E P I S T R ET R A D V I T E
E NF R A N C O I SD VL I V R EL A-
tin dedié aux eſtats, Princes, Sei-
gneurs, Barons, Gentilshommes, &
Peuple Polonois, par Euſe-
be Philadelphe, Coſ-
mopolite.
★
Les Frãçois, tres-illuſtſtres Prin-
ces, magnanimes Seigneurs,
vertueux Gentilshommes, &
Peuple genereux, vous ſont en tãt
de ſortes redeuables, & obligez, &
ie leur ſuis tant loyal & affectctionné
amy : que ie penſeroyʼ faire grand
tort à mon deuoir, ſi ie ne faiſoye,
paroiſtſtre par quelque bon & hon-
neſtſte office l’amitié que ie leur por-
te & la ſincère affectction que i’ay au
bien & trãquillité de voſtſtre Repu-
blique & eſtſtat. Voila pourquoy a-
yant tracé en deux Dialogues vn
ſommaire veritable des miſères paſ-
|
ſees & preſentes des François : i’ay
bien voulu pour teſmoigner ceſtſte
mienne affectction enuers vos deux
nations, n’ayant pour maintenant
rien en main de plus cõuenable au
temps qui court, le vous offrir &
conſacrer, comme aux plus gros &
plus notables creanciers de tous les
François.
Que ſi quelcun de prime face
trouue ce preſent-cy faſcheux, &
l’accuſe de ce qu’il reueille les eſ-
prits de trop de gens : le pouuoir &
force indomptable de la treſpure
verité, à laquelle plus ie m’arreſtſte
qu’à l’opinion d’vn tel Censeur, me
ſeruira en ceſt endroit de plege &
de bon garent, m’ayant contrainctct
de l’oppoſer aux flatteurs, menteurs
effrontez, en vn Latin auſſſſi facile
cõme eſtſt le langage Frãçois, auquel
i’eſcris le meſme liure à la grande
|
Royne d’Angleterre ſimple & ſans
affffeterie. Et ceux qui ſans paſſſſion le
liront pourront bien juger & co-
gnoiſtſtre, que le fard duquel Puy-
brac en vẽdant ſa plume, cõme Ba-
laam ſe langue pour maudire le peu
ple de Dieu, a vſé en ſa belle epi-
ſtſtre Staniſlſlaus Heluidius, & tout
ce que Monluc Eueſque de Valen-
ce, Lanſac & autres tels menteurs à
gages vous ont ſceu dire & propo-
ſer pour deſguiſer la verité, eſtſt bien
fort loin de ceſtſt ouurage, qui ne
marche que rondement, en ſon ſtſti-
le & au ſuiet.
Mais vous me pourriez deman-
der. Pourquoy dis-tu, ô Phila-
delphe, que les François nous ſont
deteurs ? A nous qui leur auons o-
ſtſté le ſecond fils qui deuroit eſtſtre
gardien de toute la France, & em-
mené auec luy des Princes, Sei-
|
gneurs, Gentilshommes & gens de
Conseil treſnotables, chargez d’or,
d’argent & de meubles dont ils ont
vuydé leur pays pour s’en venir
peupler le noſtſtre. A nous qui leur a-
uons couſtſté en faiſant nos propres
affffaires vn monde d’argent de deſ-
pẽſe pour le deffffray de nos Ambaſ-
ſadeurs, leſquels neantmoins n’ont
daigné accepter l’ordre de Mon-
ſieur S. Michel qui rend tous ceux
la qui le portent, couſins de Char-
les de Valois. Il ſemble pluſtſtoſtſt que
nous ſommes leurs deteurs en tou
te façon. Et quãd bien tu pourroys
monſtſtrer que nous ſommes en quel
que ſorte les creanciers de tes Fran
çois, quel bien fay-tu Coſmopoli-
te ny à eux ny a nous auſſſſi, nous fai
ſant part de leurs miſeres & deſcou
urant leurs pouretez ? n’eſtſt ce pas
autant comme ſi tu nous diſois ? Il
|
eſtſt vray que vous auez pour debi-
teurs tous les François. Mais ne pen
ſez pas qu’ils vous payent de long
temps vn tout ſeul denier. Ils ſont
ſi poures & beliſtſtres qu'ils dorront
toſtſt du cul à terre, & feront (ſi Dieu
n y pouruoit) ceſſſſion de leurs biens
miſerable. C'eſtſt bien loin de nous
reſiouyr, que de nous donner ces
nouuelles, & toutesfois c’eſtſt le pre-
ſent que tu nous offffres, ce dis-tu.
Il eſtſt certain (tres-illuſtſtres Prin-
ces & Nation treſrenommee) que
vous pourriez tenir (ce ſemble) vn
tel langage que cela. Mais quoy
qu’il ſoit, tous les François ne laiſ-
ſent pourtãt de vous eſtſtre cent mil
le fois plus obligez que vous à eux
ſi lon regarde le dedãs d’vn si grãd
myſtſtere, qu’eſtſt l’Electction de vo-
ſtſtre Roy, plus que l’extérieur & le
dehors, où les fols ſeulement s’arre-
|
ſtent, ne pouuãs penetrer plus loin.
Car poſé le cas que vous eſtſtans de-
ſtſtituez de Roy, ne pouuans viure
ſimplement ſous la loy & ſous ſon
ame la raiſon, ne voulans auſſſſi
vous commettre à la conduite de
quelcun d’entre vous, les François
vous ayẽt fourny d’vn Roy de leur
nation (ſi toutesfois il eſtſt fils de
François : car de ſa mere vous ſcauez
qu’elle eſtſt & ſera Florentine) & que
pour vous auoir nourry & fourny
vn Roy ils vous puiſſſſent auoir obli
gé à eux en quelque maniere & fa-
çon : comme il eſtſt treſraiſonnable,
qu’on le ſoit à la nation & à la mai-
ſon qui les donne : Vous ne le ſerez
iamais tant aux François, comme
les vieux Iſraelites à la maiſon de
Iſai pour Dauid, Salomon, Ioſias &
ſemblables autres bons Roys qu’ils
ont receu de ce bon tige, ou comme
|
aux Sabins les Romains, pour Nu-
ma leur legiſlſlateur, Les Spartains
aux deux familles des Agiades &
des Eurytiontides : ny comme le ſa-
cré Empire des Romains ſe peut di-
re l’eſtſtre aux familles des Palatins,
des Saxons, de ceux de Bauieres
pour les grans & fameux Empe-
reurs, qu’il a receu de ces maiſons.
Ceſtſtuy-cy n’a pas l’encouleure, la
deſmarche, ny la façon (ſous voſtſtre
bon congé ſoit dictct) pour reſpõdre
en pas vne ſorte au rẽg auquel vous
1’eſlſleuez. Et pluſtſtoſtſt ſeroit il à crain
dre, que Dieu irrité contre vous, cõ-
me à bon droictct il le peut eſtſtre, s’il
regarde à tant d’erreurs qui courẽt
en voſtſtre Patrie, au lieu d’vn diable
qu’il employa quãd il voulut trom-
per Achab, n’ait employé ces deux
que ſcauez, Mõluc l’eueſque & Lan
ſac le cheualier pour eſtſtre eſprits
|
de menſonge auec efffficace d’erreur
au milieu de vos aſſſſemblees, & vous
donner par ce moyen vn monſtſtre
Roy en ſa fureur. Mais tant y a, quãd
voſtſtre Roy ſeroit meilleur qu’on
ne peut dire, & auſſſſi bon en voſtſtre
endroictct qu’il a eſtſté pernicieux vers
les François & Vers la Patrie : ſi eſtſt-
ce encor comme i’ay dit qu’ils vous
ſeront à tout iamais bons amis &
bien redeuables, pour les biens que
Vous leur auez faictct: Premiere-
ment pour la bonne opinion que
vous auez euë de leur Nation, la pre
poſant en l’electction, dont eſtſt que-
ſtſtion, à beaucoup d’autres qui vous
ſont plus prochaines & voiſines. En
ce que, comme i’ay ſceu au vray,
pour mener à quelque heureuſe fin
ceſtſte première electction, ou pluſtſtoſtſt
le proiet & deſſſſein que vo’ en auiez
fait, vous defpechaſtſtes en Frãce des
|
gentilshommes d’entre vous enui-
ron le temps des maſſſſacres de Paris
pour auoir l’auis du deffffunctct Sei-
gneur Amiral, l’vn des parens de la
France, & vous y conduire ſelon
ſon conſeil.
En ce qu’ayant ſceu les nouuel-
les des ces horribles maſſſſacres, eſ-
quels l’Amiral deuant l’arriuee de
vos gentils hõmes fut tué, vous deſ-
pouillaſtſtes tout auſſſſi toſtſt l’opinion
bonne que vous auiez de la maiſon
de Valoys, pour en veſtſtir vne tres
veritable, la recognoiſſſſans pour la
plus traiſtſtreſſſſe, & deſlſloyale mai-
ſon de la terre.
En ce que vous euſſſſiez lors vo-
lontiers en deteſtſtation d’vn tel cri-
me, eſlſleu pluſtſtoſtſt vn muletier, ou
quelque autre bon toucheur d’aſ-
nes, que pas vn de tous ces Bou-
chiers, n’euſtſt eſtſté qu’il vous eſtſtoit
|
force de vous ſeruir de ceſtſtuy-cy,
ayans irrité tous les autres, qui luy
eſtſtoyent competiteurs abbayans à
voſtſtre Royaume.
Les François vous ſont auſſſſi bien
fort obligez, de ce que apres ces
maſſſſacres vous ne vouluſtſtes iamais
paſſſſer outre à la cõfirmation de l’e-
lectction, ſans vne promeſſſſe ſolennel
le, que Monluc & Lanſac vous firẽt
de pluſieurs articles, qu’ils iurerent
au nom de leur Maiſtſtre. Entre leſ-
quels ceſtſt article eſtſtoit l’vn des
principaux : Qu’il ſeroit faictcte dili-
gente enqueſtſte des maſſſſacres & pu
nition condigne des maſſſſacreurs :
moyen ſouuerain & vnique pour
eſtſtablir la Paix en France.
En ce que vos ambaſſſſadeurs, leſ-
quels apres cela vous enuoyaſtſtes ſa
luer voſtſtre Roy en France, traictcte-
rent auec grande inſtſtance tout pre
|
mier de la paix de France, que nul
autre de vos negoces : tant vous e-
ſtſtiez remplis d’enuie de voir tous
les François paiſibles.
En ce que n’ayans peu obtenir
autre choſe des articles, qui vous fu
rent iurez en Poloigne par l’Eueſ-
que, quelque pourſuite que vos
ambaſſſſadeurs en fiſtſtent enuers le
Tyran, pour le moins le bruit de
leur venue auancea la fabrique &
publication de ce meſchant, trupe-
lu & traiſtſtre Edictct de paix : & par
conſequent leua le ſiege deuant la
Rochelle.
En ce que l’inſtſtante priere que
vos ambaſſſſadeurs firent, eſtſtans ar-
riuez à la Cour du Tyran, a eſtſté, cõ
me Dieu a voulu, cauſe & moyen
de la deliurance des poures gens
de Sancerre, que le Tyran eſtſtoit re
ſolu de faire mãger l’vn par l’autre.
|
Mais ſur tout ils vous ſont tenus,
de ce que vous ayans eu compaſ-
ſion du rude & barbare traitemẽt,
que les François ſouffffrent ſous la
Tyrannie de ceux de Valoys : vous
auez oſté du milieu d’eux ce Roy
frere du Tyran auec vn bon nom-
bre des ſuppoſtſts & appuis de la Ty-
rannie, que vous auez faictcts cõdui
re en triomphe captifs ſous les loix
de voſtſtre Patrie, au treſgrand bien
& contentement des vrays & natu-
rels François. Leſquels en ceſtſt en-
droit s’aſſſſeurent que vous ſerez de
façon & maniere, que iamais plus
ces beſtſtes farouſches ne retourne-
ront pour les mordre. Voila les
poinctcts, qui me font dire, que les
François vous ſont deteurs.
Quant à ce dõt vous vous pour
riez plaindre, que ie vay deſcou-
urant par trop leurs pouretez &
|
miſeres. Il m’a ſemblé treſraiſon-
nable, que vous tous auſquels le fait
touche en ſoyez au vray aduertis.
A fin que vous puiſſſſiez cognoiſtſtre
ce qu’il vous faut attendre d’eux en
voulant recouurer vos detes. Et cõ-
bien que vos Ambaſſſſadeurs vous
en puiſſſſent donner de bons teſmoi
gnages : ſi eſtſt ce que i’oſe aſſſſeurer
que ce Reueille-matin, que ie vous
offre, vo’ en informera plus à plein
& plus à menu, qu’aucun autre ne
ſcauroit faire. Et vous monſtſtrera
quand & quand vne partie des re-
medes, dont les François entendẽt
s’ayder pour eſſſſayer à ſe remettre.
C’eſtſt à vous ſi mieux vous ſauez de
leur en fournir de meilleurs : ſi vous
penſez que leur ſecours vous puiſſſſe
quelque iour ſeruir.
Que s’il y auoit quelque autre
Royaume vacquant plus outre que
|
vos contrees, auquel vous puiſſſſiez
faire eſlſlire le Tirã pour chef, (quãd
bien ce ſeroit au Royaume des Fu-
ries) vous ſcauez combien il eſtſt di-
gne auec ſa mere & ſon conſeil d’y
preſider : ou que vous peuſſſſiez trou
uer quelque habile moyẽ pour en
depeſtſtrer bien toſtſt la Françe. Ce ſe
roit (ie le vous iure) combler les
François de tous biens. En ce cas la
vous pourriez tenir pour tous aſſſſeu
rez qu’ils vous erigeroyent des Co-
lomnes comme à leurs liberateurs,
& vous preſtſteroyent à toute heure
l’aide que pourriez deſirer contre
ceux qui vous voudroyent nuire :
autrement il n eſtſt pas poſſſſible pen-
dant que ces Schelmes viurõt, que
vous puiſſſſiez recouurer d’eux vn
tout ſeul brin de payement. Car
tout cela qu’ils peuuent faire, c’eſtſt
de viure au iour la iournee, les ar-
|
mes au poing, les yeux au ciel, at-
tendans ſecours de Treshaut pour
la laſcheté de leurs freres. Il ne reſtſte
plus (tres-illuſtſtres Princes & nation
tres fameuſe) ſinon que vous pre-
niez en bonne part la hardieſſſſe de
laquelle i’ay vſé en voſtſtre endroit,
vous offffrant ceſtſte tragique peintu-
re tracee au moins mal que i’ay peu.
Ma plume ne ſcauroit reſpondre
Au forfaictct tant eſtſt inhumain :
Mais elle vous peut bien ſemondre
A le venger de voſtſtre main.
A tout le moins (tres-illuſtſtres
Princes, magnanimes Seigneurs,
vertueux Gentils hõmes, faites en
ſorte que ces tigres tãt inhumains
que Dieu a par ſa prouidẽce trainé
& mis entre vos mains ne vo’ eſchap
pẽt nullemẽt : Et les tenez ſerrez, de
ſorte qu’ils ne nuiſent à vos voiſins :
vous gardans en toutes façons de
|
leurs aguetz & leurs embuſches.
Autrement, ſi quelcun de vos bons
voiſins venoit quelque iour à perir
pour auoir laſché ces leopards, ſon
ame vous ſeroit ſans doute rede-
mãdee du Souuerain. Que s’il vous
en auenoit quelque mal en parti-
culier, vous ſeriez en riſee aux peu
ples qui habitent autour de vous
eſtſtans allez querir ſi loin des ſan-
gliers pour vous diſſſſiper. Dieu par
ſa grace vous y vueille mieux pour-
uoir, vous dõnant confeil & ſageſſſſe
pour vous y ſcauoir bien conduire
au nom de ſon fils noſtſtre Sei-
gneur Ieſus Chriſtſt.
Amen.
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