Leur révolution définitive sera faite que leur liberté gardera encore ses allures et sa toilette d’ancien régime.

Chez nous, la souveraineté réelle et incontestable (n’est-ce pas ?) est dans les communes. Notre pairie n’est plus qu’un fantôme un peu plus dignement drapé, mais tout aussi fantôme que la vôtre. Eh bien ! la pairie, qui en est réduite à obéir aux communes et à enregistrer leurs bills, la pairie conserve toutes ses apparences de suprématie ! elle continue de mander les communes à sa barre, et les communes comparaissent debout, menées par leur speaker ! et quand la pairie assise leur a signifié le consentement royal à leurs volontés, elles se retirent en saluant à reculons ! La véritable chambre haute consent de s’appeler et de sembler toujours la chambre basse.

Combien je préfère à ces levers cérémonieux de notre speaker les bals populaires du président de votre chambre des députés, qui n’a pas, lui, de consigne à sa porte pour empêcher les fracs d’entrer ! J’aime surtout ses billets d’invitation numérotés : les quatre cent cinquante-neuf premiers pour les représentans du peuple, puis le quatre cent soixantième pour le duc d’Orléans, comme premier pair, et ainsi de suite. La pairie chez vous après le peuple ; c’est bien, à tout seigneur tout honneur.

C’est dommage qu’en France vous ne changiez pas les abus en eux-mêmes comme vous en changez les noms et les costumes. Votre système est tout différent du nôtre, mais je doute qu’il soit le meilleur. Nous sommes des sujets fort respectueux ; nous nous agenouillons aux pieds de notre royauté en la suppliant de prendre notre vouloir pour son bon plaisir. Vous autres, vous vous tenez debout et droits devant la vôtre, afin qu’elle vous mène par le nez, en vous laissant vous proclamer souverains tout à votre aise.

M. Abercromby, le speaker actuel, n’avait nullement sollicité l’honneur du fauteuil qu’à l’ouverture de la session lui a décerné le premier acte d’autorité des réformistes. Contraint qu’il est d’en maintenir, au nom de la chambre, les priviléges, il représente aussi dignement que le permet la grotesque coiffure qui lui est prescrite. Par un vrai bonheur, il a d’épais sourcils gris qui ne s’harmonisent pas mal avec la teinte blanchâtre de sa perruque présidentale. Malgré cette énorme crinière qui l’ombrage, sa figure n’a rien de farouche ; elle montre au contraire une gravité douce et affable ; ses manières ont une noble aisance ; il a bien aussi la parole sobre, la voix pleine et sonore qu’il faut, quand on a besoin de se faire entendre souvent d’une assemblée.

Mais les conservateurs ne lui pardonnent pas d’avoir, même involontairement, détrôné leur candidat. Ils regrettent les airs de dandy suranné et la vieille élégance fashionable de sir Charles Manners Sutton, qui, ayant vieilli au fauteuil, s’était habitué à regarder le torisme d’un lorgnon favorable.

Il est vrai que M. Abercromby, partisan prononcé des réformes, pour avoir accepté la présidence, ne s’est pas fait le censeur inexorable de ses amis radicaux. Ainsi, qu’O’Connell, provoqué par quelques lords imprudens, leur écrive au front de ces mots sanglans qui ne s’effacent pas, M. Abercromby a le tort grave de ne point s’interposer, afin d’empêcher les vengeances du grand orateur outragé. L’impartialité, selon les tories, serait de permettre leurs attaques sans autoriser la défense.

Je vous ai dit en masse et de haut l’aspect général et les habitudes principales de la chambre ; il me reste à vous mener à l’une de ses séances. Nous choisirons celle où fut présenté le bill de réforme des corporations anglaises et galloises, qui, après un mois de débats, vient d’être enfin voté. Ce n’est pas que l’affaire ait été chaude. J’aurais pu vous faire assister à des escarmouches plus vives ; mais il nous eût fallu prendre quelque discussion de détails interrompue pour être reprise. Ici le drame sera simple, un et complet ; l’action principale mettra suffisamment en scène les trois premiers acteurs de la première assemblée politique.

Donc, le 5 juin, on savait que le soir lord John Russel devait apporter son bill aux communes. Quelle allait être cette mesure si long-temps promise et si impatiemment attendue d’un côté, si fort redoutée de l’autre ? La curiosité était grande dans Londres ; c’était le troisième jour des courses d’Epsom ! n’importe. Chacun était revenu en ville ; on avait laissé les paris de chevaux pour les partis politiques. Dès midi la foule encombrait les environs de Westminster ; on se pressait aux portes du palais des chambres.

Après plus d’une lutte violente où l’art de boxer m’eût été fort secourable, j’avais réussi à me glisser dans la galerie publique moyennant ma demi-couronne.

À trois heures, les prières dites, le speaker ayant compté du bout de son petit chapeau plat à trois cornes les membres présens, comme il y en avait quarante et au-delà, la séance s’ouvrit.

Il fut d’abord longuement question d’un bill qui réglait la distribution des eaux dans la paroisse de Mary-la-Bonne : c’était un débat peu divertissant, mais M. Henry Lytton Bulwer, M. Hume et sir Francis Burdett prirent la parole tour à tour à plusieurs reprises, et j’attachai mon attention à leurs personnes, sinon à leurs discours.

M. Henry Lytton Bulwer est un jeune radical qui mène une vie tout-à-fait aristocratique. Il est renommé pour l’élégance de ses grooms et de ses voitures. Nul n’a de redingote noire si courte et si pincée ; il parle bien et libéralement, d’une voix un peu aigre, la tête haute et crêtée, comme font les petits hommes ; c’est le frère aîné du romancier, il est lui-même l’auteur d’un certain gros volume sur la France où il juge vos mœurs, votre société, votre-politique et votre littérature avec un aplomb d’ignorante fatuité qui ne le cède en naïveté bouffonne qu’au livre absurde de lady Morgan. C’est un grand travers des Anglais que cette rage d’écrire ainsi sans connaissance, sans observation, sans étude, touchant tous les pays où ils passent. Il est fâcheux qu’un homme de sens et d’esprit comme M. Henry Lytton Bulwer ait débuté dans les lettres par une gaucherie nationale si vulgaire.

M. Hume n’a rien de bien particulier qui distingue son extérieur ; c’est une bonne, simple et épaisse tournure de bourgeois indépendant et sans façon. Son air seul, n’étaient ses discours, exprimerait une invincible aversion pour les habits de cérémonie. Son apparence ne dément pas son caractère. Vous ne vous l’étiez pas autrement imaginé. Son débit a l’aisance, la fermeté et la rudesse de ses opinions. L’un des doyens du radicalisme, réformiste inexorable et incorruptible, il a juré de ne siéger jamais que sur les bancs de l’opposition ; c’est par fidélité à son serment, ce n’est nullement par sympathie, vous le pensez bien, qu’il a sa place maintenant dans les rangs des conservateurs.

Sir Francis Burdett diffère de M. Hume par la mise, la taille et la figure, autant que par la consistance. Représentez-vous un long personnage, d’environ cinq pieds dix pouces, en culottes de velours blanc à côtes, en bottines à revers et en frac bleu. Un gilet blanc, une cravate blanche, une petite tête chauve aplatie et poudrée, compléteront le portrait. Singulière destinée que celle des hommes publics, quand ils vivent trop long-temps ! Sir Francis Burdett était pourtant, il y a dix années, aussi à la mode que sa toilette. Il était le favori de Westminster, l’orateur populaire des communes. Il se faisait enfermer à la Tour pour avoir trop osé en paroles contre la royauté. Maintenant il est suspect au pays ; on le soupçonne de voter avec le torisme. On le dédaigne, on l’accuse de versatilité. — « Mais c’est vous tous qui avez changé, dit-il peut-être. Réformistes d’autrefois, vous êtes devenus radicaux ! tories de mon temps, vous êtes réformistes aujourd’hui ! Moi, j’ai gardé mes opinions et mon costume ! — » Eh bien ! c’est un tort à vous, sir Francis Burdett ; il fallait vous transformer aussi, ou bien ne pas vieillir. Si vous étiez mort à propos, peut-être auriez-vous, à l’heure qu’il est, votre statue de bronze près de celle de Canning, sur la place de Westminster. Mais qui sait si demain ce peuple qui vous portait jadis en triomphe ne galonnera pas votre culotte blanche avec la boue de la rue du parlement ?

Enfin la discussion s’épuisa touchant les eaux de Mary-la-Bonne. La chambre ayant à voter sur ce bill maussade, la tribune des journalistes et celles du public furent évacuées. C’est l’usage du parlement ; ses divisions[3] n’ont invariablement lieu qu’à huis clos.

Quand je rentrai dans la galerie, la salle présentait un tout autre aspect. C’est que la petite pièce était achevée. La grande allait commencer. Les rangs de droite et de gauche se serraient d’instant en instant ; chacun accourait à son poste.

Lord John Russel, le commandant officiel en chef des réformistes, avait paru au banc des ministres, à la droite du speaker. À ses côtés on distinguait ses principaux aides-de-camp, le chancelier de l’échiquier, M. Spring-Rice, au large front chauve, au visage de satyre, le parleur le plus habile, sinon la plus forte tête du cabinet ; lord Morpeth, secrétaire pour l’Irlande, grand jeune homme que ses cheveux gris prématurés, qui paraissent blonds de loin, font ressembler à un bel adolescent timide et rougissant ; lord Palmerston, vieux dandy joufflu dont la grosse figure semble s’épanouir plus satisfaite entre ses épais favoris, depuis qu’il n’est plus mené en laisse par M. de Talleyrand ; lord Palmerston, qui n’a pas voulu être fait pair après son dernier réavènement ministériel, parce qu’il prétend que son éloquence a le champ plus libre aux communes qu’à la chambre des lords.

En face du groupe ministériel, et séparé de lui seulement par le bureau des greffiers, se tenait sir Robert Peel, entouré aussi de ses colonels conservateurs, parmi lesquels se distinguait, à ses formes grotesques, lord Granville Somerset, le Quasimodo de Westminster, que sa double bosse n’empêche pas d’être l’un des plus alertes à sonner le tocsin protestant contre le papisme.

Çà et là vous eussiez vu d’autres célébrités de l’assemblée : Daniel O’Connell, notre grand O’Connell, calme et absorbé dans la lecture d’un livre nouveau dont il coupait les pages, au milieu de ses fils, de ses neveux, de ses catholiques irlandais qu’on nomme sa queue, his tail ; — queue si vous voulez, mais qui mène la tête de l’état ; et auprès d’eux, lord Stanley, le jeune héritier de la maison des Derby, cet élégant ambitieux désappointé, qui n’avait encore déserté que de cœur les bancs des réformistes.

Puis, vous eussiez remarqué debout deux jeunes hommes aussi différens par la taille et la tournure que par les opinions, mais célèbres dans le monde de la mode l’un et l’autre, et qui, à ce titre, méritent également de vous être décrits.

Le premier, le vicomte Castelreagh, fils du marquis de Londonderry, conservateur effréné comme son père, mais moins naïf et plus discret. Mince, chétif, sans apparence et sans talent, ce n’est pas aux communes qu’il existe en réalité ; ce sont les salons du West-End qui sont sa véritable atmosphère, c’est là que sa fatuité trouve seulement l’air qu’il lui faut pour respirer. Lord Castelreagh est l’un des chefs de cette nouvelle école qui a régénéré le fashionablisme anglais. Or, cette école s’est absolument séparée de celle de Brummel, qui avait fondé sa puissance sur la toilette. Les nouveaux fashionables de la secte du noble lord affectent, au contraire, l’entière négligence et le laisser-aller des manières. Rien de voyant dans leurs équipages ni dans la tenue de leurs gens. Des voitures de couleurs foncées, des livrées sombres ; pour eux-mêmes, une extrême simplicité de mise. Jamais de gilets à fleurs ou chamarrés ; point de bijoux ; tout au plus le bout d’une chaîne d’or à la boutonnière d’un habit noir ; une bague ciselée qui trahit quelque mystérieux sentiment connu de toute la ville. D’ailleurs un raffinement surhumain de suffisance impertinente, un sublime mépris de tout ce qui n’est pas les cercles exclusifs où ils ont seuls accès ; un jargon prétentieux qui se sert la plupart du temps du français pour traduire des phrases du genre de celle-ci : Étiez-vous hier chez lady Hertford ? Toutes les personnes existantes étaient là. Donc, prenez lord Castelreagh comme le type parfait de cette première et suréminente catégorie des hommes à la mode à Londres.

Le second, M. Edward Lytton Bulwer, l’auteur bien connu de Pelham et de tant d’autres romans, est, comme son frère, un radical prononcé. Il est fort grand, et le paraîtrait davantage, s’il ne se tenait mal et tout courbé ; il a de grands cheveux blonds bouclés ; sa longue figure sans expression, ses gros yeux humides et fixes, ne révèlent guère en lui l’écrivain de génie. Je suppose que c’est un peu le succès incontestable de ses livres qui lui a ouvert les portes de la société exclusive, où il est très répandu. Pour la recherche de son costume, il appartient aux vieilles traditions fashionables. Vous ne le rencontrerez guère que débraillé, faisant flotter au vent les basques d’une somptueuse redingote doublée de satin ou de velours, avec des habits et des pantalons de nuances claires et éclatantes, et des bottes vernies ; brandissant quelque canne au pommeau riche et incrusté : il rappelle ces parvenus de mauvais goût qui encombrent à Paris les avant-scènes de votre Opéra. Je ne nie point les mérites d’intérêt réel qui abondent dans quelques-uns des romans, d’ailleurs si pauvrement écrits, de M. Edward Bulwer ; mais il ne semble pas qu’il eût dû s’exagérer leur valeur, au point de manifester l’orgueil suprême que trahissent à chaque page les tristes rapsodies qu’il a récemment publiées sous le titre de l’Étudiant. Je lui pardonnerais toutefois ce dernier ouvrage, plutôt qu’un trait qu’on m’a conté. Un jeune Américain s’était présenté chez lui l’autre jour, muni de lettres de recommandation. « Je suis enchanté de vous voir, monsieur, dit M. Bulwer, mais je vous préviens qu’il me sera difficile d’avoir souvent cet honneur ; j’ai déjà plus de connaissances que mon temps ne me permet d’en cultiver, et, en conscience, c’est bien à elles que je dois les momens dont je puis disposer. » Ne trouvez-vous pas que voilà une politesse qui renchérit sur l’amabilité britannique ordinaire ? À suivre l’usage de son pays, M. Bulwer ne s’assujétissait pourtant pas beaucoup. Les Anglais ne se ruinent point en hospitalité. Un étranger leur est-il adressé, à moins que ce ne soit un personnage dont il y ait à tirer quelque profit, ils lui donnent un lourd et long dîner, qui a le souper pour dessert ; puis, après l’avoir bien bourré de roast-beef et empli de vin de Porto et de grog, une bonne fois, après n’avoir rien épargné de ce qui pouvait l’étouffer, ils le congédient ; et si le malheureux survit à cette chère, la porte de ses amphitryons ne s’ouvrira plus qu’à sa visite d’indigestion. Walter Scott, qui était peut-être bien un aussi grand romancier que M. Bulwer, ne se croyait pas dispensé de ce droit commun d’urbanité à l’égard des visiteurs qu’on lui recommandait. Loin de là, il les traitait plus hospitalièrement que ce n’est la coutume en Angleterre ; il est vrai que Walter Scott n’était pas un grand romancier fashionable.

Là encore, vous eussiez reconnu le docteur Bowring furetant, trottant, allant d’un banc à l’autre, serrant toutes les mains qui se laissaient serrer. Je dis reconnu, parce que vous connaissez vraiment mieux que nous cet éminent docteur ; comme il n’a pas perdu tout son temps à battre le pavé de votre capitale, il a découvert que le charlatanisme y était un moyen de succès tout puissant ; il a pris la route la plus courte ; il est allé droit aux journaux. Vos journaux, vous ne l’ignorez pas, quand on sait s’y prendre avec eux, sont la complaisance même. Bientôt il ne fut question que du docteur Bowring. Le docteur Bowring ne faisait point un pas qui ne fût enregistré ; c’était le docteur Bowring par-ci, le docteur Bowring par-là, toujours partout et à tout propos M. Bowring le docteur ; et votre honnête public, étourdi de ces coups de trompette, de considérer à la fin comme une sorte de Stratford-Canning commercial et littéraire, ce remuant et bruyant personnage sans cesse par voie et par chemin, dont nul ne comprenait d’ailleurs les missions obscures et anonymes. De ce côté du détroit on apprécie mieux les puffs de la presse, de sorte qu’on riait bien, je vous assure, quand ce docteur Bowring se pavanait chez vous si splendidement vêtu de l’importance qu’il avait achetée aux fabriques de vos feuilles. Il est revenu ici, mais sans rapporter ce glorieux manteau. On a retenu cela à la douane comme marchandise française prohibée. En somme, M. Bowring est resté ce qu’il était devant, c’est-à-dire un réformiste plein du désir de profiter de la réforme, un pâle disciple de l’école utilitaire de lord Brougham ; une manière de commis voyageur du Foreign-Office, parlant assez correctement trois ou quatre langues vivantes ; un poète qui met des quatrains un peu diffus dans les magazines ; au demeurant, le meilleur docteur du monde.

Cependant il était près de six heures ; il n’y avait plus de combattant à attendre ; c’était le moment d’ouvrir la lice. Selon l’ordre des motions du jour, le speaker appela le ministre de l’intérieur et lui donna la parole. Soudain les flots émus de l’assemblée s’apaisèrent ; il se fit un profond silence ; lord John Russel se leva.

Lord John Russel, le troisième des fils du duc de Bedford, est un tout petit homme qui n’aurait pas, je crois, cinq pieds de vos mesures ; son exiguité le rajeunit presque : on ne lui donnerait pas volontiers les quarante-cinq ans qu’il a ; une tête large par le front, mince par le menton, formant un peu le triangle ; des cheveux châtains, courts et clair-semés, de grands yeux surmontés de sourcils bien arqués, un visage pâle, calme, doux et flegmatique, où perce une arrière-finesse, voilà ce qui frappe en son air ; sa façon de dire est parfaitement d’accord avec son extérieur modeste et paisible ; sa voix est faible et monotone, mais distincte ; tandis qu’il parle, son corps ne s’anime guère plus que son discours ; toute son action consiste à glisser sur son dos sa main gauche, pour aller saisir le coude de son bras droit, et à se balancer indéfiniment dans cette attitude.

Lord John Russel s’exprime simplement et sans effort ; sa phrase est froide et sèche, mais claire et concise. Écrivain plus serré qu’élégant, il apporte dans ses improvisations ses habitudes de style écrit ; il n’a rien de la volubilité fatigante de notre ministre de l’intérieur ; il ne dit que ce qu’il est nécessaire de dire, et il dit tout ce qu’il veut dire ; son sarcasme, bien que glacé, n’en est pas moins incisif. La lame du poignard n’a pas besoin d’être rougie au feu pour blesser profondément ; il n’a point ces étincelles soudaines qui électrisent et embrasent une assemblée ; il a cette lueur paisible et constante qui la guide et l’éclaire. C’est un esprit sérieux plein d’idées applicables, résumées et résolues.

En moins d’une heure, le ministre eut déroulé tout le plan de son bill, et nettement exposé ses motifs et ses détails, non sans avoir décoché de bons traits acérés contre l’influence corruptrice des tories sur la constitution municipale dont il demandait la réforme.

Aussitôt lord John Russel assis, et au milieu des murmures divers qu’avait excités son discours, sir Robert Peel s’élança vers le bureau et prit la parole.

L’ex-premier lord de la trésorerie est de taille moyenne : sa tournure serait élégante, n’était l’embonpoint qui commence à l’alourdir ; sa mise est soignée sans tomber dans le dandisme ; son air n’accuse pas non plus l’approche de la cinquantaine ; ses traits réguliers ont une certaine expression de causticité dédaigneuse ; il semble trop viser aux grandes manières ; la distinction naturelle a plus d’aisance et d’abandon.

Au surplus, l’affectation étudiée est bien aussi le caractère dominant de son talent oratoire. Gestes et langage, tout trahit en lui la recherche prétentieuse. Il a plus qu’il ne faut du comédien à un orateur. C’est une fatigue de le voir s’agiter, se démener, tourner incessamment sur lui-même. Je n’aime pas qu’un homme d’état sache tant de poses gracieuses. C’est fort bien peut-être près d’une cheminée, en famille, de croiser une jambe sur l’autre et de remuer ses guinées au fond des poches de son pantalon. Que vous caressiez en un salon les revers de votre habit, ou que vous rejetiez en arrière les basques de votre redingote, votre contenance y gagne souvent ; mais en public, et là surtout où se discutent les lois d’une nation, ce manége d’innocente coquetterie ne sied point. Sir Robert Peel abuse donc réellement de ses mains et de ses bras ; il fait trop la roue. On perd presque sa parole dans le tourbillonnement continu de sa personne.

D’ailleurs, je le reconnais, son élocution est vive, facile, spirituelle ; il y a plaisir à l’entendre. Sa rhétorique, appliquée aux affaires, me plaît fort. Il a tout ce que peut donner l’art de dire ; mais la chaleur qui l’anime est factice. La vraie, celle qui se communique, lui manque. Il n’a pas de conviction. C’est bien là l’ambitieux tory déguisé qui, pour ressaisir les rênes d’or du gouvernement, s’est hypocritement affublé d’un manteau de réformiste, et qui passerait aux radicaux avec armes et bagages, s’il avait chance de remonter par eux au pouvoir qu’il convoite, et d’y rester.

Tout en acceptant sous d’amples réserves le principe du bill, sir Robert Peel avait renvoyé, en réponse aux insinuations amères de lord John Russel, certaines plaisanteries d’assez bon aloi qui avaient fort diverti l’assemblée.

Le ministre répliqua en quelques mots polis et fermes. La sérénité du noble lord est inexpugnable. Il est aussi parfaitement calme à la défense qu’à l’attaque. Je considère ce tempérament politique comme le plus souhaitable pour un homme d’état militant. Un pareil flegme déconcerte la furie des assaillans. On n’est jamais entamé quand on est si tranquille au combat.

Quelques observations de détails avaient été jetées par divers membres. Nul n’ayant contesté l’introduction du bill, la séance allait être suspendue. C’était bientôt la nuit et l’heure des dîners ; on n’avait pas encore allumé les lustres ; la chambre se levait en masse.

Un homme, en perruque brune bouclée, en redingote bleue, aux larges épaules, aux formes athlétiques, descendit des bancs ministériels et s’arrêta au milieu de la salle. À sa voix, chacun revint sur ses pas. Le silence recommença de régner. Cet homme était notre grand Irlandais, l’agitateur géant, comme ils l’appellent ; — pour géant, ils ont raison. C’était O’Connell, notre O’Connell, ce vieillard énergique qui a plus de jeunesse et de vie à lui seul que tous les jeunes hommes des communes ensemble, que leur chambre elle-même tout entière.

L’obscurité n’était pas assez profonde pour me le cacher. Je le vois encore, debout sur ses grands pieds, le bras droit étendu, le corps penché ; je l’entends. Son discours ne fut pas long ; il ne dit que quelques mots, mais tout le ressort de sa puissance était en eux. Le lion caressait en grondant. Son approbation était impérative et menaçante. — « Ainsi le bill n’avait songé qu’à l’Angleterre et au pays de Galles ! Fallait-il donc que l’Irlande fût toujours oubliée, qu’elle ne vînt jamais qu’après les autres ? N’avait-elle pas, elle, assez de municipalités vénales et corrompues ? Toutefois, il appuierait franchement et de tout son pouvoir le projet du ministère. C’était une noble et glorieuse mesure ; il n’en souhaitait pas davantage pour l’Irlande. »

Il n’en souhaitait pas, c’est-à-dire qu’il n’en commandait pas davantage. Les souhaits d’O’Connell ne sont pas pour être dédaignés. Aussi M. Spring-Rice se hâta-t-il de lui donner pleine satisfaction. « Il n’y avait point à s’inquiéter, déclara le chancelier de l’échiquier ; le gouvernement ferait également justice à l’Irlande. Elle aurait aussi la réforme de ses corporations, et peut-être dans la session même. »

— « Merci ! murmura O’Connell, se mêlant à la foule des membres qui désertaient la salle en masse ; je prends acte de cette promesse pour l’Irlande. »

L’Irlande ! — Ireland ! — Il faut l’avoir entendu la nommer, notre Irlande, avec cet accent ému, tremblant, frémissant, plein de tendresse, qui étreint et caresse chaque syllabe du nom chéri ; il faut l’avoir entendu, pour comprendre le pouvoir de cette souveraine éloquence. Oui, l’amour vrai du pays donne une force surhumaine. C’est une arme irrésistible entre des mains capables de la manier, qu’une cause sainte, saintement et passionnément embrassée.

Je ne suis point surpris que ces conservateurs désespérés, qui voient leurs priviléges chancelans, près de rouler sous les coups d’O’Connell, le traitent d’agitateur, de furieux, de destructeur. Mais parmi les réformistes eux-mêmes, comment a-t-il tant d’admirateurs inconsistans qui ne lui pardonnent point la violente amertume et l’inexorable âcreté de ses discours ? Croient-ils donc, ces impassibles modérateurs, que des paroles mielleuses et la soumission des prières eussent obtenu le redressement du moindre de nos griefs irlandais ? Non. S’il n’eût frappé rudement et sans pitié, sans mesure, le vieil édifice d’usurpation et d’intolérance serait debout encore tout entier. Qu’il poursuive, qu’il soit impitoyable. Il a fait une bonne brèche au mur ; qu’il le jette bas. Renverser ainsi, ce n’est pas détruire ; c’est déblayer le terrain pour fonder la liberté générale.

De fait, O’Connell est bien incontestablement le premier orateur et le premier homme politique du parlement. Amis ou ennemis, chacun le confesse, au moins intérieurement, le maître ; c’est aussi le vrai premier ministre. Les membres du cabinet ne sont que des marionnettes habilement dressées qu’il fait mouvoir. En ce qui est de son influence sur les masses, elle est immense et générale. Ce n’est pas seulement dans notre Irlande qu’il est aujourd’hui l’idole populaire, c’est aussi bien en Écosse et en Angleterre. Dieu lui prête vie ! l’espérance et l’avenir de trois peuples sont en lui.

Je n’ai plus rien à vous dire de la séance du 3 juin, si ce n’est que j’y laissai assez de membres dévoués pour qu’elle pût continuer plusieurs heures encore divers travaux d’une importance secondaire. C’est une justice due à nos communes, la grande querelle politique n’y empêche nullement la marche des affaires locales et privées. En une seule nuit, elles expédient souvent plus de besogne que votre chambre des députés en tout un mois de trente journées.

Donc vous avez vu que l’opposition des conservateurs a fait pleine retraite devant le bill des corporations. Ce n’a pas été sans un grand crève-cœur, vous le pensez bien, mais une tactique prudente le voulait ainsi. Il fallait à tout prix se donner les airs de ne pas trop haïr la réforme. Ce plan ne manque pas d’habileté.

Mais l’opposition compte bien regagner son terrain dans l’affaire des dîmes irlandaises et de l’appropriation. C’est sur cette question qu’elle a fait halte et qu’elle accepte le combat. — « Nous avons suffisamment prouvé, s’écrient les proclamations, que nous sommes de raisonnables réformistes, mais notre amour du progrès ne va pas jusqu’à sacrifier l’église ! À nous donc l’église et quiconque tient pour elle ! l’église est en danger ! » — Et leur église, cette fille ingrate et dénaturée qui a renié et dépouillé sa mère, d’appeler de tous ses cris les vieux préjugés protestans au secours de ses champions ; elle sonne partout le tocsin avec ces cloches qu’elle nous a prises à nos clochers. Partout elle plante des évêques dans les chaires de ses temples sans autels, et leur fait prêcher une croisade nouvelle contre le catholicisme. Écoutez-les : — Des innombrables sectes religieuses qui encombrent les trois royaumes, à les prendre par ordre alphabétique depuis les anabaptistes jusqu’aux unitaires, il n’y en a pas une de rigoureusement damnable et dangereuse ! La secte papiste est la seule qui mette l’état, le trône et la propriété en péril. Il convient de brûler de nouveau le pape en effigie et processionnellement, comme sous la reine Élisabeth ; et ce ne serait pas mal de brûler par la même occasion cette majorité impie des communes qui veut approprier une partie de la dîme protestante en Irlande à l’éducation des pauvres de toutes les religions ! — Dieu merci, la voix égoïste et insensée des conservateurs n’aura crié que dans le désert. Leur fanatisme de mauvaise foi ne prévaudra pas contre le bon sens général ; au dedans comme au dehors de la chambre, leur défaite est inévitable. Pour nous servir de la belle image de M. Sheil, notre premier orateur après O’Connell, l’église d’Irlande sera le cimetière du torisme et de l’intolérance protestante.

Je vous ramènerai sans doute bientôt aux communes à l’occasion de la lutte sérieuse qui va s’engager sur le bill de lord Morpeth. Je vous ferai passer alors en revue celles de leurs notabilités que je n’ai pas eu le loisir de vous montrer aujourd’hui ; mais nous devons une visite d’abord à la chambre haute, à la chambre des lords où un autre spectacle et d’autres acteurs importans du drame politique nous attendent.


Andrew O’Donnor.


Londres, 21 juillet 1835.
  1. Notre collaborateur nous enverra successivement de Londres une série d’articles sur la session parlementaire et la saison politique et littéraire de 1835.

    (N. du D.)

  2. Les repealers sont les membres irlandais qui demandent le rappel de l’union entre l’Irlande et l’Angleterre.
  3. Le vote général de la chambre, parce qu’il s’opère par la division des membres.