Le Parnasse contemporain/1876/Introïbo

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Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 317-318).



INTROÏBO


Malade et seul, n’ayant pour m’aider à souffrir
Ni les soins maternels ni l’espoir de guérir,
Blessé d’un chaste amour, et contraint de me taire
Comme si je brûlais d’une ardeur adultère,
Incapable de vivre, hélas ! de plus en plus,
J’attends venir les jours et les maux dévolus.
Je ne chercherai pas un secours à mes peines
Dans le fragile appui des amitiés humaines ;
Mais, voyant resplendir au travers de mes pleurs
Le Signe qui console en de telles douleurs,
J’entrerai dans l’église où va ma Bien-Aimée
Répandre aux pieds du Christ son âme parfumée.
Christ ! quand verrai-je aussi votre ciel entr’ouvert ?
Si j’ai beaucoup péché, mon Dieu, j’ai tant souffert !
Le désir de la chair et l’orgueil de la vie
Commandaient durement à mon âme asservie.
Mais le jour et la nuit j’ai crié devant vous !
J’ai détesté ma faute et j’ai béni vos coups.
Si vous ne voulez pas qu’à la fin je succombe,
O Seigneur ! donnez-moi des ailes de colombe,
Je volerai vers vous et me reposerai…
Et toi, Prêtre, vieillard dont le geste sacré
Fait descendre le Verbe en la double substance,

Regarde, et prends pitié de ma longue indigence !
Je ne suis plus l’enfant qui n’avait rien aimé,
Par l’esprit de révolte en secret animé,
Réjoui dans son cœur des blasphèmes infâmes,
Insensible aux vertus dont Christ fleurit les âmes !
Me voici tel qu’enfin j’ose franchir le seuil :
Moins croyant, mais plus tendre, et sauvé de l’orgueil,
Humble dans mon espoir, résigné dans ma plainte,
Et faisant par amour ce que j’ai fait par crainte.
Oui, vous êtes vraiment, Seigneur, un Dieu caché ;
C’est pourquoi si longtemps je vous aurai cherché,
Pourquoi j’aurai langui, dans mes nuits incertaines,
Après vous, comme un cerf après l’eau des fontaines !
Mais je vous ai trouvé, car je me suis quitté.
Témoignant contre moi de mon iniquité,
J’appuîrai sur mon front la pointe de l’épine
Qui fit saigner, Jésus, votre tête divine ;
Et, comme à toute chair atteinte de langueur
Le mystique aliment donne seul la vigueur,
Un matin, à côté de ma mère en prière,
J’irai m’agenouiller sur la marche de pierre,
Et j’irai soutenir de mes deux mains encor
La nappe de lin blanc sur le balustre d’or !