Le Poëme de Myrza/Chapitre 1

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Le Poëme de Myrza
II.  ►

I.

En ce temps-là, longtemps avant le commencement des jours que les hommes ont essayé de compter, Dieu appela devant lui quatre Esprits, qui parcouraient d’un vol capricieux les plaines de l’espace : Allez, leur dit-il, prenez-vous par la main, marchez ensemble, et travaillez de concert.

Ils obéirent, et, ne se quittant plus, présidèrent chacun à une des œuvres de Dieu ; et un nouvel astre parut dans l’éther : cet astre est la terre que nous habitons aujourd’hui, et ces quatre Esprits sont les éléments qui la composent.

Mais deux de ces Esprits, se sentant plus puissants, firent la guerre aux deux autres.

L’eau et le feu ravagèrent la terre, et l’air fut tantôt infecté des vapeurs humides des marais, et tantôt embrasé des feux d’un soleil dévorant.

Et pendant un nombre de siècles que l’homme ne sait pas, mais qui sont dans l’éternité de Dieu moins qu’une heure dans la vie de l’homme, notre globe bondit dans l’immensité, comme une cavale sauvage, sans guide et sans frein ; sa course ne fut réglée que par le caprice des Esprits à qui Dieu l’avait abandonné ; tantôt, emporté d’un essor fougueux, il s’approcha du soleil jusqu’à s’y brûler ; tantôt il s’endormit languissant et morne, loin des rayons vivifiants que chaque printemps nous ramène. Il y eut des jours d’une année et des nuits d’un siècle. Le globe n’ayant pas encore arrêté sa forme, les froides régions qu’habitent le Calédonien et le Scandinave furent calcinées par des étés brûlants. Les contrées où la chaleur bronze les hommes se couvrirent de glaciers incommensurables. L’Esprit du feu descendit dans le sein de la terre ; on eût dit qu’un démon enfonçait ses ongles et ses dents dans les entrailles du globe : des rugissements sourds s’échappaient des rochers ébranlés, et la terre s’agitait comme une femme dans les convulsions de l’enfantement. Quelquefois le monstre, en se retournant dans le ventre de sa mère, sapait les fondements d’une montagne, et creusait sous les vallées des voûtes sans appui. La montagne et la vallée disparaissaient ensemble, et des lacs de bitume s’étendaient en bouillonnant sur les débris amoncelés ; une fumée âcre et fétide empoisonnait l’atmosphère ; les plantes se desséchaient, et l’eau, appelée par le feu, ravageait à son tour le flanc déchiré de sa sœur.



Que le peuple écoutait sur la place publique. (Page 55.)

Enfin le feu s’ouvrit un passage à travers le roc et l’argile, et se répandit au dehors comme un fleuve débordé. La mer, brisant ses digues de la veille, fit chaque jour de nouvelles invasions, et chaque jour déserta ses nouveaux rivages comme un lit trop étroit. On voyait, dans l’espace d’une nuit, s’élever des montagnes de fange ou de cendre, que le soleil et le vent façonnaient à leur gré ; des ravins se creusaient tels que la vie d’un homme voyageant le jour et la nuit n’eût pas suffi pour en trouver le fond ; des météores gigantesques erraient sur les eaux comme des soleils détachés de la voûte céleste, et les vagues de l’océan roulaient sur les sommets que les nuages enveloppent aujourd’hui bien loin au-dessus de la demeure des hommes.

Dans cette lutte, la terre et l’eau, jalouses l’une de l’autre, se mirent à créer des plantes et des animaux qui à leur tour se firent la guerre entre eux ; des lianes immenses essayèrent d’arrêter le cours des fleuves, mais les fleuves enfantèrent des polypes monstrueux, qui saisirent les lianes dans leurs bras vivants, et leur étreinte fut telle, que des myriades de races d’animaux s’y arrêtèrent et y périrent ; et de tous ces débris se forma le sol que nous foulons aujourd’hui, et sous lequel a disparu l’ancien monde.

Cependant à toutes ces existences d’un jour succédaient d’autres existences ; les races se perdaient et se renouvelaient ; la matière inépuisable se reproduisait sous mille formes. Du sein des mers sortaient les baleines semblables à des îles et les léviathans hideux rampant sur le sable avec des crocodiles de vingt brasses. Nul ne sait le nombre et la forme des espèces tombées en poussière ; l’imagination de l’homme ne saurait les reconstruire ; si elle le pouvait, l’homme mourrait d’épouvante à la seule idée de les voir. L’abeille fut peut-être la sœur de l’éléphant ; peut-être une race d’insectes, aujourd’hui perdue, détruisit celle du mammouth, que l’homme appelle le colosse de la création. Dans ces marécages qui couvraient des continents entiers, il dut naître des serpents qui, en se déroulant, faisaient le tour du globe, et les aigles de ces montagnes, infranchissables pour nos gazelles abâtardies, enlevaient dans leurs serres des rhinocéros de cent coudées. En même temps que les dragons ailés arrivaient des nuages de l’orient, les licornes indomptables descendaient de l’occident, et quand une troisième race de monstres, poussée par le vent du sud, avait dévoré les deux autres, elle périssait gorgée de nourriture, et l’odeur de la corruption appelait l’hyène du nord, des vautours plus grands que l’hyène, et des fourmis plus grandes que les vautours ; et sur ces montagnes de cadavres, parmi ces lacs de sang livide, au milieu de ces bêtes immondes, dévorées et dévorantes, des arbres sans nom élevaient jusqu’aux nues la profusion de leurs rameaux splendides, et des roses plus belles et plus grandes que les filles des hommes ne le furent jamais, exhalaient des parfums dont s’enivraient les esprits de la terre, couverts de robes diaprées, aujourd’hui réduits à la taille du papillon, et aux trois grains d’or de l’étamine de nos fleurs.



L’ange du sommeil l’appela. (Page 61.)

Ces volcans, ces déluges, ces cataclysmes, cet ouvrage informe du temps et de la matière, les saintes Écritures l’appellent l’âge du chaos. Or, tandis que les quatre Esprits se livraient à la guerre, il arriva qu’ils passèrent près du char de Dieu, et, frappés de terreur, ils s’arrêtèrent. Dieu les appela et leur dit : Qu’avez-vous fait ? Pourquoi ce monde que je vous ai confié marche-t-il comme s’il était ivre ? Avez-vous bu la coupe de l’orgueil ? Prétendez-vous faire les œuvres de l’Éternel ? Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix ; il vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix.

L’Éternel passa ; et quand les quatre Esprits virent s’effacer dans l’espace le cercle de feu que traçaient les roues de son char, ils reprirent courage, et, se regardant, ils se dirent : Pourquoi ne résisterions-nous pas à l’Éternel ? Ne sommes-nous pas éternels, nous aussi ? Il nous a créés, mais il ne peut nous détruire, car il nous a dit : Vous n’aurez pas de fin. L’Éternel ne peut reprendre sa parole. Il nous a donné ce monde. Mais c’est nous qui l’avons couvert de plantes et d’animaux. Nous aussi, nous sommes créateurs. Unissons-nous, armons nos volcans en guerre. Que l’océan gronde, que la lave bouillonne, que la foudre sillonne les airs, et vienne l’Éternel pour nous donner des lois !

En parlant ainsi, ils cessèrent de se haïr ; et, abaissant leur vol sur les montagnes les plus élevées de la terre : Nous allons, dirent-ils, entasser ces monts les uns sur les autres, et nous atteindrons ainsi à la demeure de Dieu. Nous le renverserons, et nous régnerons sur tous les mondes.

Mais comme ils commençaient leur travail insensé, un ange envoyé par le Seigneur versa eur eux la coupe du mépris, et, saisis de torpeur, ils s’endormirent comme des hommes pris de vin.

Et quand ils se réveillèrent, ils virent sur la mousse un être inconnu, plus beau qu’eux, quoique délicat et frêle. Sa tête n’était pas flamboyante et son corps n’était pas couvert d’une armure d’écailles de serpent ; le ver à soie semblait avoir filé l’or de sa chevelure, et sa peau était lisse et blanche comme le tissu des lis.

Les Esprits étonnés l’entourèrent pour le contempler, s’émerveillant de sa beauté, et se demandant l’un à l’autre si c’était là un esprit ou un corps. Cependant cette créature dormait paisiblement sur la mousse, et les fleurs se penchaient sur elle comme pour l’admirer ; les oiseaux et les insectes voltigeaient autour d’elle, n’osant becqueter ses lèvres de pourpre, et formant un rideau d’ailes doucement agitées entre son visage et le soleil du matin, qui semblait jaloux aussi de le regarder. Alors l’Esprit des eaux : — Quel est celui-ci ? et qui de nous l’a produit à l’insu des autres ? Si c’est de la terre qu’il est sorti d’où vient que les vapeurs de mes rives n’en savent rien ? et où est le feu qui l’a fécondé ? Est-ce une plante, pour qu’il soit sans plumes, et sans fourrure, et sans écaille ? Et si c’est une plante, d’où vient que je n’ai point arrosé son germe, d’où vient que l’air n’a pas aidé sa tige à s’élever et son calice à se colorer ? Si c’est une créature, où est son créateur ? Si c’est un esprit, de quel droit vient-il s’établir dans notre empire, et comment souffrons-nous qu’il s’y repose ? Enchaînons-le, et que la bouche des volcans se referme derrière lui, car il faut qu’il aille au fond de la terre et qu’il n’en sorte plus.

L’Esprit de la terre répondit : Ceci est un corps, car le sommeil l’engourdit et le gouverne comme les animaux ; ce n’est pas une plante, car il respire et semble destiné au mouvement comme l’oiseau ou le quadrupède : cependant il n’a point d’ailes, et ne saurait voler ; il n’a pas les défenses du sanglier, ni les ongles du tigre pour combattre, ni même l’écaille de la tortue pour s’abriter. C’est un animal faible, que le moindre de nos animaux pourrait empêcher de se reproduire et d’exister. Et puisque aucun de nous ne l’a créé, il faut que ce soit l’Éternel qui, par dérision, l’ait fait éclore, afin de nous surprendre et de nous effrayer ; mais il suffira du froid pour lui donner la mort.

— Ne nous en inquiétons point, dirent les autres, il est en notre pouvoir, éveillons-le, et voyons comme il marche et comme il se nourrit. Puisqu’il n’a ni ailes, ni nageoires, ni arme d’aucune espèce, pour s’ouvrir un chemin et se construire une demeure, il ne saurait vivre dans aucun élément.

Et les quatre Esprits de révolte se mirent à railler et à mépriser l’œuvre du Dieu tout-puissant.

Alors cet être nouveau s’éveilla, et, à leur grande surprise, il ne se mit ni à fuir, ni à ramper comme les serpents, ni à marcher comme les quadrupèdes ; il se dressa sur ses pieds, et sa tête se trouvant tournée vers le ciel, il éleva son regard, et les Esprits de révolte virent, dans sa prunelle, étinceler un feu divin. Quel est, dirent-ils, celui-ci, qui ne rampe, ni ne vole, et qui a un rayon du soleil dans les yeux ? Va-t-il monter vers le ciel comme une fumée ? et d’où vient qu’avec un corps si chétif il est plus beau que le plus beau des anges du ciel ? — Alors ils furent saisis de crainte, et l’interrogèrent en tremblant.

Mais cette créature ne les entendit pas ; on eût dit que ses yeux ne pouvaient distinguer leur forme, car elle ne leur donna aucun signe d’attention, et ne répondit rien à leurs questions.

Ils se réjouirent donc de nouveau, en disant : Cette bête n’a ni le sens de l’ouïe, ni le sens de la vue ; elle ne saurait faire entendre aucun cri, elle est plus stupide que les autres bêtes. Celles-ci ne nous comprennent pas et ne nous voient pas non plus ; mais l’instinct les avertit de notre présence ; et un tressaillement secret s’empare du plus petit oiseau, lorsque le volcan gronde, ou lorsque l’orage s’approche ; l’ours et le chien s’enfuient en hurlant, le dauphin s’éloigne des rivages, et le dragon se réfugie sur les arbres les plus élevés des forêts ; mais cette bête n’a pas de sens, et les polypes seuls suffiront pour la dévorer.

Alors la créature inconnue éleva la voix, une voix plus douce que celle des oiseaux les plus mélodieux, et elle chanta un cantique d’actions de grâces au Seigneur, dans une langue que les Esprits de révolte, ne comprirent pas.

Et leur colère fut grande, car ils se crurent insultés par cette langue mystérieuse, et ces accents d’amour et de ferveur remplirent leur sein de haine et de rage. Ils voulurent saisir leur ennemi ; mais l’ennemi, ne daignant pas les voir, se prosterna devant l’Éternel, puis se releva avec un front rempli d’allégresse, et se mit à descendre vers la vallée, sans cesser d’être debout, et posant ses pieds sur le bord des abîmes avec autant d’adresse et de tranquillité que l’antilope ou le renard. Comme les pierres et les épines offensaient sa peau, il cueillit des herbes et des feuilles, et se fit une chaussure avec tant de promptitude et d’industrie, que les Esprits de révolte prirent plaisir à le regarder.

Cependant, à mesure que la créature de Dieu marchait, la terre semblait devenir plus riante, et la nature se parait de mille grâces nouvelles. Les plantes exhalaient de plus doux parfums, et la créature, comme saisie d’un amour universel, se courbait, respirait les fleurs, se penchait sur les cailloux transparents, souriait aux oiseaux, aux arbres, aux vents du matin. Et le vent caressait mollement sa poitrine ; les oiseaux la suivaient avec des chants de joie ; les papillons venaient se poser sur les fleurs qu’elle leur présentait ; les arbres se courbaient vers elle et lui offraient leurs fruits à l’envi l’un de l’autre. Elle mangeait les fruits, et, loin de dévorer avidement comme les bêtes, semblait savourer avec délices les sucs parfumés de l’orange et de la grenade. Une biche, suivie de son faon, vint à elle, et lui offrit son lait qu’elle recueillit dans une conque de nacre, qu’elle porta joyeusement à ses lèvres en caressant la biche ; puis elle présenta la coquille au faon, qui but après elle, et qui la suivit, ainsi que sa mère.

Les Esprits suivaient en silence, et ne concevaient rien à ce qu’ils voyaient ; enfin ils se réveillèrent de leur stupeur et dirent : C’est assez nous laisser insulter par une œuvre de ténèbres et d’ignorance ; ce vain fantôme d’ange a un corps et se repaît comme les bêtes ; il doit être, comme elles, sujet à la mort et à la pourriture. Si la biche et son faon, si l’oiseau et l’insecte, si l’arbre et son fruit, si l’herbe et la brise se soumettent à lui, voici venir le léopard et la panthère qui vont le déchirer.

Mais le léopard passa sans toucher à la créature de Dieu, et la panthère, l’ayant regardée un instant avec méfiance, vint offrir son dos souple et doux à la main caressante de son nouveau maître.

— Voici le serpent qui va le couvrir de morsures empoisonnées, dirent les Esprits de haine. Le serpent dormait sur le sable. La créature divine l’appela dans cette langue inconnue qu’elle avait parlée à l’Éternel, et le serpent, déroulant ses anneaux, vint mettre sa tête humiliée sous le pied du maître, qui se détourna sans lui faire ni mal ni injure. L’éléphant s’approchant, les Esprits espérèrent qu’il les débarrasserait de l’étranger, mais l’éléphant, ayant pris des fruits dans sa main, le suivit, obéissant à sa parole, et cueillant à son tour les fruits et les fleurs sur les branches les plus élevées pour les lui offrir avec sa trompe. Le chameau arriva, et, pliant les genoux, offrit son dos à l’étranger, et le porta dans la vallée. Alors les Esprits, transportés de colère, s’assemblèrent sur une cime élevée ; ils réunirent leurs efforts pour créer un monstre qui surpassât en laideur, en force et en cruauté les monstres les plus hideux qu’eût produits la terre. Mais comme le Seigneur, qui jusqu’alors avait habité avec eux, s’était retiré, ils ne purent rien créer d’abord. Enfin, après beaucoup de conjurations adressées aux éléments qu’ils croyaient gouverner, ils firent sortir de terre un dragon redoutable, et le forcèrent avec des menaces de marcher contre la créature de Dieu. Mais celle-ci, le voyant venir, monta sur le cheval, appela l’hippopotame, le taureau, et tous les animaux forts de la terre et de la mer, et les oiseaux forts du ciel, et tous se rangèrent autour d’elle comme une armée. Le cheval bondit d’orgueil sous son maître, et le porta comme un roi à la rencontre de l’ennemi. Alors le dragon épouvanté revint vers ceux qui l’avaient envoyé, et leur dit : — Vous voyez ce qui arrive ; toutes les créatures se rangent sous sa loi, celui-ci est le roi de la terre, et l’esprit de Dieu est en lui. Et le dragon étendant ses ailes, l’Esprit de ténèbres qui était en lui s’envola, et sa dépouille restant par terre, l’étranger la ramassa, la regarda, et s’en fit un vêtement pour traverser les régions froides.

Car elle continua sa course vers le nord, et parcourut le monde entier, se construisant partout des chariots avec les arbres des forêts et les métaux de la terre ; mangeant de tous les fruits ; se faisant aimer et servir par toutes les créatures ; traversant les fleuves à la nage, ou sur des nacelles que son adresse improvisait ; s’habituant à tous les climats ; prenant son sommeil à l’ombre des forêts, à l’abri dans les grottes, ou dans des tentes de feuillage qu’elle dressait au coucher du soleil ; sachant tirer le feu d’un caillou ou d’une branche sèche, et partout louant l’Éternel, chantant ses bienfaits, et implorant son appui.

Quand cet être singulier eut fait le tour de la terre et s’y fut installé comme dans son domaine, les Esprits de révolte, enchaînés jusque-là par la curiosité, résolurent de détruire ce qu’ils croyaient être leur ouvrage, et de bouleverser le globe, afin d’anéantir leur ennemi avec lui. — Ouvre une crevasse sous ses pieds, dirent-ils à la terre, et dévore-le dans la gueule béante de tes abîmes. — Mais la terre refusa d’obéir, et répondit : Celui-ci est l’envoyé de Dieu, le roi de la création. Ils dirent au volcan de l’envelopper d’un lac de feu et de faire pleuvoir sur lui des pierres embrasées ; mais le volcan refusa, et répondit comme la terre. La mer refusa d’inonder, et l’air de laisser passer la foudre. Alors les Esprits virent qu’ils n’avaient plus de pouvoir, et, feignant de se soumettre à l’envoyé de Dieu, ils s’offrirent au Seigneur pour être les ministres de son favori. Mais Dieu, connaissant leur dessein, répondit : La mer ne sortira plus de ses bornes, la terre ne quittera plus la voie que je lui ai tracée dans l’espace, la soleil ne s’éteindra plus, l’air ne sera plus infecté de miasmes fétides ; vous serez enchaînés à jamais, et vous obéirez en esclaves, non pas à mon envoyé, mais à l’ordre que je vous assigne, et qui est ma parole, la loi éternelle de l’univers. Quant à celui-ci, que vous ne connaissez pas, c’est mon œuvre, et je l’ai faite en souriant pour vous railler et vous montrer que par vous-mêmes vous ne pouvez rien. Je lui ai donné les besoins des animaux, un corps frêle, sans défense et sans vêtement ; je l’ai mise nue sur la terre. Et vous voyez qu’en un jour elle a eu des chaussures, des vêtements, des esclaves, de quoi pourvoir à tous ses besoins, et régner sur la force sans posséder la force. Vous n’avez pas compris où était sa puissance, et voyant qu’elle n’avait les avantages naturels d’aucun animal, vous vous êtes demandé comment elle savait gouverner l’instinct de tous les animaux et leur commander. C’est que j’ai mis en elle une étincelle de mon esprit, et qu’elle est à la fois corps et intelligence, matière et lumière. Allez, et que le monde soit son héritage. Elle ne vous commandera pas, car elle pourrait, comme vous, s’enivrer d’orgueil et succomber à son tour. Allez, et sachez le nom du plus beau de mes anges, c’est l’homme.