Le Pays des fourrures/Partie 1/Chapitre 6

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Hetzel (p. 38-47).

CHAPITRE VI

un duel de wapitis.


L’expédition avait franchi une distance de deux cents milles depuis son départ du fort Reliance. Les voyageurs, favorisés par de longs crépuscules, courant jour et nuit sur leurs traîneaux, pendant que les attelages les emportaient à toute vitesse, étaient véritablement accablés de fatigue, quand ils arrivèrent aux rives du lac Snure, près duquel s’élevait le fort Entreprise.

Ce fort, établi depuis quelques années seulement par la Compagnie de la baie d’Hudson, n’était en réalité qu’un poste d’approvisionnement de peu d’importance. Il servait principalement de station aux détachements qui accompagnaient les convois de pelleteries venus du lac du Grand-Ours situé à près de trois cents milles dans le nord-ouest. Une douzaine de soldats en formaient la garde. Le fort n’était composé que d’une maison de bois, entourée d’une enceinte palissadée. Mais, si peu confortable que fût cette habitation, les compagnons du lieutenant Hobson s’y réfugièrent avec plaisir, et, pendant deux jours, ils s’y reposèrent des premières fatigues de leur voyage.

Le printemps polaire faisait déjà sentir en ce lieu sa modeste influence. La neige fondait peu à peu, et les nuits n’étaient déjà plus assez froides pour la glacer à nouveau. Quelques légères mousses, de maigres graminées, verdissaient çà et là, et de petites fleurs, presque incolores, montraient leur humide corolle entre les cailloux. Ces manifestations de la nature, à demi réveillée après la longue nuit de l’hiver, plaisaient au regard endolori par la blancheur des neiges, que charmait l’apparition de ces rares spécimens de la flore arctique.

Mrs. Paulina Barnett et Jasper Hobson mirent à profit leurs loisirs pour visiter les rives du petit lac. Tous les deux ils comprenaient la nature et l’admiraient avec enthousiasme. Ils allèrent donc, de compagnie, à travers les glaçons éboulés et les cascades qui s’improvisaient sous l’action des rayons solaires. La surface du lac Snure était prise encore. Nulle fissure n’indiquait une prochaine débâcle. Quelques icebergs en ruine hérissaient sa surface solide, affectant des formes pittoresques du plus étrange effet, surtout quand la lumière, s’irisant à leurs arêtes, en variait les couleurs. On eût dit les morceaux d’un arc-en-ciel brisé par une main puissante, et qui s’entrecroisaient sur le sol.

Ils comprenaient la nature.

« Ce spectacle est vraiment beau ! monsieur Hobson, répétait Mrs. Paulina Barnett. Ces effets de prisme se modifient à l’infini, suivant la place que l’on occupe. Ne vous semble-t-il pas que nous sommes penchés sur l’ouverture d’un immense kaléidoscope ? Mais peut-être êtes-vous déjà blasé sur ce spectacle si nouveau pour moi ?

— Non, madame, répondit le lieutenant. Bien que je sois né sur ce continent et quoique mon enfance et ma jeunesse s’y soient passées tout entières, je ne me rassasie jamais d’en contempler les beautés sublimes. Mais si votre enthousiasme est déjà grand, lorsque le soleil verse sa lumière sur cette contrée, c’est-à-dire quand l’astre du jour a déjà modifié l’aspect de ce pays, que sera-t-il lorsqu’il vous sera donné d’observer ces territoires au milieu des grands froids de l’hiver ? Je vous avouerai, madame, que le soleil, si précieux aux régions tempérées, me gâte un peu mon continent arctique !

— Vraiment, monsieur Hobson, répondit la voyageuse, en souriant à l’observation du lieutenant. J’estime pourtant que le soleil est un excellent compagnon de route, et qu’il ne faut pas se plaindre de la chaleur qu’il donne, même aux régions polaires !

— Ah ! madame, répondit Jasper Hobson, je suis de ceux qui pensent qu’il vaut mieux visiter la Russie pendant l’hiver, et le Sahara pendant l’été. On voit alors ces pays sous l’aspect qui les caractérise. Non ! le soleil est un astre des hautes zones et des pays chauds. À trente degrés du pôle, il n’est véritablement plus à sa place ! Le ciel de cette contrée, c’est le ciel pur et froid de l’hiver, ciel tout constellé, qu’enflamme parfois l’éclat d’une aurore boréale. C’est ici le pays de la nuit, non celui du jour, madame, et cette longue nuit du pôle vous réserve des enchantements et des merveilles.

— Monsieur Hobson, répondit Mrs. Paulina Barnett, avez-vous visité les zones tempérées de l’Europe et de l’Amérique ?

— Oui, madame, et je les ai admirées comme elles méritent de l’être. Mais c’est toujours avec une passion plus ardente, avec un enthousiasme nouveau, que je suis revenu à ma terre natale. Je suis l’homme du froid, et, véritablement, je n’ai aucun mérite à le braver. Il n’a pas prise sur moi, et, comme les Esquimaux, je puis vivre pendant des mois entiers dans une maison de neige.

— Monsieur Hobson, répondit la voyageuse, vous avez une manière de parler de ce redoutable ennemi, qui réchauffe le cœur ! J’espère bien me montrer digne de vous, et, si loin que vous alliez braver le froid du pôle, nous irons le braver ensemble.

— Bien, madame, bien, et puissent tous ces compagnons qui me suivent, ces soldats et ces femmes, se montrer aussi résolus que vous l’êtes ! Dieu aidant, nous irons loin alors !

Ils pouvaient facilement distinguer…

— Mais vous ne pouvez vous plaindre de la façon dont ce voyage a commencé, fit observer la voyageuse. Jusqu’ici, pas un seul accident, un temps propice à la marche des traîneaux, une température supportable ! Tout nous réussit à souhait.

— Sans doute, madame, répondit le lieutenant ; mais précisément, ce soleil, que vous admirez tant, va bientôt multiplier les fatigues et les obstacles sous nos pas.

— Que voulez-vous dire, monsieur Hobson ? demanda Mrs. Paulina Barnett.

— Je veux dire que sa chaleur aura avant peu changé l’aspect et la nature du pays, que la glace fondue ne présentera plus une surface favorable au glissage des traîneaux, que le sol redeviendra raboteux et dur, que nos chiens haletants ne nous enlèveront plus avec la rapidité d’une flèche, que les rivières et les lacs vont reprendre leur état liquide, et qu’il faudra les tourner ou les passer à gué. Tous ces changements, madame, dus à l’influence solaire, se traduiront par des retards, des fatigues, des dangers, dont les moindres sont ces neiges friables qui fuient sous le pied ou ces avalanches qui se précipitent du sommet des montagnes de glace ! Oui ! voilà ce que nous vaudra ce soleil qui chaque jour s’élève de plus en plus au-dessus de l’horizon ! Rappelez-vous bien ceci, madame ! Des quatre éléments de la cosmogonie antique, un seul ici, l’air, nous est utile, nécessaire, indispensable. Mais les trois autres, la terre, le feu et l’eau, ils ne devraient pas exister pour nous ! Ils sont contraires à la nature même des régions polaires !… »

Le lieutenant exagérait sans doute. Mrs. Paulina Barnett aurait pu facilement rétorquer cette argumentation, mais il ne lui déplaisait pas d’entendre Jasper Hobson s’exprimer avec cette ardeur. Le lieutenant aimait passionnément le pays vers lequel les hasards de sa vie de voyageuse la conduisaient en ce moment, et c’était une garantie qu’il ne reculerait devant aucun obstacle.

Et, cependant, Jasper Hobson avait raison, lorsqu’il s’en prenait au soleil des embarras à venir. On le vit bien, quand, trois jours après, le 4 mai, le détachement se remit en route. Le thermomètre, même aux heures les plus froides de la nuit, se maintenait constamment au-dessus de trente-deux degrés[1]. Les vastes plaines subissaient un dégel complet. La nappe blanche s’en allait en eau. Les aspérités d’un sol fait de roches de formation primitive se trahissaient par des chocs multipliés qui secouaient les traîneaux, et, par contrecoup, les voyageurs. Les chiens, par la rudesse du tirage, étaient forcés de s’en tenir à l’allure du petit trot, et on eût pu sans danger, maintenant, remettre les guides à la main imprudente du caporal Joliffe. Ni ses cris ni les excitations du fouet n’auraient pu imprimer aux attelages surmenés une vitesse plus grande.

Il arriva donc que, de temps en temps, les voyageurs diminuèrent la charge des chiens en faisant une partie de la route à pied. Ce mode de locomotion convenait, d’ailleurs, aux chasseurs du détachement, qui s’élevait insensiblement vers les territoires plus giboyeux de l’Amérique anglaise. Mrs. Paulina Barnett et sa fidèle Madge suivaient ces chasses avec un intérêt marqué. Thomas Black affectait, au contraire, de se désintéresser absolument de tout exercice cynégétique. Il n’était pas venu jusqu’en ces contrées lointaines dans le but de chasser le vison ou l’hermine, mais uniquement pour observer la lune, à ce moment précis où elle couvrirait de son disque le disque du soleil. Aussi, quand l’astre des nuits paraissait au-dessus de l’horizon, l’impatient astronome le dévorait-il des yeux. Ce qui provoquait le lieutenant à lui dire :

« Hein ! monsieur Black ! si, par impossible, la lune manquait au rendez-vous du 18 juillet 1860, voilà qui serait désagréable pour vous !

— Monsieur Hobson, répondait gravement l’astronome, si la lune se permettait un tel manque de convenances, je l’attaquerais en justice ! »

Les principaux chasseurs du détachement étaient les soldats Marbre et Sabine, tous les deux passés maîtres dans leur métier. Ils y avaient acquis une adresse sans égale, et les plus habiles Indiens ne leur en auraient pas remontré pour la vivacité de l’œil et l’habileté de la main. Ils étaient trappeurs et chasseurs tout à la fois. Ils connaissaient tous les appareils ou engins au moyen desquels on peut s’emparer des martres, des loutres, des loups, des renards, des ours, etc. Aucune ruse ne leur était inconnue. Hommes adroits et intelligents, que ce Marbre et ce Sabine, et le capitaine Craventy avait sagement fait en les adjoignant au détachement du lieutenant Hobson.

Mais, pendant la marche de la petite troupe, ni Marbre ni Sabine n’avaient le loisir de dresser des pièges. Ils ne pouvaient s’écarter que pendant une heure ou deux, au plus, et devaient se contenter du seul gibier qui passait à portée de leur fusil. Cependant, ils furent assez heureux pour tuer un de ces grands ruminants de la faune américaine qui se rencontrent rarement sous une latitude aussi élevée.

Un jour, dans la matinée du 15 mai, les deux chasseurs, le lieutenant Hobson et Mrs. Paulina Barnett, s’étaient portés à quelques milles dans l’est de l’itinéraire. Marbre et Sabine avaient obtenu de leur lieutenant la permission de suivre quelques traces fraîches qu’ils venaient de découvrir, et non-seulement Jasper Hobson les y autorisa, mais il voulu les suivre lui-même, en compagnie de la voyageuse.

Ces empreintes étaient évidemment dues au passage récent d’une demi-douzaine de daims de grande taille. Pas d’erreur possible. Marbre et Sabine étaient affirmatifs sur ce point, et, au besoin, ils auraient pu nommer l’espèce à laquelle appartenaient ces ruminants.

« La présence de ces animaux en cette contrée semble vous surprendre, monsieur Hobson ? demanda Mrs. Paulina Barnett au lieutenant.

— En effet, madame, répondit Jasper Hobson, et il est rare de rencontrer de telles espèces au-delà du cinquante-septième degré de latitude. Quand nous les chassons, c’est seulement au sud du lac de l’Esclave, là où se rencontrent avec des pousses de saule et de peuplier, certaines roses sauvages dont les daims sont très friands.

— Il faut alors admettre que ces ruminants, aussi bien que les animaux à fourrures, traqués par les chasseurs, s’enfuient maintenant vers des territoires plus tranquilles.

— Je ne vois pas d’autre explication de leur présence à la hauteur du soixante-cinquième parallèle, répondit le lieutenant, en admettant toutefois que nos deux hommes ne se soient pas mépris sur la nature et l’origine de ces empreintes.

— Non, mon lieutenant, répondit Sabine, non ! Marbre et moi, nous ne nous sommes pas trompés. Ces traces ont été laissées sur le sol par ces daims, que, nous autres chasseurs, nous appelons des daims rouges, et dont le nom indigène est « wapiti ».

— Cela est certain, ajouta Marbre. De vieux trappeurs comme nous ne s’y laisseraient pas prendre. D’ailleurs, mon lieutenant, entendez-vous ces sifflements singuliers ? »

Jasper Hobson, Mrs. Paulina Barnett et leurs compagnons étaient arrivés, en ce moment, à la base d’une petite colline dont les pentes, dépourvues de neige, étaient praticables. Ils se hâtèrent de la gravir, tandis que les sifflements, signalés par Marbre, se faisaient entendre avec une certaine intensité. Des cris, semblables au braiment de l’âne, s’y mêlaient parfois et prouvaient que les deux chasseurs ne s’étaient pas mépris.

Jasper Hobson, Mrs. Paulina Barnett, Marbre et Sabine, parvenus au sommet de la colline, portèrent leurs regards sur la plaine qui s’étendait vers l’est. Le sol accidenté était encore blanc à de certaines places, mais une légère teinte verte tranchait en maint endroit avec les éblouissantes plaques de neige. Quelques arbustes décharnés grimaçaient çà et là. À l’horizon, de grands icebergs, nettement découpés, se profilaient sur le fond grisâtre du ciel.

« Des wapitis ! des wapitis ! les voilà ! s’écrièrent d’une commune voix Sabine et Marbre, en indiquant à un quart de mille dans l’est un groupe compact d’animaux très aisément reconnaissables.

— Mais que font-ils ? demanda la voyageuse.

— Ils se battent, madame, répondit Jasper Hobson. C’est assez leur coutume, quand le soleil du pôle leur échauffe le sang ! Encore un effet déplorable de l’astre radieux ! »

De la distance à laquelle ils se trouvaient, Jasper Hobson, Mrs. Paulina Barnett et leurs compagnons pouvaient facilement distinguer le groupe des wapitis. C’étaient de magnifiques échantillons de cette famille de daims, que l’on connaît sous les noms variés de cerfs à cornes rondes, cerfs américains, biches, élans gris et élans rouges. Ces bêtes élégantes avaient les jambes fines. Quelques poils rougeâtres, dont la couleur devait s’accentuer encore pendant la saison chaude, parsemaient leurs robes brunes. À leurs cornes blanches, qui se développaient superbement, on reconnaissait facilement en eux des mâles farouches, car les femelles sont absolument dépourvues de cet appendice. Ces wapitis étaient autrefois répandus sur tous les territoires de l’Amérique septentrionale, et les États de l’Union en recelaient un grand nombre. Mais, les défrichements s’opérant de toutes parts, les forêts tombant sous la hache des pionniers, le wapiti dut se réfugier dans les paisibles districts du Canada. Là encore, la tranquillité lui manqua bientôt, et il dut fréquenter plus spécialement les abords de la baie d’Hudson. En somme, le wapiti est plutôt un animal des pays froids, cela est certain ; mais, ainsi que l’avait fait observer le lieutenant, il n’habite pas ordinairement les territoires situés au-delà du cinquante-septième parallèle. Donc, ceux-ci ne s’étaient élevés si haut que pour fuir les Chippeways, qui leur faisaient une guerre à outrance, et retrouver cette sécurité qui ne manque jamais au désert.

Cependant, le combat des wapitis se poursuivait avec acharnement. Ces animaux n’avaient point aperçu les chasseurs dont l’intervention n’aurait probablement pas arrêté leur lutte. Marbre et Sabine, qui savaient bien à quels aveugles combattants ils avaient affaire, pouvaient donc s’approcher sans crainte et tirer à loisir.

La proposition en fut faite par le lieutenant Hobson.

« Faites excuse, mon lieutenant, répondit Marbre. Épargnons notre poudre et nos balles. Ces bêtes-là jouent un jeu à s’entre-tuer, et nous arriverons toujours à temps pour relever les vaincus. »

« Est-ce que ces wapitis ont une valeur commerciale ? demanda Mrs. Paulina Barnett.

— Oui, madame, répondit Jasper Hobson, et leur peau, qui est moins épaisse que celle de l’élan proprement dit, forme un cuir très estimé. En frottant cette peau avec la graisse et la cervelle même de l’animal, on la rend extrêmement souple, et elle supporte également bien la sécheresse et l’humidité. Aussi les Indiens recherchent-ils avec soin toutes les occasions de se procurer des peaux de wapitis.

— Mais leur chair ne donne-t-elle pas une venaison excellente ?

— Médiocre, madame, répondit le lieutenant, fort médiocre, en vérité. Cette chair est dure, d’un goût peu savoureux. Sa graisse se fige immédiatement dès qu’elle est retirée du feu et s’attache aux dents. C’est donc une chair peu estimée, et qui est certainement inférieure à celle des autres daims. Cependant, faute de mieux, pendant les jours de disette, on en mange, et elle nourrit son homme tout comme un autre. »

Mrs. Paulina Barnett et Jasper Hobson s’entretenaient ainsi depuis quelques minutes, lorsque la lutte des wapitis se modifia subitement. Ces ruminants avaient-ils satisfait leur colère ? Avaient-ils aperçu les chasseurs et sentaient-ils un danger prochain ? Quoi qu’il en fût, au même moment, à l’exception de deux wapitis de haute taille, toute la troupe s’enfuit vers l’est avec une vitesse sans égale. En quelques instants, ces animaux avaient disparu, et le cheval le plus rapide n’aurait pu les rejoindre.

Mais deux daims, superbes à voir, étaient restés sur le champ de bataille. Le crâne baissé, cornes contre cornes, les jambes de l’arrière-train puissamment arc-boutées, ils se faisaient tête. Semblables à deux lutteurs qui n’abandonnent plus prise dès qu’ils sont parvenus à se saisir, ils ne se lâchaient pas et pivotaient sur leurs jambes de devant, comme s’ils eussent été rivés l’un à l’autre.

« Quel acharnement ! s’écria Mrs. Paulina Barnett.

— Oui, répondit Jasper Hobson. Ce sont des bêtes rancunières que ces wapitis, et elles vident là, sans doute, une ancienne querelle !

— Mais ne serait-ce pas le moment de les approcher, tandis que la rage les aveugle ? demanda la voyageuse.

— Nous avons le temps, madame, répondit Sabine, et ces daims-là ne peuvent plus nous échapper ! Nous serions à trois pas d’eux, le fusil à l’épaule et le doigt sur la gâchette, qu’ils ne quitteraient pas la place !

— Vraiment ?

— En effet, madame, dit Jasper Hobson, qui avait regardé plus attentivement les deux combattants après l’observation du chasseur, et, soit de notre main, soit par la dent des loups, ces wapitis mourront tôt ou tard à l’endroit même qu’ils occupent en ce moment.

— Je ne comprends pas ce qui vous fait parler ainsi, monsieur Hobson, répondit Mrs. Paulina Barnett.

— Eh bien, approchez, madame, répondit le lieutenant. Ne craignez point d’effaroucher ces animaux. Ainsi que vous l’a dit notre chasseur, ils ne peuvent plus s’enfuir. »

Mrs. Paulina Barnett, accompagnée de Sabine, de Marbre et du lieutenant, descendit la colline. Quelques minutes lui suffirent à franchir la distance qui la séparait du théâtre du combat. Les wapitis n’avaient pas bougé. Ils se poussaient simultanément de la tête, comme deux béliers en lutte, mais ils semblaient inséparablement liés l’un à l’autre.

En effet, dans l’ardeur du combat, les cornes des deux wapitis s’étaient tellement enchevêtrées qu’elles ne pouvaient plus se dégager, à moins de se rompre. C’est un fait qui se produit souvent, et sur les territoires de chasse, il n’est pas rare de rencontrer ces appendices branchus gisant sur le sol et attachés les uns aux autres. Les animaux, ainsi embarrassés, ne tardent pas à mourir de faim, ou ils deviennent facilement la proie des fauves.

Deux balles terminèrent le combat des wapitis. Marbre et Sabine, les dépouillant séance tenante, conservèrent leur peau, qu’ils devaient préparer plus tard, et abandonnèrent aux loups et aux ours un monceau de chair saignante.


  1. Ce chiffre du thermomètre Fahrenheit correspond au zéro du thermomètre centigrade.