Le Parnasse libertin/Texte entier

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Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 1-119).

LE PARNASSE
LIBERTIN
OU
RECUEIL
DE POÉSIES LIBRES.



Nitimur in vetitum ſemper… quod licet ingratum eſt. Ovid.



À AMSTERDAM,
Chez CAZALS & FERRAND, Libraires.



M. DCC. LXIX.



AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR.


Des Piéces qui compoſent ce petit Recueil, les unes voient le jour pour la premiére fois, les autres avoient déjà été imprimées, mais dans des Ouvrages ſéparés. On a donc cru rendre ſervice aux perſonnes qui aiment à s’amuſer par la lecture des Poéſies libres, en publiant dans un ſeul volume ce que nous avons de mieux en ce genre.



LE PARNASSE
LIBERTIN,
OU
RECUEIL
DE POÉSIES LIBRES.



LE MAUVAIS TURC.


Un Voyageur revenu de Turquie,
Parloit des mœurs de ce Pays,
Il racontoit que les maris
Pouvoient quitter, choiſir, prendre à leur fantaiſie,
Blanche, blonde, brunette, en avoir tout autant
Qu’il leur plaiſoit ; un de la compagnie
S’écria ! quel beau réglement :
Si j’etois là, je ferois bonne vie ;
Que j’en aurois ! Alors le regardant
Tout de travers, ſa femme Peronnelle :

Ah ! Taiſez-vous, vous feriez, lui dit-elle,
Un mauvais Turc aſſurément.

Par M. Themiſeuil.

LA BELLE QUI VEUT MOURIR.


Liſette à qui l’on faiſoit tort,
Vint à Lucas toute éplorée,
Et lui dit  donne-moi la mort
Que tant de fois j’ai deſirée.
Lui qui ne la réfuſe en rien,
Tire ſon… vous m’entendez bien,
Puis au bas du ventre il la frappe :
Elle qui veut finir ſes jours,
Lui dit : Lucas pouſſe toujours
De crainte que je n’en échappe.
Mais Lucas, las de la ſervir,
Craignant une nouvelle plainte,
Lui dit : hâtes-toi de mourir,
Car mon poignard n’a plus de pointe.


LA FILLE CHARITABLE


Du bon Guilhot le V… ſe roidiſſoit,
Et le poignoit ſi fort concupiſcence,
Que dans un coin ſe manualiſoit,
La bonne Alix, çurieuſe s’avance :
Voyant jaillir ce ſperme merveilleux,
Ah ! quel malheur, lui dit la bonne Dame :

Un peu plutôt j’euſſe empêché qu’aux Cieux
N’euſſiez, impie, eſcamoté cette ame.


ÉPIGRAMME.


Un Cavalier des plus charnus,
Grimpant monture des plus larges,
S’efforçoit de gagner les marges
De l’in-folio de Venus.
Mais comme en vain il ſe tracaſſe,
Et qu’il ne peut trouver les bords,
Madame, dites-moi de grace.
Dit-il, égaré dans l’eſpace,
Si je ſuis dedans ou dehors.


AUTRE.
LE CHANOINE ET LA SERVANTE.


Un gros Chanoine embarraſſé
De voir que ſa ſervante porte
Certain embonpoint mal placé,
Sourdement la met à la porte.
Bientôt une autre vient s’offrir,
Jeune encore & de bonne mine.
Voilà notre homme à diſcourir ;
Sçavez-vous faire la Cuiſine ?
Fort peu. Blanchir ? Non. Bûvez-vous ?
Il n’y paroît pas. Lire ? Écrire ?
Point. Gages ? Cent écus. Tout doux !

Oh ! par ma foi, je vous admire :
Vous ne ſçavez rien, & d’abord
Cent écus ! Quoi, la plus habile
N’en demande que vingt. D’accord,
Monſieur, oui, mais je fuis ſtérile.

Par l’Abbé Chaulieu.

AUTRE.


Brulé du feu de la concupiſcence,
Pere Corbaiſe alla voir ſon Gardien.
Jeûnez, mon fils, lui dit ſa Révérence,
Corbaiſe jeûne, & jeûne n’y fit rien.
Lors de nouveau, Corbaiſe y fut. Eh bien.
Joignez au jeûne & diſcipline & haire,
Dit le vieillard. Mais las ! le pauvre Pere
Sentit ſa chair encor plus regimber.
Vertu du froc ! ſuccombez-y donc, frere,
Tant que d’un an n’y puiſſiez retomber.


AUTRE.
LE FAUX CARME.


Maſqué du froc d’un enfant d’Éliſée,
Damon preſſoit ſœur Alix, & d’abord
Par cet habit la Belle Humaniſée,
Avec Damon fut aiſément d’accord.
Lui pour l’honneur du froc, fit maint effort,
Mais ſix exploits mirent bas le Gendarme.

Quoi ! dit Alix, cet homme-ci s’endort
Après ſix coups ! Ah, chien ! tu n’es pas Carme.


AUTRE.


Un gros Chartreux, Moine Napolitain,
Fut pris ſondant ſon Prieur Dom Jérôme.
Il fut conduit au Métropolitain,
Ça votre nom, dit l’Évêque. Dom Côme.
Votre péché, quel eſt-il ? De Sodome.
Votre âge ? Il eſt de quarante-cinq ans.
Moine de quand ? Dès mon plus jeune tems.
Dans le Couvent qu’êtes-vous ? Économe.
Bon, dit alors l’Évêque entre ſes dents,
Bien payerez un pareil majordome.


L’ÉCOLIER INGÉNU.


Le Médecin d’un Écolier malade,
Recommanda qu’on gardât de ſon eau,
On en ferra ; mais la Garde mauſſade
L’ayant fait choir, à ſon propre tonneau,
Vite en retire & remplit le vaiſſeau.
Le Docteur vient, & dit ce ſont eaux claires
De femme groſſe, on ne m’y trompe gueres.
La Garde rit, le Docteur ſe défend.
Lors l’Écolier, je l’ai bien dit aux Peres,
Qu’ils me feroient tôt ou tard un enfant.


JOUISSANCE.


Roland allant faire voyage,
Laiſſa ſon Épouſe à Paris.
Elle uſant du droit de veuvage,
Pour un retrouva dix maris.
A ſon retour, en homme ſage,
Roland loin de faire tapage,
Comme tant d’Époux convaincus
Par leur faute, de cocuage,
Dit, l’exploitant d’un grand courage :
Ah ! que je fais là de Cocus.


AUTRE.


Du mal d’amour la Goſcate preſſée,
En diligence appel la ſon Curé.
L’homme de bien quand il l’eut confeſſée,
Lui dit : le Ciel vous eſt tout aſſuré,
Vous jouirez de ce port deſiré,
Du vrai bonheur que le Seigneur octroye
À ſes Élus ; pourvu qu’à cette joye
Sacrifiez la chair & ſon plaiſir,
C’eſt le chemin que vous avez à ſuivre ;
Qu’en cet état il eſt doux de mourir !
Oui ; mais, Monſieur, qu’il eſt rude d’y vivre !


VERS.


Daignez m’ouvrir le vaſe de nature,
Diſoit à Liſe, un des peres cornus.
A vous dit-elle, à vous Philotanus ?
C’eſt ſe mocquer, on connoît votre allure,
Onc ce ſentier par vous ne fut battu.
Pardonnez-moi, reprit le bon Apôtre,
J’ai quelquefois, tout comme un autre,
Des intervalles de vertu.


ÉPIGRAMME.


En plein Sénat, la Sœur Sainte Marie
Réprimandoit la Sœur du Saint Eſprit ?
Et tout-à-coup ſe mettant en furie,
À l’Aſſemblée hautement elle dit :
De ſes dix doigts, depuis qu’elle eſt Novice,
Elle n’a fait œuvre aucune. Saint Jean,
Interrompit la ſœur, qu’elle injuſtice !
Si vos dix doigts en avoient fait autant,
Ja vous n’auriez, comme avez la jauniſſe.


VERS.


On nous rebat que la concupiſcence
N’eût pas eu part à nos accouplemens,
Si reſpectant la divine défenſe,
Le premier homme eût été moins gourmand,

Mais que chacun dans l’état d’innocence
Eût engendré ſans charnel mouvement,
S’il eſt ainſi, la faute originelle
N’a pas fait tort à la race mortelle,
Il nous revient même un grand bien par-là.
Et quand je penſe au plaiſir qu’on y gagne,
Je loue Adam, je bénis ſa Compagne,
Et je rends grâce au Serpent qui parla.


CONTE.


Du Fou de même que du Sage
Le vœu le plus commun & le moins exaucé,
Eſt en ſe mariant d’avoir un pucelage ;
Mais l’Amant d’ordinaire en fait ſon apanage
Avant que le Notaire en ait au Fiancé
Paſſé le bail ſelon l’uſage.
L’Abbé furtivement,
Le Guerrier bruſquement,
Le Moine, quand il peut aux maris eſcamotte
Ce peu de choſe ou rien, qui, je ne ſçais comment,
Du genre humain fait la marote.
Il fut cependant un Robin
Qui le méme deſir dans l’ame,
Forma le ſingulier deſſein
De prendre ce Phenix dans le lit de ſa femme :
Il fit ſi bien qu’il réuſſit ;
Et la belle Novice à la premiere nuit

Sentît qu’au fonds de ſa retraite
Cet Oiſeau vivement par un autre aſſailli,
Cédoit la place à l’ennemi
Qui chanta, huit fois ſa défaite.

Le matin, à regret, pour juger un procès,
Le Magiſtrat monte au Palais.
Sans doute, il crut laiſſer la Dame ſatisfaite ;
Mais il ignoroit le complot
D’une troupe femelle, aguerrie & jalouſe,
Qu’un pucelage échût au mari pour ſon lot.
On vouloit dans l’eſprit d’une innocente épouſe,
Mettre le Robin en défaut.

Pluſieurs de ſes amies,
Pour cet effet vinrent la voir,
Et de plus brûlant de ſçavoir
Le ſecret de la nuit & des ſaîntes orgies ;
Et toutes à l’inſtant de demander combien ?
Ce Combien eſt fort énergique :
Le beau ſexe l’entend ſans que mieux on l’explique.
Huit fois, répond la Dame, & je compte fort bien.
Hélas ! quelle eſt notre ſurpriſe,
Dirent-elles alors, ah ce n’eſt que cela ?
Quoi ! ce n’eſt que huit fois qu’il vous l’a planté-là,
Juſqu’à ce point il vous mepriſe…
Mais non, vous êtes belle, il eſt donc un vaurien :
Huit-fois ? Quelle miſere !… il vaudroit autant rien.
Ah ! quel mari, quel pauvre Sire ;

Pour votre honneur & pour le ſien
Gardez-vous jamais d’en rien dire.

Que votre Époux, dit l’une, eſt du mien différent !
Que je vous plains, ma bonne amie !
Il parfait, quand je veux, la douzaine & demie,
Et le nombre de huit eſt le compte courant
Qu’il augmente à ma fantaiſie.

Deux douzaines, dit l’autre, à la première nuit,
M’annoncèrent du mien quel eſt le ſçavoir faire ;
La nature depuis prompte à le ſatisfaire,
Lui prodigue ſes dons, qu’il tourne à mon profit.

Une troisième renchérit,
Et les autres encor de douzaine en douzaine,
Allerent preſque à la centaine.

Le trait ainſi lancé, la troupe diſparut,
Et laiſſa la pauvrette en rut,
Car l’eau lui venoit à la bouche
De tant de douzaines d’exploits
Qu’à d’autres a produit la nuptiale couche.

Une premiers nuit, huit miſérables fois !
Diſoit-elle, eſt-ce ainſi qu’on traite un pucelage ?
Avec aſſez d’attraits, au printems de mon âge,
D’un tel Époux pour moi falloit-il faire choix ?
Non, il n’eſt pas le mien : ſelon toutes les Loix,
Son impuiſſance me dégage.

À ces mots elle fit couler des pleurs de rage,
Quand ſa mere ſurvint, & lui dit : pleures-tu
Du mal que ton époux, dans une ardeur trop vive,
T’a fait en dégageant la volupté captive
De l’étroite priſon où la mit ta vertu ?

Ah ! non ma mere, non : c’eſt un mal que j’ignore,
Mes pleurs ont un motif plus noble & plus puiſſant,
C’eſt que je tiens de vous un mari que j’abhorre,
En un mot il eſt impuiſſant.

À ce terrible mot, la douleur, la colere,
Dans le cœur de la tendre mere
Se ſuccedent tour à tour,
Et bientôt de ſon cœur parvinrent ſur ſa bouche.
De ce funeſte hymen elle maudit le jour,
La rage ſur le front, & le regard farouche,
Elle inſultoit dans ſon courroux
Le Deſtin, elle-même, & plus encor l’époux ;
Lorſqu’à ſes yeux parut, ſortant de l’Audience,
Le Robin, glorieux d’avoir en conſcience
Fait le devoir du Sacrement,
Et ne ſe doutant nullement
D’être coupable d’impuiſſance ;
Ah ! Traître, lui dit-elle, oſes-tu voir le jour
Qui ſuit la nuit qui t’humilie ?
Va cacher dans les bois ton inutile amour,
Ta foibleſſe & ton infamie.
Hélas ! ta phiſionomie

Annonçoit à ma fille une extrême vigueur
Ce nez long, ce tein brun, cette robuſte allure
M’étoient garants de ſon bonheur
Tout cela n’eſt donc qu’impoſture,
Qu’un jeu trompeur de la nature
Qui ne t’a que de l’homme accordé la couleur ?
Tu ſçavois bien cela ; tu ſçavois que ma fille
Étoit le ſeul eſpoir qui relie à ma famille :
Cruel, à toutes deux que tu nous fais grand tort ;
À ma poſtérité tu vas donner la mort,
Et grâce à ta langueur mortelle :
Après toute une nuit d’une attente cruelle,
Ma Fille… quel malheureux ſort !
Ma fille… Le dirai-je ?… eſt encore pucelle.
Pucelle, dites-vous, dit l’époux qui ſoûrit ;
Si votre fille l’eſt, il faut donc qu’en ſon nid
L’inacceſſible pucelage
Soit ſi fortement attaché,
Que par le plus ferme courage,
Il ne puiſſe être déniché,
Ou que, par grâce ſinguliere
Elle en eût tout au moins à perdre plus de huit ;
Car, Madame, la nuit derniers
Apprenez que j’aurois détruit
Huit pucelages de bon compte
S’ils ſe fuſſent trouvés dans le même réduit,
Et quand on a dans une nuit
Accompli huit fois le déduit,

Je penſe que l’on peut ſe dire homme ſans honte.

Huit fois, ſi j’ai ſçu bien compter,
Dit l’épouſe, il eſt vrai, vous avez pris la peine,
De me payer le droit d’Aubaine,
Voilà bien de quoi vous vanter !
Demandez à Cloris, à Flore, à Celimene,
Leurs trois maris à moins d’une double douzaine,
N’ont jamais cru les contenter ;
Je les vaux bien, ne vous déplaiſe,
Et je ne fuis pas aſſez niaiſe
Pour croire ſuffiſant un nombre ſi chétif :
On ne vient pas, Monſieur, à bout d’un pucelage
Avec auſſi peu de courage ;
Il faut pour le dompter un vainqueur plus actif.

Par St Jean, qu’eſt ceci ? dit la mere ébaubie,
À quel prix mets-tu tes appas !…
Tu crois avoir encor… la plaiſante folie !…
La fleur que par huit fois ton mari ta ravie :
Deux Carmes ne ſuffiroient pas
À ſatisfaire ton envie.

Sans doute quelque eſprit badin
T’a fait du pouvoir maſculin
Une hyperbole magnifique.
Il te faudra bien décompter,
Tu l’apprendras par la pratique,
Crois-tu dans tes calculs jamais ne t’arrêter ?
Bien-tôt tu te verras réduite à ſouhaiter

L’inſipide unité par grâce ſpécifique.
Ne te plains point de ton deſtin,
Car pour toi peut-il être aujourd’hui plus bénin ?
Huit fois dans une nuit ; l’offrande eſt fort honnête,
Sur-tout de la part d’un Robin :
N’eſt pas qui veut en telle fête.

Novice encor, c’eſt bien à toi
De te plaindre du choix que je t’ai voulu faire :
Hélas ! avec ton pauvre pere
Le fit-on auſſi bon pour moi ?


EPIGRAMME.


Lautre jour épanchant cette liqueur divine
Dont nos plaiſirs & nous tirons notre origine,
Iris qui s’inondoit dans ces aimables flots,
Fit une ſi charmante mine,
Que j’entendis l’amour dire ces propres mots :
Vite, vite, qu’on la déſſine
Pour mon cabinet de Paphos.


AUTRE.


Un Moine noir (c’étoit un Sous-Prieur,)
D’une jeune Nonain vérifiant le ſexe,
Las d’encenſer le temple antérieur,
Voulut viſiter ſon Annexe.
Ô vanité ! dit la None perplexe,

Qu’en ſon état l’homme ſe connoît mal,
Que vers le bien ſa route eſt circonflexe :
Un Sous-Prieur trancher du Cardinal.

Rouſſeau.

AUTRE.


Un homme d’une humeur gaillarde,
Appella quelqu’un Maquereau,
Qui lui répliqua bien & beau,
Que votre Épouſe eſt babillarde.


LE MARI CONFESSEUR.
CONTE.


Meſſire Artus, ſous le grand Roi François,
Alla ſervir aux guerres d’Italie,
Tant qu’il ſe vit, après maints beaux exploits,
Fait Chevalier en grande cérémonie.
Son Général lui chauffa l’éperon,
Dont il croyoit que le plus haut Baron
Ne lui dût plus conteſter le paſſage.
Si s’en revient tout fier en ſon village,
Où ne ſurprit ſa femme en oraiſon.
Seule il l’avoir laiſſée en ſa maiſon ;
Et la retrouve en bonne Compagnie,
Danſant, ſautant, menant joyeuſe vie,
Et de muguets avec elle à foiſon.
Meſſire Artus ne prit goût à l’affaire,

Et ruminant ſur ce qu’il devoit faire,
Depuis que j’ai mon Village quitté,
Si j’étois cru, dit-il, en dignité
De Cocuage & de Chevalerie !
C’eſt moitié trop ; ſachons la vérité.
Pour ce s’aviſe un jour de Confrairie
De ſe vêtir en prêtre, & confeſſer.
Sa femme vient à ſes pieds ſe placer.
De prime abord ſont par la bonne Dame
Expédiés tous les péchés menus ;
Puis à leur tour les gros étant venus
Force lui fut qu’elle changeât de game.
Pere, dit-elle, en mon lit ſont reçus
Un Gentilhomme, un Chevalier, un Prêtre,
Si le mari ne ſe fût fait connoître
Elle en alloit enfiler beaucoup plus ;
Courte n’étoit pour ſûr la kirielle.
Son mari donc l’interrompt là-deſſus,
Dont bien lui prit. Ah ! dit-il, infidèle !
Un Prêtre même ! à qui crois-tu parler ?
À mon mari, dit la fauſſe femelle.
Qui d’un tel pas ſe ſçut bien démêler.
Je vous ai vu dans ce lieu vous couler
Ce qui m’a fait douter du badinage.
C’eſt un grand cas qu’étant homme ſi ſage,
Vous n’ayez ſçu l’énigme débrouiller.
On vous a fait, dites-vous Chevalier,
Auparavant vous étiez Gentilhomme ;

Vous êtes Prêtres avecque ces habits.
Béni ſoi Dieu, dit alors le bonhomme,
Je ſuis un ſot de l’avoir ſi mal pris.

Lafontaine.

ÉPIGRAMME


La Clairon à ce qu’on dit
À Luce donna la vérole,
Mais on ment ſur ma parole,
La Clairon la lui vendit.

Le Chevalier de Cailly.

AUTRE.


Dans un Couvent de Saragoſſe,
Une Nonain ſe trouva groſſe.
L’Abbeſſe, l’apperçut, la reprit, la tança,
Sur quoi la Nonain s’excuſa :
Diſant que le péché qui cauſe ſa groſſeſſe
Avoir été commis ſans ſon contentement.
Mais cela ne ſe peut, lui répondit l’Abbeſſe,
Vous pouviez très-facilement
Repouſſer cette violence,
Vous n’aviez qu’a crier de tout votre pouvoir :
Oui, mais, dit la Nonain, c’étoit dans le Dortoir
Où notre Régle veut qu’on garde le ſilence.

L’Abbé Grécourt.

CONTE.


Àliſon ſe mouroit d’un mal ———————
Au bout du doigt ; mal d’aventure.

Va trouver le Frere Paſcal,
Lui dit ſa ſœur, & plus n’endure :
Ses remedes font excellens,
Il te guérira je t’aſſure,
Il en a pour les maux des dents,
Pour l’écorchure & pour l’endure ;
Il fait l’onguent pour la brûlure.
Va donc, ſans attendre plus tard,
Le mal s’accroît quand on recule ;
Et donne-lui le bon jour de ma part.

Elle va ; frappe à la cellule
Du révérend frere Frappart ;
Bon jour, mon frere, Dieu vous gard,
Dit-elle, ma ſœur vous ſalue,
Et moi qui fuis ici venue,
Laſſe à la fin de trop ſouffrir ;
Mais ma ſœur vient de me promettre
Que vous voudrez bien me guérir.
Un doigt, qui me fera mourir ;
Non je ne ſçai plus où le mettre.
Mettez, dit Paſcal, votre doigt
Les matins en certain endroit
Que vous ſcavez ; hélas ! que ſcais-je !

Dites-Ie moi, frere Paſcal,
Tôt, car mon doigt me fait grand mal.

Ô l’innocente créature,
Avez-vous la tête ſi dure !
Certain endroit que connoiſſez,
Puiſqu’il faut que je vous le diſe,
C’eſt l’endroit par où vous piſſez :
Hé bien, m’entendez-vous, Aliſe ?

Mon frere, excuſez ma bêtiſe,
Répond Alix baiſſant les yeux,
Suffit, j’y ferai de mon mieux,
Grand merci de votre recette ;
J’y cours, car le mal eſt preſſé.
Quand votre mal aura paſſé,
Venez me voir, Aliſonnette,
Dit le frere, & n’y manquez pas.

Soir & matin, à la renverſe
Elle met remede à ſon mal
Enfin l’abcès meurit & perce.
Aliſon ſaine va ſoudain
Rendre grâce à ſon médecin,
Et du remede ſpécifique,
Lui vante l’étonnant ſuccès.
Paſcal d’un ton mélancolique
Lui répart : un pareil abcès
Depuis quatre jours me tourmente,

Vous ſeriez ingrate & méchante,
Si vous me refuſiez le bien
Que vous avez par mon moyen.
Alix j’ai beſoin de votre aide,
Puiſque vous portez le remede
Qui ſans faute peut me guérir.
Hé quoi, me verrez-vous mourir,
Après vous avoir bien guérie !
Non, dit Alix, non ſur ma vie,
Je ferois un trop grand péché.
Tel crime… Allons donc je vous prie,
Guériſſez-vous, frere Paſcal,
Approchez vîte votre mal.

À ces mots, Dom Paſcal la jette,
Sans marchander ſur ſa couchette,
L’étend bravement ſur le dos,
Et l’embraſſe. Ô Dieux qu’il eſt gros !
Dit Alix, quel doigt ! Et de grâce !
Arrêtez… je le ſens qui paſſe.
Ma chere Alix attends un peu,
Je me mœurs… ſouffrez que j’acheve.
Ah ! reprit Alix toute en feu,
Vous voila guéri, l’abcès creve.

Vergier.

ÉPIGRAMME.


Une Nonain par un Moine requiſe
Du jeu d’amour, lui dit, Pere Cordon,
Si me faut-il d’abord peur de ſurpriſe,
Par le Chattier aulner votre Bourdon :
Venez ce ſoir à l’heure du pardon.
L’autre n’étant ſùr de ſon allumelle,
Le ſoir venu fait a la Jouvencelle,
Au lieu de lui, tâter ſon compagnon.
Nanni, nanni, je m’y connois, dit-elle,
C’eſt de par Dieu celui du pere Oignon.

Rouſſeau.

AUTRE.


Madame, montrez-moi des gants.
Que vendez-vous ceux-ci ? Monſieur, rien que ſix francs.
Madame, vous en aurez quatre,
Monſieur, je n’en puis rien rabattre.
Madame, douze francs, mais je veux vous baiſer.
Monſieur, je n’ai rien fait de toute la ſemaine,
En vérité, c’eſt mon étrenne,
Je ne veux pas vous refuſer.

Chevalier Cailly.

CONTE.


Zenogris, Fille grande & forte,
Mais ingénue, autant que fille de ſa ſorte,
Autour d’elle laiſſa tant roder ſon amant,
Qu…enfin je ne ſçai comment,
Ses robes chaque jour devenoient plus étroites.
Comme elle étoit des moins adroites
Ses parens auſſi-tôt s’apperçurent du cas,
Dieu ſçait quel bruit & quel fracas
Ce fut dans toute la famille !
Cependant le galant, quoique petit, mal fait,
Étoit riche, ce point adoucit tout le fait ;
D’abord le pere de la fille
Va propoſer au ſuborneur
D’épouſer Zenogris pour ſauver ſon honneur.
Épouſer eſt un ſort où rarement aſpirent
Ceux qu’amour n’a pas faits vainement ſoupirer ;
Et c’eſt ce qu’à peine ils déſirent
Lorſqu’ils ont tout à deſirer.
Auſſi Chriſtol (c’eſt le nom du jeune homme)
À ce triſte propos n’eut garde de céder,
On ſupplie, on menace, on ſomme,
Le plus court fut donc de plaider.

Devant les Magiſtrats notre belle éplorée
Se plaint, montrant ſon ventre à ſon menton égal,
D’avoir été déshonorée.

Et demande qu’enfin par le nœud conjugal
Cette honte ſoit réparée.
Criſtol d’une mine aſſurée,
Et fourbe, comme ſont les hommes d’aujourd’hui,
Dit que le fait n’eſt pas de lui.
En cent façons on tâche à le ſurprendre :
Quel parti qu’on puiſſe prendre,
Le drôle adroitement de tout ſçait ſe tirer.
Eh ! bien, Meſſieurs, répond Zénogris déſolée,
Puiſqu’il m’y force, enfin il faut tout déclarer :
Le perfide m’a violée,
Debout contre une porte arriva l’accident.
Mais comment, dit le Préſident,
Un homme ſi petit qu’à peine il peut atteindre
De la main juſqu’à votre front
A-t-il pu debout vous contraindre
À recevoir un tel affront ?
Hélas ! la choſe eſt très-certaine,
Répond Zénogris ſans tarder,
Le voyant haleter & ſouffrir tant de peine
Je me baiſſai tant ſoit peu pour l’aider,
À ces mots de rire éclatèrent
Les Juges, & la déboutèrent
De ſa vaine prétention.
Si l’on jugeoit ſans paſſion
Ou plutôt ſans prévention
Tout ce que dans le monde on nomme violence,
L’on verrait que ce n’eſt que pure fiction.

Et l’on n’y trouveroit que trop de reſſemblance
À cette préſente action.

Vergier.

ÉPIGRAMME.
L’EVESQUE
in Partibus.


Près de Thérèſe jeune fille,
Alerte, fringante & gentille,
Un Prélat ſuppôt de Cypris
Sentoit ſoulever ſa mandille.
Déja de ſa grandeur, les doigts ſaints & bénis
Viſitoient les endroits d’amour les plus chéris.
Que faites-vous, lui dit Thérèſe ?
Quel égarement ! quel abus !
Moi, dit l’Evêque in partibus.
Je viſite mon Diocèſe.


AUTRE.


Ah ! que voilà de beaux enfans !
Diſoit un grand Seigneur au gros Colas leur pere,
Qu’ils font frais, gaillards & puiſſans ;
Nous autres gens de Cour nous voyons au contraire,
Les nôtres délicats, foibles & languiſſans,
Toujours mal ſains & toujours blêmes.
Comment faites-vous donc vous autres payſans ?
Pargué, Monſieur, nous les faiſons nous-mêmes.


AUTRE.


Un Caſtillan zèlé pour les Laïs,
En leur faveur chantoit comme un Orphée,
Un Florentin, pour l’honneur du pays,
Aux ſeuls Gitons élevoit un trophée,
Mais vous voyant en Cavalier coëffée,
Chacun changea de goût & de diſcours ;
L’Italien jura que pour toujours
Il quitteroit ſa première pratique,
Et l’Eſpagnol promit tout au rebours,
De n’exercer que l’amour Socratique.

Rouſſeau.

LES DEUX AMIS.
ÉPIGRAMME.


Axiocus avec Alcibiades,
Jeunes, bienfaits, galans & vigoureux,
Par bon accord, comme grands camarades,
En même nid ſurent pondre tous deux :
Qu’arrive-t-il ? l’un des deux amoureux
Tant bien exploite autour de la donzelle,
Qu’il en naquit une fille ſi belle
Qu’ils s’en vantoient tous deux également.
Le temps venu que cet objet charmant
Put pratiquer les leçons de ſa mere,
Chacun des deux en voulut être amant,

Plus n’en voulut l’un ni l’autre être pere.
Frere, dit l’un, ah ! vous ne ſçauriez faire
Que cet enfant ne ſoit vous tout craché.
Parbleu, dit l’autre, il eſt à vous, compere,
Je prends ſur moi le hazard du péché.

Lafontaine.

LE GASCON.
ÉPIGRAMME.


De Pezenas un Citoyen fidele,
Diſoit avoir à jeune jouvencelle,
En une nuit donné dix fois l’aſſaut.
Alix l’oyoit : mon bon Ange, dit-elle,
Que je voudrois avoir ce qu’il s’en faut.


CONTE.


Un Allemand bien fait, proportionné,
Avec l’Armée en Champagne défile.
Pour logement au Soldat eſt donné
Le ſombre lit d’un habitant docile :
Le Champenois, hélas ! n’en avoit qu’un,
Un Forgeron en a-t-il davantage ?
Il fallut donc que ce lit fût commun
Et qu’il contînt tout le petit ménage.
Au beau milieu l’on place par honneur
Le nouvel hôte ; & près du bon apôtre

Les deux conjoints s’endorment de bon cœur.
D’un côté l’un, & la femme de l’autre.
Elle jugea que c’étoit le plus sûr
Pour eſquiver les deſſeins de notre homme,
De ſe tourner le nez contre le mur.
Ce fut en vain ; tous chemins vont à Rome.
Le mouvement fit éveiller Vulcain,
Qui voyant Mars de ſa Vénus trop proche,
Oh ! Oh ! parbleu, s’écria-t-il, Catin,
C’eſt tout de bon vraiment qu’il vous accroche.
Tu n’as pas tort ; comment ! foin du Galant !
Reproche-lui ſon inſolence extrême ;
Pardi, mon fils, reproche lui toi-même,
Sais-je parler un ſeul mot allemand ?

L’Abbé Grécourt.

CONTE.


Un Jouvenceau ſe confeſſoit
Un jour de Pâques à certain Picpuce ;
C’étoit, je penſe, Pere Luce
Que le bon homme ſe nommoit.
Or entr’autres péchés, le drôle s’accuſoit
De coucher avec ſa Servante,
Gentille & jeune, de par-deſſus ceci,
Très-neuve encor, (cas rare en ce temps-ci.)
Paſſons, lui dit le Moine ; inſtruire une ignorante
N’eſt pas tant mal ; mais pourſuit le compere,

Auſſi j’ai quelquefois affaire
Avec Alix, la femme à Jean, notre voiſin,
Allons, c’eſt aider ſon prochain,
Puis avec une Veuve. Ah ! parbleu, dit le pere,
De vous paſſer ceci, je ne ſerai ſi doux.
Conſoler affligé, c’eſt faire œuvre propice,
Mais des Défunts faire l’office,
C’eſt entreprendre deſſus nous.

Par le méme.

AUTRE.


La nuit un coche ayant verſé,
On tomba les uns ſur les autres ;
Chacun ſe crut le cou caſſé,
Et dépêchoit ſes patenôtes.
Dans l’entre-deux d’un gros feſſier.
Un Curé fut pris par la nuque.
Il retira ſon chef entier ;
Mais il y laiſſa ſa perruque :
Il l’a cherche en l’obſcurité.
Une Dame, fort étonnée
Se plaint de ſa témérité.
Monſieur, ſuis-je aſſez tâtonnée ?
Le Curé s’excuſa beaucoup,
Et pour appaiſer ſon murmure,
Lui dit : je la tiens pour le coup,

Car j’ai le doigt dans la tonſure.

Le même.

AUTRE.


NA pas long-temps qu’aviſai Madelon,
Qui repoſoit ſur la verte fougere,
Un doux zephir enfloit ſon cotillon,
Si que je vis preſque à nu ſon derriere ;
À tel aſpect, amour, ce fis-je alors,
Le beau feſſier, la chair blanche & polie !
Que Madelon cache à l’œil de tréſors !
Lors m’approchant de la belle endormie,
Tout bellement la pris entre mes bras ;
Et d’une main qu’amour rendoit hardie,
Je découvris ſes plus ſecrets appas.
Dormoit toujours la gentille pucelle,
Ou le feignoit, car n’ouvroit la prunelle.
Jamais ne fut ſommeil plus apparent.
De l’éveiller me prit la fantaiſie,
Et me ſouvint qu’en cas peu different
J’avois guéri femelle aſſez jolie
De certain mal, qu’on nomme pamoiſon.
Peut-être encor, c’eſt ce mal, que fait-on ?
Or quel malheur ! ſi telle maladie
Faiſoit mourir ſans ſecours Madelon !
Sans plus tarder j’appliquai le remede.

Prêt il étoit & n’avoit beſoin d’aide
Du premier coup la tira du ſommeil.
Lors Madelon ſe frottant la paupiere.
Bon gré, me dit, vous ſçais de mon réveil ;
Et grand plaiſir m’avez-vous fait, compere.
Viendrai dormir tous les jours en ce lieu,
Puisque ſi bien ſçavez comme il faut faire,
Pas ne manquez de m’éveiller, adieu.

Attribue à l’Abbé Chaulieu.

SONNET.


Pour éviter l’ardeur du plus grand jour d’Été,
Catin deſſus un lit dormoit à demi nue,
Dans un état ſi beau, qu’elle eût même tenté
L’humeur la plus pudique & la plus retenue.

Sa jupe permettoit de voir en liberté
Ce petit lieu charmant… qu’elle cache à la vue,
Le centre de l’amour & de la volupté,
La caufe du beau feu qui m’emflamme & me tue.

Un ſi ſenſible objet en cette occaſion,
Banniſſant mon reſpect & ma diſcrétion,
Me firent embraſſer cette belle dormeuſe.

Alors elle s’éveille à cet effort charmant,
Et s’écrie auſſi-tôt : Ah ! que je ſuis heureuſe.
Les biens, comme l’on dit, me viennent en donnant.

L’Abbé de Grécourt.

ÉPIGRAMME.


Guillot paſſoit avec ſa mariée :
Un Gentilhomme à ſon gré la trouvant,
Qui t’a, dit-il, donné telle épouſée ?
Que je la baiſe à la charge d’autant,
Bien volontiers, dit Guillot à l’inſtant,
Elle eſt, Monſieur, fort à votre ſervice.
Le Monſieur donc fait alors ſon office.
En commençant, Perronelle rougit.
Huit jours après ce Gentilhomme prit
Femme à ſon tour : à Guillot il permit
Même faveur. Guillot tout plein de zèle,
Puiſque Monſieur, dit-il, eſt ſi fidele
J’ai grand regret, & je ſuis bien faché
Qu’ayant baiſé ſeulement Perronelle,
Il n’ait encor avec elle couché.

Lafontaine.

AUTRE.


Un vieil Abbé, peu curieux des Meſſes,
Pendant la nuit de Noël exploitoit
Fille de bien ; mais mal s’y preſentoit,
Dont tous les deux avoient grandes détreſſes.
De ce, dit-il, ne t’étonnes, Mamour,
Dieu ne permet qu’on péche en ſi grand jour,
Avint pourtant qu’a la fin il engaîne.

Lors elle dit, Dieu, n’y ſonge-t’il plus !
Si, dit l’Abbé, mais ce n’eſt pas ſans peine
Qu’enfin le Diable a repris le deſſus.

Rouſſeau.

AUTRE.


Sœur Jeanne ayant fait un poupon,
Jeûnoit, vivait en ſainte fille ;
Toujours étoit en oraiſon,
Et toujours ſes ſœurs à la grille.
Un jour donc l’Abbeſſe leur dit :
Vivez comme Sœur Jeanne vit,
Fuyez le monde & ſa ſequelle.
Toutes repondirent à l’inſtant :
Nous ferons auſſi ſages qu’elle
Quand nous en aurons fait autant.

La fontaine.

AUTRE.


Un Cavalier de Landau revenu,
Très-mal en point, chopinoit chez un Carme,
En chopinant, vit ſur ſon bras charnu
Toile de lin dont la beauté le charme.
Par la morbleu, s’écria le Gendarme,
Onc Tiſſeran ne ſçut avec tel art
Filer chemiſe… Ami, dit le Frappart,

Trouſſant ſa robe, il n’eſt que d’être habile.
Vois-tu bien là, Meſſire, Jean Chouard ?
C’eſt la quenouille avec quoi je les file.

Rouſſeau.

RONDEAU.


Laimable cul de Briſeïs
N’a point de pareil, ni de prix,
Plus rond qu’une boule d’yvoire,
Le croira qui voudra le croire ;
J’en ai preſque mes ſens ravis,
Mon cœur de joie en eſt épris,
Et j’ai toujours dans ma mémoire
L’aimable cul.

Celui de la Reine des Ris,
Mille fois plus-blanc que les Lis,
Couronné de grâce & de gloire,
N’eſt pas ſi vanté dans l’Hiſtoire,
Que le ſera dans mes écrits
L’aimable cul.


ÉPIGRAMME.


Un jeune Conſeiller, amoureux d’une belle,
Voyant certain Plumet qui la ſuivoit partout,

Lui-dit, Madame, ah ! ce Plumet me f…
Il me f… auſſi dit-elle.


LES JOIES DU PARADIS.


Colas, vrai manant du Village,
Épouſa la veuve Aliſon,
Qui, plus ardente qu’un tiſon,
Connoiſſoit fort le mariage ;
Mais Colas n’étoit qu’un oiſon.
La première nuit du ménage
Elle n’en put tirer raiſon,
Car il avoit ſon pucelage,
Et ne fit pour tout badinage
Que papilloter la toiſon.
Le lendemain faut ſçavoir comme
Alix maltraita le Jeannot.
Je croyois avoir pris un homme,
Dit-elle, & je n’ai pris qu’un ſot.
Dame ! il n’a jamais fait la joye,
Lui répondit un des parens,
Faudroit le mettre ſur la voye,
Et vous feriez bien-tôt contens.
Volontiers, qu’à cela ne tienne.
En effet, la groſſe maman,
Qui devoit ſçavoir le tran tran,
La nuit d’après lui coula cette antienne :

L’ami, ſerois-tu curieux
De goûter les plaiſirs des Dieux,
Des Dieux qui ſont au Ciel ? ſans doute :
Comment ? Eh ! nous ne voyons goûte !
N’importe, approche-toi, pas ainſi… bon cela,
Encore tant ſoit peu… t’y voilà ;
Courage, allons… fort dans les boules,
Colas dans ce moment crut quitter ſon taudis,
Et s’écria : ma mere, ayez ſoin de nos poules,
Je ſens que j’entre en paradis.

Grécourt.

LE POINT D’AIGUILLE,
CONTE.


Certain tendron qu’Iſabeau l’on nommoit,
Après quinze ans ayant ſon pucelage,
Cas ſingulier, dans un bal ſe trouvoit ;
Chacun illec de danſer faiſoit rage,
Fors Iſabeau, la pauvre fille étoit
Seule en un coin, faiſant triſte figure,
Ces yeux baiſſés, & tenant ſa ceinture
De ſes deux mains que point ne remuoit,
Si qu’euſſiez dit que c’étoit une idole.
Un ſien ami, que j’appelle Damon,

Vient l’accoſter, lui fait cette leçon,
Tandis qu’ici l’on rit, l’on cabriolle,
Être ainſi triſte, à vous n’eſt pas fort beau,
Chacun s’en mocque, allons belle Iſabeau,
Venez danſer, ſouffrez que je vous mene,
Là, votre main… Non, ce n’eſt pas la peine,
Dit Iſabeau, Monſieur, laiſſez ma main,
Bien grand merci, pourtant ne croyez mie
Que tel refus provienne de dédain :
Car de danſer j’aurois très-grande envie,
Mais on m’a dit que quand je danſerois,
Mon pucelage auſſi-tôt je perdrois ;
Qu’il tomberont devant les gens : Eh ! Dame,
Maman après me chanteroit ſa gamme,
Bien la connois, elle m’affolleroit.
Ah ! dit Damon, qui ſous cape rioit,
Je vois ce que c’eſt, or qu’à ce point ne tienne
Que ne preniez votre part de plaiſir,
Dans ce moment tout à votre loiſir
Pourrez danſer, ſans crainte qu’il advienne
Ce qui ſi fort me ſemblez redouter.
Il faut ſans plus à votre pucelage,
Trois points d’aiguille, & vais ſans différer
Si le voulez, vaquer à cet ouvrage :
Je ne ferois, pour tout autre que vous,
Beſogne telle : or ça dépêchons-nous,
Puis danſerons après tout à notre aiſe.

Auſſi-tôt dit, notre belle niaiſe,
Suit le Galant, & tout cela ſi bien,
Que de leur fuite on ne ſoupçonna rien.
Voilà Damon qui prend en main l’aiguille,
Vous fait un point, puis un autre ; la fille
De prendre goût & de dire : Ah ! vraiment,
Je couds fort mal, à ce que dit Maman,
Elle me gronde : Oh ! bien qu’elle m’achete
Pareille aiguille, elle verra beau jeu,
Les vend-on cher ?… Couſez encore un peu.
On coud un point, puis Damon fait retraite :
Belle, dit-il, c’eſt aſſez bien couſu
Pour cette fois, & votre pucelage
N’a déſormais à craindre aucun dommage ;
Venez danſer : la friponne eût voulu
Ne point ſi-tôt abandonner l’ouvrage ;
Elle alleguoit bien des ſi, bien des mais,
Rien que trois points, il ne tiendra jamais,
Oncque ne fut robe trop bien couſue,
Mais le galant s’éloignant à ſa vue,
Elle rentra dans le bal à l’inſtant.
Quelqu’un la prend pour danſer ; elle danſe.
On admira ſa noble contenance,
Son air, ſes traits, ſon teint vif & brillant,
Le tout étoit l’ouvrage d’un moment.
Un ſeul moment d’Iſabeau l’imbécille,
Avoit ſçu faire Iſabeau la gentille.

Comment cela ? demandez-le aux Docteurs,
Docteurs en Loix ou bien en médecine :
Nenni dà, non au diable leur doctrine ;
Ce ſont pédans que Dieu fit : c’eſt ailleurs
Que trouverez ſolution certaine,
Chez mon Patron le gentil Lafontaine,
Gens qui d’amour tiennent tout leur latin ;
Or reprenons, notre conte. La belle
Ayant danſé pendant aſſez long-temps,
Vint à Damon ; je crains fort, lui dit-elle,
Qu apres maints ſauts, & maints tremouſſemens
Ce qu’avez fait ne ſoit peine perdue ;
Partant allons coudre tout de nouveau
Mon pucelage, il ne ſeroit pas beau
Que tout à coup il tombât à la vue
Le tout le monde, & pouvant l’empêcher
Vous en auriez autant que moi de blâme ;
Venez donc, ſoit. Damon répond : oh, Dame !
Plus n’ai de fil, d’un autre couturier
Pourvoyez-vous ; c’eſt méchanceté pure,
Dit Iſabeau, de fil vous n’avez plus ?
Eh ! dites-moi, que ſont donc devenus
Deux pelotons qu’aviez à la ceinture ?


ÉPIGRAMME.


Au Dieu d’Amour, une pucelle
Offroit un jour une chandelle
Pour en obtenir un Amant.
Le Dieu ſourit à ſa demande,
Et lui dit : Belle, en attendant
Servez-vous toujours de l’offrande.


AUTRE.


Le pénitent d’un Diſciple d’Élie,
Lui racontoit qu’en un lieu débauché,
Il avoit pris de fille aſſez jolie
Le fruit cuiſant de l’amoureux péché.
Le Carme dit : je n’en ſuis pas fâché,
Aux indévots ſied bien un tel ſalaire,
Jà ne feriez de ce mal entiché,
Si comme nous portiez un ſcapulaire.

Rouſſeau.

AUTRE.


Un jeune Abbé s’accuſoit à confeſſe
D’avoir pendant toute une nuit
Partagé le lit de l’Hôteſſe,

Où ſon Bidet l’avoir conduit.
Combien de fois fîtes-vous cette affaire,
Mon enfant ? il faut les compter.
Combien de fois ? oh ! oh ! mon pere,
Je ne ſuis pas ici pour me vanter.


LE GUEUX.


Un Manant tout déguenillé,
Gueuſoit d’une maniere immonde,
Il étoit ſi mal habillé
Qu’il ſcandaliſoit tout le monde.
Le drôle le faiſoit exprès
Et s’en gobergeoit en lui-même.
Caire mit les Archers après,
Tant l’impudence étoit extrême.
Voila les témoins aſſignés,
Tous les hommes le reconnurent,
Et ſur ces traits bien déſignés
Contre lui hautement conclurent.
Les femmes furent ſon appui,
Car toutes dans leur témoignage.
Dirent : je ne ſçai ſi c’eſt lui,
Je n’ai pas pris garde au viſage.

Grécourt.

LE PARTANT-QUITTE.


Certain Grivois, un jour à ſon Curé
Se confeſſoit, & d’un ton aſſuré,
Sembloit vouloir lui vanter ſon mérite.
J’ai, diſoit-il, de mon prochain médit,
Mais pour le bien qu’enſuite j’en ai dit,
J’ai réparé tout le mal ; par-tant quitte.
Certains bijoux que l’on avoit perdus,
Je les gardai, mais je les ai rendus,
Partant-quitte ; & mon ame à tel point n’eft méchante,
De retenir le bien qui ne m’appartient pas.
Enfin, baiſſant la voix, il dit d’un ton plus bas :
Monſieur, avec votre ſervante
J’ai… Mais comment m’acquitter de ceci ?
Lors le Curé, pour raſſurer ſon ame,
Dit : Monſieur, avec votre femme
J’en fis autant, & partant-quitte auſſi.

Le même.

ÉPIGRAMME.


Certain Chanoine, à la taille legere,
Se confeſſoit d’avoir fait bricoler
Une Nonain : paſſons-lui, dit le pere,

C’eſt : du Seigneur la vigne travailler.
Puis une veuve. Allons c’eſt conſoler
Les affligés. Oui, dit le Chanoine,
Ce n’eſt le tout. Comment par Saint Antoine
Pourſuivit-il, j’ai f… contre un mur…
Qui ? votre ſœur. Ma ſœur ! reprit le Moine,
Et moi ta mere ; adieu remittuntur.

Rouſſeau.

LE BAT.


Un Peintre étoit, qui jaloux de ſa femme,
Allant aux champs, lui peignit un Baudet
Sur le nombril, en guiſe de cachet.
Un ſien confrere, amoureux de la Dame,
La va trouver & l’âne efface net ;
Dieu ſçait comment ! puis un autre en remet
Au même endroit, ainſi que l’on peut croire.
À celui-ci, par faute de mémoire
Il met un Bât : l’autre n’en avoit point.
L’Époux revient veut s’éclaircir du point.
Voyez, mon fils, dit la bonne Comere,
L’Âne eſt témoin de ma fidélité.
Diantre ſoit fait, dit l’Époux en colere,
Et du témoin & de qui l’a bâté.

Lafontaine.

LE CONNOISSEUR.


Chaque Épouſeur veut avoir fille intacte.
Moi, bon humain, je ne vas pas ſi loin.
Femmes, venez, & demain je contracte
Si je fuis ſûr qu’enceintes n’êtes point.

Colas voulant avoir étoffe neuve,
Dans le hameau prit pour femme Liſon ;
Fille fort ſimple, & ſi jeune, dit-on,
Qu’elle devoit expirer à l’épreuve.
L’Époux croyant avoir terrible nuit.
Bien s’évertue au lubrique déduit,
Et ſon engin à grand force éperonne.
D’autre part Liſe, ainſi qu’une lionne
Se débattoit & menoit un beau bruit.
Colas enfin après longue bataille,
Dont front lui ſue & braquemar lui cuit,
Entre en vainqueur dans l’amoureuſe entaille.
Mais dans le tems que d’aiſe triomphant
Il embraſſoit ſa dolente Épouſée,
Et s’eſtimoit de l’avoir pertuiſée,
Elle lui fit un bel & gros enfant.


LES DOIGTS BÉNIS.


Après la Meſſe à travers un parloir,
Colette un jour entretenoit pere Ange.
Eſt-ce péché, dit-elle au Pere noir,

De me gratter quand le C.. me démange ?
Oui, c’eſt péché, ne fût-ce qu’un moment :
Nos corps ne ſont que boue & que ſouillures,
Et quel que ſoit le deſir véhément,
Ne faut ſur ſoi porter des mains impures.
Lors ſe levant & trouſſant ſes habits,
Grattez-moi donc, dit Colette au pere Ange,
Vous, Pere en Dieu, dont les doigts ſont benis,
Et grattez fort, car bien fort me démange.

Grécourt.

ÉPIGRAMME.


Vous plaît-il ſouper, Iſabelle,
Ou faire l’amoureux déduit ?
Tout ce qu’il vous plaira, dit-elle,
Mais notre ſoupé n’eſt pas cuit.


LA SŒUR GRISE.


Un gros paillard, c’étoit un Clerc d’Égliſe,
Pour certaine raiſon prit chambre à l’Hôpital ;
Près de lui paſſe une Sœur Griſe
Ayant un tein uni comme criſtal.
Je me mœurs, chere Sœur, & deſſous ſa chemiſe
Conduit ſa belle main, lui fait tâter ſon mal.
Quel mal ! Jeſus, s’écrie avec ſurpriſe

Sœur Iſabeau d’eſprit bien peu ſubtile.
Croyez-vous en mourir ? non : ma Sœur, répond-il ;
Car vous portez pour maux de telle miſe
Sous vos jupons la médecine exquiſe.
Pour lors le Clerc lui met la main ſous le nombril,
La Baiſe tendrement ; l’enjambe ſans remiſe,
Et dans la gaine enfile ſon outil.
Si peu penſoit, bien ſentoit la chrétienne ;
Tant que de rage & de feu toute pleine,
Prenant plaiſir comme une autre à ce jeu,
Dit alors au malade, au moins qu’il t’en ſouvienne,
Je prétends bien te guérir pour un peu,
Mais auſſi je prétends qu’après le mal revienne.


ÉPIGRAMME.


Frere Gonraud deſſéché de luxure
Sur ſon chalit tenant Madame Alain,
Pour la baiſer ſollicitoit en vain
Les ſecours lents de la froide nature.
Tout étoit mort. Le révérend perplex,
Son cas n’eſt point de ceux que femme excuſe,
À la valeur ſuppléant par la ruſe,
Pour bon outil employoit ſon index.
Mais Dame Alain au troc point ne s’abuſe.
Tirez, tirez, dit-elle, en ſon courroux,

Dans mes deux mains ſi pareil jeu m’amuſe
Je trouverai dix hommes tels que vous.


AUTRE.


Je pris hier ce Pinçon aux gluaux,
Diſoit un gars a certaine imbécile.
Je vous le donne, & levant les drapeaux,
Non ſans combat dans le nid de Paphos.
Ribaud logea le gaillard volatile.
Dans les accès des plaiſirs amoureux,
La belle prend deux boules qu’elle trouve,
Et s’écria : vraiment ce ſont des œufs,
Fais-les-y entrer pour que l’oiſeau les couve.


LES BONNETS.


Aux pieds d’un Confeſſeur un Ribaud pénitent
Développoit ſa confidence.
Pere, lui diſoit-il, je viens bien repentant
Vous faire l’humble confidence
Que la chair fut toujours mon péché dominant.
Tant pis, dit le Pater ; mais enfin, mon enfant,
Le temps, grâce à la Providence,
Met fin à la concupiſcence.
Voyons à quels excès vous êtes-vous porté
Par le déréglement trop long-temps emporté ?

N’êtes-vous pas contrit ? Si je le ſuis, mon pere,
Ah ! je ne puis aſſez gémir de ma miſere !
Allons, tels ſentimens montrent un vrai retour,
Parlez donc : dites-moi vos fautes ſans détour,
Et n’oubliez ſur-tout aucune circonſtance,
la façon de pécher décide de l’offenſe.
Continuez. Hélas ! mon pere, une beauté
Que le hazard m’offrit, & dont je fus tenté,
Me fit perdre en un jour toute mon innocence ;
Je l’aimai, je la vis avec toute licence,
Et l’Amour, dans ſes bras, au fonds d’un Cabinet.
Je vous entends : ſon nom ? on l’appelle Bonnet.
Bonnet ? je la connois : comment donc adultere !
Ah ! mon fils, redoutez la céleſte colere !
Mais voyons que devint ce commerce odieux :
Mon Pere, il fut ſuivi d’un plus délicieux :
Une jeune Bonnet, tendre, vive, gentille…
Oh ! oh ! voici bien pis : quoi ! la mere & la fille !
Cette jeune beauté, ſource de mes plaiſirs,
Devint bien-tôt, pour moi, l’objet de mes deſirs.
Ah ! quel déſordre affreux ! l’inceſte, l’adultere !
Mon Pere, ſuſpendez votre juſte colere :
Je ne viens point ici vous prôner mes vertus.
Et tout ce que j’ai dit n’eſt encor que bibus.
Apprenez que Bonnet, chef de cette famille,
Succéda dans mon lit à ſa femme, à ſa fille,
Et que ſon fils enfin y prit place à ſon tour.

Que j’eus pour ce dernier le plus ardent amour.
Méchant, n’acheve pas, dit le Prêtre en furie,
Je ne veux plus entendre une telle infamie,
Et puiſque tout Bonnet doit être ta catin,
Tiens, bourreau, prends le mien, & remplis ton deſtin.

L’Abbé Grécourt.

ÉPIGRAMME.


Un fier Caſtrais à quarrure charnue
Et mince outil, trouvant Liſe en un coin,
Dans ſon calçon, pour lubrique beſoin
Cherchoit en vain ſa nature menue.
Liſe qui vit ſon embarras piteux,
Sort d’un étui double verre convexe,
Diſant, mon fils, mets ceci ſur tes yeux,
C’eſt le moyen d’appercevoir ton ſexe.


AUTRE.


Le teint jauni, le front tout boutonné,
Filtrant l’empois par l’humide goutiere,
Et ſur ſon lit ſouffrant comme un damné,
Un vieux Ribaud tançoit ſa chambriere.
Ah ! monſtre impur, pour mon ſupplice né,
Tu m’as donné le mal qui me dévore.

L’autre répond : moi je vous l’ai donné ;
Vous vous trompez, car je l’ai bien encore.


CONTE.


Un de ces jours Dame Boulbéne,
Pour certain beſoin qu’elle avoit,
Envoya Jeanne à la Fontaine ;
Elle y courut, cela preſſoit,
Mais en courant, la pauvre créature
Eut une fâcheuſe avanture ;
Un malheureux caillou qu’elle n’apperçut pas
Vint ſe rencontrer ſur ſes pas.
À ce caillou Jeanne trébuche,
Tombe enfin & caſſe ſa cruche :
Mieux eût valu cent fois s’être caſſé le cou.

Caſſer une cruche ſi belle,
Que faire ! Que deviendra-t’elle ?
Pour en avoir une autre, elle n’a pas un fou.
Quel bruit va faire ſa maîtreſſe
De ſa nature très-diableſſe ?
Comment éviter ſon courroux ?
Quel emportement ! que de coups !
Oſerai-je jamais me r’offrir à ſa vue ?
Non, non, dit-elle, enfin il faut que je me tue,
Tuons-nous. Par bonheur un voiſin près de là,

Accourut entendant cela ;
Et pour conſoler l’affligée
Lui chercha les raiſons les meilleures qu’il put ;
Mais tout bon orateur qu’il fut
Elle n’en fut point ſoulagée ;
Et la belle toujours s’arrachant les cheveux
Faiſoit couler deux ruiſſeaux de ſes yeux,
Enfin vouloir mourir, la choſe étoit conclue.
Hé bien veux-tu que je te tue,
Lui dit-il ? volontiers. Lui ſans autre façon
Vous la jette ſur le gazon,
Obéit à ce qu’elle ordonne.
À la tuer des mieux apprête ſes efforts,
Leve ſa juppe, & puis lui donne
D’un poignard à travers le corps.
On a grande raiſon de dire
Que pour les malheureux la mort a ſes plaiſirs ;
Jeanne roule les yeux, ſe pâme, enfin expire,
Mais après les derniers ſoupirs
Elle remercia le ſire.
Ho ! le brave homme que voilà ;
Grand merci, Jean, je ſuis la plus humble des vôtres ;
Les tuez-vous comme cela ?
Vraiment j’en caſſerai bien d’autres.


QUATRAIN.


Liſe eſt en couche, en faut-il rire,
Et ſi fort y trouver à dire ?
Ceſſe-t’on pour ſi peu d’être fille de bien ?
L’enfant que Liſe a fait n’eſt pas plus grand que rien.

Chevalier de Cailly.

ÉPIGRAMME.


Chaque état, chaque déviſe,
Vaincre ou mourir eſt celle des héros ;
Courte prière & long repos,
Long-tems fera pour gens d’Égliſe :
Toujours à table ou ſur le dos,
Eſt celle que Margot a priſe.


À UNE DAME QUI BAISOIT DES MOINEAUX.


Donner à vos moineaux des baiſers ſavoureux,
En leur preſſant le bec de vos lèvres de roſes :
N’eſt-ce pas vous tromper dans l’uſage des choſe,
En leur donnant un bien qui n’eſt pas fait pour eux.

Chevalier de Cailly.

AUX MOINEAUX QUE CETTE DAME BAISOIT.


Dans les momens que Boulbéne vous baiſe,
Petits moineaux, vous ne mourez point d’aiſe ?
J’en ſerois mort en goûtant ces appas :
Que malheureux le Ciel nous a fait naître !
Vous jouiſiez d’un bien ſans le connoître ;
Je le connois & je n’en jouis pas.

Le même.

LE PUCELAGE FEINT.


Quand vous feignez d’être pucelle,
Vous me prenez pour innocent ;
En l’âge où vous êtes, la belle
Un pucelage eſt indécent ;
Et tout de bon je vous proteſte
Que quand vous en auriez eu cent,
Je ne croirois pas maintenant
Que vous en euſſiez un de reſte.

Le même.

ÉPIGRAMME.


Un vieux pucelage, Boulbéne,
Par fois cauſe bien des travaux.
Damon, n’en ſoyez pas en peine,
Nous ſçavons prévenir les maux.

Le même.

AUTRE.
CONTRE LA VEUVE B…


En pleurant l’Époux qu’elle perd,
B… vous fait pitié, quelle erreur eſt la vôtre !
Tel un bâton de bois verd,
Qui brûle par un bout, quant il pleure par l’autre.

Grécourt.

AUTRE
L’INCRÉDULE.


Aliſe, ma chere merveille,
Sur mon ame je ne ments pas,
Quand je vous dis que vos appas
Font que jamais je ne ſommeille ;
Que ſi, malgré tous les propos,
Témoins de mon peu de repos,
Vous croyez que je diſſimule,
Couchez cette nuit avec moi,
Et vous verrez, belle incrédule,
Comme je ſuis digne de foi.


AUTRE.


Jépouſerois bien Iſabelle,
Je trouve aſſez d’attraits en elle,
Sa gentilleſſe m’a vaincu ;

Mais autant que j’aime la belle,
Autant je hais d’être cocu

De Cailly.

CHANSON.


Au fonds d’une grotte obſcure,
Un jour le tendre Tircis,
Sur les peines qu’il endure,
Se plaignoit à ſon Iris :
Dans l’ardeur qui l’encourage,
Il diſoit cette Chanſon :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Quelquefois d’un regard tendre
Qui s’accorde avec le mien,
À mon cœur tu fais entendre
Que je ſçais toucher le tien ;
Mais malgré ce doux langage
Ta bouche me dit que non :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Sur ta bouche à demi cloſe,
Quoique voyant mon deſſein,
Tu ne laiſſe d’une roſe
Faite un amoureux larcin ;

Mais tu n’as pas le courage
D’en faire jamais le don :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Sur deux mots que j’idolâtre,
Par ſurpriſe ou par hazard
Ma main quelquefois folâtre,
Et ſuit mon tendre regard ;
Soudain de ce double gage
Tu me prives ſans raiſon :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Du Jardin de Cytherée,
Dans quelques momens flâteurs,
J’arrive juſqu’à l’entrée
Pour en arroſer les fleurs,
Mais tu fermes le paſſage
À ma vive paſſion :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

À ces mots : d’Iris plus tendre,
Le trouble ſaiſit le cœur ;
Et ce trouble fit comprendre
À Tircis tout ſon bonheur,
Il entendit ce langage,
Et dit ſur un autre ton :

Voyons vi c’eſt badinage,
Ou bien ſi c’eſt tout de bon.

Il embraſſe la Bergere
Et la ſerre entre ſes bras,
Ce qu’enſuite il a pu faire
Je ne vous le dirai pas ;
Mais je ſçais qu’après l’ouvrage,
Il diſoit cette chanſon :
Non, ce n’eſt plus badinage,
Pour le coup c’eſt tout de bon.

Tu veux tirer trop de gloire
D’un ſeul combat, dit Iris,
Et d’une ſeule victoire
Tu me vantes trop le prix :
À mon tour, berger trop ſage,
Je répéte ta chanſon,
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Cavaliés, Avoc.

ÉPIGRAMME.


Deux Bernardins de diverſes Provinces,
De leurs Couvents faiſoient deſcription.
Chez nous, dit l’un, Moines vivent en Princes ;
Cave & Cuiſine ont à diſcrétion :

Item, Nonains, avec permiſſion
De les baiſer quatre fois la journée.
Quatre ! parbleu, c’eſt pitance bornée,
Dit l’autre Moine : on nous le permet huit.
Cinq le matin, & trois l’après-dinée ;
Et ſi j’enrage encor toute la nuit.

Rouſſeau.

AUTRE.


Un Compagnon diſoit ſa ratelée
À certain Carme, & s’accuſoit à Dieu,
D’avoir donné trente fois l’accolée
À ſon amie, en même jour & lieu.
Le Moine dit : trente fois vertudieu !
Oui, dit le gars par la vertu ſecrete
D’une racine. Ami, dit le Billette,
À tout pécheur Dieu fait rémiſſion :
Or baille-moi ta joyeuſe recette
Et te promets mon abſolution.

Le même.

AUTRE.


Une Novice accuſoit un Curé
À ſon Prélat d’avoir cueilli ſa roſe,
Avez-vous là, lui dit l’homme ſacré,

Quelque témoin qui contre lui dépoſe !
Las ! Monſeigneur, ſa cellule étoit cloſe,
Et ne vouloir crier, tant j’avais peur,
De réveiller l’Abbeſſe qui repoſe
Toutes les nuits avec le Promoteur.

Le même.

CONTE.
LE CHAPELIER.


En Avignon étoit un Chapelier
Des mieux tournés, & plus beau cavalier,
Qu’on ne peint le Dieu de la guerre ;
En le voyant, femme ne tardoit guere
À ſe prendre en ſi beau lien ;
Une Comteſſe en devint amoureuſe,
Elle ſouhaita d’être heureuſe ;
Ce qui lui fit employer ce moyen.
Elle envoya chercher Montagne :
Sous mine de faire un chapeau
À ſon mari, le Comte d’Oripeau,
Qui pour lors étoit en campagne ;
L’Adonis n’étoit pas ſi novice en ce point,
Qu’il ne jugeât fort bien que l’aventure
Simplement n’aboutiroit point
À prendre d’un chapeau la burleſque meſure ;
Auſſi, dès qu’il eut vu parler
Les yeux mourans de la Comteſſe,

II crut qu’au fait il pourroit droit aller
Sans bleſſer ſa délicateſſe ;
Parquoi tirant du boſquet de Paphos
Ce Dieu que dédaignoit Saphos
Il l’offre aux regards de la belle ;
Le compagnon lui plût ſi fort,
Qu’elle voulut en orner ſa chapelle.
La galante n’avoit pas tort ;
Le compagnon étant de taille énorme,
Foula comme il faut le Caſtor,
La Comteſſe fourni la coiffe avec la forme,
Moyennant quoi le mari fut coiffé
D’un Caſtor fort bien étoffé.
Quoi ! c’eſt-là tout le ſtratagême,
Dit un Valet voyant le drôle à l’attelier ?
Ma foi ſans être Chapelier
J’aurois coiffé Monſieur de même.

Grécourt.

LE CADENAT.


Je triomphois ; l’amour étoit le maître,
Et je touchois à ces momens trop courts
De mon bonheur & du vôtre peut-être ;
Mais un Tiran veut troubler nos beaux jours ;
C’eſt votre Époux ; Geolier ſexagenaire,
Il a fermé le libre Sanctuaire.

De vos appas ; & trompant nos deſirs
Il tient la clef du ſéjour des plaiſirs.
Pour éclaircir ce douleureux miſtere
D’un peu plus haut reprenons cette affaire.

Vous connoiſſez la Déeſſe Cérès.
Or, en ſon temps Cérès eut une fille,
Semblable à vous, à vos ſcrupules près,
Brune, piquante, honneur de ſa famille,
Tendre ſur-tout, & menant à ſa cour
L’aveugle enfant que l’on appelle Amour.
Un autre aveugle, hélas ! bien moins aimable,
Le triſte Hymen la traita comme vous.
Le vieux Pluton, riche autant qu’haiſſable,
Dans les Enfers fut ſon indigne Époux :
Il étoit Dieu, mais avare & jaloux ;
Il fut Cocu ; car c’étoit la juſtice.
Pirrithous, ſon fortuné rival,
Beau, jeune, adroit, complaiſant, libéral,
Au Dieu Pluton donna le bénéfice
De Cocuage. Or ne demandez pas
Comment un homme avant ſa derniere heure
Peut pénétrer dans la ſombre demeure.
Cet homme aimoit, l’amour guida ſes pas :
Mais aux Enfers, comme aux lieux où vous êtes,
Voyez qu’il eſt peu d’intrigues ſecretes !
De ſa chaudière un traître d’eſpion

Vit le grand cas, & dit tout à Pluton ;
Il ajouta, que même à la ſourdine
Plus d’un damné, lui f.... Proſerpine.
Ce Dieu cornu, dans ſon noir Tribunal,
Fit convoquer ſon Sénat infernal ;
Il aſſèmbla les deteſtables Ames
De tous ſes Sains dévolus aux Enfers,
Qui dès long-temps en cocuage experts,
Pendant leur vie ont tourmenté leurs femmes.
Un Florentin lui dit : Frere & Seigneur,
Pour détourner la maligne influence
Dont votre Alteſſe a fait l’expérience,
Tuer ſa Dame eſt toujours le meilleur.
Mais, las, Seigneur ! la vôtre eſt immortelle.
Je voudrois donc pour votre ſureté,
Qu’un Cadenat de ſtructure nouvelle
Fut le garant de ſa fidélité ;
À la vertu par la force aſſervie,
Lors vos plaiſirs borneront ſon envie,
Plus ne fera d’amant favoriſé,
Et plut aux Dieux que quand j’étois en vie
D’un tel ſecret je me fuſſe aviſé !
À ce diſcours les Damnés applaudirent,
Et ſur l’airain les Parques l’écrivirent.
En un moment, feux, enclumes, fourneaux,
Sont préparés aux gouffres infernaux.
Tiſiphone, de ces lieux ſerruriere,

Au Cadenat met la main la premiere :
Elle l’acheve, & des mains de Pluton
Proſerpine reçut ce triſte don.
On m’a conté qu’eſſayant ſon ouvrage
Le cruel Dieu fut ému de pitié,
Qu’avec tendreſſe il dit à ſa moitié :
Que je vous plains ! vous allez être ſage.

Or ce ſecret aux Enfers inventé,
Chez les humains tôt après fut porté ;
Et depuis ce, dans Veniſe & dans Rome,
Il n’eſt Pédant, Bourgeois, ni Gentilhomme,
Qui pour garder l’honneur de ſa maiſon,
De Cadenats n’ait ſa proviſion.
Là tout jaloux, ſans craindre qu’on le blâme,
Tient ſous la clef la vertu de ſa femme.
Or votre Époux dans Rome a fréquenté ;
Chez les méchans on ſe gâte ſans peine,
Et le Galant vit fort à la Romaine.
Mais ſon tréſor eſt-il en ſureté ?
À ſes projets l’amour ſera funeſte ;
Ce Dieu charmant ſera notre vengeur,
Car vous m’aimez, & quand on a le cœur
femme honnête, en a bientôt le reſte.

Voltaire.

ÉPIGRAMME.


Un Cordelier prêchoit ſur l’adultere,
Et s’échauffoit, le Moine en ſon harnois,
À démontrer par maint bon Commentaire
Que ce péché bleſſe toutes les Loix.
Oui, mes enfans, dit-il, hauſſant la voix,
J’aimerois mieux pour le bien de mon ame,
Avoir à faire à dix filles par mois,
Que d’exploiter en dix ans une femme.

Rouſſeau.

JOUISSANCE.


Amour qu’injuſtement j’ai blâmé ton empire !
Des maux que j’ai ſoufferts, ai-je dû m’offenſer,
Quand tu viens de récompenſer
D’un moment de plaiſir un ſiécle de martyre ?
J’ai fléchi mon Iris après de longs ſoupirs ;
Ce cher objet de mes deſirs,
Cette inſenſible Iris, cette Iris ſi farouche,
Dans mille ardens baiſers vient de plonger mes feux,
Pour goûter à longs traits ce nectar amoureux,
Mon ame toute entiere a volé ſur ma bouche.
J’ai ſavouré la fraîcheur
De ſes levres demi-cloſes.

Sa bouche avoit la couleur,
Son haleine avoit l’odeur
Et le doux parfum des roſes.
Je reſſentis alors une douce langueur
S’emparer de mes ſens & couler dans mon cœur
D’amour & de plaiſirs nos yeux étincellerent,
Mon cœur en treſſaillit, nos eſprirs s’allumerent,
Et livrés l’un & l’autre à nos emportemens,
Nous cherchâmes le ſort des plus heureux amans ;
Sans voix, ſans mouvement mon Iris éperdue
Laiſſoit mille beautés en proye à mon ardeur ;
Comme elle oublioit ſa rigueur,
J’oubliai lors ma retenue,
Et je me ſouvins ſeulement
Que dans ce bienheureux moment,
Par un excès d’ardeur nos forces ſuſpendues,
Nos corps entrelaſſés, nos ames confondues,
Nous ont laiſſé livrés aux plaiſirs les plus doux,
Inconnus aux mortels moins amoureux que nous.

L’Abbé de Chaulieu.

ÉPIGRAMME.


Un Doctrinaire officieux,
Sur ſes genoux chatouilloit une Abeſſe,
Et tôt après ce bon luxurieux

En pamoiſon fit tomber la Prêtreſſe.
Lors profitant du moment de foibleſſe,
Il lui gliſſa ſon fringant aiguillon ;
Otez-moi donc cela, Monſieur le Moinillon,
Dit la Nonain : à quoi le bon apôtre
Lui répartit : point tant d’émotion ;
Penez toujours, ce doigt-ci vaut bien l’autre.


AUTRE.


Maître Goudon, auſſi laid que le Diable,
Fait des enfans auſſi beaux que l’Amour ;
Sur quoi certaine Dame aimable
Lui demandoit un jour :
Comment cela ſe peut ? c’eſt, dit le perſonnage,
Que je n’en fais jamais avec mon laid viſage.


AUTRE.


De Vénus aux belles feſſes,
Du Dieu Bacchus, du Dieu Mars,
Vendôme dès ſa jeuneſſe
A ſuivi les étendarts ;
Vénus quelquefois friponne,
Reſpecta peu ſa perſonne
Et Bacchus l’enivra ; mais

Mars ne lui manqua jamais.

Chaulieu.

AUTRE.


Caire pouffé d’amour folâtre
Regardoit à ſon aiſe un jour
Les jambes plus blanches qu’albâtre,
De Roſe objet de ſon amour ;
Tantôt il s’adreſſe à la gauche,
Tantôt la droite le débauche ;
Je ne ſçai plus, dit-il, laquelle regarder,
Une égale beauté fait un combat entr’elles :
Ah ! dit Roſe, ami ſans plus tarder,
Mettez-vous entre-deux pour finir leurs querelles.


LE RAJEUNISSEMENT INUTILE.


Laimable Déité que l’Orient adore,
Qui préſide au matin, que ſuivent les Zéphirs
Le croiroit-on ? La jeune Aurore,
Du tendre Amour long-temps ignora les plaiſirs ;
Mais ſur la terre enfin du milieu de la nuë,
Allumant dans ſon cœur une flâme inconuë,
Par un mortel charmant ſes regards attirés,
Momens perdus, combien fûtes-vous réparés !

Toute entière à l’amour, quelle douleur profonde,
Lorſqu’au matin il fallut un moment
Remonter dans ſon char pour annoncer au monde
Des beaux jours qui n’étoient offerts qu’à ſon amant !
Ô jours délicieux ! plaiſirs inexprimables !
Ne pourriez-vous être durables ?
Tithon étoit mortel, hélas ! & ſes beaux ans
N’étoient point affranchis des outrages du tems,
Il fallut y céder, la peſante vieilleſſe
Dans les bras de l’Aurore oſe enfin le ſaiſir,
Injuſtice du ſort ! d’où vient que ce plaiſir
N’éterniſe pas ta jeuneſſe ?
Eh ! quoi, l’âge a glacé ce que j’aime le mieux,
Diſoit l’Aurore aux pleurs abandonnée ;
Quel remede à ſes maux ? Elle s’envole aux Cieux,
Jupin fléchit la deſtinée ;
Pour mon amant je t’implore aujourd’hui.
Ah, quel amant je poſſédois en lui,
Tout ce qui flatte un cœur ; de la Parque cruelle
Fais qu’il ſoit toujours reſpecté
Dans une jeuneſſe éternelle.
Eh ! qui peut mieux conduire à l’immortalité
Que d’être charmant & fidèle !
Ma fille, je ſens vos douleurs,
Dit le maître des Dieux, les beaux yeux de l’Aurore
Ne doivent verſer que ces pleurs ;

Enfant du doux plaiſir & l’ornement de Flore,
Rendez le calme à vos eſprits,

Le printemps de Thiton va revenir encore,
Je le fais immortel, mais ſachez à quel prix,
Le deſtin a parlé, telle eſt la Loi ſévere :
Déeſſe, chaque fois que Tithon obtiendra
De votre amour la preuve la plus chere,
D’un luſtre tout d’un coup cet amant vieillira ;
Ainſi de luſtre en luſtre abrégeant ſa carrière,
Sa jeuneſſe s’éclipſera.

Thiton eſt immortel, grand Dieu je vous rends grace,
S’écria-t-elle, embraſſant ſes genoux,
Ce que j’aime vivra, mon ſort eſt aſſez doux,
Elle dit, & des airs ſon char franchit l’eſpace,
Son cœur cède au Deſtin, non ſans quelques regrets.
Quoi ! d’éternels refus vont être déſormais,
De l’amour que je ſens le plus fidéle gage,
Tu dois, mon cher Tithon, m’en aimer davantage,
Tes beaux jours ſeront mes bienfaits,
Je ſçaurai malgré toi commencer mon ouvrage ;
Elle le croit ainſi : Je ne ſçai quel préſage
Me fait trembler pour le ſuccès.

Ô vous dont les crayons voluptueux & ſages

Des miſteres ſecrets des plus tendres amours,
Tracent modeſtement les plus vives images,
C’eſt à votre art divin, Muſes, que j’ai recours ;
Titon va recouvrer l’éclat de ſes beaux jours,
Il aime, il eſt aimé : quels tranſports vont remaître
Ô Muſe, hélas ! dans un inſtant peut-être
J’aurai beſoin de tout votre ſecours ;
Déjà la char porté d’une vîteſſe extrême,
A ramené l’Aurore auprès de ce qu’elle aime.

À ſes premiers regards, changement fortuné !
Des ans qui l’accabloient il n’a plus la foibleſſe,
Que dis-je ? cet amant à quinze ans ramené,
Brûle de nouveaux feux, tranſporté d’allègreſſe,
Reprend les agrémens que l’âge avoit ternis.
Quel retour ? quel moment pour deux cœurs bien unis !
Il tombe à ſes genoux, vainement la Déeſſe
Sur le ſort qu’il attend voudroit le prévenir ;
Un oracle… écoutez… elle ne peut finir,
Par cent mille baiſers il l’interrompt ſans ceſſe,
Et comment réſiſter long-tems ?
Quand le cœur eſt d’intelligence
L’amour, le tendre amour, emporte la balance ;
Tithon obtient un luſtre, & ſe trouve à vingt ans ;
Peut-etre qu’à préſent vous daignerez m’entendre,
Dit enfin la Déeſſe, empreſſement trop tendre !

N’y ſongeons plus ; alors du ſevére Deſtin
Elle lui déclara l’Oracle trop certain.

Dieux ! s’écria Tithon, quelle loi rigoureuſe ?
Quoi ! vainement je me verrois aimé
De l’objet le plus beau que l’amour ait formé ?
Non, je conſens plutôt qu’une vieilleſſe affreuſe…
Tithon, que dites-vous ? vous me faites trembler,
Quoi ? d’un ſi triſte hyver la langueur douloureuſe
Affoibliroit cette flâme amoureuſe,
Dont votre cœur recommence à brûler ?
Quand les ſombres chagrins viendroient vous accâbler,
Je pourrois m’imputer… non j’y fuis réſolue,
L’amour vous laiſſe encor ſes plus ſenſibles biens,
Nous paſſerons les jours dans ces doux entretiens,
Où l’ame avec tranſport ſe montre toute nuë ;
Nous aurons ces ſoupirs, ces aveux, ces ſermens,
Tant de fois répétés & toujours plus charmans,
Aſſez heureux de plaire, exempts d’inquiétude
Nous nous verrons toujours, nous ne ferons qu’aimer.

Ah ! quel bien vaut la certitude,
D’inſpirer tout l’amour dont on ſe ſent charmer ?
Ainſi, mais vainement, parla la jeune Aurore,
Le dangereux amour, avec malignité,
Aux yeux de ſon amant la rend plus belle encore ;

Et déja dans ſon cœur Tithon a concerté
L’ingénieux ſecret de fléchir la Déeſſe.

Vous m’aimerez toujours, dit-il, votre tendreſſe
Remplira ma félicité ;
Mais quand vous ne craignez pour moi que la vieilleſſe,
Mon cœur plus délicat prévoit les plus grands maux ;
Car enfin ſi le ſort qui me rend la jeuneſſe
M’en avoit donné les défauts ;
S’il rue forçoit d’être volage,
Votre beauté vous répond de mon cœur :
Mais je n’ai que vingt ans, à ce dangereux âge
De la confiance, hélas ! connoît-on le bonheur ?
Aſſurons, croyez-moi, le ſort de notre flâme,
Je le ſens bien, un luſtre à mon âge ajouté,

Suffira pour bannir à jamais de mon ame
Ces goûts capricieux, cette legéreté
Que la jeuneſſie embraſſe avec tant d’imprudence.
Eh ! quoi voudriez-vous, charmante Déité,
Faute d’un peu de prévoyance
Expoſer ma fidélité ?

Ô divine raiſon, que ta voix eſt puiſſante,
La Déefie ſe rend, & comment réſiſter ?
Déja ſon ame impatiente
De ſes conſeils brûle de profiter.

Que leur pouvoir eſt doux ! l’amoureuſe Déeſſe
Ne cherche, ne reſent que cette tendre yvreſſe
Qui la rend toute à ſon amant :
Quel bonheur de combler les vœux de ce qu’on aime,
Quand en croit ce bonheur même
Se l’attacher plus fortement !
Que j’aime à voir Tithon ! avec combien de zèle
Il ſe livre au plaiſir qui le rendra fidéle,
D’un amour délicat dignes emportemens !
Dans l’eſpoir d’acquérir une foi plus confiante,
Il profite ſi bien de ces heureux momens,
Que de vingt ans il paſſe juſqu’à trente.

Eh ! bien tendres amans, vous voilà raſſurés,
Vos cœurs ſont pour jamais l’un à l’autre livrés,
Vos vœux ſons-ils remplis ? hélas ! peuvent-ils l’être ?
D’un bonheur qu’on n’a point goûté,
On ſe prive aiſément, mais en eſt-on le maître
Lorſqu’on en a ſenti toute la volupté ?
Bientôt les craintes diſparoiſſent,
Les deſirs plus ardens renaiſſent,
Après mille combats, à céder quelquefois
La ſeule pitié l’autoriſe.

C’eſt par excès d’amour qu’à l’ombre de ce bois
La Déeſſe ſe rend, ici c’eſt par ſurpriſe,

L’Amour couvrant les yeux dévoilés ſéduiſans
Semble éloigner leur deſtinée,
Tithon ainſi dans la même journée
Se trouve à quatre-vingts ans.

La Déeſſe eſt en pleurs : ſéchez, dit-il, vos larmes,
J’ai vu de mon printems évanouir les charmes,
J’en regrette la perte & ne m’en repend pas ;
Ce que j’eux de beaux jours, du moins charmante Aurore,
Je les ai paſſés dans vos bras.
Rendez-les moi, Grand Dieu, pour les reperdre encore.
Ainſi vieillit Tithon, quelle injuſtice, hélas !
D’acquérir ainſi la vieilleſſe !
Et comment, quand on plaît, contraindre ſes deſirs !
Otez-en de ſi doux plaiſirs,
Je donne pour rien la jeuneſſe.

Par Moncrif.

ÉPIGRAMME.


Dans un verger Candel avec Nicole,
Pour n’être pris tandis qu’il exploitoit,
Contre un pommier tout de bout la bricole,
Si que chacun de ſon côté guétoit.

Or dans le temps que plus il la pointoit,
Nicole pâme, & lors toute éperdue,
Dit à Caddel qui toujours rabotoit,
Guéte tout ſeul, car j’ai perdu la vue.


AUTRE.


Doù vient, diſoit un jour Malzac à ſa donzelle,
Qu’en amour vous goûtez plus de plaiſir que nous.
Et que c’eſt nous pourtant qui courons après vous ?
Il eſt bien aiſé, ſe dit-elle,
D’en deviner la cauſe ? on la voit tous les jours.
Hé ! pauvres dupes que vous êtes,
C’eſt que nous ſommes toujours prêtes
Et vous ne l’êtes pas toujours.


SONNET.
LA FEMME ADULTERE.


Le Prophète cornu fit une Loi ſevére
Qui vange les Cocus, & flatte les Jaloux,
Puiſqu’il veut qu’on lapide une femme adultere ;
Conſultons un Légiſte & plus ſage & plus doux.

Ce ſera le Sauveur… puiſqu’en pareille affaire
Il appaiſa les Juifs & détourna les coups :

Lapidez, leur dit-il, celle qu’on vous défére,
Mais que le premier coup ſoit d’un Juſte entre vous.

Il ſçavoit qu’en amour la faute eſt ſi commune,
Qu’il faudrait lapider & la blonde & la brune,
Mais il étoit venu pour ſauver les pécheurs.

Juges, quittez la Loi, & ſuivez l’Évangile,
Si l’Aſtre dominant fait la Belle fragile,
Que l’Époux ſoit Moyſe, & ſoyez des Sauveurs.


ÉPIGRAMME.


Aur… ſollicitoit la charmante Milhot
De la faveur que plus on priſe ;
Mais elle avec un ton dévot
Lui dit, craignant d’être ſurpriſe,
Qui, moi vouloir d’un Huguenot,
D’un ennemi de notre Égliſe !

Aur… depuis ſe convertit,
Dit qu’il n’étoit plus hérétique,
Et la belle Milhot voulut qu’il la f…
Tant elle eſt bonne Catholique.


LA CONFESSION.


Un Pénitent s’accuſoit l’autre jour
De trop vâquer à certain exercice,
Que dans le monde on nomme jeu d’amour

Et qu’a confeſſe on nomme un très-grand vice.
Le Confeſſeur lui dit : ce funeſte penchant
Au feu d’Enfer vous va précipitant ;
Détruiſez-en l’habitude maudite,
Plus on le fait, plus l’aiguillon s’excite,
Vous le ſçavez. C’eſt par néceſſité
Que je le fais, dit l’autre, on s’éclaircit la vue
Par ce moyen. Ah ! que vous êtes gruë,
Dit le Pater, d’un grand zèle emporté.
Ne voyez-vous donc pas que de vous on ſe raille ?
S’il étoit vrai, mon fils, en vérité,
Je vous verrois à travers la muraille.

L’Abbé de Grécourt.

ÉPIGRAMME.


Un Médecin s’accuſoit d’avoir fait
De va Vénus un petit Ganimede.
Le Confeſſeur lui dit : ah ! bouc infect,
Tiſon d’enfer, quel Démon te poſſéde ?
Pourquoi trouvant un innocent reméde
Contre la chair, te damner pour ſi peu ?
L’autre répond, qu’il a lu que ce jeu
Rend l’œil plus clair, les viſieres plus nettes.
Hé ! gros butor, reprit le moine en feu,
S’il étoit vrai, porterois-je lunettes ?

Rouſſeau.

AUTRE.
L’AVEU INGENU.


Un jour que Madame dormoit
Monſieur f…… la Chambriere ;
Mais elle qui la danſe aîmoit,
Remuoit fort bien le derrière.
Lors la ſervante trop altiere,
Lui dit : Monſieur, par votre foi,
Dites qui le fait mieux de Madame ou de moi ;
C’eſt toi, dit-il, ſans contredit ;
Vraiment, dit-elle, je le crois,
Car tout le monde me le dit.


L’OCCASION PERDUE RECOUVRÉE,
Ou les Amours de Liſandre.

1.


Un jour le malheureux Liſandre
Pouſſé d’un amour indiſcret,
Attaquoit Cloris en ſecret
Qui ne pouvoit plus ſe défendre.
Tout favoriſoit ſon amour ;
L’Aſtre qui nous donne le jour
Alloit porter ſes feux dans l’onde,
Et cet ennemi de Cypris

Ne laiſſoit de lumière au monde
Que dans les beaux yeux de Cloris.

2.

Avec un amoureux ſilence,
Dans un ſecret appartement,
Elle ſupporte doucement
Son amour & ſa violence.
Ses bras qu’elle veut avancer
Ne ſervent à le repouſſer
Que pour l’attirer davantage.
Elle le ſouffre a ſes genoux,
Et n’a ſeulement pas courage
De lui dire : Que faites-vous ?

3.

Avec un air doux & ſévére
Elle regarde ſon Amant,
Et lui montre confuſément
De l’amour & de la colere.
Liſandre, dit-elle tout bas,
Je crierai, car ne penſez pas
Que je contente votre envie ;
Ceſſez d’attaquer mon honneur,
Ou commencez d’avoir ma vie
Comme vous avez eu mon cœur.

4.

Mais Liſandre auſſi peu timide
Qu’il étoit beaucoup amoureux,
Imprime l’ardeur de ſes feux

Sur les bords de ſa bouche humide.
Il gliſſa ſa brûlante main
Sur la neige de ſon beau ſein,
Dont il prétend fondre la glace ;
Et la tenant entre ſes bras
Il oſe porter ſon audace
Sur un lieu plus ſaint & plus bas.

5.

Là ſans reſpect & ſans relâche
Il cherche l’objet de ſes vœux,
Et trouve ce lieu bienheureux
Deſſous la juppe qui le cache.
De ſes doigts tremblans & hardis
Il prend le ſombre Paradis
Qui donne l’enfer à nos ames,
Ce trône vivant de l’amour,
Où parmi les feux & les flâmes
On ne trouva jamais le jour.

6.

Attachés bouche contre bouche,
L’un & l’autre étroitement pris,
Il ébranla ſi bien Cloris
Qu’il la jetta ſur une couche.
Alors avec des yeux roulans,
Demi vifs & demi mourans,
Elle feignit d’être pâmée,
Et dans un ſi prompt changement,

Ne parut plut être animée
Que par des ſoupirs ſeulement.

7.

À voir ſa Gorge toute nuë,
Son Corps tout du long étendu,
On jugeoit qu’elle avoit perdu
La pudeur & la retenue.
Que ſa conftance étoit à bout,
Que ſon Liſandre pouvoir tout,
Et qu’elle l’eût laiſſé tout faire ;
Mais par un accident fâcheux
Que je dis & doit ſe taire,
Il ne ſe paſſa rien entr’eux.

8.

Près de goûter mille délices,
Ce triſte & malheureux Amant,
Vit changer ſon contentement
En de très-rigoureux ſuppIices ;
Il étoit couché ſur Cloris ;
Lorſqu’il demeura tout ſurpris
D’une infortune ſans ſeconde,
Et que pour le comble d’ennui,
Ce qui donne la vie au monde,
Demeura froid & mort en lui.

9.

Cet Arc-boutant de la nature,
Ce principe du mouvement,

Immobile & ſans ſentiment
Perd ſa vigueur & ſa figure ?
Liſandre a beau ſe tourmenter,
Il a beau ſe ſolliciter,
Et lui préparer des amorces ;
Ce lâche qu’il excite en vain ;
Au lieu de reprendre ſes forces
Pleure mollement dans ſa main.

10.

Dans cette cruelle avanture,
Triſte, déſeſperé, confus,
Ce pauvre Amant ne ſonge plus
Qu’à renoncer à ſa nature.
Dans la fureur de ſes tranſports,
Craignant que malgré ſes efforts
On ne l’accuſe d’impuiſſance,
Il prend par un air languiſſant
Des Témoins de ſon innocence
Sur le crime auquel il conſent.

11.

Cependant Cloris revenue
De ſon feint aſſoupiſſement,
Porte les deux mains promptement
Deſſus ſa cuiſſe toute nue.
Là par deſſein ou par hazard
Elle empoigna ce Dieu camard,
Ce chaud Priape de la Fable ;
Mais le ſentant froid & rempant,

Et le crut que c’étoit un Diable
Sous la figure d’un Serpent.

12.

Jamais une jeune Bergere
Ne retira plus promptement
Sa main qui trouve innocemment
Un Aſpic deſſous la fougere.
Que Cloris fit ſa belle main
Sur ce membre vil, lache, & vain
Quelle trouva deſſous ſa robe,
Lorſqu’avec un juſte dépit
Elle ſe leve & ſe dérobe,
Des bras de Liſandre, & du lit.

13.

Dans la colere qui j’emporte
Elle pouſſe ce pauvre Amant,
Et ſans l’écouter ſeulement
Se diſpoſe à gagner la porte ;
Alors Liſandre à ſes genoux,
Lui dit : Cloris, que faites-vous ?
Ah ! du moins écoutez mes plaintes,
Et regardez dans mon malheur
Toutes les plus vives atteintes
De l’amour & de la douleur.

14.

Ma chere Cloris, je vous aime
Plus que les délices des Cieux.

Plus que les hommes & Dieux,
Et mille fois plus que moi-même
Je brûle d’une vive ardeur ;
Et cette nouvelle froideur
Ne doit pas vous paroître étrange ;
Je ſçais bien comme il faut aimer ;
Mais pour m’ôter des bras d’un Ange
Un Diable eſt venu me charmer.

15.

Quelque ennemi de la nature
Trouble mes ſens & ma raiſon ;
Et de ſon funeſte poiſon
Souille une flâme toute pure.
Peut-être auſſi ſont-ce les Dieux,
Qui ſe voyant moins glorieux,
M’ont voulu rendre miſérable ;
Mais que dis-je ? Ils ſont innocens,
Cloris toute ſeule eſt coupable,
Elle ſeule a charmé mes ſens.

16.

C’eſt ſa beauté qui dans mon ame
A joint le reſpect à l’amour ;
C’eſt ſon œil plus beau que le jour
Qui fit naître & mourir ma flâme :
Heureux dans ma captivité,
Si j’oſois avec liberté
Jouir d’une grâce imprévue,

Et de tous mes ſens tranſportés,
Je n’y réſerve que la vue
Pour admirer tant de beautés.

17.

Quoiqu’il en ſoit, mon adorable.
Avant que vous quittiez ces lieux,
Souffrez que je perce à vos yeux
Un cœur fidele & miſérable ;
Je veux expier en mourant
Un crime ſi noir & ſi grand,
Qui choque la nature même,
Et que pour vanger vos appas
Ma mort vous témoigne que j’aime,
Si mes ſoupirs ne le font pas.

18.

Il alloit parler davantage
Pour exprimer ſon déſeſpoir,
Et peut-être qu’il eût fait voir
De ſanglants effets de ſa rage ;
Lorſque l’arrêtant par le bras,
Cloris lui dit : ne parlez pas,
J’entends quelqu’un qui ſe promene,
Et je vois avec un grand bruit
Porter dans la chambre prochaine
Les ſombres flambeaux de la nuit.

19.

Soudain une voix entendue

Redoubla ſon étonnement,
Et lui fit dire promptement :
Cher Lyſandre je ſuis perdue !
Ha ! ceſſez de me retenir,
C’eſt mon mari qui va venir,
Je l’entends, il eſt à la porte ;
Il faut toujours craindre un jaloux,
Et vous dont la vigueur eſt morte,
Comment lui réſiſterez-vous ?

20.

Lors cette belle tranſportée
D’amour, de crainte & de ſouci,
Mena notre amoureux tranſi
Près d’une fenêtre écartée :
Là, ſans beaucoup de compliment
Il ſe gliſſa légérement
Et deſcendit dedans la rue,
Où preſſé d’un mortel ennui,
Il fit long-tems le pied de grue,
Et puis ſe retira chez lui.

21.

Frappé de la funeſte envie
Qui fait la honte & le remords,
Il ſouffrit plus de mille morts.
Du dernier malheur de ſa vie.
Quoiqu’alors les jours fuſſent grands
Cette nuit lui dura mille ans,

Il ne peut fermer la paupiere ;
Sur le point du jour ſeulement,
Honteux de revoir la lumiere,
Il la ferma languiſſament.

22.

Le Soleil qui chaſſe les ombres
Et toutes les horreurs des nuits,
Loin de diſſiper ſes ennuis,
Les rendit plus noirs & plus ſombres.
Quand il vit ce pere du jour,
Il crut par un excès d’amour,
Voir de Cloris la vive image ;
Mais il connut dans un moment,
Comme Ixion ſur le nuage,
Que ſon amour n’étoit que vent.

23.

Après mille ſecretes gênes,
Cet Amant par un digne effort,
Réſolut de chercher la mort,
Ou bien le remede à ſes peines.
Ha ! je ne crains plus mon malheur,
Je mourrai, dit-il, de douleur,
Ou je réparerai ma gloire,
Et quoiqu’il en ſoit dans ce jour,
Je remporterai la victoire
Ou de la Mort ou de l’Amour.


24.

Le bouillant deſir qui le preſſe
Fait que d’abord après dîner
Il ſort, & va ſe promener
Près du logis de ſa maîtreſſe ;
À peine y fut-il un moment
Qu’il en vit ſortir Dorimant,
Le vieux Mari de cette Belle ;
Et ſe gliſſant dans ſa maiſon,
Il alla chercher auprès d’elle,
Ou ſa mort, ou ſa guériſon.

25.

Par une ſecrette avenue
Il fut dans ſon appartement,
Et la trouva nonchalament
Dormant ſur ſon lit étendue.
Mais Dieux ! que devint-il alors ?
Qu’en approchant de ce beau corps,
Il eut des mouvemens étranges ;
Lorſqu’une cuiſſe à découvert
Lui fit voir la beauté des Anges,
Et le Ciel de l’Amour ouvert.

26.

Dans cette agréable ſurpriſe,
Où Cloris n’avoit pas ſongé,
Elle avoit aſſez mal rangé
Et ſes jupons & ſa chemiſe.

Liſandre auſſi trop curieux
Vit lors les délices des Dieux,
La peine & le plaiſir des hommes,
Notre tombe & notre berceau,
Ce qui nous fait ce que nous ſommes,
Et ce qui nous brûle dans l’eau.

27.

Nid branlant qui nous ſert de mue,
Aſyle où l’on eſt en danger,
Racourci qui fais allonger
La choſe la moins étendue.
Fort qui ſe donne & qui ſe prend,
Œil ouvert qui ris en pleurant,
Belor, beau corail, belle yvoire,
Doux canal de vie & de mort,
Où pour acquérir de la gloire
On fait naufrage dans le port.

28.

Petit tréſor de la nature
Étroite & charmante priſon,
Doux tyran de notre raiſon,
Vivifiante Sépulture ;
Autel que l’on ſert à genoux,
Dont l’offrande eſt le ſang de tous,
Sangſue avide & libérale,
Roi de la honte & de l’honneur,

Permettez que ma plume étale
Ce que Liſandre eut de bonheur.

29.

Beau compoſé, belle partie,
Je ſçai bien que lorſqu’il vous vit
II n’obſerva deſſus ce lit
Ni l’honneur, ni la modeſtie.
Mais d’amour & de charité,
Il couvrit votre nudité
Pour faire évaporer ſa flâme,
Et ſavoura tous les plaiſirs
Que le corps fait ſentir à l’ame
Dans le tranſport de nos deſirs.

30.

Ce beau Dedale qu’il contemple
Avec des yeux éteincellans,
Fait naître & couler dans ſes ſens
Une ardeur qui n’a point d’exemple.
Le feu qui conſume ſon cœur,
Porte par-tout ſa vive ardeur,
Et brille enfin ſur ſon viſage ;
Et ce lâche de l’autre jour
Se roidiſſant d’un fier courage,
Écume du feu de l’amour.

31.

Plein d’ardeur, d’audace & de joie,
De remporter un ſi beau prix.

gaimant ſauta ſur Cloris
Comme un Faucon deſſus ſa proye.
Quand cette belle ouvrant les yeux,
Vit Liſandre victorieux
Forcer ſes défenſes ſecretes,
Et la tenant par les deux bras,
Entrer tout fier de ſes conquetes
En un lieu qu’on ne nomme pas…

32.

Tandis que Cloris ſe tourmente
Par des doux & puiſſants efforts,
Et qu’elle agite tout ſon corps
Pour ſauver ſa vertu mourante ;
Son heureux Liſandre aux abois
Roule les yeux, & perd la voix ;
L’amour fait écouler ſon ame,
Elle eſt toute prête à partir ;
II s’étend, il dort, il ſe pâme,
Et ne ſent rien pour trop ſentir,

33.

D’abord que ſon ame ravie
De l’excès d’un plaiſir ſi grand,
Eut par un ſoupir tout brûlant
Donné des ſignes de ſa vie,
Cloris avec ſa belle main
Ôta la bouche de ſon ſein
Où ſon Amant l’avoit collée,

Et ſe déchargeant peu à peu,
Honteuſe de ſe voir mouillée
Eſſuya l’eau qui naît du feu.

34.

Après une colere feinte
De tout ce qui s’étoit paſſé,
Un reſte d’honneur offenſé
Porta Cloris à cette plainte :
Ha ! dit-elle, c’eſt fait de moi,
J’ai fauſſé l’honneur de ma foi,
Vous me perdez, cruel Liſandre,
Faut-il que malgré mon devoir
J’aye en un moment Iaiſſé prendre
Ce qu’on ne peut jamais ravoir.

35.

Mais ſi pour une faute extrême
On peut trouver quelque couleur,
Je puis dire dans mon malheur
Que j’ai failli parce que j’aime.
Amour, ce maître impérieux,
Force les Hommes & les Dieux,
Brûle juſqu’aux poiſſons dans l’onde,
Nul ne peut éviter ſes coups,
Et puiſque tout aime en ce monde,
Je puis brûler d’amour pour vous.

36.

C’eſt avec raiſon que mon ame

Reçoit l’amour d’un Favori ;
Ces noms de Vieux & de Mari
Font l’horreur d’une jeune femme :
Les Maris, ces lâches Tirans,
Ne ſe ſont faits nos conquérans
Que contre le droit de nature,
Et c’eſt en pratiquer la loi,
D’aller chercher la nourriture
Que l’on ne trouve pas chez ſoi.

37.

Mais les hommes font infidéles,
Ils n’aiment jamais plus d’un jour,
Et ſouvent de tout leur amour
Ils ne retiennent que les aîles.
Eſclaves de la liberté,
Ils font voir leur légéreté
Dans leur geſte, ou dans leur langage,
Et par un plaiſir indiſcret,
Ces oiſeaux ſortant de la cage
Vont conter tout ce qu’ils ont fait.

38.

Trop juſte & trop aimé Liſandre,
S’il en étoit ainſi de vous,
Je percerois de mille coups
Ce cœur qui s’eſt laiſſé ſurprendre.
J’ai tout perdu pour vous gagner,
Voudriez-vous pour me ruiner

Évanter ma ſecrete flâme !
Et tirerez-vous vanité
De la foibleſſe d’une femme,
Et de votre légéreté ?

39.

Ha ! que plutôt la mort m’avienne,
Cria Liſandre à ce diſcours,
Dont pour interrompre le cours
Il mit ſa bouche ſur la ſienne ;
L’élevant de terre, il la prit,
Et la coucha deſſus le lit,
Où je ne ſçai pas ce qu’ils firent,
Je crois bien qu’ils firent cela…
Puiſque les Amours qui les virent
M’ont dit que le lit en trembla.

40.

Ce fut alors qu’ils ſe pâmerent
De l’excès des contentemens,
Que cinq ou ſix fois ces Amans
Moururent & reſſuſciterent ;
Que bouche à bouche, corps à corps,
Tantôt vivans & tantôt morts
Leurs belles âmes ſe toucherent,
Et que par d’agréables coups
Leurs beaux corps ſe communiquerent
Tout ce que l’amour a de doux.


Muſes, n’échauffez plus ma vaine,
De grâce arrêtez-vous un peu,
Vous m’inſpirez un autre feu
Que celui de votre Fontaine.
Je ne ſçai quoi dedans mon cœur
Se gliſſe avec tant de douceur
Que je ſuis forcé de me rendre.
Ah ! Françon quand je m’en ſouviens
Je m’imagine être Liſandre,
Et me ſemble que je vous tiens. *


* On dit que le grand Corneille compoſa cette Romance, dans ſa jeuneſſe, & que s’en étant repenti, il mit l’Imitation de J. C. en vers, croyans par là en faire pénitence.


ÉPIGRAMME.


Un jeune gars de bonne mine,
S’accuſoit à certain Frappart,
D’exploiter en ſecret une ſienne voiſine.
Mon fils, lui dit le Papelard,
Eſt-elle genre ? Elle eſt divine,
Lui répondit le Jouvenceau
Elle a le teint vermeil, le corſage très-beau,
Le cul très-rond, c’eſt un friand morceau,
Oncques ne fut plus attrayante brune.

Ho ! le paillard ! quelle fortune !
Et ſon logis du tien eſt-il fort écarté ?
Sous même toit. Quelle commodité !
Par-deſſus tout, ajouta notre drôle,
C’eſt qu’il ne m’en coûta jamais la moindre obole.
Ah ! dit le Moine, quel marché !


AUTRE.


Aux pieds d’un vieil Hermite, un jeune Adoleſcent,
Le Carême dernier, dit en ſe confeſſant,
Que par un accident finiſtre,
Dont il avoit bien du regret,
Il avoit trois fois en ſecret
F… la femme d’un Miniſtre.
Alors le bon Hermite, homme plein de ſçavoir,
Dit lors, f… une femme eſt un crime bien noir
Quand c’eſt celle d’un Catholique ;
Lorſqu’on s’en dit coupable, à l’inſtant je frémis ;
Mais pour celle d’un Hérétique,
B… c’eſt autant de pris ſur l’ennemi.


AUTRE.


Lamartinier
aux pieds d’un Capucin
Se confeſſoit qu’une jeune Nonain,
L’avoit prié de l’amoureuſe affaire.

le fîtes-vous ? Nenni, de par ſaint Pierre
Onc je ne ſuis ſouillé de tels forfaits.
Pieu d’Iſraël ! dit le révérend Pere,
Conduis un tel gibier dans mes rets,
Puis tu verras, ſi je n’oſe le faire.


AUTRE.


Leſc…
eſt encor pucelle,
Car elle n’a juſqu’à préſent
Vécu qu’en manualiſant
Son C.. avec une chandelle.


LES DEUX COUSINES.


La vertu, l’eſprit & l’eſtime
Peuvent ſeuls triompher de moi
Je ne ſerai jamais victime
D’un bel homme, fût-il un Roi.
Quoi, Madame ! ſi l’Amour même
Vous montroit ſon Dard' ſéduiſant,
Votre rigueur ſeroit extrême ?
Ce trait eſt pourtant bien plaiſant,
Et demande hardiment l’aumône ;
Couſine, tu te trompes fort,
Je m’en f…ois eût-il un aune.
Je me tais nous ſommes d’accord.


ÉPIGRAMME.


Un Cordelier faiſoit l’œuvre de chair,
Et s’ébattoit en fêtoyant ſa mie,
Son Compagnon lui dit : frere très-cher,
Il faut pourtant aller chanter Complies,
Lors le Frater dit : parbleu je m’oublie ,
Sus, haut le cul, dépêchons-nous, Gogo,
Je reviendrai, ſi Dieu me prête vie,
Dès que j’aurai chanté Tantum ergo.

Rouſſeau.

LE PSEAUTIER.


Du pieux Roi David que les Pſeaumes ſont beaux !
Ma fille en vous couchant faites-en la lecture,
Éclairez-vous de ces flambeaux,
Votre ame ſera toujours pure.
Je vous prête mon grand Pſeautier ;
Plût à Dieu, ma chere Iſabelle,
Que vous le ſçuſſiez tout entier !
Oui, Maman. Voici donc la belle
Qui prend le ſaint Livre, & le met,
Sans trop grand deſir de le lire
Très-promptement ſous ſon chevet.

Or elle attendoit un beau Sire.
Il vint, & les tendres ébats
Agitant draps & couverture,
Le Pſeautier deſcendu plus bas
Se trouve au fort de l’avanture.
Bien plus, car du prudent ami
La relieure toute neuve,
D’un plaiſir qui n’eſt qu’à demi
Reçut une abondante épreuve.

Le matin la Mere arriva,
Et ne vit pas l’Amant ſans doute,
Mais ſon cher volume trouva
Tout maculé, tout en déroute,
À l’œil, au tact, à l’odorat,
Elle frémir, elle ſoupçonne.
Mon Pſeautier eſt en bel état !
Parlez-moi, petite friponne ?
Je ne ſçais pas d’où vient cela,
En faute aſſurément je ne ſuis point tombée,
Sinon que j’ai rêvé que David étoit là
Qui me prenoit pour Bethzabée.

Grécourt.

LA RELIGIEUSE DÉLIVRÉE DE SES VŒUX.


Par un carroſſe, alloit prendre les eaux
La Mere Agnès, jeune Religieuſe ;
Probablement le plus grand de ſes maux
N’étoit au fond qu’une fiévre amoureuſe.
Un Capitaine en fut d’abord tenté,
Qui dès le ſoir, après mille careſſes,
La délivra du vœu de Chaſteté.
De part & d’autre on ſe fit des promeſſes,
D’être fidéle. Hélas ! mon cher Époux,
Je vous promets de n’obéir qu’à vous,
Mon cher Papa, mon cœur s’écrioit-elle,
Oui, je vous jure une ardeur éternelle.
Le lendemain notre homme déjà las
D’être amoureux, dit a ſon camarade
Telle choſe eſt. Je ne manquerai-pas,
Repliqua-t’il, de prendre l’accolade.
Le dîner vint, où le galant nouveau,
Expéditif & plein de bienveillance,
L’ayant menée à l’ombre d’un ormeau,
La délivra du vœu d’Obéiſſance.
Or du voyage étoit un Financier
Qui juſtement faiſoit le quatrieme :
Ayant trouvé de retour l’Officier,

Il ſçut de lui ce nouveau ſtratagême.
Quoi donc ! moi ſeul, n’en aurai pas tâte !
Si vous voulez, dit-il, être des nôtres,
Délivrez-là du vœu de Pauvreté,
Vous ferez plus que les deux autres.

Le même.

ÉPIGRAMME.


Certain Abbé ſe manualiſoit
Tous les matins penſant à ſa voiſine.
Son Confeſſeur l’interrogeant, diſoit :
Vertu de froc ! c’eſt donc beauté divine ?
Ah ! dit l’Abbé, plus gente Chérubine
Ne ſe vit onc, c’eſt miracle d’amour ;
Tetons, Dieu ſçait ! & croupe de Chanoine,
Toujours j’y penſe, & même encore ici
Je fais le cas. Pardieu ſe dit le Moine,
Je le crois bien, car je le fais auſſi.

Rouſſeau.

CONTE.


Un Capucin exploitoit ſœur Colette,
Mal à ſon aiſe, au travers du parloir.
Ah, quel travail ! lui diſoit la Nonette.

Bien mieux au lit ferions un tel devoir.
Ma chere ſœur, reprit le Moine noir,
Un tel penſer vient de l’eſprit immonde,
Dieu ne nous fit pour nos aiſes avoir
En ce bas lieu comme les gens du monde.

Le même.

AUTRE.


Un Moine à barbe exploitant une Sœur,
Réiteroit ſouvent ce doux labeur.
Ah ! c’eſt aſſez, finiſſons, lui fit-elle,
On ſonne au chœur, je vais où Dieu m’appelle.
Eh, quoi ! ſi vîte, encore un pauvre Ave,
Encor ma ſœur, & puis je me retire.
Qu’un Ave ! ſoit. Voyons, je vais le dire,
Ça, faites donc, j’y joindrai le Salve.


AUTRE.


Tout en vuidant de bon vin un plein broc,
Un Cordelier, un Carme, un Barnabite,
Parloient des vœux de la gent porte froc,
Vœux qui peſoient au trio cénobite.
Freres, dit l’un, ce vœu de pauvreté
Eſt bien gênant. Quelle félicité
D’avoir à tas les lingots du Mexique !
L’autre répond, il eſt bien douloureux

D’être forcé d’obéir ſans replique
Aux dures loix d’un Prieur deſpotioue,
Oh ! qu’il en coûte & queJ fort rigoureux !
Le Cordelier, gars a puiſſant corſage,
L’interrompant avec vivacité :
Morbleu, dit-il, le vœu de chaſteté,
(Las je le ſçais) coûte bien davantage.

Dulard.

AUTRE.


Par les Prélats, diſoit une Laïs,
Graves Paſteurs & Philoſophes rogues,
Les doux plaiſirs de l’amour ſont proſcrits,
Contre le ſexe aboyant en vrais dogues,
Ils prêchent haut dans leurs triſtes écrits
La continence à tous tant que nous ſommes.
De Cytherée ils ſappent les Autels,
Et cependant ces auſteres mortels
Viennent chez moi comme les autres hommes.

Le même.

AUTRE.


Un jeune gars ſe confeſſoit un jour
Devoir f… certaine Bachelette.
Son Confeſſeur l’arrêtant là tout court,

Lui dit : mon fils, combien cette choſette
Avez-vous fait ? il eſt bon de ſçavoir
Le cas entier ; & que rien ne s’oublie :
Plus on en dit, & plus le crime eſt noir.
Ça la Galante étoit-elle jolie ?
Jeune ſans doute ? elle a quinze ans, au plus,
Lui répondit le pénitent confus :
Pour la beauté c’eſt choſe plus qu’humaine,
Son teint, c’eſt lys ? ſa bouche, c’eſt corail ;
Fermes tetons & cuiſſe qu’avec peine
On peut pincer, & je ne pus lui faire
Qu’un coup cela, dont j’ai le cœur dolent.
Un coup ſans plus, dit le Révérend Pere,
Vous étiez donc malade, mon enfant !


LE JUBILÉ.


Au Jubilé, comme ſage,
Je voulois ſelon l’uſage,
Faire mes dévotions.
Suivant l’ordre du Saint Pere
Je me dépêchois de faire
Trois ou quatre Stations ;
J’allois d’Égliſe en Égliſe
Quand d’un air tout de franchiſe
Une Gueuſe m’aborda.
À cette attaque imprévue,
D’abord je baiſſai la vue,

Mais le Diable me tenta.
Elle me conduit chez elle,
Et je fus de la Donzelle
Paſſablement régalé ;
Si bien qu’en cet exercice
Je perdis le Jubilé
Et gagnai la Chaude-piſſe.


LES BONNES RELIGIEUSES.


Jadis Iogeoit près d’un Couvent femelle
Certain Quidam, friand d’un tel Gibier,
Et chaque nuit il voyoit ſans chandelle
Par l’huis ſecrct entrer maint Cordelier.

Si faut-il bien, dit-il, de cette porte
Tâter auſſi. Pour ce mit une nuit
L’habit clauſtral, & parmi la cohorte,
Deſſous le froc fut d’abord introduit.
Or il n’entroit qu’autant de béats Peres
Qu’elles étoient de révérendes Meres ;
Fixe en étoit le nombre au rendez-vous :
Chacun trouvoit toujours même monture,
Et là par rang ils ſe pourvoyoient tous.
Advint qu’en fin Pere Bonaventure
Ne trouvant point de gîte, oh qu’eſt ceci ?
Dit-il, puis le long de la Sale

S’en va tâtant & trouva tout rempli ;
Tout étoit double, & d’une ardeur égale,
Tous travailloient en fils de St François.
Alte-là, dit le Moine, en élevant ſa voix,
Il eſt ici du mécompte, mes Peres.
Mais de ce bruit nos Moines peu diſtraits
Crierent tous, ſans quitter leurs affaires,
Allons toujours nous compterons après.


L’EXPERIENCE FAIT LA SCIENCE.


Le jour que Jean ſe maria
Et qu’il eut dans la nuit fait rage,
Sa femme au matin me pria
Du reſte de ſon pucelage.
Je la f… de grand courage,
Trois, fois, ſavourant ſes beaux yeux,
Puis me dit d’un air gracieux :
Ami, ce que je viens de faire
N’eſt que pour ſçavoir quel vaut mieux
Le mariage ou l’adultere.


ÉPIGRAMME.


Au lit de mort une vieille à confeſſe,
Qui cinquante ans ſous Vénus travailla,
À Bourdaloue exageroit ſans ceſſe
Les doux plaiſirs dont amour la combla.

Oh, ça, lui dit l’enfant de Loyola,
Songez à Dieu, Je le voudrois, dit-elle,
Mais j’ai toujours un b… de v… là.
Même en mourant qui me f… la cervelle.


LES PÂLES-COULEURS.

Lorſque la Jeanne avoir la pâle maladie,
Elle ſut conſulter les Oracles divers :
Voir quel remede étoit pour garantir ſa vie.
Il lui fut répondu : Belle fille Mamie,
Ton remede eſt écrit à côté de ces vers.


AUTRE.


Avec ſa Chévre un Florentin
Fut ſurpris dans un cas vilain.
D’abord on ſaiſit le coupable
Avec ſa chévre miſérable,
Brûlé ſur l’heure. Ah, mes Seigneur !
Crioit notre homme tout en pleurs,
Daignez m’écouter, je vous prie,
Je ne l’ai pas fait méchament,
Je voulois faire ſeulement
Un monſtre pour gagner ma vie :


CONTE.


On fait en Italie un Conte aſſez plaiſant,
Qui vient fort à propos. Un jour un Payſan,
Homme fort entendu, perſonnage de tête,
Comme on peut aiſément juger par ſa conquête,
S’en vint trouver le Pape, & voulut le prier
Que les Prêtres du temps, puſſent ſe marier,
Afin, lui diſoit-il, que nous puiſſions nous autres
Leurs femmes, exploiter, ainſi qu’ils ſont les nôtres.


AUTRE.


Certain Français, habitant de Florence ;
Se confeſſoit du péché de la chair,
À Pere Iſaac, qui lui dit : parlez clair,
Le cas eſt-il de Toſcane ou de France :
Expliquez-vous, car le point important,
Peu m’en ſouvient, dit l’autre en héſitant,
Le tout ſe fit à l’avanture,
Le Confeſſeur trouvant la choſe obſcure,
Cela, dit-il, faiſoit-il ric ou rac.
Ric, répondit le Pénitent ſincere.
Parbleu le cas, reprit le Pere Iſac,
Eſt du Toſcan, n’en doutez pas, compere.


LE CAPUCIN ET LA ROBE.
CONTE.


Le plus ſavant Eſculape,
Des accidens divers où s’expoſe Priape,
L’autre jour par un Capucin
Fut choiſi pour le Médecin
D’un mal dont il faiſoit miſtere,

Monfieur, lui diſoit ce bon Pere,
Avec un air tout déconfit,
Vous voyez quel eſt notre habit,
Dur & peſant, ſujet à la pouſſiere.
Plus mortifiant qu’une haire.

Mais nonobſtant cet embarras
Et la frugalité de nos maigres repas
Que preſcrit une Regle auſtere,
Un mouvement involontaire
M’a provoqué l’érection,
Et m’a fait, par la friction
D’une laine dure & groſſieres,
Cette excoriation,
Dont je reſſens douleur amere
Et que je vous avoue avec confuſion.
Le Docteur rebattu de fadaiſes pareilles,
Ça, dit-il on pere voyons :

Vous nous contez ici merveilles ;
Mais en telle occaſion
J’en crois mes yeux & non pas mes oreilles.

Auſſi-tôt le Moine fripon
Trouvant ſon immonde jupon,
lui fait voir un oiſeau qui porte ſur ſa tête
Les rouges fleurons d’une crête,
Qui ne croiſſent jamais ſur celle d’un chapon.

Ah ! par ma foi le tour eſt drôle,
S’écria l’Eſculape, en voyant le poupon.
Pere, qui vous a fait ce don,
Vrai gibier de pharmacopole ?
C’eſt ma robe, dit-il, il n’eſt que trop certain.

Quittez-là donc, ſur ma parole,
Répliqua le railleur avec un ton malin,
Votre robe eſt une putain
Qui vous donnera la vérole.


L’Ave Maria, CONTE.


Dans un Couvent deux Nonettes gentilles,
Mais dont l’eſprit ſimple, doux, innocent,
Ne connoiſſoit que le Tour & les Grilles,
Tenoient un jour propos intéreſſant

De confidence & d’amitié fort tendre.
Notez qu’aucun ne pouvoit les entendre,
L’huis étoit clos. Fillettes de jaſer,
De s’appeller & ma chere & ma bonne,
De ſe donner ſaintement un baiſer,
D’y revenir ſans qu’aucune ſoupçonne
Que le Malin les induit à ce jeu.
Jeſus ma ſœur, dit la jeune Sophie,
Qu’on voit en vous les merveilles de Dieu !
Quelle beauté ! vous êtes accomplie,
Que ce bouton de roſe là me plaît !
J’y vois la main de la Toute-Puiſſance.
Et vous, mon cœur, reprit la ſœur Conſtance,
Peut-on vous voir, & ne pas l’adorer !
Tout eſt parfait, tout en vous m’édifie.
Lors le pieux examen ſur Sophie
Va ſon chemin. On admire ceci
Et puis cela ; tant que par avanture
En certain lieu que la folle nature
Fit à plaiſir, l’examen vint auſſi.
Pieux élans obligeamment myſtiques
Naiſſent alors à cet objet frappant.
Ma chere ſœur, l’agréable portique !
Le beau deſſein ! qu’il eſt ſimple & piquant !
Chez vous, ma ſœur, lui répliqua Sophie,
Mêmes appas, mon ame en eſt ravie,
Rien de ſi beau ne s’offrit à mes yeux.

Vous allez rire, il me prend une envie,
C’eſt de ſçavoir un peu qui de nous deux
À plus petit ce chef-d’œuvre des cieux.
C’eſt vous, ma ſœur ; non ma ſœur, je vous jure.
C’eſt vous ! eh, bien prenons-en la meſure,
Notre Roſaire eſt tout propre à cela.
On y procède. Eh, bon Dieu, dit Sophie,
Qui l’auroit cru ? vous l’avez, chere amie,
Plus grand que moi d’un Ave Maria.

Par Mr. R… de B.

AUTRE.
LES CANTHARIDES.


Comme ſouvent tout s’enfile ici-bas !
Des Bernardins pâturoient en lieu gras,
Près de leur clos vivoient des Bernardines.
Peignez-vous bien chaque choſe en ſon rang ;
Un bel étang nourriſſoit les béguines ;
Une Haye vive entourroit cet étang ;
Sur cette Haye étoient des Cantharides ;
Un vent ſurvint qui les jetta dans l’eau ;
Dans l’eau nageoient des grenouilles avides,
Par qui l’eſſain fut croqué bien & beau ;
Grenouille après ſervie au Réfectoire,
De ſa ſubſtance infecta la Nonain ;
D’où s’enſuivit l’eſclandre qu’on peut croire,

Un feu ſubtil & rien moins que divin.
Grand carrillon : ſi qu’au bruit du Tocſin
Vinrent, non pas les pompes de la ville,
Mais celles-la du Benoît Bernardin.
Comme ſouvent ici-bas tout s’enfile.

Par Piron.

AUTRE.
LA VEUVE INCONSOLABLE.


Un Carme étoit chez une veuve en pleurs,
Et de ſon mieux ſermonoit la Matrone.
La rhétorique ayant ſemé ſes fleurs,
Le tout ſans fruit, mon Ribaud vous la prône.
À la façon du Soldat de Pétrone,
Une, deux, trois, quatre, cinq & ſix fois ;
Rien n’opéra : donc le moine aux abois
Sort en donnant cette pleureuſe au diable.
Chacun s’enquiert. Eh, bien ! Pere Courtois ?
Cette femme eſt, dit-il, inconſolable.

Par le même.

AUTRE.
L’AVOCAT DISTRAIT.


Un Avocat plus diſtrait que Ménalque (a),
Sans ſa culotte étoit venu plaider,
Contre un mari qui ne pouvoir bander
Non plus qu’un mort au fond d’un catafalque.
En s’eſcrimant l’Orateur ſe trouſſoit,
Si qu’on voyoit ſon docteur qui pouſſoit
Ad hominem un argument en régle,
Et fiérement levoit ſa tête d’aigle.
Son Concurrent pour le mettre aux abois
Tout de ſon haut cria : Maître Lacroix,
Babillez moins & cachez votre choſe ; 
Vous l’avez-là dans un bel appareil !
Lacroix répond : nous perdons notre cauſe
Si ta Partie en produit un pareil.

Par Mr. R… B…

(a) De la Bruyere.


AUTRE.
REMEDE CONTRE LA TENTATION.


Quand de la chair le fougeux aiguillon,
Se révoltant, veut forcer ſa priſon,
Que faites-vous, demandoit certain Frere,

À ſon Prieur ? je me mets en priere,
Répondit-il. Moi je me jette à l’eau,
Dit un Beat. Moi, dit un Jouvenceau,
Parbleu, Meſſieurs, pour une bagatelle
Je ne ſçai pas chercher tant de façon ;
Je vais au but, & pour toute raiſon,
Au malin corps fais ſauter la cervelle.


LA MAITRESSE DE PLAINCHANT.


Une Abbeſſe inſtruiſoit une jeune Novice
Dans le chant propre à la Communauté,
Sur certain mot latin dans un Pſeaume uſité,
Qu’elle chantoit mal par malice.
Ce mot, à ce qu’un Auteur dit,
Eſt celui-ci : Conculcavit.
Entonnez-bien, lui diſoit-elle,
Tenez-moi bien, ferme ce con.
Hauſſez le cul : fort bien la belle,
Un peu plus haut encore : là, c’eſt bon.
Pour le vit faites-le bien Iong.
De cette ſyllabe allongée,
Je connois la meſure à fond :
Pere Blaiſe après le ſermon
Me l’a plus d’une fois montrée.

Par Mlle Anterieu.

LE PREMIER COUP DE VESPRES.
ÉPIGRAMME.


Un Cordelier exploitent gente None,
Qui paroiſvoit du cas ſe ſoucier ;
Prefto, prefto, diſoit le Cordelier,
Haut le gigot, le coup de Vêpres ſonne.
Ne vous troublez, lui répartit la bonne,
Ami, ce n’eſt encor que le premier.

Par Malzac.

LA RAGE D’AMOUR.


À Cupidon la belle & jeune Aminte,
Malgré l’hymen ſacrifioit toujours ;
Son pauvre Époux étoit en crainte
Qu’elle ne fît de nouvelles amours,
Il ne pouvoit en fermer la paupière,
Peſtoit, veilloit tant qu’il en expira.
Lui mort, Aminte ayant libre carrière
Se divertit en fille d’Opéra.
Grand bruit en fut ; ſon Curé crut devoir
L’en avertir : Vous vous perdez, Madame,
Changez de vie, ou c’eſt fait de votre ame.
Hélas Monſieur, je voudrois le pouvoir,
Lui répartit notre fringante veuve,

Mais plaignez-moi : tel eſt mon aſcendant,
De deux jours l’un me faut pratique neuve,
Cela me vient d’un accident fatal,
Ma modeſtie a cauſé tout mon mal.
À quatorze ans d’un chien je fus mordue,
L’avis commun fut qu’on me devoit nue
Plonger en mer. Nue on me dépouilla,
Honteuſe alors de me voir ſans chemiſe,
Incontinent je portai la main-là…
Où vous ſçavez, ſans jamais lâcher priſe ;
On me replonge : or qu’eſt-il arrivé ?
Mon corps alors, ô pudeur trop funeſte !
Par tout ailleurs du mal fut préſervé,
Hors cet endroit, où la rage me reſte.


MÉPRIS DES VOLUPTÉS.


Source délicieuſe, en miſeres féconde,
Que voulez-vous de moi, flâteuſes voluptés ?
Honteux attachemens de la chair & du monde,
Que ne me quittez-vous quand je vous ai quittés ?
Allez, honneurs, plaiſirs qui me livrez la guerre ;
Toute votre félicité
Sujette à l’inſtabilité
En moins de rien tombe par terre ;
Et comme elle a l’éclat du verre,
Elle en a la fragilité.


Ainſi n’eſpérez pas qu’après vous je ſoupire ;
Vous étalez en vain vos charmes impuiſſans ;
Vous me montrez en vain partout ce vaſte Empire,
Les ennemis de Dieu pompeux & floriſſans.
Il étale à ſon tour des revers équitables,
Par qui les grands ſont confondus ;
Et les glaive qu’il tient pendus
Sur les plus fortunés coupables,
Sont d’autant plus inévitables,
Que leurs coups ſont moins attendus.

P. Corneille.
FIN.