Le Pays des fourrures/Partie 2/Chapitre 9

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Hetzel (p. 284-293).

CHAPITRE IX.

aventures de kalumah.


Kalumah sur l’île flottante à deux cents milles du continent américain ! C’était à peine croyable !

Mais avant tout, l’infortunée respirait-elle encore ? Pourrait-on la rappeler à la vie ? Mrs. Paulina Barnett avait défait les vêtements de la jeune Esquimaude, dont le corps ne lui parut pas entièrement refroidi. Elle lui écouta le cœur. Le cœur battait faiblement, mais il battait. Le sang perdu par la pauvre fille ne provenait que d’une blessure faite à sa main, mais peu grave. Madge comprima cette blessure avec son mouchoir, et arrêta ainsi l’hémorragie.

En même temps, Mrs. Paulina Barnett, agenouillée près de Kalumah, et l’appuyant sur elle, avait relevé la tête de la jeune indigène, et, à travers ses lèvres desserrées, elle parvint à introduire quelques gouttes de brandevin ; puis elle lui baigna le front et les tempes avec un peu d’eau froide.

Quelques minutes s’écoulèrent. Ni Mrs. Paulina Barnett, ni Madge n’osaient prononcer une parole. Elles attendaient toutes deux dans une anxiété extrême, car le peu de vie qui restait à l’Esquimaude pouvait à chaque instant s’évanouir !

Mais un léger soupir s’échappa de la poitrine de Kalumah. Ses mains s’agitèrent faiblement, et avant même que ses yeux se fussent ouverts et qu’elle eût pu reconnaître celle qui lui donnait ses soins, elle murmura ces mots :

« Madame Paulina ! Madame Paulina ! »

La voyageuse demeura stupéfaite, à entendre son nom ainsi prononcé dans ces circonstances. Kalumah était-elle donc venue volontairement sur l’île errante, et savait-elle qu’elle y rencontrerait l’Européenne dont elle n’avait point oublié les bontés ? Mais comment aurait-elle pu le savoir, et comment, à cette distance de toute terre, avait-elle pu atteindre l’île Victoria ? Comment enfin aurait-elle deviné que ce glaçon emportait loin du continent Mrs. Paulina Barnett et tous ses compagnons du fort Espérance ? C’étaient là des choses véritablement inexplicables.

« Elle vit ! elle vivra ! dit Madge, qui, sous sa main, sentait la chaleur et le mouvement revenir à ce pauvre corps meurtri.

— La malheureuse enfant ! murmurait Mrs. Paulina Barnett, le cœur ému, et mon nom, mon nom ! au moment de mourir, elle l’avait encore sur ses lèvres ! »

Mais alors les yeux de Kalumah s’entr’ouvrirent. Son regard, encore effaré, vague, indécis, apparut entre ses paupières. Soudain, il s’anima, car il s’était reposé sur la voyageuse. Un instant, rien qu’un instant, Kalumah avait vu Mrs. Paulina Barnett, mais cet instant avait suffi. La jeune Indigène avait reconnu « sa bonne dame », dont le nom s’échappa encore une fois de ses lèvres, tandis que sa main, qui s’était peu à peu soulevée, retombait dans la main de Mrs. Paulina Barnett !

Les soins des deux femmes ne tardèrent pas à ranimer entièrement la jeune Esquimaude, dont l’extrême épuisement provenait non seulement de la fatigue, mais aussi de la faim. Ainsi que Mrs. Paulina Barnett l’allait apprendre, Kalumah n’avait rien mangé depuis quarante-huit heures. Quelques morceaux de venaison froide et un peu de brandevin lui rendirent ses forces, et, une heure après, Kalumah se sentait capable de prendre avec ses deux amies le chemin du fort.

Mais, pendant cette heure, assise sur le sable entre Madge et Mrs. Paulina Barnett, Kalumah avait pu leur prodiguer ses remerciements et les témoignages de son affection. Puis elle avait raconté son histoire. Non ! la jeune Esquimaude n’avait point oublié les Européens du fort Espérance, et l’image de Mrs. Paulina Barnett était toujours restée présente à son souvenir. Non ! ce n’était point le hasard, ainsi qu’on va le voir, qui l’avait jetée à demi morte sur le rivage de l’île Victoria !

En peu de mots, voici ce que Kalumah apprit à Mrs. Paulina Barnett.

On se souvient de la promesse qu’avait faite la jeune Esquimaude, à sa première visite, de retourner l’année suivante, pendant la belle saison, vers ses amis du fort Espérance. La longue nuit polaire se passa, et, le mois de mai venu, Kalumah se mit en devoir d’accomplir sa promesse. Elle quitta donc les établissements de la Nouvelle-Georgie, dans lesquels elle avait hiverné, et, en compagnie d’un de ses beaux-frères, elle se dirigea vers la presqu’île Victoria.

Six semaines plus tard, vers la mi-juin, elle arrivait sur les territoires de la Nouvelle-Bretagne, qui avoisinaient le cap Bathurst. Elle reconnut parfaitement les montagnes volcaniques dont les hauteurs couvraient la baie Liverpool, et, vingt milles plus loin, elle arriva à cette baie des Morses dans laquelle elle et les siens avaient si souvent fait la chasse aux amphibies.

Mais, au-delà de cette baie, au nord, rien ! La côte, par une ligne droite, se rabaissait vers le sud-est. Plus de cap Esquimau, plus de cap Bathurst !

Kalumah comprit ce qui s’était passé ! Ou tout ce territoire, devenu depuis l’île Victoria, s’était abîmé dans les flots, ou il s’en allait errant par les mers !

Kalumah pleura en ne retrouvant plus ceux qu’elle venait chercher si loin.

Mais l’Esquimau, son beau-frère, n’avait point paru autrement surpris de cette catastrophe. Une sorte de légende, une tradition répandue parmi les tribus nomades de l’Amérique septentrionale, disait que ce territoire du cap Bathurst s’était rattaché au continent depuis des milliers de siècles, mais qu’il n’en faisait pas partie, et qu’un jour il s’en détacherait par un effort de la nature. De là cette surprise que les Esquimaux avaient manifestée en voyant la factorerie fondée par le lieutenant Hobson au pied même du cap Bathurst. Mais, avec cette déplorable réserve particulière à leur race, peut-être aussi poussés par ce sentiment qu’éprouve tout indigène pour l’étranger qui fait prise de possession en son pays, les Esquimaux ne dirent rien au lieutenant Hobson, dont l’établissement était alors achevé. Kalumah ignorait cette tradition, qui, d’ailleurs, ne reposant sur aucun document sérieux, n’était sans doute qu’une de ces nombreuses légendes de la cosmogonie hyperboréenne, et c’est pourquoi les hôtes du fort Espérance ne furent pas prévenus du danger qu’ils couraient à s’établir sur ce territoire.

Et certainement, Jasper Hobson, averti par les Esquimaux et suspectant déjà ce sol, qui présentait des particularités si étranges, aurait cherché plus loin un terrain nouveau — inébranlable, cette fois, — pour y jeter les fondements de sa factorerie.

Lorsque Kalumah eut constaté la disparition de ce territoire du cap Bathurst, elle continua son exploration jusqu’au-delà de la baie Washburn, mais sans rencontrer aucune trace de ceux qu’elle cherchait, et alors, désespérée, elle n’eut plus qu’à revenir dans l’ouest aux pêcheries de l’Amérique russe.

Son beau-frère et elle quittèrent donc la baie des Morses dans les derniers jours du mois de juin. Ils reprirent la route du littoral, et, à la fin de juillet, après cet inutile voyage, ils retrouvaient les établissements de la Nouvelle-Georgie.

Kalumah n’espérait plus jamais revoir ni Mrs. Paulina Barnett, ni ses compagnons du fort Espérance. Elle les croyait engloutis dans les abîmes de la mer Arctique.

À ce point de son récit, la jeune Esquimaude tourna ses yeux humides vers Mrs. Paulina Barnett et lui serra plus affectueusement la main. Puis, murmurant une prière, elle remercia Dieu de l’avoir sauvée par la main même de son amie !

Kalumah, revenue à sa demeure, au milieu de sa famille, avait repris son existence accoutumée. Elle travaillait avec les siens à la pêcherie du cap des Glaces, qui est située à peu près sur le soixante-dixième parallèle, à plus de six cents milles du cap Bathurst.

Pendant toute la première partie du mois d’août, aucun incident ne se produisit. Vers la fin du mois se déclara cette violente tempête dont s’inquiéta si vivement Jasper Hobson, et qui, paraît-il, étendit ses ravages sur toute la mer polaire et même jusqu’au-delà du détroit de Behring. Au cap des Glaces, elle fut effroyable aussi et se déchaîna avec la même violence que sur l’île Victoria. À cette époque, l’île errante ne se trouvait pas à plus de deux cents milles de la côte, ainsi que l’avait déterminé par ses relèvements le lieutenant Jasper Hobson.

En écoutant parler Kalumah, Mrs. Paulina Barnett, fort au courant de la situation, on le sait, faisait rapidement dans son esprit des rapprochements qui allaient enfin lui donner la clef de ces singuliers événements et surtout lui expliquer l’arrivée dans l’île de la jeune indigène.

Pendant ces premiers jours de la tempête, les Esquimaux du cap des Glaces furent confinés dans leurs huttes. Ils ne pouvaient sortir et encore moins pêcher. Cependant, dans la nuit du 31 août au 1er septembre, mue par une sorte de pressentiment, Kalumah voulut s’aventurer sur le rivage. Elle alla ainsi, bravant le vent et la pluie qui faisaient rage autour d’elle, observant d’un œil inquiet la mer irritée qui se levait dans l’ombre comme une chaîne de montagnes.

Soudain, quelque temps après minuit, il lui sembla voir une masse énorme qui dérivait sous la poussée de l’ouragan et parallèlement à la côte. Ses yeux, doués d’une extrême puissance de vision, comme tous ceux de ces indigènes nomades, habitués aux ténèbres des longues nuits de l’hiver arctique, ne pouvaient la tromper. Une chose énorme passait à deux milles du littoral, et cette chose ne pouvait être ni un cétacé, ni un navire, ni même un iceberg à cette époque de l’année.

D’ailleurs, Kalumah ne raisonna même pas. Il se fit dans son esprit comme une révélation. Devant son cerveau surexcité apparut l’image de ses amis. Elle les revit tous, Mrs. Paulina Barnett, Madge, le lieutenant Hobson, le bébé qu’elle avait tant couvert de ses caresses au fort Espérance ! Oui ! c’étaient eux qui passaient, emportés dans la tempête sur ce glaçon flottant !

Madame Paulina ! Madame Paulina !

Kalumah n’eut pas un instant de doute, pas un moment d’hésitation. Elle se dit qu’il fallait apprendre à ces naufragés, qui ne s’en doutaient peut-être pas, que la terre était proche. Elle courut à sa hutte, elle prit une de ces torches faites d’étoupe et de résine dont les Esquimaux se servent pour leurs pêches de nuit, elle l’enflamma et vint l’agiter sur le rivage au sommet du cap des Glaces.

C’était le feu que Jasper Hobson et le sergent Long, blottis alors au cap Michel, avaient aperçu au milieu des sombres brumes, pendant la nuit du 31 août.

Quelle fut la joie, l’émotion de la jeune Esquimaude, quand elle vit un signal répondre au sien, lorsqu’elle aperçut ce bouquet de sapins, enflammé par le lieutenant Hobson, qui jeta ses fauves lueurs jusqu’au littoral américain, dont il ne se savait pas si près !

Mais tout s’éteignit bientôt. L’accalmie dura à peine quelques minutes, et l’effroyable bourrasque, sautant au sud-est, reprit avec une nouvelle violence.

Kalumah comprit que « sa proie » — c’est ainsi qu’elle l’appelait, — que sa proie allait lui échapper, que l’île n’atterrirait pas ! Elle la voyait, cette île, elle la sentait s’éloigner dans la nuit et reprendre le chemin de la haute mer.

Les lames couvraient en grand son kayak…

Ce fut un moment terrible pour la jeune indigène. Elle se dit qu’il fallait que ses amis fussent, à tout prix, prévenus de leur situation, que, pour eux, il serait peut-être encore temps d’agir, que chaque heure perdue les éloignait de ce continent…

Elle n’hésita pas. Son kayak était là, cette frêle embarcation sur laquelle elle avait plus d’une fois bravé les tempêtes de la mer Arctique. Elle poussa son kayak à la mer, laça autour de sa ceinture la veste de peau de phoque qui s’y rattachait, et, la pagaie à la main, elle s’aventura dans les ténèbres.

À ce moment de son récit, Mrs. Paulina Barnett pressa affectueusement sur son cœur la jeune Kalumah, la courageuse enfant, et Madge pleura en l’écoutant.

Kalumah, lancée sur ces flots irrités, se trouva alors plutôt aidée que contrariée par la saute du vent qui portait au large. Elle se dirigea vers la masse qu’elle apercevait encore confusément dans l’ombre. Les lames couvraient en grand son kayak, mais elles ne pouvaient rien contre l’insubmersible embarcation, qui flottait comme une paille à la crête des lames. Plusieurs fois elle chavira, mais un coup de pagaie la retourna toujours.

Enfin, après une heure d’efforts, Kalumah distingua plus distinctement l’île errante. Elle ne doutait plus d’arriver à son but, car elle en était à moins d’un quart de mille !

C’est alors qu’elle jeta dans la nuit ce cri que Jasper Hobson et le sergent Long entendirent tous deux !

Mais alors, Kalumah se sentit, malgré elle, emportée dans l’ouest par un irrésistible courant, auquel elle offrait plus de prise que l’île Victoria ! En vain voulut-elle lutter avec sa pagaie ! Sa légère embarcation filait comme une flèche. Elle poussa de nouveaux cris qui ne furent point entendus, car elle était déjà loin, et quand l’aube vint jeter quelque clarté dans l’espace, les terres de la Nouvelle-Georgie qu’elle avait quittées et celles de l’île errante qu’elle poursuivait, ne formaient plus que deux masses confuses à l’horizon.

Désespéra-t-elle alors, la jeune indigène ? Non. Revenir au continent américain était désormais impossible. Elle avait vent debout, un vent terrible, ce même vent qui, repoussant l’île, allait en trente-six heures la reporter de deux cents milles au large, aidé d’ailleurs par le courant du littoral.

Kalumah n’avait qu’une ressource : gagner l’île en se maintenant dans le même courant qu’elle et dans ces mêmes eaux qui l’entraînaient irrésistiblement !

Mais, hélas ! les forces trahirent le courage de la pauvre enfant ! La faim la tortura bientôt. L’épuisement, la fatigue rendirent sa pagaie inerte entre ses mains.

Pendant plusieurs heures, elle lutta, et il lui sembla qu’elle se rapprochait de l’île, d’où l’on ne pouvait l’apercevoir, car elle n’était qu’un point sur cette immense mer. Elle lutta, même lorsque ses bras rompus, ses mains ensanglantées lui refusèrent tout service ! Elle lutta jusqu’au bout et perdit enfin connaissance, tandis que son frêle kayak, abandonné, devenait le jouet du vent et des flots !

Que se passa-t-il alors ? Elle ne put le dire, ayant perdu connaissance. Combien de temps erra-t-elle ainsi, à l’aventure, comme une épave ? Elle ne le savait, et ne revint au sentiment que lorsque son kayak, brusquement choqué, s’ouvrit sous elle.

Kalumah fut plongée dans l’eau froide dont la fraîcheur la ranima, et quelques instants plus tard, une lame la jetait mourante sur une grève de sable.

Cela s’était fait dans la nuit précédente, à peu près au moment où l’aube apparaissait, c’est-à-dire de deux à trois heures du matin.

Depuis le moment où Kalumah s’était précipitée dans son embarcation jusqu’au moment où cette embarcation fut submergée, il s’était donc écoulé plus de soixante-dix heures !

Cependant, la jeune indigène, sauvée des flots, ne savait sur quelle côte l’ouragan l’avait portée. L’avait-il ramenée au continent ? L’avait-il dirigée, au contraire, sur cette île qu’elle poursuivait avec tant d’audace ? Elle l’espérait ! Oui ! elle l’espérait ! D’ailleurs, le vent et le courant avaient dû l’entraîner au large et non la repousser à la côte !

Cette pensée la ranima. Elle se releva et, toute brisée, se mit à suivre le rivage.

Sans s’en douter, la jeune indigène avait été providentiellement jetée sur cette portion de l’île Victoria qui formait autrefois l’angle supérieur de la baie des Morses. Mais, dans ces conditions, elle ne pouvait reconnaître ce littoral, corrodé par les eaux, après les changements qui s’y étaient produits depuis la rupture de l’isthme.

Kalumah marcha, puis, n’en pouvant plus, s’arrêta, et reprit avec un nouveau courage. La route s’allongeait devant ses pas. À chaque mille, il lui fallait tourner les parties du rivage déjà envahies par la mer. C’est ainsi que, se traînant, tombant, se relevant, elle arriva non loin du petit taillis qui, le matin même, avait servi de lieu de halte à Mrs. Paulina Barnett et à Madge. On sait que les deux femmes, se dirigeant vers le cap Esquimau, avaient rencontré non loin de ce taillis la trace de ses pas empreints sur la neige. Puis, à quelque distance, la pauvre Kalumah était tombée une dernière fois !

À partir de ce point, épuisée par la fatigue et la faim, elle ne s’avança plus qu’en rampant.

Mais un immense espoir était entré dans le cœur de la jeune indigène. À quelques pas du littoral, elle avait enfin reconnu ce cap Esquimau au pied duquel avaient campé les siens et elle l’année précédente. Elle savait qu’elle n’était plus qu’à huit milles de la factorerie, qu’il ne lui faudrait plus que suivre ce chemin qu’elle avait si souvent parcouru, quand elle allait visiter ses amis du fort Espérance.

Oui ! cette pensée la soutint. Mais, enfin, arrivée au rivage, n’ayant plus aucune force, elle tomba sur la neige et perdit une dernière fois connaissance. Sans Mrs. Paulina Barnett, elle mourrait là !

« Mais, dit-elle, ma bonne dame, je savais bien que vous viendriez à mon secours et que mon Dieu me sauverait par vos mains ! »

On sait le reste ! On sait quel providentiel instinct entraîna ce jour même Mrs. Paulina Barnett et Madge à explorer cette partie du littoral, et quel dernier instinct les porta à visiter le cap Esquimau, après leur halte au taillis et avant leur retour à la factorerie. On sait aussi — ce que Mrs. Paulina Barnett apprit à la jeune indigène — comment eut lieu cette rupture du glaçon et ce que fit l’ours en cette circonstance.

Et même, Mrs. Paulina Barnett ajouta en souriant :

« Ce n’est pas moi qui t’ai sauvée, mon enfant, c’est cet honnête animal ! Sans lui, tu étais perdue, et si jamais il revient vers nous, on le respectera comme ton sauveur ! »

Pendant ce récit, Kalumah, bien restaurée et bien caressée, avait repris ses forces. Mrs. Paulina Barnett lui proposa de retourner au fort immédiatement, afin de ne pas prolonger son absence. La jeune Esquimaude se leva aussitôt, prête à partir.

Mrs. Paulina Barnett avait en effet hâte d’informer Jasper Hobson des incidents de cette matinée, et de lui apprendre ce qui s’était passé pendant la nuit de la tempête, lorsque l’île errante s’était rapprochée du littoral américain.

Mais avant tout, la voyageuse recommanda à Kalumah de garder un secret absolu sur ces événements, aussi bien que sur la situation de l’île. Elle serait censée être venue tout naturellement par le littoral, afin d’accomplir la promesse qu’elle avait faite de visiter ses amis pendant la belle saison. Son arrivée même serait de nature à confirmer les habitants de la factorerie dans la pensée qu’aucun changement ne s’était produit au territoire du cap Bathurst, pour le cas où quelques-uns auraient eu des soupçons à cet égard.

Il était trois heures environ, quand Mrs. Paulina Barnett, la jeune indigène appuyée à son bras, et la fidèle Madge reprirent la route de l’est, et, avant cinq heures du soir, toutes trois arrivaient à la poterne du fort Espérance.